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01/12/2011 | FRANCE | N°09/09131

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 01 décembre 2011, 09/09131


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRÊT DU 01 Décembre 2011



(n°6, 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/09131



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 Mars 2009 par le conseil de prud'hommes de PARIS RG n° 08/05236







APPELANTE

Madame [S] [W]

[Adresse 2]

[Localité 4]

comparant en personne, assistée de Me Chantal GIRAUD VAN GAVER, avocat au

barreau de PARIS, toque : P0053







INTIMÉE

S.N.C. CARTIER INTERNATIONAL

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Laurent CARRIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0221





COMPO...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRÊT DU 01 Décembre 2011

(n°6, 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/09131

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 Mars 2009 par le conseil de prud'hommes de PARIS RG n° 08/05236

APPELANTE

Madame [S] [W]

[Adresse 2]

[Localité 4]

comparant en personne, assistée de Me Chantal GIRAUD VAN GAVER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0053

INTIMÉE

S.N.C. CARTIER INTERNATIONAL

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Laurent CARRIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0221

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Mai 2011, en audience publique, les parties assistée et représentée ne s'y étant pas opposées, devant Madame Evelyne GIL, Conseillère, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président

Madame Evelyne GIL, Conseillère

Madame Isabelle BROGLY, Conseillère

Greffier : Mademoiselle Séverine GUICHERD, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Jean-Michel DEPOMMIER, Président et par Mademoiselle Céline MASBOU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA COUR,

Vu l'appel formé par [S] [W] contre un jugement du conseil de prud'hommes de PARIS en date du 19 mars 2009 ayant statué sur le litige qui l'oppose à son ancien employeur, la société CARTIER INTERNATIONAL SAS.

Vu le jugement déféré ayant :

- dit irrecevable la demande relative aux stocks-options,

- fixé à 28'249,72 € la moyenne des 3 derniers mois de salaire,

- condamné la société CARTIER INTERNATIONAL à payer à [S] [W] les sommes de :

19'280,55 € à titre de rappel de congés payés, avec intérêts de droit à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation,

500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté [S] [W] du surplus de sa demande et la société CARTIER INTERNATIONAL de sa demande reconventionnelle,

- condamné cette dernière aux dépens.

Vu les conclusions visées par le greffier et développées oralement à l'audience aux termes desquelles :

[S] [W], appelante, poursuit :

- la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a considéré que son licenciement ne repose pas sur une faute lourde, en ce qu'il porte condamnation de l'employeur au paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés et en ce qu'il a décidé que le conseil de prud'hommes était compétent pour statuer sur le préjudice lié à la perte de chance de pouvoir exercer les stock-options,

- son infirmation pour le surplus,

- la constatation de l'absence de cause réelle et sérieuse justifiant son licenciement,

- la recevabilité de sa demande de dommages et intérêts pour perte de chance du droit de lever les stock-options,

- la condamnation de la société CARTIER INTERNATIONAL à lui payer les sommes de :

33'792 € à titre de rappel de salaire durant la mise à pied du 8 février au

26 mars 2008,

3 379,20 € à titre de congés payés y afférents,

60'701,50 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis de 3 mois,

6'070,15 € à titre de congés payés y afférents,

4 928 € à titre de prorata de prime de 13e mois afférente au préavis,

19'280,35 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés perdus,

10'829 € d'indemnité conventionnelle de licenciement,

102'500 € à titre de prime de fin d'année pour l'exercice 2007/2008,

25'625 € à titre de prorata de bonus pour l'exercice 2008/2009,

512'500 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

256'250 € à titre de dommages et intérêts pour contexte vexatoire et intention de nuire,

4 000 000 € à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de réaliser une plus-value sur les stocks-options Richemont,

avec intérêts de droit et capitalisation de ceux-ci conformément à l'article 1154 du Code civil,

8 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- subsidiairement, une mesure d'expertise, aux frais avancés de l'employeur, pour évaluer le préjudice consécutif à l'impossibilité de réaliser une plus-value sur les stock-options.

