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21/11/2013 | FRANCE | N°12/05692

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 21 novembre 2013, 12/05692


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 5



ARRÊT DU 21 NOVEMBRE 2013



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 12/05692



Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 février 2012 - Tribunal de Commerce de PARIS - 15ème CHAMBRE - RG n° 2009067928





APPELANTS



Monsieur [S] [W]

Demeurant [Localité 2]

[Localité 2]





SNC [W] ET CIE agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal domicilié audit siège

Ayant son siège social

[Localité 2]

[Localité 2]



Représentés par Me Anne GRAPPOTTE-BE...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5

ARRÊT DU 21 NOVEMBRE 2013

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/05692

Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 février 2012 - Tribunal de Commerce de PARIS - 15ème CHAMBRE - RG n° 2009067928

APPELANTS

Monsieur [S] [W]

Demeurant [Localité 2]

[Localité 2]

SNC [W] ET CIE agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal domicilié audit siège

Ayant son siège social

[Localité 2]

[Localité 2]

Représentés par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, à la Cour, toque : K0111

INTIMÉES

SA VANNUCCI prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualité audit siège

Ayant son siège social

[Adresse 2]

pris en son établissement sis [Localité 2]

Représentée par Me Patrick BETTAN de la SELARL DES DEUX PALAIS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0078

Assistée de Me Cynthia COSTASIGRIST, avocat au barreau de BASTIA

SA CHAUMET INTERNATIONAL agissant poursuites et diligences de tout représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Ayant son siège social

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Assistée de Me Marie-Line PABAN de Baker'McKenzie, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 septembre 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Colette PERRIN, Présidente

Madame Valérie MICHEL-AMSELLEM, Conseillère chargée d'instruire l'affaire

Monsieur Olivier DOUVRELEUR, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mademoiselle Emmanuelle DAMAREY

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Colette PERRIN, Présidente et par Mademoiselle Emmanuelle DAMAREY, Greffier des services judiciaires auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

FAITS ET PROCEDURE

La société [W] exploite un fonds de commerce de bijouterie, joaillerie et horlogerie à l'enseigne « [W] », [Localité 2]. Elle y distribue plusieurs grandes marques de montres de luxe comme Chaumet, Cartier, Chopard, Tag Heuer et Rolex.

Le 27 mai 2007, la société Vannucci a ouvert, 7 cours Napoléon à [Localité 2], à quelques centaines de mètres de celle de la société [W], une boutique de joaillerie en proposant à la clientèle, entre autres, des montres de luxe, dont certaines de même marques.

Invoquant qu'elle disposait d'une exclusivité de distribution des montres de marque Chaumet, la société [W] a fait assigner les sociétés Vannucci et Chaumet la première en concurrence déloyale, la seconde en responsabilité contractuelle devant le tribunal de commerce d'Ajaccio. Ce tribunal s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris.

Par un jugement du 24 février 2012 le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté les parties de toutes leurs demandes

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

- condamné la société [W] aux dépens de l'instance.

Vu l'appel interjeté le 27 mars 2012 par la société [W] à l'encontre des sociétés Vannucci et Chaumet

Vu les dernières conclusions signifiées le 3 juillet 2013 par la société [W], par lesquelles il est demandé à la Cour de :

- recevoir la société [W] et M. [W] en leur appel et le dire bien fondé,

- confirmer la décision querellée en ce qu'elle a débouté la société Vannucci et la société Chaumet de leurs demandes,

- débouter en conséquence la société Vannucci et la société Chaumet de leurs demandes, - constater que la SA Vannucci a vendu et vend des montres Rolex, Chaumet, Cartier, Tag- Heuer à une centaine de mètres de la boutique de la SNC [W] dépositaire des dites marques,

- constater que la SA Vannucci a commis des fautes et des actes de concurrence déloyale, - constater que la société Chaumet a commis une faute dans sa relation contractuelle avec la société [W],

- dire et juger que la SA Vannucci doit réparation à la SNC [W],

- dire et juger que la société Chaumet doit réparation pour non respect des dispositions contractuelles et pour déloyauté à l'égard de la société [W].

