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16/04/2013 | FRANCE | N°12/00987

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 8, 16 avril 2013, 12/00987


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 8



ARRET DU 16 AVRIL 2013



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 12/00987



Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Novembre 2011 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 06/16549





APPELANTES



Madame [W] [P] épouse [T]

[Adresse 3]

[Localité 2]



Représentée pa

r Me Olivier BERNABE (avocat au barreau de PARIS, toque : B0753)

Assistée de Me Jacqueline FERREIRA (avocat au barreau de PARIS, toque : A0042)



Madame [U] [F] épouse [I]

[Adresse 1]

[Localité 2]



Repré...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8

ARRET DU 16 AVRIL 2013

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/00987

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Novembre 2011 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 06/16549

APPELANTES

Madame [W] [P] épouse [T]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Olivier BERNABE (avocat au barreau de PARIS, toque : B0753)

Assistée de Me Jacqueline FERREIRA (avocat au barreau de PARIS, toque : A0042)

Madame [U] [F] épouse [I]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Olivier BERNABE (avocat au barreau de PARIS, toque : B0753)

Assistée de Me Jacqueline FERREIRA (avocat au barreau de PARIS, toque : A0042)

INTIMES

Maître [Y] [X] [D] es qualité de liquidateur judiciaire de la société SAMSON INVESTMENT

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES (Me Michel GUIZARD) (avocats au barreau de PARIS, toque : L0020)

Assistée de Me Jean-Philippe ALVES (avocat au barreau de NANTERRE, toque : 702)

Monsieur [H] [S]

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représenté par la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES (Me Michel GUIZARD) (avocats au barreau de PARIS, toque : L0020)

Assisté de Me Jean-Philippe ALVES (avocat au barreau de NANTERRE, toque : 702)

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 25 Février 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie HIRIGOYEN, Présidente, chargée d'instruire l'affaire,

Madame Evelyne DELBÈS, Conseillère,

Monsieur Joël BOYER, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Monsieur Bruno REITZER

MINISTERE PUBLIC : L'affaire a été communiquée au ministère public.

ARRET :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie HIRIGOYEN, Présidente et par Monsieur Bruno REITZER, Greffier présente lors du prononcé.

Le litige a pour origine un projet immobilier initié par plusieurs associés dans les années 90 à Val d'Isère (73).

Deux Sci de construction-vente ont été alors constituées, dénommées [Localité 6] et [Localité 3], avec pour objet de réaliser deux programmes distincts, par M. [S] et M. [A], Mme [P] épouse [T] et Mme [F] épouse [I] qui ont été successivement gérants puis co-gérants.

Parmi les associés des Sci, figuraient la société de droit norvégien Okma, dont le président était M. [T], conjoint de la première gérante des Sci, et la société en commandite Samson Investment, dirigée par M. [S].

Parallèlement, était constituée une société Baltic Finance dont M [T] était président et M. [S] directeur général.

Le financement du projet immobilier a été assuré par divers concours de la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel de Savoie (le Crédit Agricole) qui a accordé aux deux Sci des ouvertures de crédit en compte courant à hauteur de la somme totale de 1 524 490 euros, puis à la Sci [Localité 6] un prêt complémentaire de 762 245 euros, par acte notarié du 17 décembre 1991.

L'ensemble des concours était garanti par des hypothèques et les cautionnements divis des quatre associés gérants de l'époque, M.[S], lequel démissionnera de ses fonctions de gérant le 27 décembre 1992, M. [I], Mme [T] et M. [A].

Le 10 septembre 1992, la société Alésia, créée en 1992 par Mme [T], qui en sera la présidente tout en étant depuis l'origine gérante des deux Sci, a acquis quatre lots de la Sci [Localité 6], les acquisitions étant financées par un prêt de la banque Alterbanque devenue banque Colbert à hauteur de 647 908 euros et par un crédit-vendeur pour le solde de 637 969 euros. La société Alésia devenait le plus important client et débiteur de la Sci [Localité 6].