La société CARTIER INTERNATIONAL, intimée, conclut :

- à l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a requalifié le licenciement d'[S] [W] en un licenciement pour faute grave et en ce qu'il porte condamnation de l'employeur à paiement,

- à sa confirmation pour le surplus,

- au débouté d'[S] [W] de l'ensemble de ses demandes,

- à sa condamnation à lui verser une somme de 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en sus des entiers dépens.

FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La Maison de joaillerie et d'horlogerie CARTIER qui appartient au groupe RICHEMONT est composée de plusieurs sociétés parmi lesquelles la société CARTIER INTERNATIONAL SNC située à [Localité 6] et la société CARTIER INTERNATIONAL SA dont le siège social est situé à GENÈVE en Suisse qui regroupe l'ensemble des fonctions stratégiques de la Maison CARTIER.

Suivant lettre valant contrat de travail régi par la convention collective de la bijouterie joaillerie orfèvrerie signée le 8 avril 2004, la société CARTIER INTERNATIONAL a engagé [S] [W], à compter du 23 août 2004, en qualité de directrice générale du marketing exerçant ses fonctions à [Localité 7], moyennant des appointements mensuels, bruts et forfaitaires fixés à 17'692 € sur 13 mois, un bonus (prime annuelle sur objectifs) de l'ordre de 40 % de la rémunération de base annuelle, l'attribution de stocks options par le Groupe Richemont, une retraite par capitalisation, une voiture de fonction d'une valeur approximative de 50'000 € et une place de stationnement.

Suivant lettre valant contrat de travail à durée indéterminée régi par le droit suisse, lettre également signée le 8 avril 2004, la société CARTIER INTERNATIONAL SA l'a engagée, à compter du 23 août 2004, en qualité de directrice générale du marketing pour exercer ses fonctions en Suisse dans les limites de son autorisation de séjour n'excédant pas 120 jours par an, moyennant un salaire brut mensuel de 17'584 F suisses et un bonus (prime annuelle sur objectifs) de l'ordre de 40 % de sa rémunération de base annuelle.

Le 8 février 2008, la société CARTIER INTERNATIONAL SNC a convoqué [S] [W] à se présenter le 25 février 2008 à un entretien préalable à une mesure de licenciement envisagée. Cette convocation comportait également la confirmation de la mise à pied à titre conservatoire qui lui avait été notifiée verbalement.

Une nouvelle convocation à entretien préalable a été adressée à la salariée pour le 13 mars 2008.

Le 28 février 2008, la société CARTIER INTERNATIONAL SA a mis fin, selon la procédure ordinaire, à son contrat de travail soumis au droit suisse, avec effet au 30 avril 2008, en la dispensant d'effectuer son préavis. La rupture de ce contrat est fondée sur la perte de confiance.

Le 21 mars 2008, la société CARTIER INTERNATIONAL SNC lui a notifié son licenciement pour fautes lourdes pour les motifs suivants :

- une facturation selon un processus irrégulier intervenu dans l'urgence au profit de la société MAZARINE, prestataire du groupe CARTIER, pour un montant d'environ 120'000 € HT ayant donné lieu à l'établissement à la même date de 6 factures correspondant à des travaux inexistants ou déjà facturés en 2007 ou bien inclus dans l'exécution du contrat, ces faits révélant une intention de nuire,

- des abus d'autorité destinés à dissimuler des agissements fautifs qui se sont manifestés par :

l'obligation faite à [T] [N] d'exiger de la société PROFIRST le fractionnement de sa facture de 125'000 € environ correspondant à sa prestation au séminaire de [Localité 5] en septembre 2007 en 5 factures toutes datées du