- condamner la SA Vannucci à la somme de 498 813 euros à titre de dommages- intérêts, - condamner la SA Vannucci solidairement avec la société Chaumet à la somme de 116.075€, à titre de dommages-intérêts pour les produits Chaumet à défaut chacune à la somme de 58 037 euros.

- condamner la SA Vannucci et la société Chaumet solidairement à la somme de 150 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice commercial.

- ordonner la cessation sans délai de la vente des marques suscitées et sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée,

- rejeter les demandes reconventionnelles de la société Vannucci et de la société Chaumet.

- condamner les intimées à la somme de 5 000 euros chacune au titre de l'article 700 du CPC.

- les condamner aux dépens.

La société [W] et M. [W] soutiennent que la société Vannucci qui a installé son magasin à quelques centaines de mètres de celui de la société [W] a mis en 'uvre des actes de concurrence déloyale en vendant des montres protégées par un système de distribution sélective, ce que la société appelante a fait constater par plusieurs procès verbaux d'huissiers. Elle précise que ce comportement lui a fait perdre une part importante de son chiffre d'affaires. Elle indique que les faits litigieux n'ont rien d'occasionnel et sont intentionnels afin de prendre sa place sur le marché.

Les appelants contestent l'argument développé par la société Vannucci selon lequel la Corse du Sud représenterait un potentiel important justifiant l'installation d'un magasin à [Localité 2] et précisent que la société [W] n'a jamais renoncé au contrat de distribution conclu avec la société Chaumet.

S'agissant des fautes qu'ils imputent à celle-ci, les appelants rappellent que la société [W] lui a demandé de faire cesser le trouble que lui causait la société Vannucci par son comportement et que la réponse de la société Chaumet a consisté à dénoncer le contrat en prétendant qu'elles en étaient d'accord, alors qu'il n'en était rien. Elle fait valoir que depuis lors, la société Chaumet a mis en 'uvre divers comportements discriminatoires. Elle ajoute que le fait de fournir à un commerçant des produits réservés à un réseau de distribution sélective constitue une faute envers les membres agréés du réseau. La société [W] reproche au joailler de ne pas être intervenu pour faire cesser les ventes des montres de marque Chaumet par la société Vannucci. Enfin la société [W] et M. [W] contestent que la ville d'[Localité 2] puisse représenter un fort potentiel pour la société Chaumet qui jusqu'alors avait toujours rejeté les demandes d'agrément de joaillers de cette ville. Ils contestent enfin la matérialité des manquements qui lui sont reprochés par cette intimée.

S'agissant de son préjudice, la société [W] reproche à la société Vannucci le fait que la société Cartier lui ait demandé de refaire sa boutique et que les exploitants des marques Chopard, Chaumet et TAG-Heuer aient décidé d'ouvrir une deuxième concession auprès de la concurrence. Elle demande réparation de la perte de marge sur les marques et les exclusivités perdues sur la base des trois dernières années précédant les difficultés.

Vu les dernières conclusions signifiées le 27 juin 2013 par la société Vannucci, par lesquelles il est demandé à la Cour, notamment, de :

- statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel interjeté par la société [W] à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Paris du 24 février 2012 ;

Au fond

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société [W] de ses demandes dirigées à l'encontre de la société [W] ;

- constater l'absence d'actes de concurrence déloyale

Subsidiairement,

- constater l'absence de préjudice de la société [W] ;

- en conséquence la débouter de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions et confirmer sur ce point le jugement ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Vannucci de ses demandes reconventionnelles et statuant à nouveau,

- faire droit à son appel incident,

- reconventionnellement, condamner la société [W] à verser à la société Vannucci la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

- condamner la société [W] à payer une amende de 3 000 euros pour procédure abusive

- condamner la société [W] à verser à la société Vannucci le somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société [W] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La société Vannucci expose qu'elle exploite, de longue date, un magasin à [Localité 3], en haute Corse et que c'est dans un objectif de rentabilité qu'elle a décidé d'implanter un nouveau magasin à [Localité 2] et qu'il était commercialement tout à fait justifié de créer une nouvelle enseigne dans cette ville qui représente une zone de clientèle importante et à fort potentiel. Elle précise que contrairement à ce que soutiennent les appelants, elle a développé une clientèle qui s'étend jusqu'à [Localité 8]. Elle précise que les chiffres d'affaires qu'elle a réalisés montrent que la zone de chalandise de Corse du sud permet parfaitement la coexistence de deux enseignes de joaillerie de luxe à [Localité 2].

