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05/09/2013 | FRANCE | N°11/08745

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 05 septembre 2013, 11/08745


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 5



ARRÊT DU 05 SEPTEMBRE 2013



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 11/08745



Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 mars 2011 - Tribunal de Commerce de BOBIGNY - 5ème CHAMBRE - RG n° 2009F01523





APPELANT



Monsieur [D] [H]

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 1]


r>Représenté par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GALLAND - VIGNES (avocats au barreau de PARIS, toque : L0010)



Assisté de Me Caroline PEYRATOUT (avocat au barreau de PARIS, toque : K0048)







INTIMÉE ...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5

ARRÊT DU 05 SEPTEMBRE 2013

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 11/08745

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 mars 2011 - Tribunal de Commerce de BOBIGNY - 5ème CHAMBRE - RG n° 2009F01523

APPELANT

Monsieur [D] [H]

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 1]

Représenté par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GALLAND - VIGNES (avocats au barreau de PARIS, toque : L0010)

Assisté de Me Caroline PEYRATOUT (avocat au barreau de PARIS, toque : K0048)

INTIMÉE

SARL VISIONS GRAND LARGE agissant poursuites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège

Ayant son siège social

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT (avocats au barreau de PARIS, toque : P0480)

Assistée de Me Stéphane COHEN (avocat au barreau de NICE)

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 23 mai 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Colette PERRIN, Présidente

Madame Patricia POMONTI, Conseillère

Madame Valérie MICHEL-AMSELLEM, Conseillère chargée d'instruire l'affaire

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mademoiselle Emmanuelle DAMAREY

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Colette PERRIN, Présidente et par Mademoiselle Emmanuelle DAMAREY, Greffier des services judiciaires auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

FAITS ET PROCEDURE

M. [H] a conclu le 22 novembre 2006 avec la société Visions Grand Large une convention d'apporteur d'affaires et d'agent commercial. Selon les termes de cette convention et de son avenant conclu le 25 février 2009, M. [H] percevait des honoraires mensuels fixes de 6 000 euros ainsi qu'une commission de 1,50 % sur le chiffre d'affaires total de la société et bénéficiait du remboursement de ses frais.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 7 septembre 2009, M. [H] a mis fin à son contrat, ajoutant qu'il était à la disposition du dirigeant pour « évoquer les modalités de son départ ».

Il a, le 11 septembre 2009, présenté à la société Visions Grand Large une note d'honoraires et de frais pour le mois de septembre, que celle-ci a refusé de payer, de même que, par la suite, les montants d'honoraires, frais et commissions revendiqués par M. [H] pour les mois durant lesquels il aurait dû effectuer le préavis prévu à son contrat.

Par acte du 30 octobre 2009, M. [H] a fait assigner la société Visions Grand Large en paiement devant le tribunal de commerce de Bobigny.

Par jugement en date du 15 mars 2011, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Bobigny a :

- reçu M. [H] en sa demande principale y fait partiellement droit,

- reçu la société Visions Grand Large en sa demande reconventionnelle, n'y fait pas droit et l'en déboute,

- condamné la société Visions Grand Large à payer à M. [H] la somme de 9 434,45 euros avec intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2009, jusqu'à parfait paiement,

- rejeté comme mal fondées toutes les autres demandes des parties et les en a débouté.

Vu l'appel interjeté le 10 mai 2011 par M. [H] contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées le 8 août 2011 par M. [H] par lesquelles il est demandé à la Cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Visions Grand Large à payer à M. [D] [H] la somme de 9.434,45 € TTC au titre de sa facture n° 2009/13 du 11 septembre 2009, avec intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2009, date de la mise en demeure,

- infirmer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau :

- dire que le contrat d'apporteur d'affaires et agent commercial se trouve résilié depuis le 5 octobre 2009 pour fautes graves de la société Visions Grand Large,

- condamner la société Visions Grand Large à verser à M. [D] [H] à titre de dommages et intérêts pour préavis non exécuté du fait de la société Visions Grand Large une somme de 41.880 €,

- condamner la société Visions Grand Large à verser à M. [D] [H] pour réparation du préjudice spécifique lié aux conditions vexatoires et abusives qui ont accompagné la rupture de son contrat, ainsi que de la confiscation de ses affaires personnelles, une somme indemnitaire spécifique de 10.000 €,

- débouter la société Visions Grand Large de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la société Visions Grand Large à verser à M. [D] [H] une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

M. [H] demande la confirmation du jugement en ce qui concerne la condamnation au paiement de la facture du mois de septembre 2009 et son infirmation sur le rejet de sa demande de condamnation au paiement de dommages-intérêts. Il soutient qu'il est démontré que la rupture de la période de préavis est exclusivement imputable à la faute grave du mandant, la société Visions Grand Large.