24 octobre et la menace faite au représentant de cette société de ne plus continuer à travailler avec lui en 2008 s'il continuait à attribuer un intitulé identique à ses factures ainsi fractionnées, ceci afin de ne pas dépasser le plafond de la délégation de signature qui lui avait été accordée et de dissimuler au président de CARTIER le montant réel des prestations dont elle avait la responsabilité dans l'atelier [Localité 5],

l'obligation faite à 2 consultants missionnés pour une réflexion stratégique de facturer la société MAZARINE afin que celle-ci refacture CARTIER et l'obligation faite aux employés au courant de ne jamais en parler au président,

l'obligation faite à l'une des salariés placée sous son autorité d'appeler à la fin de l'année tous les prestataires de CARTIER pour leur faire passer le message selon lequel elle attendait ses cadeaux de fin d'année,

l'obligation faite à des salariés placés sous son contrôle de tenir une réunion de travail à son domicile vers 20 heures, après les avoir fait attendre devant son immeuble pendant près d'une heure et l'obligation qu'elle leur a imposée de n'informer personne de cette réunion, particulièrement [F] [H].

Le 7 mai 2008, [S] [W] a saisi le conseil de prud'hommes de PARIS de ses demandes d'indemnités consécutives au licenciement sans cause réelle ni sérieuse dont elle a fait l'objet.

Le 5 septembre 2008, elle a saisi le tribunal des prud'hommes de GENÈVE de ses demandes d'indemnités à la suite de la rupture de son contrat de travail soumis au droit suisse ainsi que d'une demande de suspension de l'instruction jusqu'à l'issue de la procédure prud'homale pendante devant la juridiction parisienne.

Par jugement du 20 avril 2009, le tribunal des prud'hommes a rejeté la demande de suspension de l'instruction, condamné la société CARTIER INTERNATIONAL SA GENÈVE à payer à la salariée 9'818,30 F suisses à titre d'indemnité pour 10 jours de vacances non pris, avec intérêts à 5 % dès le 29 février 2008 et débouté les parties de toute autre conclusion.

Suivant arrêt prononcé le 4 novembre 2009, la cour d'appel des prud'hommes de GENÈVE a annulé ce jugement en ce qu'il a rejeté la demande de suspension de l'instruction, a suspendu l'instruction de la cause jusqu'à l'issue de la procédure suivie devant le conseil de prud'hommes de PARIS et débouté les parties de toute autre conclusion.

Les parties ont développé à l'audience leurs moyens et présenté leurs demandes, tels que formulés dans leurs conclusions respectives.

SUR CE

- Sur la qualification du licenciement et ses conséquences

Aux termes de sa lettre de licenciement pour fautes lourdes du 21 mars 2008, la société CARTIER INTERNATIONAL SNC reproche à [S] [W] d'une part, d'avoir accepté, dans le cadre d'une procédure de facturation irrégulière et avec l'intention de nuire à la société, 6 factures émises par la société MAZARINE pour un montant d'environ 120'000 € HT pour des prestations soi-disant ' supplémentaires ' correspondant soit à des travaux inexistants, soit à des travaux déjà facturés en 2007 ou inclus dans l'exécution du contrat, d'autre part, d'avoir commis des abus d'autorité destinés à dissimuler des agissements fautifs.

L'employeur illustre son dernier grief en évoquant 4 circonstances dans lesquelles la directrice générale du marketing et de la communication a commis des fautes et abusé de son autorité sur des collaborateurs internes ou externes pour les dissimuler.

Il cite d'abord le fractionnement de la facture de prestation de la société PROFIRST au séminaire de [Localité 5], pour un montant d'environ 125'000 €, en 5 factures toutes émises le 24 octobre 2007, ceci afin de dissimuler au président de la société CARTIER le montant réel des prestations, et les propos tenus au représentant de la société PROFIRST menaçant de cesser toute collaboration avec celle-ci s'il commettait à nouveau l'erreur de porter un intitulé identique sur ses factures.

Les 5 factures litigieuses ont été reçues par le service de la comptabilité du 31 octobre au

13 décembre 2007. C'est donc à cette dernière date que la société CARTIER INTERNATIONAL a pu avoir connaissance de l'intégralité de la prestation. Il en résulte que, la procédure de licenciement ayant été engagée le 8 février 2008, les faits de fractionnement irrégulier reprochés à la salariée ne sont pas prescrits. Par ailleurs, les menaces rapportées par [T] [N], directeur de cabinet à la direction générale du marketing et de la communication, aurait été proférées lors d'un déjeuner au bar de l'hôtel Crillon, le 23 janvier 2008.