Sur les fautes qui lui sont reprochées par la société [W], l'intimée oppose que celle-ci n'était plus dépositaire de la marque Cartier lors de l'ouverture du magasin qu'elle conteste et que d'autres enseignes à [Localité 2] distribuaient, déjà avant son arrivée, plusieurs marques de montres de luxe. Elle indique qu'il a déjà été jugé à plusieurs reprises que le seul fait de commercialiser des produits d'un fabricant qui sont déjà distribués par un concurrent ne constitue pas un acte de concurrence déloyale et fait valoir que la société [W] n'est liée aux distributeurs de montres de luxe par aucun contrat d'exclusivité et qu'elle a elle même conclu plusieurs contrats de distribution avec ces fournisseurs visés ce dont elle déduit qu'elle distribue donc les marques en cause de façon régulière.

La société Vannucci fait encore valoir que la société [W] ne démontre pas le préjudice qu'elle invoque. Elle expose que celle-ci ne saurait revendiquer avoir subi de préjudice en ce qui concerne les montres pour lesquelles elle a conclu un contrat de distribution.

S'agissant de la solidarité vis-à-vis de la société Chaumet, prétendue par la société [W], la société Vannucci fait valoir qu'elle est totalement étrangère à leur relation contractuelle et qu'aucune solidarité ne saurait être mise à sa charge.

Enfin, l'intimée expose que son adversaire n'a pas hésité à mettre en doute « sa mentalité et sa réputation » auprès de la société Chaumet et qu'elle a incontestablement tenté de décrédibiliser son enseigne sur le marché insulaire de la joaillerie de luxe. Elle soutient que les allégations mensongères de l'appelante dans le cadre de ce litige lui ont causé un préjudice moral dont elle demande réparation ainsi que du préjudice que lui a causé la procédure qu'elle qualifie d'abusive.

Vu les dernières conclusions signifiées le 1er août 2012 par la société Chaumet, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

- juger infondé l'appel interjeté par la société [W] et M. [W] à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Paris du 24 février 2012 ;

- juger la société Chaumet recevable et bien fondée en son appel incident ;

En conséquence,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société Chaumet de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de distribution sélective du 1er janvier 2004 ;

Statuant à nouveau,

- juger que les manquements contractuels de la société [W] justifient la résiliation judiciaire du contrat de distribution sélective

- prononcer la résiliation de celui-ci

- condamner la société [W] à payer à la société Chaumet une somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner la société [W] aux entiers dépens

La société Chaumet explique qu'elle a mis en place un réseau de distribution sélective et qu'elle n'a pas convenu d'exclusivité au profit de la société [W]. Il ne lui était donc pas interdit d'agréer la société Vannucci comme distributeur. Elle fait valoir que l'installation d'un second distributeur à [Localité 2] était légitime compte tenu de la clientèle touristique de cette ville et qu'elle était justifiée au regard des critères qualitatifs et quantitatifs qu'elle a mis en place. Elle fait, par ailleurs, valoir que la société [W] manifestait un désintérêt pour la marque Chaumet et privilégiait les autres marques qu'elle distribuait. A ce titre, elle expose que le contrat n'était pas exécuté de bonne foi. Elle précise enfin qu'elle n'a pas eu de comportement déloyal à l'égard de son distributeur, puisqu'elle l'a informé préalablement de ses intentions de répondre favorablement à la société Vannucci et que c'est la société [W] qui a indiqué lors d'une conversation téléphonique qu'elle préférait mettre fin au contrat qui les liait puis a changé d'avis. En conséquence, la société Chaumet a maintenu le contrat.