Trois de ces lots seront revendus, l'un à M et Mme [I] par acte du 30 janvier 1996, deux à la société Volgate, filiale de la société Okma, contrôlée par la famille [T], par acte du 30 janvier 1996.

Le 31 octobre 1995, Mme [T] et M. [I] avaient racheté les créances de la banque Colbert.

Les Sci n'ayant pu faire face au remboursement des crédits, le Crédit Agricole les a recherchées ainsi que les cautions.

C'est ainsi que par jugement du 5 janvier 1995, le tribunal de grande instance de Paris a condamné la Sci [Localité 3] solidairement avec M. [S], M. [I], Mme [T] et M. [A], chacun dans la limité de son engagement, à payer au Crédit Agricole la somme de 3 742 475,06 francs outre intérêts et que par jugement du 22 juin 1995, le tribunal de grande instance de Chambéry a condamné la Sci [Localité 6] solidairement avec M. [S], M. [I], Mme [T] et M.[A], chacun dans la limite de son engagement, à payer à la même banque la somme de 6 060 812,54 francs.

Frappés d'appel par M. [S], ces jugements seront confirmés par arrêts de la cour d'appel de Paris du 30 janvier 1998 et de la cour d'appel de Chambéry du 8 juin 1999.

C'est dans ces circonstances que le 2 mai 1996, un protocole d'accord, intitulé 'moratoire avec engagement conditionnel de cessions partielles de créances' portant sur l'ensemble des prêts consentis, a été signé entre le Crédit Agricole, la Sci [Localité 6], représentée par ses gérantes, Mme [I] et Mme [T], la Sci [Localité 3] , représentée par ses gérants, Mme [T], M. [A] et Mme [I], enfin, Mme [T], M. [A] et M. [I] à titre personnel, qui précisait que l'état des encours au 9 avril 1996 était pour la Sci [Localité 6] de 6 197 588,96 Francs au titre du compte courant et de 4 386 617 Francs au titre du prêt complémentaire et pour la Sci [Localité 3] de 4 380 617 Francs au titre du compte courant, contenait l'engagement du Crédit Agricole de suspendre pendant dix huit mois toute mesure d'exécution, stipulait le paiement de diverses sommes par les Sci, prévoyait qu'en contrepartie du paiement par les deux Sci de ces sommes, le Crédit Agricole renonçait irrévocablement à poursuivre M. [A], M. [I] et Mme [T] et leur cédait gratuitement, indivisément entre eux à charge de se le répartir ensuite, le solde de ses créances à l'encontre des Sci [Localité 6] et [Localité 3] ainsi que les garanties qui leur étaient attachées. Il était mentionné que les fractions de créances dont le Crédit Agricole restait titulaire à l'encontre des deux Sci restaient intégralement mais uniquement garanties par la caution divise de M. [S].

M. [A], M. [I] et Mme [T] ont signifié aux Sci la cession des créances du Crédit Agricole opérées à leur profit par acte d'huissier du 29 mai 1998.

Poursuivant le recouvrement de sa créance à l'encontre de M. [S], le Crédit Agricole a obtenu un jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 16 mai 2002, ordonnant qu'il soit procédé aux opérations de partage de l'immeuble indivis entre les époux [S], situé à [Localité 4]. Le jugement a été confirmé par arrêt du 12 janvier 2005 qui, y ajoutant, a condamné le Crédit Agricole à payer à M. [S] la somme de 102 903,09 euros et a prononcé la compensation avec la créance du même montant reconnue au profit du Crédit Agricole par jugement du 5 janvier 1995.

M. [S] a exercé son recours de caution contre les Sci sur le fondement de l'article 2309 du code civi.

Par jugement du 17 mai 2004, le tribunal de grande instance de Paris a condamné la Sci [Localité 6] à payer à M. [S] la somme de 240 107,20 euros et la Sci [Localité 3] à lui payer 102 903,09 euros outre intérêts.