Les 5 factures produites dont l'une a été émise pour 30'000 € HT portent plusieurs mentions, signatures et cachets montrant qu'elles ont été sérieusement vérifiées. Si elles sont toutes émises le 24 octobre 2007 dans le cadre de l'organisation de l'événement CARTIER à [Localité 5], elles concernent des prestations différentes relatives à un atelier salle de cinéma, un accompagnement dans la réflexion stratégique et l'optimisation de la diffusion des messages, un atelier salle ' Tsar ', un atelier salle ' Roadster ' et un atelier convention annuelle. En l'absence de la communication des règles internes régissant la procédure de paiement des factures au sein du groupe CARTIER, le fractionnement fautif des prestations imputé à [S] [W] n'est pas démontré.

Par ailleurs, [G] [J], directeur de l'agence de communication PROFIRST, dément tout reproche qui lui aurait été adressé par la directrice générale du marketing de CARTIER lors du déjeuner à l'hôtel Crillon.

L'employeur cite en deuxième exemple d'abus d'autorité l'exigence d'[S] [W] de faire facturer les prestations de réflexion stratégique des consultants [X] [C] et de [Y] [U] dont elle avait besoin par la société MAZARINE, celle-ci les refacturant à la société CARTIER, dans le but de dissimuler à sa hiérarchie le recours à des prestataires extérieurs pour un travail dont elle avait la charge, ainsi que l'obligation imposée à ses collaborateurs de ne jamais en parler au président. Aucune facture, aucune attestation, ni aucun autre document n'a été produit pour corroborer cette allégation.

La société CARTIER INTERNATIONAL s'appuie sur l'attestation de [T] [N] pour faire reproche à [S] [W] d'avoir imposé à ses subordonnés de contacter tous les prestataires de la société pour leur faire 'passer le message' selon lequel elle attendait les cadeaux de fin d'année. Cependant, la directrice de cabinet, se plaignant de l'abus de ses fonctions par sa supérieure hiérarchique, rapporte à titre d'exemple l'anecdote de la rencontre, le 20 janvier 2008, avec le responsable du site Internet BLAST à l'issue de laquelle l'appelante a remarqué que son agence n'avait pas envoyé de cadeau de Noël et, ultérieurement après l'envoi à tous les collaborateurs de ses voeux accompagnés d'une petite attention, que le remerciement qui lui avait été adressé était 'trop chaleureux au vu du malheureux présent '. Les commentaires ainsi attribués à [S] [W], certes désagréables, ne contiennent aucune obligation imposée à ses collaborateurs d'appeler les prestataires de services de la Maison CARTIER afin de leur suggérer de lui adresser des cadeaux de fin d'année.

Enfin, l'abus d'autorité dont aurait fait preuve la salariée est illustré par l'attestation de [B] [L], chef de groupe publicité, qui relate que le 20 juillet 2006, [S] [W] étant indisponible avant la présentation le lendemain de visuels de publicité au président et au comité de création, la réunion préparatoire, après avoir été reportée plusieurs fois dans l'après-midi, a dû être fixée à 20 heures 30 au domicile de la directrice générale du marketing qui a fait patienter ses deux collaboratrices à l'extérieur pendant une demi-heure avant de les recevoir de 21 heures à 21 heures 45.

La société CARTIER INTERNATIONAL ne démontrant pas qu'elle n'a pu avoir connaissance de ces faits que dans le délai de deux mois précédant l'engagement de la procédure prud'homale, ceux-ci sont prescrits.

Le grief invoqué par l'employeur tiré des abus d'autorité commis par [S] [W] pour dissimuler des agissements fautifs n'est pas justifié.

La société CARTIER INTERNATIONAL fait également valoir l'acceptation fautive par la salariée, dans l'intention de nuire à la société, de prestations ' supplémentaires ' d'un montant de 120'000 € HT faisant l'objet de 6 factures, fractionnées pour demeurer dans la limite de la délégation de 25'000 € qui lui était accordée, présentées par la société MAZARINE concernant des travaux inexistants ou des travaux déjà facturés en 2007 ou encore inclus dans l'exécution du contrat.