La société Chaumet fait encore valoir que la société [W] se serait rendue responsable de plusieurs retards de paiement alors qu'elle n'a aucun problème financier et qu'elle a été de mauvaise foi dans l'exécution du contrat.

L'intimée conteste avoir mis en 'uvre des pratiques discriminatoires à l'égard de la société [W] ou une quelconque entente avec la société Vannucci. Les conditions de paiement plus strictes qu'elle lui a appliquées étant justifiées par les problèmes de paiement précédemment mentionnés. Elle ajoute qu'elle n'a pas violé l'interdiction de revente hors réseau énoncée par l'article L. 442-6,I, 6° du code de commerce, puisque la société Vannucci est intégrée au réseau.

Elle conteste les éléments de préjudice invoqués par la société [W].

Enfin, à titre reconventionnel, la société Chaumet demande à la Cour de prononcer la résiliation du contrat de distribution sélective conclu entre elle et la société [W], en raison des manquements contractuels dont celle-ci se serait rendue responsable.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée, ainsi qu'aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Pour faciliter la lecture des développements qui suivent les conclusions de la société [W] et de M. [W] seront mentionnées comme étant celles de la société [W].

Sur la recevabilité des conclusions déposées le 3 juillet 2013 par la société [W]

La société [W] a déposé et fait signifier ses dernières conclusions le 3 juillet 2013, alors que le calendrier de procédure avait fixé la date de clôture de l'instruction de la procédure le 4 juillet, soit le lendemain. Par des conclusions d'incident ultérieures des 3 et 29 juillet 2013, pour la première, et des 4 et 22 juillet, pour la seconde, les sociétés Chaumet et Vannucci, invoquant qu'elles avaient été dans l'impossibilité de répondre à ces conclusions ont demandé la révocation de l'ordonnance de clôture.

Si dans ses dernières conclusions, déposées la veille de la clôture, la société [W] a, ainsi que le fait valoir la société Chaumet, modifié ses demandes en les répartissant entre les sociétés Chaumet et Vannucci, il n'apparaît cependant pas que cette nouvelle répartition ait une répercussion quant à son argumentation et les moyens qu'elle développe à l'encontre des deux intimées. Par ailleurs, ces nouvelles conclusions ne comportent que peu d'éléments nouveaux par rapport à ceux déjà développés dans ses conclusions précédentes. Les demandes de révocation de l'ordonnance de clôture, de rejet des conclusions du 3 juillet 2013 de la société [W] doivent donc être rejetées, de même que les conclusions déposées par les sociétés intimées postérieurement à l'ordonnance de clôture.

Sur la concurrence déloyale invoquée à l'encontre de la société Vannucci

La société [W] reproche à la société Vannucci de commercialiser à quelques centaines de mètres de sa boutique des montres de marque Chaumet, Cartier, Chopard, Tag-Heuher et Rolex, en violation des « exclusivités » dont elle serait titulaire sur ces marques. Elle n'apporte toutefois aucun élément permettant à la Cour de constater qu'elle bénéficierait des exclusivités qu'elle prétend.

En revanche, elle présente des contrats l'agréant au sein des réseaux de distribution sélective des sociétés Cartier (29 janvier 1997), Rolex (29 mai 2000) et Chaumet (1er janvier 2004).

Or, ainsi qu'elle le soutient à juste titre, les ventes de produits effectuées par un distributeur qui n'est pas agréé au réseau de distribution sélective mis en place par le fabricant de ces produits, peuvent constituer des actes de concurrence déloyale envers un autre distributeur qui lui bénéficie d'un agrément. À cet égard, la Cour relève qu'il résulte d'une capture d'écran du site Google Maps, produit pas la société Vannucci que les deux boutiques se situent à 300 mètres l'une de l'autre et non à une dizaine de mètres, comme l'indique la société [W] dans ses conclusions.

