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16/12/2022 | FRANCE | N°21VE00208

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 16 décembre 2022, 21VE00208


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 22 octobre 2019 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, d'enjoindre au préfet, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile en " procédure normale " et de lui délivrer une attestation de demande d'asile, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de le munir d'une autorisation provisoire de séjour po

rtant autorisation de travailler dans un délai de quinze jours à compter de la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 22 octobre 2019 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, d'enjoindre au préfet, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile en " procédure normale " et de lui délivrer une attestation de demande d'asile, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de le munir d'une autorisation provisoire de séjour portant autorisation de travailler dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement et sous astreinte de 50 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1912165 du 23 janvier 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 janvier 2021, M. C... D... A..., représenté par Me Maillard, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 22 octobre 2019 l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant la Guinée comme pays de destination ;

3°) d'enjoindre au préfet de police ou à tout préfet territorialement compétent d'enregistrer sa demande d'asile en " procédure normale " et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en " procédure normale ", à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de le munir d'une autorisation provisoire de séjour portant autorisation de travailler dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt et sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des articles

L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser à son conseil, Me Maillard, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la part contributive de l'Etat allouée au titre de l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en tant qu'il est :

o insuffisamment motivé en méconnaissance de l'article L. 9 du code de justice administrative ;

o entaché d'une erreur de fait ;

o entaché d'une omission de répondre à son moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision portant obligation de quitter le territoire ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire est entachée d'incompétence, faute pour le préfet de justifier d'une délégation de signature régulière, suffisamment précise, publiée et signée, conformément aux dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle est également entachée d'une insuffisance de motivation en droit et en fait, révélant un défaut d'examen particulier ;

- son droit à être entendu et le principe du contradictoire garantis par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ont été méconnus ;

- cette décision méconnaît les articles L. 741-1 et L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle, tant au regard de la décision portant obligation de quitter le territoire, que de la décision fixant le délai de départ volontaire à trente jours ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 27 novembre 2020 du bureau d'aide juridictionnelle du Tribunal judiciaire de Versailles.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2022, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- le jugement est régulier ;

- les autres moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... D... A..., ressortissant guinéen né le 1er janvier 1997 à Pita (Guinée), a été interpellé puis auditionné par les services de la préfecture de police le 22 octobre 2019. Par un arrêté du même jour, le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé la Guinée comme pays de destination. M. A... fait appel du jugement du 23 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) contient (...) l'analyse des conclusions et mémoires (...). ". Il ressort de l'examen du jugement attaqué que le tribunal administratif a omis de viser et n'a pas répondu au moyen soulevé par M. A... tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision portant obligation de quitter le territoire, lequel n'était pas inopérant. Dès lors, le jugement est pour ce motif irrégulier. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens relatifs à sa régularité, le jugement doit être annulé.

3. Il y a lieu de statuer, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Montreuil.

Sur la légalité externe :

En ce qui concerne l'arrêté attaqué :

4. En premier lieu, si M. A... soutient que l'arrêté en litige est insuffisamment motivé, faute pour le préfet de l'avoir communiqué, il ressort des pièces du dossier qu'en tout état de cause, l'intéressé a lui-même produit cet arrêté à l'invitation du greffe, conformément aux dispositions de l'article R. 412-1 du code de justice administrative.

5. En second lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires réglées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ", et aux termes de l'article 51 de cette charte : " 1. Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions et organes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l'application, conformément à leurs compétences respectives. / (...). ". Si le moyen tiré de la violation de l'article 41 précité par un État membre de l'Union européenne est inopérant dès lors qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que cet article ne s'adresse qu'aux organes et aux organismes de l'Union, le droit d'être entendu, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union, implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.

6. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal d'audition sur la situation administrative de M. A... produit par le préfet de police, que l'intéressé a été auditionné le 22 octobre 2019 à la suite de son interpellation après un contrôle d'identité et a été interrogé, lors de cette audition, sur les conditions de son entrée et de son séjour sur le territoire français, ainsi que sur sa situation personnelle et familiale en France. Il a été mis à même de présenter des observations sur la mesure d'éloignement envisagée à son encontre. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'il a été privé de la possibilité de présenter utilement des observations avant l'édiction de la décision en litige.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire :

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. ".

8. La décision en litige, qui comporte les mentions des nom, prénom et qualité de son auteur, a été signée par l'adjointe au chef de section des reconduites à la frontière de la préfecture de police, en vertu d'une délégation qui lui a été consentie, notamment à cette fin, par l'arrêté n° 2019-00794 du préfet en date du 27 septembre 2019. Contrairement à ce que soutient M. A..., il n'est pas établi que cet arrêté n'aurait pas été signé par le préfet de police, conformément aux mentions figurant sur l'ampliation régulièrement publiée au bulletin municipal officiel de la ville de Paris n° 79 du 4 octobre 2019, produit en défense. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision en litige serait entachée d'incompétence en l'absence de délégation de signature régulière doit être écarté en tant qu'il manque en fait.

