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17/01/2023 | FRANCE | N°20VE02332

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 17 janvier 2023, 20VE02332


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Centre de Loisirs ChnéOr a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner la Caisse d'allocations familiales de la Seine-Saint-Denis à réparer les préjudices subis du fait de la décision du 25 mai 2018 par laquelle le directeur de la Caisse d'allocations familiales a rejeté son recours gracieux contre la décision de ne pas renouveler la convention d'objectifs et de financement des prestations de service ALSH extra-scolaire et périscolaire de 2018 à 2020 inclus, de la convention

d'objectifs et de financement " public et territoires " de 2018 à 2021 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Centre de Loisirs ChnéOr a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner la Caisse d'allocations familiales de la Seine-Saint-Denis à réparer les préjudices subis du fait de la décision du 25 mai 2018 par laquelle le directeur de la Caisse d'allocations familiales a rejeté son recours gracieux contre la décision de ne pas renouveler la convention d'objectifs et de financement des prestations de service ALSH extra-scolaire et périscolaire de 2018 à 2020 inclus, de la convention d'objectifs et de financement " public et territoires " de 2018 à 2021 inclus et de la convention de financement " projet été " pour l'année 2018, en lui versant les sommes respectivement de 147 000 euros, 12 000 euros, 101 000 euros et 7 500 euros, ainsi que la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1806908 du 29 juin 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande, ordonné la suppression de plusieurs passages du mémoire de l'association Centre de Loisirs ChnéOr du 28 février 2020 et condamné cette dernière à verser une somme d'un euro à la Caisse d'allocations familiales de la Seine-Saint-Denis au titre de dommages et intérêts.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 septembre et 30 décembre 2020 et le 6 avril 2021, l'association Centre de Loisirs ChnéOr, représentée par Me Teboul-Astruc, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les décisions du 15 janvier 2018 et du 25 mai 2018 par lesquelles la Caisse d'allocations familiales de la Seine-Saint-Denis a, respectivement, refusé de lui renouveler la convention d'objectifs et de financements des prestations de services (PSO) en général et de toutes ses composantes à compter du 1er janvier 2018, et rejeté le recours formé contre cette décision ;

3°) de condamner la Caisse d'allocations familiales de la Seine-Saint-Denis à lui verser les sommes, à parfaire, de 147 000 euros à titre d'indemnités du refus de renouvellement de la convention PSO ALSH extrascolaire de 2018 à 2020 inclus, de 12 000 euros en indemnisation du refus de renouvellement de la convention PSO ALSH périscolaire de 2018 à 2020 inclus, de 101 000 euros à titre d'indemnités du refus de renouvellement de la convention d'objectifs et de financement " public et territoires " (handicap) de 2018 à 2021 inclus et de 7 500 euros à actualiser en indemnisation du refus de renouvellement de la convention de financement " projet été " pour l'année 2018, ainsi que la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral.

4°) de condamner la Caisse d'allocations familiales de la Seine-Saint-Denis à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision du 15 janvier 2018 est irrégulière en l'absence de notification de l'avis motivé de la commission régionale d'action sanitaire et sociale conformément à l'article 9 du décret n° 68-327 du 5 avril 1968 ;

- les décisions en litige sont entachées d'erreurs de droit dès lors qu'elles lui imposent de respecter un principe de neutralité auquel elle n'est pas soumise, le principe d'ouverture à tous n'étant prévu ni par la charte de la laïcité de la branche famille de la caisse d'allocations familiales avec ses partenaires, ni par la circulaire n° 2016-011 du 23 septembre 2016 ;

- elles portent atteinte aux libertés fondamentales dont la liberté de conscience, le principe de laïcité devant se combiner avec la liberté religieuse, la liberté d'expression et la liberté d'association ;