Aucune délégation de pouvoir au bénéfice d'[S] [W] n'a été versée aux débats. Toutefois, l'intéressée reconnaît qu'elle bénéficiait du pouvoir d'engager la société CARTIER INTERNATIONAL SNC dans la limite de 25'000 €.

Il n'est pas contesté que l'agence de communication MAZARINE est issue d'un service interne du groupe CARTIER qui a externalisé différentes fonctions. Celles-ci ont été confiées à la société MAZARINE, cédée à [O] [P] [A], à qui elle procure plus de

55 % de son chiffre d'affaires.

La société CARTIER et l'agence MAZARINE sont liées par deux contrats cadres, l'un daté du 12 mai 2004 et renégocié le 11 mai 2007 confie à la seconde la conception et la réalisation de l'édition des catalogues, brochures, cartes de voeux et d'invitation..., l'autre en date du 3 avril 2006 lui confie la mise en scène des produits de la marque CARTIER dans le cadre d'une mission de conception, de réalisation et de suivi de visuels.

Les 6 factures litigieuses, toutes émises le 28 janvier 2008, s'inscrivent dans le cadre de prestations hors contrat donnant lieu, selon [S] [W] confirmée par [O] [P] [A], à une facturation supplémentaire en fin d'année.

La gestion du budget communication et le suivi des facturations incombait à [D] [R].

Le 24 janvier 2008, l'agence MAZARINE a présenté 5 devis pour des montants compris entre 15'000 € HT et 35'000 € HT, puis, le 28 janvier 2008, 6 factures correspondant à ces devis pour des montants compris entre 15'000 € HT et 30'000 € HT.

Préalablement, [D] [R] avait envoyé à [S] [W], le 15 janvier 2008, un courriel lui exprimant son désaccord sur le versement d'une prime à la société MAZARINE en raison du renouvellement dans de très bonnes conditions du contrat édition, de l'inexistence de 'sujets majeurs' justifiant un bonus et de l'absence de budget et avait alerté le directeur des ressources humaines qui lui avait conseillé d'exécuter les instructions de sa supérieure hiérarchique tout en le tenant au courant de celles-ci.

Le 16 janvier 2008, [D] [R] a adressé à [S] [W] un courriel ainsi libellé après lui avoir fait part d'une enveloppe supplémentaire d'environ 700 K€ : ' aussi pour Mazarine nous avons une fenêtre et tu peux envisager une enveloppe ' bonus ', nous lui avons donné je crois 150 K€ en FY07, et 120 K€ FY06. Comme je te l'ai dit cette année a été moins chargée en lourds projets. Que penses-tu que nous puissions allouer ' 100K€ ' Merci de ta réponse '.

Dans une lettre du 20 février 2008, [O] [P] [A], président de la société MAZARINE, se défend d'avoir participé ' à la réalisation de factures douteuses pour un montant de 120'000 euros au cours du mois de janvier 2008 " et explique qu'à la veille de la clôture annuelle de l'exercice comptable de la société CARTIER, le 31 mars, des régularisations étaient habituellement sollicitées pour des travaux réalisés au-delà des prévisions initiales. Il précise que les 6 factures litigieuses concernent les prestations suivantes :

- Film institutionnel 15 K€

- Evolution campagne écrin 30 K€

- Campagne multi produit Plv 20 K€

- Campagne Bridal 20 K€

- Positionnement horloger masculin 20 K€

- Instant précieux 15 K€,

que l'étude horlogerie était prévue pour 35 K€, que la facture ' Instant précieux' ne devait pas être facturée et que c'est à la demande des services de la société CARTIER que la facture horlogerie a été réduite à 20 K€ et les recherches de ' Moment précieux' facturées par compensation.

