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24/05/2023 | FRANCE | N°21VE02089

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 24 mai 2023, 21VE02089


Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance du 6 juillet 2021, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Versailles le 12 juillet 2021, le président de la cour administrative d'appel de Nantes a transmis à la cour la requête présentée par la société Bourges Dis.

Par une requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Nantes le 1er juillet 2021 et des mémoires, enregistrés les 6 mars 2023 et 30 mars 2023, la société Bourges Dis, représentée par Me Courrech, avocat, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures

:

1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 12 mai 2021 par laquell...

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance du 6 juillet 2021, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Versailles le 12 juillet 2021, le président de la cour administrative d'appel de Nantes a transmis à la cour la requête présentée par la société Bourges Dis.

Par une requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Nantes le 1er juillet 2021 et des mémoires, enregistrés les 6 mars 2023 et 30 mars 2023, la société Bourges Dis, représentée par Me Courrech, avocat, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 12 mai 2021 par laquelle la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) a refusé de l'autoriser à étendre la surface de vente de son hypermarché situé sur le territoire de la commune de Saint-Doulchard ;

2°) d'enjoindre à la Commission nationale d'aménagement commercial de lui délivrer l'autorisation sollicitée, dans un délai de quatre mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de la société Distribution Casino France le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Bourges Dis soutient que :

- la CNAC s'est méprise sur l'objet de sa demande ;

- son projet ne compromet pas les objectifs d'aménagement du territoire, de développement durable et de protection des consommateurs fixés par l'article L. 752-6 du code de commerce, notamment en ce qui concerne l'animation de la vie urbaine, les flux de transports, l'artificialisation des sols et l'existence de partenariats avec les producteurs locaux.

Par un mémoire en intervention enregistré le 10 mars 2023, la commune de Saint-Doulchard, représentée par Me Demaret, avocat, conclut à l'annulation de la décision de la Commission nationale d'aménagement commercial du 12 mai 2021 et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il n'est pas démontré que les membres de la CNAC auraient été régulièrement convoqués et auraient reçu communication de l'ordre du jour et des rapports d'instructions ;

- la décision de la CNAC est insuffisamment motivée ;

- le projet de la société Bourges Dis ne compromet pas les objectifs d'aménagement du territoire, de développement durable et de protection des consommateurs fixés par l'article L. 752-6 du code de commerce.

Par des mémoires en intervention, enregistrés les 10 août 2022 et 15 mars 2023, la société Distribution Casino France, représentée par Me Bolleau, avocat, conclut au rejet de la requête, au rejet de l'intervention de la commune de Saint-Doulchard et à ce que soit mise à la charge de la société Bourges Dis la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la commune n'est pas recevable à intervenir à la présente instance faute d'intérêt ni, en tout état de cause, à présenter des moyens qui n'ont pas été soulevés par la société requérante ;

- les moyens soulevés par la société Bourges Dis et par la commune de Saint-Doulchard ne sont pas fondés ;

- il n'y aurait pas lieu de prononcer une injonction de délivrance de la décision attaquée dès lors que la CNAC n'a pas examiné l'ensemble des critères définis à l'article L. 752-6 du code de commerce.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mars 2023, la Commission nationale d'aménagement commercial conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la société Bourges Dis ne sont pas fondés.

Par ordonnance du président de la 6ème chambre du 16 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 31 mars 2023 en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions présentées par la commune de Saint-Doulchard, intervenante, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune de Saint-Doulchard a présenté des observations en réponse à ce moyen soulevé d'office et indiqué abandonner ses conclusions présentées sur ce fondement.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Villette,

- les conclusions de Mme Moulin-Zys, rapporteure publique,

- et les observations de Me Morisseau, substituant Me Courrech, pour la société Bourges Dis, de Me Pensalfini pour la commune de Saint-Doulchard et de Me Dutoit, substituant Me Bolleau, pour la société Distribution Casino France.