- ces décisions sont également entachées d'erreurs de droit, d'erreurs de faits et d'erreurs manifeste d'appréciation, qui s'apprécient dans le cadre d'un contrôle normal, au regard du principe de laïcité et du principe de non-discrimination qu'elle n'enfreint aucunement ; le principe de mixité entre garçons et filles ne résulte d'aucun texte, ne relève pas de la laïcité mais des principes républicains lesquels ne constituent pas une règle juridique en dehors de l'école publique et, en tout état de cause, les activités qu'elle propose respectent la mixité entre filles et garçons ; elle a le droit de servir des repas casher, lesquels sont d'ailleurs facultatifs et répondent à des considérations matérielles, et aucune obligation de proposer d'autres repas n'existe ; le principe de laïcité n'interdit pas le financement d'activités de loisirs qui se déroulent dans les locaux d'une école privée de confession juive, ce qui explique les décorations à " connotation religieuse ", lesquelles ne contreviennent pas à l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905, et les activités à caractère religieux qu'elle propose restent facultatives, comme en atteste sa nouvelle communication ; le principe de laïcité n'impose pas d'interdire le port de signes religieux extérieurs dans la sphère privée, ce qui constituerait une discrimination sauf si cette interdiction est prévue par un règlement intérieur et justifiée ; elle n'impose le port d'aucun signe religieux ; aucun prosélytisme, interdit par l'article 7 de la charte de la laïcité de la branche famille de la caisse d'allocations familiales avec ses partenaires, ne peut lui être reproché, la moitié de ses effectifs ne provenant pas de l'établissement scolaire ChnéOr ;

- ni son objet statutaire, ni ses activités ne sont d'ordre cultuel, ces dernières restant par suite éligibles au financement public, alors même qu'elles seraient destinées à une communauté attachée à une religion en particulier ;

- les décisions en litige méconnaissent l'intérêt public local, au vu de la pauvreté de la population du département et du déclin de la population juive qui a des difficultés à scolariser ses enfants ;

- le refus de renouvellement des conventions lui a causé un préjudice financier dont elle justifie pour des montants, à parfaire, de 147 000 euros à titre d'indemnités du refus de renouvellement de la convention PSO ALSH extrascolaire de 2018 à 2020 inclus, de 12 000 euros en indemnisation du refus de renouvellement de la convention PSO ALSH périscolaire de 2018 à 2020 inclus, de 101 000 euros à titre d'indemnités du refus de renouvellement de la convention d'objectifs et de financement " public et territoires " (handicap) de 2018 à 2021 inclus et de 7 500 euros à actualiser en indemnisation du refus de renouvellement de la convention de financement " projet été " pour l'année 2018, et un préjudice moral d'un montant de 30 000 euros à parfaire.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 29 octobre 2020 et le 10 février 2021, la Caisse d'allocations familiales de la Seine-Saint-Denis conclut :

- à la confirmation des articles 2 et 3 du jugement ;

- au rejet de la requête ;

- à la condamnation de l'association Centre de Loisirs ChnéOr à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable ;

- la décision en litige, relative à l'octroi de subventions par une caisse d'allocations familiales, est motivée conformément aux dispositions de l'article L. 211-7 du code des relations entre le public et l'administration ; l'association Centre de Loisirs ChnéOr n'a pas sollicité la communication des avis rendus par la commission d'action sociale ;

- la décision en litige est soumise à un contrôle restreint ;

- les principes d'ouverture des activités à tous, dont résultent ceux d'égalité entre les sexes et de mixité, sont rappelés par les textes fondateurs de la Sécurité sociale, la circulaire n° 2016-011 du 23 septembre 2016 et l'arrêté du 3 octobre 2001, la non-mixité devant être une exception strictement justifiée pour des motifs d'ordre pédagogique ; la circulaire n° 2018-196 n'est pas applicable ;

- la décision est conforme à son pouvoir d'appréciation discrétionnaire et justifiée par un faisceau d'indices qui établit que l'association Centre de Loisirs ChnéOr ne respecte pas le principe de laïcité ni celui de l'ouverture à tous de ses activités, ainsi qu'en témoignent l'avis du comité consultatif restreint du 13 octobre 2017, les tenues vestimentaires constatées lors de la visite menée par les agents de la caisse, l'exclusion d'un genre pour certaines activités, qui n'est pas justifiée par des considérations objectives et pédagogiques et atteste d'une absence de neutralité confessionnelle, tout comme d'ailleurs les repas servis, lesquels sont exclusivement casher alors qu'aucun repas confessionnel ne peut être subventionné, conformément aux dispositions de la loi du 9 décembre 1905, les décorations murales à connotation religieuse dans les locaux où sont organisées les activités de loisirs et les activités à caractère confessionnel proposées sans alternative ; enfin, le Centre de Loisirs ChnéOr est fréquenté exclusivement par les membres d'une seule communauté religieuse ;