Il conteste que le versement de ses commissions aurait été conditionné par l'atteinte d'objectifs alors que le contrat ne contient pas de dispositions en ce sens et que seule la partie variable de sa rémunération dépendait du chiffre d'affaires.

L'appelant ajoute que l'arrêt du paiement des commissions, l'éviction de son bureau et la confiscation arbitraire de ses affaires personnelles ont constitué des fautes graves de la société Visions Grand Large entrainant la rupture du préavis en cours. Il invoque, de plus, à ce titre, un préjudice spécifique lié aux conditions vexatoires et abusives qui ont accompagné la rupture de son contrat, ainsi que la confiscation de ses affaires personnelles incluant des dossiers professionnels externes à la société intimée.

Vu les dernières conclusions signifiées le 22 septembre 2011 par la société Visions Grand Large par lesquelles il est demandé à la Cour de :

- déclarer régulier en la forme l'appel principal interjeté par M. [H], mais le dire mal fondé,

- confirmer le jugement rendu le 15 mars 2011 par le Tribunal de commerce de Bobigny en ce qu'il a débouté M. [H] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires à concurrence des sommes de 41.880 euros de 10. 000 euros et de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- l'infirmer pour le surplus,

- accueillir l'appel incident formé par la société Visions Grand Large aux termes des présentes,

y faisant droit,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société concluante au paiement de la somme de 9.434,45 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2009 au titre de la facture n° 2009/13 du mois de septembre 2009 de M. [H],

- dire et juger, au contraire, que la facture précitée n° 2009/13 n'est pas due à M. [H],

- condamner, à titre incident, M. [H] à payer à la société Visions Grand Large la somme de 23. 473, 80 euros outre les intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,

- en toute hypothèse, condamner M. [H] à payer à la société Visions Grand Large la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Visions Grand Large soutient qu'il est incontestable que M. [H] a pris l'initiative de mettre un terme à son contrat d'agent commercial, ainsi qu'il le reconnaît et que cela résulte de sa lettre de démission du 7 septembre 2009.

Elle fait valoir que M. [H] ne pouvait rompre son contrat qu'en respectant un préavis contractuel de 6 mois, expirant le 9 mars 2010 et qu'en réalité, il n'a jamais eu l'intention d'exécuter son préavis, et ce dès l'envoi de sa lettre de démission.

Quant à la prétendue effraction dans le bureau de M. [H], elle soutient qu'il ne saurait y avoir effraction s'agissant de locaux et de mobilier appartenant à la société concluante et mis gratuitement à la disposition d'un agent commercial.

Elle ajoute que M. [H] a cherché à la concurrencer directement ou indirectement et qu'elle s'est aperçue que la célérité de son départ était destinée à masquer son piratage.

Elle fait encore valoir que M. [H] a gravement failli à ses obligations contractuelles par la conclusion de contrats défavorables à la société Visions Grand Large, le non respect de l'exclusivité prévue au contrat, l'organisation de la démission concertée de l'équipe commerciale, la création d'une structure concurrente et l'effondrement provoqué des commandes et du chiffre d'affaires, ainsi que par la confusion volontaire des statuts d'associé de la société et d'agent commercial.

Enfin, elle considère que les demandes en paiement des honoraires et à titre de dommages et intérêts de M. [H] sont totalement injustifiées et infondées.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur les conclusions déposées par M. [H] le 11 avril 2013 et par la société Visions Grand Large le 13 mai 2013

La société Visions Grand Large a déposé de nouvelles conclusions le 13 mai 2013 par lesquelles elle demande le rabat de l'ordonnance de clôture et formule de nouveaux arguments au soutien de ses prétentions et demandes en réponse aux conclusions déposées le jour de l'ordonnance de clôture par M. [H], lequel s'est, à l'audience, opposé à ce rabat. Dans ces conditions, il convient de rejeter la demande de rabat de la société Visions Grand Large ainsi que les conclussions dans lesquelles cette demande est formulée puisqu'elles sont postérieures à l'ordonnance de clôture. Il convient aussi de rejeter les conclusions de M. [H] du 11 avril 2013,déposées le jour même de l'ordonnance de clôture, mettant ainsi l'intimée dans l'impossibilité d'y répondre et de faire valoir ses droits de la défense.