Suivant jugements du tribunal de grande instance de Paris du 7 juillet 2005, rendus sur déclaration de cessation des paiements, les Sci [Localité 6] et [Localité 3], qui présentaient un passif cumulé de 4 023 519 euros, ont été mises en liquidation judiciaire, les procédures étant clôturées pour insuffisance d'actif les 27 septembre 2007 et 19 juin 2008, puis le 27 septembre 2005, a été ouverte la liquidation judiciaire de la société Alésia , principal client de la Sci [Localité 6].

Par arrêt du 25 mai 2007, la cour d'appel de Paris a confirmé partiellement le jugement du 17 mai 2004 et a fixé les créances de M. [S] au passif des liquidations judiciaires des deux Sci à 104 903,09 euros (Sci [Localité 6]) et 338 575,82 euros (Sci [Localité 3]).

Par acte du 13 novembre 2006, M. [S], en sa qualité de caution et de créancier des Sci, et la société Samson Investment, en sa qualité d'associée et de créancière, ont assigné Mme [T], Mme [I], M. [I] et M.[A] en responsabilité, au visa des articles 1382 et 1850 du code civil, en leur imputant des fautes lourdes, personnelles, détachables de leurs fonctions et pour les voir condamner à réparer leur préjudice.

Dans le dernier état de la procédure et après s'être désistés de toutes demandes à l'égard de M. [A], soutenant que les défendeurs ont, dans le cadre des opérations de liquidation des deux Sci, présenté des bilans inexacts et minoré le passif, commettant ainsi une fraude, que Mme [T], gérante d'une des Sci a utilisé pendant plus de dix ans des comptes ouverts dans les livres d'une société contrôlée par son conjoint, que les gérants et gérantes ont renoncé à l'action résolutoire lors de la revente de biens par la société Alésia, détourné l'abandon de créances accordé par le Crédit Agricole ainsi que le produit des ventes d'appartements et manqué à leurs obligations en matière comptable et en matière de déclaration de cessation des paiements, M. [S] réclamait paiement de la somme de 647 589,51 euros au titre de son cautionnement du compte courant de la SCI [Localité 6], de 444 740,64 euros au titre de son cautionnement à l'emprunt à long terme de la Sci [Localité 6], de 104 903 euros au titre de son cautionnement du crédit de la Sci [Localité 3] et de 91 720 euros pour les frais et dépens tandis que la société Samson Investment sollicitait au titre de son préjudice d'associé la somme de 995 835 euros, outre intérêts.

Il était demandé, en outre, la révocation, pour fraude paulienne, de la vente de l'appartement n°2 de la résidence [Localité 6] consentie par la société Alésia à M et Mme [I] par acte du 18 décembre 1995 et la vente forcée de ce bien.

Les défendeurs ont opposé la prescription de l'action en responsabilité, l'irrecevabilité de l'action paulienne et celle de l'action engagée par la société Samson Investment, faute de préjudice distinct de celui des créanciers et ont contesté toute faute et a fortiori toute faute détachable des fonctions de gérant.

La société Samson Investment ayant été mise en liquidation judiciaire, Maître [X]-[D], liquidateur, est intervenue volontairement à l'instance

En cours d'instance, M. [S] a payé le 30 juin 2011 au Crédit Agricole la somme de 424 840,72 euros en exécution d'un protocole transactionnel signé entre les parties le 1er avril 2011.

Par jugement du 29 novembre 2011, le tribunal de grande instance de Paris a déclaré irrecevables les demandes de la société Samson Investment, a déclaré irrecevable la demande de M. [S] tendant à voir révoquer la vente conclue par acte du 18 décembre 2005 entre la société Alésia et M et Mme [I] et ordonner la vente forcée du bien en cause, a rejeté pour le surplus les fins de non-recevoir, a condamné solidairement Mme [T] et Mme [I] à payer à M. [S] la somme de 424 840,72 euros à titre de dommages intérêts assortis de l'intérêt au taux légal à compter du jugement avec capitalisation et exécution provisoire outre 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, a débouté M. [S] du surplus de ses demandes et a débouté les défendeurs de leurs demandes reconventionnelles.