Considérant ce qui suit :

1. La Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) a autorisé le 12 novembre 2014 la société Bourges Dis à exploiter un hypermarché E. Leclerc d'une surface de vente de 5 999 mètres carrés sur le territoire de la commune de Saint-Doulchard. Le 11 décembre 2020, la société Bourges Dis a présenté une demande d'extension de cet hypermarché portant sa surface de vente à 7 086 mètres carrés. La commission départementale d'aménagement commercial du Cher a autorisé cette extension par une décision du 4 février 2021. Sur les recours présentés par les sociétés Lidl, Carrefour Hypermarchés et Distribution Casino France, la Commission nationale d'aménagement commercial a refusé d'autoriser cette extension le 12 mai 2021. La société Bourges Dis demande à la cour d'annuler cette dernière décision.

Sur les interventions :

2. La commune de Saint-Doulchard justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de la décision attaquée. Ainsi son intervention à l'appui de la requête formée par la société Bourges Dis est recevable.

3. La société Distribution Casino France, exploitant une activité commerciale concurrente dans la zone de chalandise du projet en litige, a intérêt au maintien de la décision attaquée. Ainsi, son intervention doit être admise.

Sur la légalité de la décision du 12 mai 2021 :

4. Aux termes de l'article L. 752-6 du code de commerce : " I.- L'autorisation d'exploitation commerciale mentionnée à l'article L. 752-1 est compatible avec le document d'orientation et d'objectifs des schémas de cohérence territoriale ou, le cas échéant, avec les orientations d'aménagement et de programmation des plans locaux d'urbanisme intercommunaux comportant les dispositions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 151-6 du code de l'urbanisme. / La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : 1° En matière d'aménagement du territoire : a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; e) La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre ; f) Les coûts indirects supportés par la collectivité en matière notamment d'infrastructures et de transports ; / 2° En matière de développement durable : a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique et des émissions de gaz à effet de serre par anticipation du bilan prévu aux 1° et 2° du I de l'article L. 229-25 du code de l'environnement, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; (...) / Les a et b du présent 2° s'appliquent également aux bâtiments existants s'agissant des projets mentionnés au 2° de l'article L. 752-1 ; 3° En matière de protection des consommateurs : a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ; b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; c) La variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales ; (...) ". Il résulte de ces dispositions combinées que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce.

5. Pour refuser de délivrer l'autorisation d'exploitation commerciale sollicitée, la CNAC s'est, en premier lieu, fondée sur la circonstance que l'extension de l'hypermarché aurait pour effet de renforcer considérablement l'offre en périphérie de Bourges, que l'extension parait surdimensionnée au regard de la faible vitalité commerciale de la zone de chalandise, que la commune de Bourges bénéficie du programme " Action Cœur de Ville " et qu'ainsi le projet de la société Bourges Dis risquerait de porter atteinte à l'animation de la vie locale.

6. Néanmoins, il ressort de l'analyse d'impact produite par la société Bourges Dis, dont il n'est pas allégué qu'elle n'aurait pas été correctement réalisée, que la vacance commerciale dans la commune de Bourges était, à la date de la décision attaquée, de 7,6 %, soit un taux inférieur à la moyenne nationale. L'incidence négative du projet sur les opérations de redynamisation du centre-ville de Bourges n'est pas non plus démontrée, faute de précision sur les actions menées à cet égard. Enfin, l'hypermarché est construit en continuité des zones résidentielles de Saint-Doulchard et à proximité des axes structurants de l'agglomération, sur une parcelle choisie en raison d'un arbitrage opéré entre la protection des résidents à l'égard des nuisances sonores générées par le projet et son accessibilité. Dès lors, la CNAC a commis une erreur d'appréciation en regardant comme compromis l'objectif d'aménagement du territoire fixé par la loi.

7. Pour refuser de délivrer l'autorisation sollicitée, la CNAC s'est en deuxième lieu fondée sur la circonstance que l'essentiel de la clientèle accèderait au site en voiture. Néanmoins, cette circonstance n'apparaît pas aggravée par l'extension objet de la demande de telle sorte que celle-ci ne peut, de ce seul fait, être regardée comme compromettant les objectifs de maîtrise des flux routiers et de développement des modes de transports collectifs et doux. Il est constant que le site est accessible en bus, à vélo et à pied.