- sa décision ne porte pas atteinte à l'ordre public local, notamment à la scolarisation dans le département des enfants de confession juive, lequel relève de la compétence du maire ;

- elle ne porte atteinte ni à la liberté d'association, ni à la liberté d'expression de l'association Centre de Loisirs ChnéOr ;

- sa responsabilité ne peut être engagée, en l'absence de droits acquis au renouvellement des conventions de subventions versées par la caisse d'allocations familiales, alors même que ses décisions seraient annulées ;

- aucun préjudice n'est établi.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, et notamment son article 1er ;

- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le décret n° 68-327 du 5 avril 1968 relatif à l'exercice de l'action sanitaire et sociale par les caisses faisant partie de l'organisation générale de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 3 octobre 2001 relatif à l'action sociale des caisses d'allocations familiales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteure publique,

- et les observations de Me Naoui, pour la Caisse d'allocations familiales de la Seine-Saint-Denis.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de l'action sociale territorialisée et partenariale des caisses d'allocations familiales (CAF), et afin de faciliter l'accès des familles, notamment les plus modestes, aux activités d'accueil et de loisirs des enfants et des adolescents, la CAF de la Seine-Saint-Denis a conclu le 9 décembre 2013 avec l'association Centre de loisirs ChnéOr, laquelle a pour objet statutaire notamment d'organiser des accueils de loisirs, d'offrir des activités de loisirs, éducatives et ludiques et de développer des activités de formation, deux conventions de financement de la prestation de service ordinaire (PSO) ayant pour objet le financement des " activités (ex centres) de loisirs sans hébergement " (ALSH) périscolaires et extrascolaires gérées par cette association. Ces conventions, couvrant la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2016, auxquelles était attaché le versement de subventions, les " prestations de service ALSH périscolaire et extrascolaire ", ont été renouvelées par deux conventions du 31 juillet 2017 (prestation de service " Accueil de loisirs ALSH périscolaire ") et du 4 août 2017 (prestation de service " Accueil de loisirs ALSH extrascolaire "), à titre exceptionnel et pour une durée d'un an, du 1er janvier au 31 décembre 2017. Par ailleurs, en vue de renforcer l'accueil des enfants en situation de handicap, la CAF de la Seine-Saint-Denis a conclu avec la même association une convention d'objectifs et de financement pour la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2017. A la suite d'un contrôle de l'association qu'elle a réalisé, la CAF de la Seine-Saint-Denis a, par courrier du 15 janvier 2018, informé l'association Centre de loisirs ChnéOr du non-renouvellement des deux conventions ALSH périscolaire et extrascolaire au titre de l'année 2018. Le recours formé par l'association contre cette décision a été rejeté le 25 mai 2018. L'association Centre de loisirs ChnéOr fait appel du jugement du 29 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a, notamment, rejeté sa demande d'indemnisation des préjudices subis du fait de l'illégalité fautive entachant la décision du 15 janvier 2018.

Sur la légalité des décisions des 15 janvier et 25 mai 2018 :

En ce qui concerne la légalité externe :

2. Aux termes de l'article 9 du décret du 5 avril 1968 : " Les projets de création d'œuvres ou institutions sanitaires et sociales ou de participation à la gestion de telles œuvres ou institutions établis par les caisses régionales et primaires d'assurance maladie sont examinés par la commission régionale d'action sanitaire et sociale qui émet un avis motivé. ".