Sur le non respect du préavis par M. [H]

Le contrat conclu le 22 novembre 2006 entre les parties prévoyait qu'il était conclu pour une durée indéterminée et que chacune des parties pourrait y mettre fin tout en respectant un préavis de six mois.

Dans sa lettre de rupture du 7 septembre 2009, M. [H] écrivait, notamment, « (') Je vous informe que j'ai pris la décision de mettre fin à mon contrat d'apporteur d'affaires qui me liait à Visions Grand Large, et ce dès la réception de la présente dans le respect des articles de ce contrat.

Je me tiens à votre disposition pour évoquer les modalités de mon départ et sachez que j'apporterai mon soutien à Visions Grand Large pour trouver une solution aux dossiers litigieux en cours.  ».

Si M. [H] ne fait pas référence au préavis contractuel de six mois, il n'en demeure pas moins qu'il indique dans cette lettre qu'il respectera les termes du contrat, ce qui implique qu'il entend exécuter le préavis, contrairement à ce que prétend la société Visions Grand Large sur ce point. Par ailleurs, il n'est nullement établi que M. [H] aurait eu une attitude fuyante et irresponsable puisqu'il précisait dans sa lettre précitée se tenir à disposition de M. [R], gérant de la société Visions Grand Large, pour envisager les conditions de son départ de la société et l'assurait de son soutien pour trouver une solution aux dossiers litigieux. Or, ce dernier n'a réagi que par une lettre du 21 septembre suivant, en contestant les prévisions de chiffre d'affaires annoncées par M. [H] lors d'une réunion du 8 septembre, en lui demandant de redresser les ventes et de mettre tout en 'uvre pour qu'une facture de 200 000 euros soit réglée à la société par le client SIAE. À ce sujet, le fait que par une lettre du 17 juillet 2007, soit deux ans avant la rupture, la société Visions Grand Large ait reproché à son agent d'avoir accepté de réaliser, pour une société tierce, une prestation de 15 000 euros en contrepartie de simples prestations d'hébergement et de représentation, n'apporte aucune preuve de sa prétendue indifférence aux intérêts de la société.

M. [H] soutient que la société Visions Grand Large a manqué à ses obligations envers lui en refusant de payer sa facture de commission du mois de septembre et en l'informant qu'elle ne règlerait pas non plus les suivantes, ainsi qu'en lui ayant brutalement refusé l'accès à son bureau.

Sur la facture du mois de septembre 2009

Cette facture, datée du 11 septembre 2009 et portant le numéro 2009/13 précise qu'elle concerne « l'assistance commerciale pour le mois de septembre 2009 ». Elle se chiffre au total à un montant de 9 434, 45 euros TTC, soit 7 888, 34 euros HT, qui se décompose en 6 000 euros au titre du « suivi et développement de la clientèle », 88,34 euros au titre de la « commission sur CA d'août ' 1,5 % CA 5 889,59 € - » et 1 800 euros, au titre du « forfait frais, y compris kilométriques ».

Il ressort des différents courriels échangés que M. [H] a présenté cette facture dès le 11 septembre en demandant qu'elle lui soit réglée en partie ou en totalité « suite à des contraintes personnelles ». Par un message du même jour, M. [R] lui a indiqué que la société Visions Grand Large ne pouvait payer cette facture faute de trésorerie et que « Les prochains règlements quelqu'ils soient, seront effectués dès lors que nous aurons reçu le virement INTEGRAL du SIAE ». Le 29 septembre suivant, M. [H] a à nouveau demandé le paiement de sa facture et relancé M. [R] le 1er octobre. Celui-ci lui a répondu, le même jour, que la société Visions Grand Large connaissait des difficultés de trésorerie provenant « d'une part, de créances clients impayées à la date d'échéance (en particulier la créance du SIAE pour 277 359,63 euros, mais aussi d'une insuffisance des ventes de votre part (voir mon courrier du 24 septembre à ce sujet) ». Cependant, il n'est pas contesté par la société Visions Grand Large que le même jour la facture relative au salon du Bourget, due par le client SIAE, a été payée à concurrence de 239 174,31 euros, de plus, le contrat de M. [H] ne prévoit pas que le paiement du montant fixe de ses honoraires ( 6 000 euros HT) ait été soumis au montant des ventes réalisées par ce dernier. Il n'est pas contesté non plus que le chiffre d'affaires réalisé par M. [H] au mois d'août 2009 se soit élevé à 5 889,59 euros. Dès lors, la société Visions Grand Large ne pouvait légitimement refuser le paiement de la facture en cause et cette carence constitue un manquement grave dans ses obligations essentielles.