Mme [T] et Mme [I] ont relevé appel selon déclaration du 17 janvier 2012.

Par conclusions signifiées le 11 février 2013, elles demandent à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la société Samson Investment irrecevable en ses demandes, en ce qu'il a déclaré M. [S] irrecevable en ses demandes afférentes à la révocation de la vente du 18 novembre 2005, à la vente forcée de l'appartement de la résidence [Localité 6], aux frais de procédure et en ce qu'il a mis hors de cause M. [I], l'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau à titre principal, de dire l'action de M. [S] prescrite, à titre subsidiaire, d'infirmer le jugement comme ayant statué extra petita, à titre infiniment subsidiaire, de dire que Mme [T] et Mme [I] n'ont commis aucune faute personnelle et détachable de leur fonction de gérantes des Sci [Localité 6] et [Localité 3], à titre reconventionnel, de dire que l'action introduite par M. [S] et la société Samson Investment est abusive, de condamner M. [S] à leur payer la somme de 150 000 euros à titre de dommages intérêts outre 50 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions signifiées le 11 février 2013 , M. [S] et Maître [X]-[D], ès qualitésde liquidateur de la société Samson Investment, demandent à la cour, vu les articles 1850 et 2305 du code civil,1153 et 1154 du même code, vu le jugement du 29 novembre 2011, vu l'ordonnance d'incident du 27 novembre 2012, de constater que les appelantes sont irrecevables en leurs demandes, fins et conclusions relatives à l'appel incident de la société Samson Investment, en conséquence, de débouter Mme [T] et Mme [I] de l'ensemble de leurs demandes, de déclarer irrecevables leurs écritures en leur partie répondant à l'appel incident ( pages 20 à 23) en application de l'article 910 du code de procédure civile, de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné solidairement Mme [T] et Mme [I] à verser à M. [S] la somme de 424.840,72 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2011, à titre de dommages intérêts, et la somme de 10. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, d'infirmer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau, de juger la société Samson Investment recevable et bien fondée en son action dirigée à l'égard de Mme [T] et Mme [I], de condamner solidairement celles-ci à verser au compte de la liquidation judiciaire de Samson Investment la somme de 157.592,95 euros en principal, majorée des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, à titre de dommages et intérêts, de condamner solidairement Mme [T] et Mme [I] à verser à M. [S] la somme de 90.061,03 euros à titre de dommages intérêts supplémentaires couvrant les frais engagés dans sa défense contre le Crédit Agricole, outre les intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, en tout état de cause, d'ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière dans les conditions de l'article 1154 du code civil, de condamner solidairement Mmes [T] et [I] à payer à M. [S] la somme de 42.374,96 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, outre 44.593,56 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE

Il convient d'observer qu'il n'est formulé aucune critique contre les dispositions du jugement déclarant irrecevables les demandes dirigées contre M. [I] et contre celles rejetant l'action en révocation de vente qui devront dès lors être confirmées.

- Sur l'incident de procédure

Il est demandé à la cour de déclarer irrecevables les écritures des appelantes en leur partie répondant à l'appel incident ( pages 20 à 23) en application de l'article 910 du code de procédure civile.

La cour d'appel n'a pas compétence pour statuer sur la recevabilité des conclusions au regard des dispositions de l'article susvisé.

Toutefois, par ordonnance du 27 novembre 2012, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable la partie des conclusions signifiées le 23 octobre 2012 par Mme [T] et Mme [I] intitulée 'Sur l'appel incident de Samson Investment' soit les trois deniers paragraphes de la page 22 et les cinq premiers alinéas de la page 23.

Il en résulte que les appelantes ne sont plus depuis lors recevables à conclure en réponse à l'appel incident formé pour le compte de la société Samson Investment de sorte que les développements de leurs dernières écritures sur ce point ne peuvent être retenues.

Il convient de le constater.

- Sur la prescription

Les parties s'accordent sur l'application à l'action en responsabilité extra-contractuelle de la prescription décennale de l'article 2270-1 ancien du code civil conformément à l'article 26 III de la loi du 17 juin 2008.