3. Aucun texte, ni aucun principe, n'imposait que l'avis de la commission régionale d'action sanitaire et sociale soit joint aux décisions en litige. En outre, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas même soutenu, que l'association Centre de loisirs ChnéOr aurait sollicité en vain la communication de ce document. Dans ces conditions, la requérante ne peut utilement se prévaloir d'un vice de forme tenant à l'absence de cet avis lors de la notification des décisions des 15 janvier et 25 mai 2018.

En ce qui concerne la légalité interne :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 263-1 du code de la sécurité sociale : " Les caisses d'allocations familiales exercent une action sanitaire et sociale en faveur de leurs ressortissants et des familles de ceux-ci dans le cadre du programme mentionné au 2° de l'article L. 223-1 ", à savoir " gérer un fonds d'action sanitaire et sociale dans le cadre d'un programme fixé par arrêté ministériel après avis de son conseil d'administration ". L'article R. 262-8 du même code, applicable aux caisses d'allocations familiales en application de l'article R. 263-2, dispose : " Les caisses primaires d'assurance maladie et les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail peuvent accorder des prêts ou des subventions à des œuvres ou institutions sanitaires et sociales qui rentrent dans les catégories définies par les programmes. L'attribution de ces prêts ou subventions est soumise aux règles fixées par l'article 9 du décret n° 68-327 du 5 avril 1968 ". Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 3 octobre 2001 : " Les caisses mènent une action sociale territorialisée et partenariale qui s'inscrit dans une démarche de recensement des besoins sociaux et familiaux, de programmation, de suivi et d'évaluation de la réalisation des objectifs fixés et des résultats à atteindre. (...) ". L'article 5 du même arrêté dispose : " Dans le cadre défini ci-dessus, les caisses d'allocations familiales interviennent selon les modalités suivantes : / (...) - par le soutien à des services et équipements sociaux ou par leur gestion directe ; (...) ".

5. D'autre part, si le principe de laïcité n'interdit pas, par lui-même, l'octroi, dans l'intérêt général et dans les conditions prévues par les lois, de subventions au bénéfice d'organismes ayant des activités cultuelles, celles-ci ne peuvent être accordées à une association, qui sans constituer une association cultuelle au sens du titre IV de la loi du 9 décembre 1905, a des activités cultuelles, qu'en vue de la réalisation d'un projet, d'une manifestation ou d'une activité qui ne présente pas un caractère cultuel et n'est pas destiné au culte, et à la condition, en premier lieu, que ce projet, cette manifestation ou cette activité présente un intérêt public local et, en second lieu, que soit garanti, notamment par voie contractuelle, que la subvention est exclusivement affectée au financement de ce projet, de cette manifestation ou de cette activité et n'est pas utilisée pour financer les activités cultuelles de l'association.

6. En premier lieu, l'association Centre de loisirs ChnéOr, qui ne conteste pas s'être engagée à respecter le principe de laïcité, explicité dans la charte de la laïcité de la branche famille de la CAF à laquelle renvoyait l'engagement signé par l'association requérante le 2 juin 2016, et par la circulaire 2016-011 du 23 septembre 2016, laquelle indique que les activités subventionnées doivent être ouvertes à tous contrairement à ce que fait valoir la requérante, soutient ne pas être soumise à une obligation de neutralité religieuse. Il ressort des décisions des 15 janvier et 25 mai 2018 que la CAF de la Seine-Saint-Denis a refusé de renouveler les subventions qui avaient été accordées à l'association Centre de loisirs ChnéOr au titre de ses prestations de service ALSH périscolaires et extrascolaires sur les périodes du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2016, puis de manière exceptionnelle du 1er janvier au 31 décembre 2017, en raison de l'atteinte portée par l'association gestionnaire aux principes de laïcité et d'ouverture à tous du fait de manquements relevés lors d'une visite effectuée par les services de la CAF le 31 juillet 2017. Ainsi, et nonobstant le fait que les conventions signées entre l'association requérante et la CAF de la Seine-Saint-Denis, le 31 juillet 2017 et le 4 août 2017, précisent que " l'action de la branche famille repose sur le principe de laïcité (...) A ce titre, la Caf de la Seine-Saint-Denis est particulièrement attentive au respect de la neutralité religieuse, de la laïcité, de la mixité et de l'ouverture à tous dans les actions qu'elle soutient ", l'association Centre de loisirs ChnéOr ne saurait utilement faire valoir que les décisions qu'elle conteste, qui sont fondées sur le non-respect des principes de laïcité et de non-discrimination, reposeraient sur un manquement à une obligation de neutralité.