Sur le refus brutal d'accès au bureau

Par une note circulaire du 2 octobre 2009, M. [R] a informé un certain nombre de salariés de la société Visions Grand Large qu'en raison des difficultés de trésorerie et de la baisse des ventes rencontrées, il estimait que sa présence au siège était nécessaire et qu'il avait « pris la décision de réserver à [son] usage exclusif le bureau de passage d'[D] [H] qui jouxte celui du secrétariat de la société ». Il ajoutait « Je vais faire procéder au remplacement des serrures de ce bureau pour des questions de confidentialité ». Il ressort des termes d'une lettre adressée par M. [H] à M. [R] le 5 octobre suivant que celui-ci a été informé de la privation de son bureau par un appel téléphonique le soir du 2 octobre, alors qu'il était en réunion avec un client, et que le lendemain à 8 heures, il était allé au siège de la société, où il avait trouvé son bureau fermé à clé, la serrure étant déjà changée.

La société Visions Grand Large qui ne conteste pas ces éléments, justifie ce procédé en indiquant qu'elle avait de sérieuses raisons de penser que M. [H] était en train de déménager son bureau et qu'elle avait craint des actes déloyaux de sa part. Elle ne produit cependant à titre de preuve de cette allégation qu'une attestation de M. [L], directeur d'exploitation, présent au siège de la société, et qui aurait constaté qu'à plusieurs reprises, entre le 28 septembre et le 2 octobre 2009, M. [H] serait arrivé à son bureau avec un sac à dos vide et en serait reparti avec le même sac rempli, la forme de celui-ci lui permettant de supposer qu'il s'agissait de dossiers et de classeurs. Cependant, aucun élément ne corrobore cette unique attestation établie par une personne, liée à la société intimée et dont l'objectivité n'est pas garantie. A ce sujet, la Cour relève que lorsqu'il a été interrogé par les services de police le 1er décembre 2009, M. [L] a évoqué la société Visions Grand Large par la dénomination « ma hiérarchie ». De plus, quand bien même ces faits auraient-ils été établis, il existait d'autres méthodes pour la société de garantir sa protection contre des actes déloyaux sans user d'un procédé brutal et de nature à jeter le discrédit sur M. [H], notamment, de lui demander de reprendre ses affaires et dossiers personnels avant de changer les serrures. Ce comportement constitue de la part de la société Visions Grand Large une faute envers M. [H], rendant impossible l'accomplissement du préavis, dont la non réalisation lui incombe. Elle doit donc réparation à son mandataire du préjudice subi par lui de ce fait.

Sur les actes reprochés à M. [H]

La société Visions Grand Large soutient que M. [H] n'a en réalité jamais voulu poursuivre l'exécution de son préavis et elle invoque plusieurs comportements démontrant selon elle que la célérité du départ de M. [H] était destinée à masquer son « piratage ».

Elle invoque à ce titre des actes de concurrence déloyale pour lesquels elle l'a fait assigner, mais ne produit aucune décision judiciaire rendue à ce titre. Elle invoque ensuite le fait qu'il ait conclu des contrats qui lui étaient défavorables, un manquement au respect de l'exclusivité prévue au contrat, l'organisation de la démission concertée de l'équipe commerciale, la création d'une structure concurrente, l'effondrement provoqué des commandes et du chiffre d'affaires, la confusion volontaire des statuts d'associé de la société et d'agent commercial.

Cependant, la Cour ne saurait examiner les faits de concurrence déloyale reprochés à M. [H], de même que le manquement au respect de l'exclusivité prévue au contrat, l'organisation de la démission concertée de l'équipe commerciale et la création d'une structure concurrente, qui y sont afférents, puisqu'une autre juridiction est saisie d'un litige entre les mêmes parties pour ces faits et prononcera, s'il y a lieu, une condamnation au paiement de dommages-intérêts.