Les appelantes critiquent le jugement pour avoir écarté la fin de non-recevoir prise de la prescription alors que les griefs invoqués résultent de l'achat, prétendument à vil prix avec abandon de privilèges, d'appartements à la société Alésia en 1995 et 1996, les actes étant publiés le 16 février 1996, du rachat de la créance de la banque Colbert le 31 octobre 1995 et du moratoire signé le 2 mai 1996 avec le Crédit Agricole, tous faits antérieurs de plus de dix ans à l'assignation en date du 13 novembre 2006. Elles soulignent que M. [S] a été gérant, est resté associé des Sci puis a été nommé contrôleur dans le cadre des procédures collectives, qu'il n'ignorait aucun des actes présentés comme dommageables et avait été parfaitement informé des négociations engagées avec les banques auxquelles il n'avait pas voulu s'associer, préférant la voie contentieuse, que dès le 28 janvier 1994, il avait été informé que la vente des stocks des deux Sci ne permettrait pas de rembourser les sommes empruntées, qu'il était donc à même de mesurer l'impact de sa décision.

Selon l'article 2270-1 ancien du code civil, la prescription en cette matière commence à courir à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.

Comme l'ont justement retenu les premiers juges, s'agissant des ventes de lots, le dommage allégué résulte non de la revente mais du non remboursement des prêts consenti par la Sci [Localité 6] dont l'un venait à échéance le 30 juin 1997.

Quant au moratoire du 2 mai 1996, la preuve n'est pas rapportée que M. [S] qui n'était pas partie en a eu connaissance avant le 30 novembre 1996 étant souligné que cette preuve ne résulte pas des correspondances produites qui attestent seulement de ce que M. [S] était informé des difficultés des sociétés et de l'engagement par ses cofidéjusseurs d'un processus de négociations auquel il a refusé de s'associer mais non de son issue. Au surplus, ce n'est qu'à l'expiration d'un délai de dix huit mois que l'engagement conditionnel de cessions partielles de créances est devenu effectif.

Il en va de même de la cession de créance intervenue entre la banque Colbert, Mme [T] et M. [I], aucun élément n'étant produit de nature à démontrer que M. [S] en a eu connaissance avant le 13 novembre 1996.

Le détournement invoqué du produit de la vente du terrain du Fornet est postérieur à cette date et l'utilisation d'un compte de la société Baltic Finance n'a été révélé qu'ultérieurement à la faveur de la communication de documents comptables.

Le jugement mérite donc confirmation en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription.

- Sur le moyen pris d'un jugement extra petita

Les appelantes prétendent qu'en les condamnant à payer à M. [S] à titre de dommages intérêts la somme de 424 840,72 euros soit le montant versé par celui-ci au Crédit Agricole selon le protocole exécuté après l'ordonnance de clôture, les premiers juges ont statué ultra petita.

Mais, il apparaît que les premiers juges sans modifier l'objet du litige ont statué sur la demande de dommages intérêts dans les limites des montants réclamés dans les écritures, qu'ils ont en définitive alloué une somme inférieure à celle réclamée en se référant expressément au montant effectivement et 'finalement' versé en exécution du protocole du 1er avril 2011, qu'il est vrai que la quittance a été communiquée en cours de délibéré, qu'il est mentionné à cet égard dans le jugement (page 7) que l'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 juin 2011, qu'à l'audience du 5 octobre 2011, les défendeurs ont indiqué ne pas s'opposer à la production par les demandeurs d'une quittance du Crédit Agricole du 10 août 2011.

Il sera souligné que les appelantes n'invoquent pas une violation du principe du contradictoire.

Le moyen présenté comme moyen d'infirmation se révèle sans fondement et doit être écarté.

- Sur l'action en responsabilité

Sur la recevabilité des demandes

L'action est fondée sur les articles 1382 et 1850 du code civil, le dernier de ces textes régissant la responsabilité individuelle du gérant de société civile à raison des fautes commises dans sa gestion.