Sur les marques Cartier et Rolex

Il ressort des procès verbaux de constats d'huissier qu'elle a fait diligenter les 13 août 2007 et 4 novembre 2008, que la société Vannucci a vendu aux clients qui se sont présentés, la première fois, une montre Cartier, et la seconde une montre Rolex. Cependant, la lecture de ces constats permet de constater que ces montres n'étaient pas en vitrine et que s'agissant de la montre Cartier, le client l'a vue sur un catalogue ; s'agissant de la montre Rolex, la cliente l'a expressément commandée à la société Vannucci. Outre le fait que ces constats ne permettent pas de constater que les ventes en question ont été initiées par le vendeur de la société Vannucci, les pièces et les écritures des parties établissent qu'elles s'inscrivent dans le cadre d'un usage en matière de Joaillerie, dont l'existence n'est pas contestée par la société [W], et selon lequel un bijoutier peut vendre occasionnellement un produit non distribué par celui-ci et fourni par un confrère pour répondre à une demande particulière d'un client. En l'espèce, les deux montres ont été fournies par le magasin de la société Vannucci situé à [Adresse 2], lequel est agréé des réseaux de distribution Cartier et Rolex. Il convient, enfin à ce sujet de relever que la société [W] ne démontre pas, qu'ainsi qu'elle le soutient, cet usage trouve seulement à s'appliquer, lorsqu'il n'existe pas de dépositaire de la marque dans la ville concernée. Elle ne démontre pas non plus que les ventes réalisées, dans ce cadre, par la société Vannucci auraient été répétées.

En effet, il n'est pas démontré que la société Vannucci aurait vendu d'autres montres Cartier et aucun acte de concurrence déloyale ne peut être retenu contre elle à ce titre.

S'agissant des montres Rolex, la société [W] produit un autre témoignage de Mme [U] indiquant qu'elle aurait acheté une montre Rolex auprès du magasin [O] à [Localité 2] en décembre 2007, cependant, ce témoignage qui n'est pas établi dans les formes prescrites par l'article 202 du code de procédure civile, ne peut être retenu à titre de preuve. L'appelante indique encore que M. [B] aurait acquis une montre Rolex auprès de la société Vannucci à [Localité 2], mais elle n'en rapporte pas la preuve, l'attestation de sa salariée faisant état d'une conversation de cette personne avec M. [W] en 2008, étant insuffisante à cet égard. La société [W] présente, en outre, une facture établie le 21 décembre 2007 par la société Vannucci pour M. [Q], mais qui ne comporte aucune mention relative à la marque Rolex. Enfin, elle produit un constat d'huissier daté du 19 août 2009 qui reprend les déclarations de M. [W] de ce qu'il serait en possession d'une montre acquise auprès de la société Vannucci par un client qui lui aurait donné à réparer, l'expert ayant ensuite constaté que la montre en question aurait été vendue en août 2008 par une bijouterie de [Localité 5], mais qui n'apporte aucune preuve de ce que la société Vannucci se serait rendue responsable d'acte de concurrence déloyale.

Sur les marques Breitling, Chopard et Tag-Heuer

En ce qui concerne les marques Breitling, Chopard et Tag-Heuer, la société [W] n'apporte aucune preuve de ce qu'elle aurait, ainsi qu'elle le prétend, bénéficié d'une exclusivité contractuelle de distribution de ces marques, ni même qu'elle aurait été agréée dans le cadre de conventions de distribution sélective. Le fait qu'elle ait pu, de fait, ne pas être concurrencée pendant quinze ans dans la ville d'[Localité 2], ou même dans la zone de chalandise de la Corse du Sud, ne saurait interdire à un autre joailler de venir s'installer dans la même rue et d'offrir à la vente les mêmes marques, dès lors que les ventes des produits de ces marques ne donnent pas lieu à la mise en 'uvre de pratiques déloyales. Or la société [W] ne rapporte pas la preuve que la société Vannucci aurait développé de telles pratiques.

À titre surabondant à ce sujet, la Cour relève que M. [W] ne saurait s 'appuyer sur son propre témoignage pour établir que « les [O] » auraient exercé des pressions sur le représentant de la société Breitling pour qu'il cesse de fournir la société [W]. Par ailleurs, le témoignage établi à ce sujet par une vendeuse du magasin, liée hiérarchiquement à la société, qui ne peut qu'être accueilli qu'avec prudence, n'est corroboré par aucune autre pièce. Dès lors, aucune preuve de telles pressions n'étant rapportée, la Cour ne saurait prendre en compte les allégations de pression présentées par la société [W].