Dans sa lettre du 20 mai 2008, il confirme les 'efforts' supportés par MAZARINE, les dépassements de travaux et prestations ayant donné lieu à compensation qu'[S] [W] accordait discrétionnairement mais accepte cependant de renoncer au règlement de la somme de 120'000 €.

La société CARTIER internationale soutient que la facture de recherche d'un réalisateur pour ' film institutionnel' correspond à un simple service qui n'est pas d'usage de facturer, que la facture 'campagne institutionnelle' correspond à des prestations incluses dans le contrat, que la facture 'accessoires multi produit' est comprise pour partie dans le contrat et a donné lieu pour le surplus à une facture supplémentaire autorisée et réglée en 2007, que la ' campagne Bridal' a également donné lieu à une facture supplémentaire autorisée en 2007, que la facture pour ' réflexion stratégique et conception pour un nouveau positionnement horlogerie masculin' concerne une prestation incluse dans le contrat cadre et que la facture ' instant précieux' renvoie à un travail inexistant, les travaux d'édition concernés étant rémunérés par le second contrat cadre d'édition qui prévoit une rémunération mensuelle forfaitaire de 130'000 € HT.

[S] [W] communique les dossiers constitués par la société MAZARINE pour justifier les dépassements de prestations non compris dans la rémunération contractuelle.

Le dirigeant de cette société, bien qu'ayant renoncé au paiement des 6 factures litigieuses, a toujours maintenu que celles-ci, à l'exception de la facture 'instant précieux', correspondaient à des prestations excédant les prévisions des contrats cadres.

Les seuls contrats cadres et éléments fournis par la société CARTIER INTERNATIONAL ne permettent pas d'établir que l'ensemble des prestations facturées a déjà été rémunéré soit dans le cadre d'un contrat, soit par facture autorisée et acquittée.

Il en résulte que seule, la facture ' instant précieux' est irrégulière comme ne correspondant pas à des travaux supplémentaires non compris dans le contrat d'édition. [S] [W] ne pouvait l'ignorer ainsi que cela ressort de la lettre de [O] [P] [A] du 20 février 2008 qui relate que les services de CARTIER lui ont demandé de minorer la facture horlogerie et de compenser en facturant les recherches de 'moment précieux'.

En acceptant le règlement d'une facture qu'elle savait ne pas correspondre à la réalité des prestations effectuées, [S] [W] a commis une faute rendant impossible, sans préjudice pour l'entreprise, la relation de travail et autorisant l'employeur à prononcer le licenciement.

La preuve de l'intention de nuire prêtée à la salariée n'a en rien été apportée.

Par ailleurs, la faute n'a pu être commise qu'avec le concours de [D] [R], elle-même en référant au directeur des ressources humaines ainsi qu'elle le reconnaît dans son attestation, et qui, le 16 janvier 2008, lui a procuré les moyens financiers de la commettre.

Par ailleurs, le fait que la société MAZARINE ait obtenu en 2006 et 2007, dans les mêmes conditions et sans réaction de la direction de la société CARTIER, le paiement d'une facture de régularisation pour ses prestations supplémentaires n'a pas incité [S] [W] à la vigilance. De telles circonstances sont de nature à priver la faute de son caractère de gravité et dès lors, la mise à pied à titre conservatoire ne se justifiait pas.

La salariée est en conséquence bien fondée à solliciter un rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire, une indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents, une indemnité compensatrice pour les congés payés perdus et une indemnité conventionnelle de licenciement. Ces différentes demandes n'ayant pas été discutées dans leur montant, il y a lieu d'y faire droit.

En revanche, le rejet de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être confirmé.

Sur le prorata du 13e mois correspondant au préavis (4 928 €)

Le contrat de travail d'[S] [W] prévoyait des appointements mensuels sur

13 mois constituant le salaire de base et le versement du 13e mois la première année au prorata du temps de présence de la salariée dans la société.

Le 13e mois faisant expressément partie du salaire de base, c'est à bon droit que l'appelante en réclame le paiement prorata temporis.