Sur la conclusion de contrats défavorables à la société Visions Grand Large

La société Visions Grand Large soutient à ce sujet que sur deux marchés importants, M. [H] a sous-traité pour le compte de la société certaines missions à des entreprises tierces sans s'assurer des conditions tarifaires. Elle indique qu'elle s'est en conséquence trouvée facturée par ces entreprises de montants hors de proportion avec les montants des marchés eux-mêmes et a été poursuivie judiciairement en justice par elles.

Cependant, elle ne présente pas les documents permettant de constater le caractère disproportionné des factures qu'elle produit eu égard aux montants qu'elle a elle-même facturés. Par ailleurs, la lecture des assignations que lui a délivrées la seule société Créatifs les 17 et 20 novembre 2009, pour défaut de paiement d'une somme de 32 094,36 euros, pour l'une, de 2 038 euros, pour l'autre, et de 221 462,50 euros, pour la troisième, permet de constater que la société Visions Grand Large a refusé de payer les sommes réclamées au motif de la mauvaise qualité des prestations pour la première et de la tardiveté de présentation de la facture objet de la deuxième assignation et parce qu'un avoir lui aurait été consenti, ce qui est contesté, pour la troisième. Il n'est nullement démontré par ces assignations que M. [H] serait responsable de ces défauts de paiements. En outre, il convient de relever que la plupart des factures produites par la société Visions Grand Large à l'appui de ses allégations, ont été délivrées en mai et juin 2009 et qu'elle n'a nullement évoqué le caractère disproportionné de ces prestations lors de la rupture avec M. [H]. Enfin, la société Visions Grand Large ne démontre pas qu'elle aurait diffusé des consignes « de marge brute » qui n'auraient pas été respectées par M. [H]. Il n'est donc pas établi que M. [H] aurait conclu des contrats qui n'étaient pas favorables à la société Visions Grand Large.

Sur l'effondrement provoqué des commandes et du chiffre d'affaires

La société Visions Grand Large fait valoir qu'elle a réalisé au premier semestre 2009 un chiffre d'affaires de 1 311 852 euros, supérieur aux prévisions, établies à 996 400 euros, mais qu'au début du mois de septembre 2009, M. [H] a annoncé, sans aucune explication, un chiffre d'affaires de seulement 50 920 euros, soit une réduction de plus de 96 % d'un semestre sur l'autre et que la perte enregistrée du fait de celui-ci pour les seuls mois de juillet, août et septembre aurait été de ' 442 602 euros alors que son objectif commercial contractuel était de 470 350 euros. Elle ajoute qu'après le départ de M. [H], elle n'a pratiquement plus reçu de courriers électroniques y compris de clients en pourparlers avancés.

Il n'est pas contesté par M. [H] qu'il aurait annoncé, lors d'une réunion tenue le 8 septembre 2009, soit le lendemain de l'envoi de sa lettre de rupture, que les ventes pour les mois de septembre à décembre seraient très inférieures aux objectifs contractuels. Il ne fournit à ce sujet pas d'autre raison que le fait que M. [R] aurait décidé, au mois de juillet précédent, de ne plus travailler avec les sociétés Créatifs et X'PO. Il a, dans une lettre du 5 octobre 2009 précisé que « Pour les mois à venir, j'ai informé que nous n'avions pas de commande ferme sur le dernier trimestre, ce que vous avez traduit par néant or très souvent le CA n'arrive que quelques semaines voir quelques jours avant la manifestation, surtout dans les salons » et il ajoutait dans la suite de cette lettre que l'interdiction de travailler avec les sociétés Créatifs et X'PO ne pouvait que nuire à la société Visions Grand Large.

L'avenant au contrat signé le 25 février 2009 prévoyait des objectifs de ventes de 82 000 euros en juillet, 35 000 euros en août et de 353 350 euros en septembre. Si les prévisions de 50 920 euros, très inférieures à ces objectifs, ont été annoncées par M. [H] dès le début du mois de septembre, il n'est cependant pas établi qu'il n'aurait pas pu améliorer ces prévisions, s'il avait pu effectuer le préavis qui, du fait des actes fautifs de la société Visions Grand Large, a été interrompu. Dans ces circonstances, et faute d'éléments démontrant que M. [H] aurait dès le mois de septembre, décidé de ne plus travailler pour la société Visions Grand Large et qu'il aurait, ainsi qu'elle le soutient, provoqué une chute des ventes, il ne saurait être tenu pour responsable de cette situation. Cette preuve est d'autant moins rapportée qu'il n'est pas contesté par la société, d'une part, que son gérant avait interdit dès le mois de juillet de travailler avec deux clients, ce contre quoi, M. [H] avait protesté, d'autre part, qu'il a, par courriel, prévenu de nombreux clients du départ de M. [H] et leur a proposé de travailler avec une autre société.