Sur la marque Chaumet

S'agissant des montres de marque Chaumet, il résulte des pièces et des écritures des parties que, si des discussions ont opposé la société [W] à la société Chaumet en raison de l'agrément par celle-ci de la société Vannucci dans son réseau de distribution, la société [W] est toutefois restée agréée par la société Chaumet. Ces éléments démontrent par ailleurs que la société Chaumet a préalablement averti la société [W] de son intention d'agréer la société Vannucci comme distributeur dans la ville d'[Localité 2].

Par ailleurs, il n'est pas contesté qu'avant d'agréer la société Vannucci, la société Chaumet avait refusé des demandes d'agrément d'autres joaillers souhaitant distribuer ses produits à [Localité 2], mais elle demeurait parfaitement libre de modifier sa politique à ce sujet, dès lors qu'elle estimait que cette ville présentait pour elle un potentiel commercial justifiant qu'elle déroge au principe qu'elle avait jusqu'alors appliqué.

À cet égard, la Cour relève que la société Chaumet et la société Vannucci démontrent que l'agrément d'un second magasin à [Localité 2] était justifié par le haut potentiel touristique de la ville, de la zone de chalandise que représente la Corse du sud. Elle démontre à ce sujet que la population municipale de la ville est de 102 741 habitants qui s'étend à 135 718 habitants si l'on prend en compte les environs proches, et qu'elle s'accroit considérablement en période touristique. Contrairement aux arguments topographiques développés par la société [W], la société Vannucci établit que son magasin d'[Localité 2] dispose d'une clientèle venant de plusieurs localités de Corse du sud comme [Localité 9], [Localité 6], [Localité 6], [Localité 7], [Localité 4], [Localité 10] et [Localité 8] pour un total de chiffre d'affaires de 135 035 euros en 2010. À cette clientèle s'ajoute une importante clientèle touristique rapportant un chiffre d'affaires de 253 296 euros en 2010. Elle démontre de plus que de nombreuses grandes marques de luxe disposent de deux distributeurs dans la même ville ou dans la zone de chalandise de la Corse du Sud ou de la Haute Corse, comme, par exemple, Piaget (deux distributeurs à [Localité 2]), Cartier (deux distributeurs à [Localité 3]), Tag-Heuer (deux distributeurs en Corse du Sud, en plus des société [W] et [O] à [Localité 2]), Chopard (deux distributeurs en Haute Corse en plus de deux à [Localité 3]), Pomellatto (deux distributeurs à [Localité 2] et un de plus en Corse du Sud).

Au regard de l'ensemble de ces éléments, l'agrément d'un second distributeur à [Localité 2] était pour la société Chaumet économiquement justifié et ne peut s'analyser comme une man'uvre déloyale vis-à-vis de la société [W].

La demande et l'obtention par la société Vannucci de l'agrément à intégrer le réseau sélectif de la société Chaumet ne peut donc s'analyser comme un acte de concurrence déloyale. À ce sujet, la Cour relève, d'une part, qu'il n'est pas contesté que la société Vannucci répondait aux conditions objectives permettant l'obtention de cet agrément, d'autre part, que celui-ci a été obtenu au mois juillet 2008 et a été régularisé par la signature du contrat entre les sociétés Vannucci et Chaumet le 17 octobre 2008 et que la société [W] ne soutient, ni ne démontre, que sa concurrente aurait, sauf l'exception relevée ci-dessus, vendu des montres de cette marque avant d'en avoir obtenu l'agrément.

Par ailleurs, la société Vannucci démontre que sa décision de s'implanter à [Localité 2] a été prise dans le courant de l'année 2006, puisqu'un compromis de cession de droit au bail commercial concernant la boutique située au [Localité 2] a été conclu au mois de novembre de cette année. La société [W] ne peut donc prétendre que la société Vannucci aurait profité de ce que son gérant était affaibli par des problèmes de santé pour mettre en 'uvre une entreprise de destabiliation à son égard, puisque les problèmes qu'il invoque ont débuté en mars 2007.