Sur la demande de dommages et intérêts pour contexte vexatoire et intention de nuire

La préméditation du licenciement et l'intention de nuire à la salariée n'ayant pas été démontrées, le rejet de cette demande par le conseil de prud'hommes sera confirmé.

Sur la demande de dommages-intérêts pour la perte de la chance de réaliser une plus-value sur les stock-options Richemont

D'août 2004 à juin 2006, [S] [W] a bénéficié de l'attribution de 100'000 stock-options qu'elle a perdues à la suite de son licenciement. Elle estime son manque à gagner à 7'400'000 €.

Toutefois, elle ne demande pas l'exécution du plan de stock-options du Groupe Richemont mais la réparation par la société CARTIER INTERNATIONAL SNC du dommage qu'elle lui a causé en la privant par sa faute de réaliser une plus-value. Son action qui est née à l'occasion de l'exécution de son contrat de travail est en conséquence recevable.

Cependant, son licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse la prive du droit de revendiquer des dommages et intérêts pour le motif de perte de chance subie du fait de l'impossibilité de réaliser ses stock-options.

Sur les demandes en paiement de la prime annuelle sur objectifs au titre des exercices 2007/2008 (102'500 €) et 2008/2009 (25'625 €)

Le contrat de travail d'[S] [W] prévoyait qu'elle était éligible à recevoir un bonus (prime annuelle sur objectifs) de l'ordre de 40 % de sa rémunération de base annuelle, déterminé chaque année en fonction des règles du Groupe applicables à l'année en cause.

La salariée a ainsi perçu 46'000 € au titre de l'exercice 2004-2005 prorata temporis, 92'000 € au titre de l'exercice 2005-2006 et 75'000 € au titre de l'exercice 2006-2007.

Son entretien annuel d'évaluation en date du 21 juin 2007 montre que ses objectifs quantitatifs ont été atteints et même dépassés. Le contrat de travail ne fixe aucun objectif qualitatif et n'exige pas la présence de la salariée dans l'entreprise à la date de clôture de l'exercice, soit le 31 mars. Dans ces conditions, l'appelante est bien fondée dans sa demande de bonus d'un montant correspondant à 40 % de sa rémunération annuelle qui était, en son dernier état, de 256'250 €.

En revanche, n'ayant pas travaillé pendant les trois mois de son préavis, elle ne peut prétendre avoir rempli ses objectifs et bénéficier d'une prime sur objectifs.

- Sur la charge des dépens et les demandes d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

La société CARTIER INTERNATIONAL SNC, succombant partiellement à l'issue de l'appel supportera la charge des dépens.

Elle devra payer en outre à [S] [W] les frais non taxables que celle-ci a exposés à l'occasion du présent appel dans la limite de 2 500 €. Il convient par ailleurs de rejeter sa demande formée sur le même fondement et de confirmer l'application qui a été faite par le conseil des prud'hommes des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit le conseil de prud'hommes compétent pour statuer sur la demande relative aux stock-options, condamné la société CARTIER INTERNATIONAL à payer à [S] [W] un rappel de congés payés avec intérêts de droit et une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour contexte vexatoire, de dommages et intérêts pour perte de la chance du droit de lever les stock-options Richemont, de paiement du bonus de l'exercice 2008/2009, rejeté la demande reconventionnelle et condamné l'employeur aux dépens ;

L'infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société CARTIER INTERNATIONAL SNC à payer à [S] [W] les sommes de :

33'792 € à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied du 8 février au

26 mars 2008,

3 379,20 € au titre des congés payés y afférents,

60'701,50 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

6'070,15 € au titre des congés payés y afférents,

4 928 € au titre du prorata du 13e mois se rapportant au préavis,

10'829 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

102'500 € représentant la prime annuelle sur objectifs pour l'exercice 2007/2008,

avec intérêts de droit et capitalisation de ceux-ci conformément à l'article 1154 du Code civil,

2 500 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Rejette le surplus des demandes ;

Condamne la société CARTIER INTERNATIONAL SNC aux dépens de l'appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 09/09131
Date de la décision : 01/12/2011

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°09/09131 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-12-01;09.09131 ?
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