7. En deuxième lieu, pour interrompre son subventionnement des activités proposées par l'association Centre de loisirs ChnéOr, la CAF de la Seine-Saint-Denis s'est fondée sur les constats réalisés par ses agents lors de leur visite des locaux de l'association le 31 juillet 2017 dont elle a retenu une absence de mixité garçons-filles dans les groupes d'enfants accueillis, la mention d'activités religieuses sur certains supports de communication sans précision de leur caractère facultatif, la fourniture de repas casher sans mise à disposition d'autres menus et la présence de décorations à connotation religieuse dans les locaux où est organisé l'accueil de loisirs.

8. S'agissant des conditions de mise en œuvre des activités d'accueil statutairement définies, l'association Centre de loisirs ChnéOr a pour objet d'organiser des accueils de loisirs dans le département de la Seine-Saint-Denis et d'offrir au plus grand nombre des activités de loisirs, éducatives et ludiques et de développer des actions de formation auprès de la jeunesse. Il ressort des pièces du dossier qu'à supposer même que la non-mixité entre garçons et filles ne soit pas appliquée à l'ensemble des activités non confessionnelles proposées, il est établi, notamment par les plannings d'activité produits, qu'elle l'est à la majorité de celles-ci. A cet égard, la directrice de l'établissement scolaire confessionnel qui abrite les activités de l'association Centre de loisirs ChnéOr, et où est scolarisée la moitié des enfants accueillis par l'association, a indiqué aux agents de la CAF que l'absence de mixité correspond au projet pédagogique de son établissement. Cependant, l'absence de caractère obligatoire de la mixité dans le secteur scolaire est sans incidence sur la possibilité de la CAF de la Seine-Saint-Denis de décider d'orienter les financements de son action sociale territorialisée en matière d'accueil de jeunes en fonction notamment d'un critère portant sur la mixité entre garçons et filles, dès lors que ce critère, qui est conforme aux principes d'égalité et de laïcité, avait été porté à la connaissance de l'association gestionnaire. En outre, il ressort des pièces du dossier, en particulier des plannings d'activité produits, et n'est d'ailleurs pas contesté par la requérante, qu'une partie des activités proposées par l'association Centre de loisirs ChnéOr est exclusivement religieuse et que la plupart des activités sont organisées dans la perspective de découverte et d'apprentissage de la seule religion juive, notamment des sorties et des activités organisées autour de cette religion et de sa pratique hebdomadaire. Ainsi, alors même que l'association a modifié son règlement intérieur pour préciser l'ouverture à tous de ses activités Alsh et la proposition d'activités alternatives pour les enfants ne souhaitant pas participer aux activités religieuses, d'une part, elle ne précise pas les activités alternatives mises en place pour les enfants ne souhaitant pas participer aux temps de prière et, d'autre part, elle ne présente aucun programme alternatif pour la grande partie de ses activités conçues autour de l'apprentissage de la religion juive. Alors même que l'association Centre de loisirs ChnéOr soutient à bon droit que dès lors que les repas qu'elle sert respectent les conditions d'hygiène réglementaires, elle n'a pas d'obligation de proposer un repas alternatif non différencié, le service de repas exclusivement casher, s'il n'est pas interdit, constitue de facto une pratique sélective dans l'accès au centre de loisirs. Par ailleurs, il n'est pas établi par les pièces du dossier que des démarches de référencement de l'association auprès de la mairie d'Aubervilliers, en vue d'être connue de tout public, auraient commencé avant 2019. Dans ces conditions, alors même qu'il n'est pas établi que l'association Centre de loisirs ChnéOr aurait refusé l'inscription d'enfants en raison de leur appartenance religieuse, et indépendamment de la présence d'éléments de décoration religieux, lesquels dépendaient du lieu dans lequel était réalisé l'accueil et dont la CAF avait connaissance dès la signature des premières conventions, l'organisation de l'accueil dans le centre de loisirs ChnéOr manifestait une appartenance confessionnelle de nature à en réserver, de fait, l'accès aux fidèles d'une seule religion. Par suite, la CAF de la Seine-Saint-Denis était fondée à considérer, au jour des décisions en litige, que les activités proposées par l'association Centre de loisirs ChnéOr ne respectaient pas le principe de laïcité, et, pour ce seul motif, refuser à la requérante le renouvellement des subventions accordées au titre des prestations de service ALSH périscolaire et extrascolaire de ce centre, sans commettre ni erreur de droit, ni erreur de fait, ni erreur manifeste d'appréciation.