9. En second lieu, la décision en litige vise notamment le 1° du I et le II de l'article L. 511-1 du code de l'entré et du séjour des étrangers et du droit d'asile et précise notamment que M. A... " est actuellement dépourvu de titre de séjour en cours de validité ". Dans ces conditions, dès lors qu'elle énonce les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement, et alors même qu'elle ne fait pas état de la volonté du requérant de déposer une demande d'asile, cette décision met à même l'intéressé de connaître précisément les motifs de son éloignement. Par suite, elle est suffisamment motivée et le moyen doit être écarté. En outre, et dès lors qu'il n'est pas établi qu'au jour de l'édiction de cette décision, M. A... aurait déposé une demande d'asile en cours d'examen, cette motivation ne révèle pas un défaut d'examen particulier de la situation de l'intéressé.

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire :

10. En premier lieu, lors de son audition par les services de la préfecture de police, le 22 octobre 2019, M. A..., qui a produit une carte d'identité italienne, a seulement indiqué être venu " demander de l'aide à la France ". Il n'a assorti cette déclaration d'aucune précision quant à la nature de l'aide qu'il souhaitait obtenir et n'a évoqué aucune menace encourue dans son pays d'origine. Il ressort des pièces du dossier qu'à cette date, et alors qu'il a déclaré à l'occasion de cette audition être entré en France en juin 2019, il n'avait déposé aucune demande d'asile au cours des mois qu'il a passés sur le territoire français et n'établit par aucun élément qu'il aurait, comme il se contente de l'alléguer, cherché en vain à obtenir un rendez-vous dans ce but. Dans ces conditions, M. A..., qui ne peut être regardé comme ayant entendu déposer une demande d'asile avant l'édiction de l'arrêté du préfet de police du 22 octobre 2019, ne peut utilement se prévaloir d'une méconnaissance des dispositions des articles L. 741-1 et L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au motif que son droit au maintien sur le territoire français dans l'attente de l'instruction de sa demande d'asile aurait été méconnu.

11. En deuxième lieu, M. A..., qui n'a pas déposé de demande d'asile, ainsi qu'il a été dit au point précédent, et se contente d'alléguer qu'il serait soumis à des persécutions en cas de retour dans son pays, sans apporter aucune autre précision ni élément permettant de justifier ce qu'il avance, ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lesquelles sont, en tout état de cause, opérantes seulement à l'encontre de la décision fixant le pays de destination.

12. En troisième lieu, en l'absence de dépôt d'une demande d'asile par M. A..., ainsi qu'il a été dit au point 10, le requérant ne saurait utilement se prévaloir des stipulations de l'article 31-2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 lesquelles impliquent que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur une telle demande.

13. En quatrième lieu, M. A... n'ayant pas obtenu la qualité de réfugié, le moyen tiré de ce que la décision préfectorale méconnaitrait l'article 33 de la convention de Genève, qui proscrit le refoulement des réfugiés à destination des territoires où leur vie serait en danger, ne peut qu'être écarté comme inopérant.

14. En dernier lieu, outre les motifs exposés au point 10 de l'arrêt, M. A... a déclaré être célibataire et sans enfant, dépourvu de toute ressource et adresse. Dans ces conditions, la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation de l'intéressé.

En ce qui concerne la décision fixant un délai de départ volontaire de trente jours :

15. Pour les mêmes motifs de fait que ceux exposés au point précédent, en fixant à M. A... un délai de trente jours pour quitter le territoire français, le préfet de police n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de celle-ci sur la situation de l'intéressé. Par suite, le moyen doit être écarté.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

16. En premier lieu, M. A... n'établissant pas que la décision portant obligation de quitter le territoire serait entachée d'une illégalité, il n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays à destination duquel il pourrait être renvoyé devrait être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de cette première décision.

17. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 10 et 11 de l'arrêt, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination méconnaîtrait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

18. En dernier lieu, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision fixant le pays de destination sur la situation de M. A... doit également être écarté pour les motifs déjà exposés aux points 10, 11 et 14, et alors que le requérant n'établit pas être dépourvu de toute attache dans son pays d'origine.

19. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 22 octobre 2019 du préfet de police. Ses conclusions à fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1912165 du 23 janvier 2020 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : La demande et le surplus des conclusions de la requête de M. A... sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 1er décembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Brotons, président,

Mme Le Gars, présidente assesseure,

Mme Bonfils, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 décembre 2022.

La rapporteure,

M-G. B...Le président,

S. BROTONS

La greffière,

V. MALAGOLI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 21VE00208


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE00208
Date de la décision : 16/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Marie-Gaëlle BONFILS
Rapporteur public ?: Mme MOULIN-ZYS
Avocat(s) : MAILLARD

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-12-16;21ve00208 ?
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