Sur la confusion volontaire des statuts d'associé de la société et d'agent commercial

La société Visions Grand Large soutient que M. [H] n'a pas agi dans l'intérêt de la société n'ayant pour seul souci que de privilégier la part variable de sa rémunération d'agent. Elle invoque à ce sujet le fait qu'il a invoqué pour justifier la rupture de son contrat des arguments qui manifestaient en réalité des désaccords liés à sa position d'actionnaire de la société. Elle soutient qu'il aurait cherché à créer une confusion entre ses deux statuts et qu'il s'est désintéressé de sa qualité d'associé, négligeant même de se rendre à l'assemblée générale extraordinaire qui s'est tenue le 12 octobre 2009.

Toutefois, il convient de rappeler que le contrat étant à durée indéterminée, il pouvait être interrompu à tout moment par l'une ou l'autre des parties, sans que l'auteur de cette rupture ait besoin de la motiver. Il est donc sans portée que les raisons qui ont conduit M. [H] à sa décision portent sur un désaccord concernant la gérance de la société. Il n'est par ailleurs pas démontré par la société Visions Grand Large que M. [H] ait fait primer ses propres intérêts sur ceux de la société et à ce sujet, elle ne peut invoquer le litige relatif à un abus de minorité qui l'oppose à M. [H] qui fait l'objet d'une instance distincte et ne démontre pas qu'il aurait mal exécuté son contrat d'agent commercial. En tout état de cause, et quand bien-même ce désintérêt pour l'avenir de la société serait-il établi, il ne serait pas de nature à démontrer que M. [H] aurait failli dans ses missions d'agent commercial avant la rupture de celui-ci.

Enfin, la société Visions Grand Large ne saurait invoquer la perte de chiffre d'affaires subie par elle à la suite du départ de M. [H], alors que les mauvaises conditions de ce départ lui sont imputables. Elle ne peut, non plus, invoquer le fait qu'elle aurait été assignée en justice par des entreprises pour lesquelles M. [H] avait sous-traité certaines missions, alors qu'elle ne démontre pas le caractère inutile des sous-traitance conclue et dont il lui a été réclamé en vain le paiement.

Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les fautes invoquées par la société Visions Grand Large à l'encontre de M. [H] ne sont pas établies et que le jugement doit être réformé en ce qu'il a prononcé un partage des responsabilités.

Sur les dommages-intérêts

Le préjudice résultant de l'inaccomplissement du préavis

Ainsi que le soutient M. [H], ce préjudice consiste dans la perte des sommes qu'il aurait pu recevoir si le préavis de six mois avait été exécuté. Il convient à cet égard de déduire la somme dont M. [H] demande le paiement au titre du mois de septembre 2009 qui a fait l'objet d'une facture dont il demande par ailleurs le paiement. Le préjudice doit donc être évalué sur cinq mois et neuf jours.

Il a été rappelé ci-dessus que la rémunération de M. [H] était de 6 000 euros fixes par mois, auxquels s'ajoutait le pourcentage de 1,50 % sur le chiffre d'affaires total de la société.

S'agissant de la détermination de la partie proportionnelle de la rémunération, contrairement à ce que la société Visions Grand Large soutient, elle est payable quel que soit l'accomplissement des objectifs, puisque le contrat ne prévoit aucun lien entre les objectifs à remplir et la rémunération proportionnelle. Elle ne peut, de plus, que résulter d'une moyenne des chiffres d'affaires précédemment accomplis, ainsi que le soutient M. [H]. Enfin, les fautes invoquées à l'encontre de ce dernier n'étant pas établies, la rémunération dont il a été privé lui est en conséquence due.