9. L'association Centre de loisirs ChnéOr fait valoir qu'alors même que les activités qu'elle propose seraient destinées de manière privilégiée à des membres appartenant à une religion en particulier, cette circonstance ne ferait pas par principe obstacle à la perception de subventions publiques dès lors que ses activités ne seraient pas par nature cultuelle. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point précédent, d'une part, outre un temps purement religieux proposé en début de matinée, l'association requérante propose un grand nombre d'activités articulées autour de l'apprentissage de la pratique d'une religion, sans justifier que les activités de cette nature seraient effectivement facultatives et qu'un programme alternatif serait prévu. En tout état de cause, à supposer que le caractère non obligatoire des activités religieuses proposées par l'association puisse ainsi être tenu pour acquis au jour des décisions en litige, l'association requérante ne justifie, ni même n'allègue, que les subventions de la CAF de la Seine-Saint-Denis étaient exclusivement affectées au financement des seules activités non cultuelles de l'association.

10. En troisième lieu, l'association Centre de loisirs ChnéOr invoque le faible niveau de vie dans le département de la Seine-Saint-Denis. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 8 qu'au vu du caractère confessionnel marqué des conditions d'accueil proposées par son centre de loisirs, celui-ci ne répond pas aux besoins de l'ensemble de la population du département. Si la requérante se prévaut également de la difficulté de la population de confession juive du département à scolariser ses enfants en raison du déclin de cette population dans le département, cette circonstance n'est pas suffisamment établie par les pièces du dossier pour remettre en cause la légalité des décisions relatives au financement de prestations de service ALSH périscolaire et extrascolaire. Par suite, le moyen tiré de ce que les décisions en litige méconnaîtraient l'intérêt public local auquel répondraient les activités proposées par l'association requérante ne peut qu'être écarté.

11. En dernier lieu, les décisions en litige n'ont pas pour objet d'interdire les activités de l'association Centre de loisirs ChnéOr. En outre, il n'est ni justifié, ni même allégué, que l'interruption du versement des subventions en litige aurait pour conséquence de remettre en cause celles-ci. Dès lors, le moyen tiré de ce que les décisions en litige porteraient atteinte aux libertés de conscience, d'expression et d'association de l'association Centre de loisirs ChnéOr doit également être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, que l'association Centre de loisirs ChnéOr n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation du préjudice financier résultant de l'illégalité des décisions de la CAF de la Seine-Saint-Denis du 15 janvier 2018 et du 25 mai 2018, en l'absence d'illégalité de ces décisions.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la CAF de la Seine-Saint-Denis, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que l'association Centre de loisirs ChnéOr demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'association ChnéOr la somme réclamée par la CAF de la Seine-Saint-Denis sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'association Centre de loisirs ChnéOr est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la CAF de la Seine-Saint-Denis au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Centre de loisirs ChnéOr et à la Caisse d'allocations familiales de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 16 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Brotons, président,

Mme Le Gars, présidente assesseure,

Mme Bonfils, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 janvier 2023.

La rapporteure,

M.-G. A...Le président,

S. BROTONSLa greffière,

S. de SOUSA

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 20VE02332 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20VE02332
Date de la décision : 17/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Marie-Gaëlle BONFILS
Rapporteur public ?: Mme VISEUR-FERRÉ
Avocat(s) : DESBRUERES-ABRASSART

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-01-17;20ve02332 ?
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