Il est constant que la Sci [Localité 6] a eu pour gérante depuis l'origine Mme [T] avec comme co-gérant M. [S] jusqu'au 27 décembre 1992, date de sa démission, M. [I] jusqu'au 20 août 1993, date de sa démission, et Mme [I] depuis cette date, que, par ailleurs, Mme [T] et Mme [I] étaient co-gérantes de la Sci [Localité 3].

En cause d'appel, les fautes invoquées visent Mme [T] et Mme [I], gérantes durant la période considérée, la mise hors de cause de M.[I] n'étant pas contestée.

M. [S] et la société Samson Investment, associés des Sci [Localité 6] et [Localité 3], soutiennent avoir constaté postérieurement aux liquidations judiciaires de ces deux Sci une série de malversations et de détournements graves antérieurs résultant des pratiques frauduleuses des gérantes à l'origine d'une dette de près de 4 millions d'euros au passif des liquidations judiciaires.

Il est admis que la recevabilité d'une action personnelle engagée par un associé à l'encontre du dirigeant d'une société mise en procédure collective pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel distinct de celui de la personne morale résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions.

Quant à l'action engagée dans les mêmes conditions par un créancier, elle ne peut tendre qu'à la réparation d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions.

La société Samson Investment sollicitait en première instance l'allocation de la somme de 812 988 euros correspondant à la perte des deux Sci rapportée au pourcentage de sa participation (22,50%) outre 187 847 euros correspondant au montant des sommes investies dans les Sci et devenues irrécouvrables en raison des sorties d'actifs. Le tribunal a déclaré ses demandes irrecevables faute d'invocation d'un préjudice personnel, distinct pour la première de celui des deux Sci, et pour la seconde du préjudice des autres créanciers.

Maître [X]-[D], ès qualités, critique ce chef du jugement et affirme que la société Samson Investment a subi un préjudice direct et personnel en faisant valoir que si celle-ci n'avait pas été victime des manoeuvres des gérantes, en sa qualité d'associée, elle aurait pu bénéficier de dividendes ou, à tout le moins, espérer être remboursée de ses créances à l'égard des deux Sci dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire. La demande de dommages intérêts est ramenée à la somme de 157 592,95 euros représentant le total des créances d'avances en compte courant dans les livres de la Sci [Localité 6] (136 518 euros) et de la Sci Le Fournet (21 074,95 euros) telles que déclarées au passif des liquidations judiciaires desdites Sci .

Il convient de rappeler que s'il n'a pas été régulièrement répondu par les appelantes à l'appel incident, l'appelant incident n'est pas dispensé pour autant de la preuve du caractère personnel de son préjudice.

Or, il apparaît que le préjudice résultant du défaut de recouvrement des avances en compte courant ne se distingue pas de celui des autres créanciers et la non distribution de dividendes ne caractérise pas un préjudice d'associé distinct de celui des personnes morales.

Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de Maître [X]-[D], ès qualités.

En revanche, agissant en réparation du préjudice subi en tant que caution des engagements des deux Sci, appelée par le Crédit Agricole en raison de la défaillance des débitrices principales qu'il attribue à la gestion fautive des gérantes, M. [S] allègue un préjudice personnel distinct de celui de la personne morale et des autres créanciers et son action a été justement à cet égard été déclarée recevable.

Sur les fautes des gérantes

La faute séparable des fonctions génératrice de responsabilité personnelle se définit comme la faute intentionnelle d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales.