8. La CNAC s'est en troisième lieu fondée sur le maintien d'une artificialisation importante du site. Néanmoins, le projet de la société Bourges Dis soumis à autorisation consistait en l'augmentation des surfaces de vente par une requalification des réserves, sans augmentation de la surface du bâtiment et sans augmentation des surfaces imperméabilisées. Dès lors, si la CNAC pouvait regretter une absence de transformation plus importante des conditions d'exploitation de l'hypermarché par la société Bourges Dis, elle a commis une erreur de droit en tenant compte de l'artificialisation née du projet original de cette société préalablement autorisé par elle pour refuser d'autoriser l'extension en litige. Par ailleurs, le projet, qui comprend la pose de panneaux solaires sur le local vélo, constitue, même si elle reste très minime, une amélioration de l'existant. Dès lors, la CNAC a commis une erreur d'appréciation en regardant comme compromis l'objectif de développement durable fixé par la loi.

9. Enfin, si la CNAC était fondée à considérer que la participation de partenaires locaux au projet de la société Bourges Dis n'était pas garantie, faute d'engagement sur ce point, cette circonstance ne pouvait à elle seule fonder le refus en litige.

10. Il résulte de tout ce qui précède que c'est à tort que la commission nationale d'aménagement commercial a regardé le projet de la société Bourges Dis comme compromettant les objectifs fixés à l'article L. 752-6 du code de commerce. Par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête et de la commune, cette société est fondée à demander l'annulation de la décision du 12 mai 2021.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. En vertu des dispositions des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative, le juge administratif peut, s'il annule la décision prise par l'autorité administrative sur une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale et en fonction des motifs qui fondent cette annulation, prononcer une injonction tant à l'égard de l'autorité administrative compétente pour se prononcer sur la demande de permis qu'à l'égard de la CNAC. L'annulation de la décision rejetant une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale sur le fondement d'un avis défavorable rendu par la CNAC n'implique, en principe, qu'un réexamen du projet par cette commission. Il n'en va autrement que lorsque les motifs de l'annulation impliquent nécessairement la délivrance d'un avis favorable.

12. En l'espèce, la CNAC ne s'est prononcée que sur certains des critères fixés par l'article L. 752-6 du code de commerce. Dès lors, l'exécution du présent arrêt implique seulement qu'il soit enjoint à la CNAC de réexaminer la demande de la société Bourges Dis dans un délai de quatre mois à compter de sa notification.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Distribution Casino France, qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie, le versement de la somme que la société Bourges Dis demande à ce titre. Par ailleurs, ces mêmes dispositions font, en tout état de cause, obstacle à la mise à la charge de la société Bourges Dis, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, le versement de la somme que la société Distribution Casino France demande au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : Les interventions de la commune de Saint-Doulchard et de la société Distribution Casino France sont admises.

Article 2 : La décision du 12 mai 2021 de la Commission nationale d'aménagement commercial est annulée.

Article 3 : Il est enjoint à la Commission nationale d'aménagement commercial de réexaminer la demande d'autorisation d'exploitation commerciale déposée par la société Bourges Dis dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Bourges Dis, à la société Distribution Casino France, à la commune de Saint-Doulchard et à la Commission nationale d'aménagement commercial.

Délibéré après l'audience du 18 avril 2023, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Mauny, président assesseur,

Mme Villette, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mai 2023.

La rapporteure,

A. VILLETTELe président,

P.-L. ALBERTINILa greffière,

S. DIABOUGA

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 21VE02089


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE02089
Date de la décision : 24/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

14-02-01-05-01-02 Commerce, industrie, intervention économique de la puissance publique. - Réglementation des activités économiques. - Activités soumises à réglementation. - Aménagement commercial. - Champ d'application. - Extension.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: Mme Anne VILLETTE
Rapporteur public ?: Mme MOULIN-ZYS
Avocat(s) : SCP COURRECH ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-05-24;21ve02089 ?
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