La société Visions Grand Large conteste les moyennes de chiffre d'affaires proposées par M. [H], en opposant que le document, qui les expose, aurait été unilatéralement établi par ce dernier. Elle n'apporte toutefois aucun élément qui permettrait d'évaluer les moyennes ainsi proposées ou qui permettrait de considérer que celles-ci ont été surévaluées. De plus, la Cour observe que le total des moyennes calculées par M. [H] est inférieur au total, pour les mois considérés, des objectifs fixés par l'avenant au contrat du 25 février 2009, ce qui les rend crédibles. Il convient donc de calculer la somme due au titre des honoraires proportionnels sur la base des moyennes évaluées par M. [H].

Dès lors, les sommes proportionnelles dues sont les suivantes 637 079 (chiffre d'affaires d'octobre à février + 9 jours en mars) X 1,5 %, soit 9 556 euros. À cette somme doivent être ajoutés 30 000 euros (6000 X 5), soit un total de 39 556 euros, que la société Visions Grand Large doit être condamnée à verser à M. [H].

Sur la demande de M. [H] en paiement de dommages-intérêts

M. [H] ne démontre pas que la privation de ses dossiers personnels, entre le jour du changement de la serrure de son bureau jusqu'à celui où ses dossiers personnels lui ont été restitués, lui aurait causé le préjudice économique qu'il invoque. Il ne démontre pas non plus avoir subi un préjudice moral, et encore moins l'étendue de ce préjudice, du fait des conditions vexatoires dans lesquelles s'est passée la rupture de ses relations avec la société Visions Grand Large. Sa demande de dommages-intérêts doit donc être rejetée.

Sur la demande de la société Visions Grand Large en paiement de dommages-intérêts

La société Visions Grand Large ne saurait réclamer le paiement du préjudice que lui aurait causé le défaut d'accomplissement du préavis, alors qu'elle s'est, par son comportement, rendue responsable de cette situation. Elle ne saurait non plus réclamer à M. [H] le remboursement des factures de sous-traitants ayant accompli pour elle des prestations dont l'inutilité n'est en rien démontrée. Sa demande de dommages-intérêts doit donc être rejetée.

Sur la demande de paiement de la facture du mois de septembre 2009

La facture d'honoraires du mois de septembre est datée du 11 de ce mois et comporte le détail des sommes suivantes :

Suivi et développement de la clientèle

6 000 € HT

Commission sur CA d'août

1,5 % CA 5 889,59 €

88,34 €

Forfait frais, Y compris kilométriques

1 800,00 €

Total HT

7888,34

Total TTC

9 434,45 €

Ainsi qu'il a été précédemment relevé, il n'est pas établi que M. [H] aurait commis des fautes dans l'accomplissement de ses missions et serait responsable de la perte de chiffre d'affaires qui lui est reprochée. Il n'est pas non plus démontré qu'il aurait procédé à des commandes inutiles auprès de sous-traitants. Enfin, le fait que la facture ait été établie en début de mois ne saurait l'invalider, dans la mesure où le montant de la somme modulable qui y figure concerne un pourcentage dû sur le chiffre d'affaires réalisé au mois d'août, qui était connu à la date d'établissement de cette facture.

Il s'en déduit que le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Visions Grand Large à payer à M. [H] le montant de 9 434,45 euros.

Sur les frais irrépétibles

Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [H] la totalité des frais qu'il a dû exposer pour faire valoir ses droits. La société Visions Grand Large sera en conséquence condamnée à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

REJETTE la demande de rabat de l'ordonnance de clôture de la société Visions Grand Large ;

REJETTE les conclusions déposées et notifiées par M. [H] le 11 avril 2013, jour de l'ordonnance de clôture ;

CONFIRME le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce de Bobigny, le 15 mars 2011, sauf en ce qu'il a fait partiellement droit à la demande principale de M. [H] ;

Y ajoutant

CONDAMNE la société Visions Grand Large à payer à M. [H] la somme de 39 556 euros, au titre de la privation de ce dernier du bénéfice du préavis à courir jusqu'au 31 mars 2010 ;

CONDAMNE la société Visions Grand Large à payer à M. [H] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

REJETTE toutes les autres demandes plus amples ou contraire des parties ;

CONDAMNE la société Visions Grand Large aux dépens de l'instance qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier La Présidente

E.DAMAREY C.PERRIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 11/08745
Date de la décision : 05/09/2013

Références :

Cour d'appel de Paris I5, arrêt n°11/08745 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-09-05;11.08745 ?
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