En l'espèce, s'agissant des faits imputés à Mme [T] et Mme [I] en tant que gérantes de la Sci [Localité 6], il ressort des pièces versées au débat, documents contractuels, archives comptables, relevés de la Conservation des hypothèques, extraits de comptes bancaires, que :

- le 30 juin 1993, soit près de trois mois après la démission de M. [S] de ses fonctions de directeur général de Baltic Finance dont le président est M. [T], conjoint de la gérante de Sci, et l'un des administrateurs, M. [I], conjoint de la co-gérante, un compte a été ouvert à la BNP, agence [Localité 5], par la société Baltic Finance sur lequel était encaissé le produit des ventes de lots des Sci en violation de la convention de centralisation des comptes conclue avec le Crédit Agricole ce qui laissait les comptes centralisateurs en position débitrice et empêchait de désintéresser l'établissement prêteur,

- les produits de la vente de six appartements de la Sci [Localité 6], vendus de janvier 1995 à octobre 1997 pour un montant total de 1 224 383 euros, n'ont pas été portés au crédit du compte centralisateur du Crédit Agricole et n'ont pas servi au désintéressement de l'établissement prêteur,

- les quatre appartements de la Sci [Localité 6] acquis par la société Alésia, financés à hauteur de 637 969 euros par un crédit-vendeur ont été revendus pour trois d'entre eux aux gérantes des Sci ou à leurs familles et à perte alors que le crédit-vendeur n'était pas remboursé et que la Sci restait créancière de 174 045 euros au 30 juin 2005, les gérantes renonçant au surplus au privilège du vendeur et à l'action résolutoire,

- le Crédit Agricole a cédé gratuitement ses créances sur les Sci ainsi que les garanties qui y étaient attachées aux trois cautions dont Mme [T] et Mme [I] en contrepartie de règlements supportés par les Sci, représentées par Mme [T] et Mme [I] lesquelles, en qualité de gérantes, les acceptaient,

Tous ces faits qui conduisaient à priver la Sci [Localité 6] des fonds qui lui aurait permis d'apurer les prêts caractérisent des fautes intentionnelles d'une particulière gravité incompatibles avec l'exercice normal des fonctions sociales.

Mme [T] et Mme [I] ont commis une faute de même nature à l'occasion de la vente du terrain de la Sci [Localité 3] dont l'hypothèque avait été abandonnée par le Crédit Agricole en 1999, revendu en juin 2000 pour un montant net de 289 653 euros qui n'a pas été imputé au remboursement du solde débiteur du compte ouvert auprès du Crédit Agricole lequel, en fin d'exercice passait de 160 482 euros à 178 666 euros, mais qui a été affecté au remboursement des comptes courants des trois gérants et pour le solde, versé sur le compte de la société Baltic Finance.

Sur les demandes de M. [S]

Les fautes des gérantes sont en lien direct avec la condamnation de M. [S] en qualité de caution comme l'ont justement retenu les premiers juges qui ont exactement fixé le préjudice à la somme de 424 840,72 euros effectivement versée au Crédit Agricole ainsi qu'il est justifié par quittance.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné Mme [T] et Mme [I] solidairement, en application de l'article 1850 du code civil, au paiement de cette somme majorée des intérêts au taux légal.

La demande de remboursement de frais afférents à d'autres instances n'étant pas justifiée, le jugement sera encore confirmé en ce qu'il en a débouté M. [S].

Cette solution conduit à confirmer le débouté de Mme [T] et Mme [I] de leur demande reconventionnelle de dommages intérêts pour procédure abusive.

- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

L'équité commande de confirmer les dispositions du jugement sur les frais irrépétibles et y ajoutant de condamner solidairement Mme [T] et Mme [I] à payer à M. [S] la somme de 10 000 euros pour les frais exposés en appel.

Parties perdantes, les appelants supporteront les dépens et ne peuvent dès lors prétendre à l'indemnisation de leurs propres frais

PAR CES MOTIFS

Constate que les appelantes ont été déclarées irrecevables à conclure sur l'appel incident,

Rejette le moyen pris d'un jugement extra petita,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant condamne solidairement Mme [T] et Mme [I] à payer à M. [S] la somme de 10 000 euros,

Rejette toute autre demande,

Condamne solidairement Mme [T] et Mme [I] aux dépens qui pourront être recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile

LE GREFFIer, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 12/00987
Date de la décision : 16/04/2013

Références :

Cour d'appel de Paris I8, arrêt n°12/00987 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-04-16;12.00987 ?
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