Faute d'en subir un quelconque préjudice, la société [W] ne saurait se prévaloir de ce que la société Vannucci aurait mis en 'uvre des actes de concurrence déloyale envers un autre joailler d'[Localité 2], distributeur des montres de la marque Dior, qui se serait vu concurrencer par la société Vannucci.

Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la société [W] ne rapporte pas la preuve de ce que la société Vannucci aurait mis en 'uvre à son encontre des actes de concurrence déloyale et que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la société [W] à ce sujet.

Sur les demandes de la société [W] au titre de la responsabilité contractuelle de la société Chaumet

Ainsi qu'il a déjà été relevé précédemment, d'une part, l'agrément par la société Chaumet d'un second distributeur dans la ville d'[Localité 2] est justifié économiquement, d'autre part, il n'est pas contesté que la société Vannucci répondait aux conditions objectives permettant l'obtention de cet agrément. À ce sujet, la société [W] qui soutient qu'il n'y a pas de place à [Localité 2] pour deux distributeurs de montres Chaumet n'est pas fondée à reprocher à la société Chaumet d'avoir sélectionné la société Vannucci plutôt que la société Tourmaline qui lui avait formulé la même demande en août 2007. Par ailleurs, il convient d'observer que dans sa lettre du 10 septembre 2007, adressée à la société Tourmaline, la société Chaumet indique qu'elle a déjà reçu d'autres candidatures pour la ville d'[Localité 2] et qu'elle envisage la possibilité que sa politique de développement puisse, à l'avenir, évoluer. En conséquence, la décision d'agrément de la société Vannucci par la société Chaumet ne peut légitimement lui être reprochée dans son principe comme étant un acte déloyal ou une faute contractuelle.

Par ailleurs, la société [W] ne conteste pas avoir payé avec retard les marchandises livrées par la société Chaumet, ainsi que le démontrent les relevés de comptes produits par celle-ci et les lettres qu'elle lui a adressées les 28 janvier et 24 avril 2009. En outre, en janvier 2009, se plaignant du préjudice que lui causait l'ouverture d'un « deuxième point de vente Chaumet à quelques mètres de notre boutique » elle a adressé d'office « neuf chèques pour étaler le règlement du relevé d'octobre soit 31 009,89 euros ». Face à ces retards et cette attitude, la société Chaumet était fondée à réviser les conditions de paiement qui étaient jusqu'alors accordées à la société [W] et à demander le paiement au comptant ou contre remboursement, sans qu'il puisse lui être reproché la mise en 'uvre de pratiques discriminatoires. Il n'est en outre pas justifié qu'elle aurait refusé de livrer des commandes de la société [W].

S'agissant du fait que la société Chaumet n'adresse plus à la société [W] depuis 2008, les catalogues, les publicités destinées au lieu de vente, les invitations aux salons qu'elle organise, les décorateurs et présentoirs et qu'aucun commercial de la maison Chaumet ne l'ait plus visitée, il convient de relever que la société [W] ne s'en est, jusqu'à ses conclusions déposées la veille de l'ordonnance de clôture, jamais plainte auprès de la société Chaumet, qui ne peut, dès lors, se voir reprocher un comportement discriminatoire, d'autant qu'il n'est pas soutenu et encore moins démontré que sa concurrente, la société Vannucci, aurait pour sa part bénéficié, des catalogues, publicités, présentoirs, invitations, visites de décorateurs ou commerciaux que la société [W] soutient ne pas avoir reçus.

Dans ces conditions, la société [W] n'établit pas que la société Chaumet aurait manqué à ses obligations contractuelles ou à l'obligation d'exécuter le contrat de bonne foi. Par ailleurs, la société Chaumet, qui a agréé la société Vannucci en qualité de distributeur dans des conditions régulières et économiquement justifiées, n'a pas violé l'interdiction de revente hors réseau, ni directement, ni indirectement et n'a pas engagé sa responsabilité vis-à-vis de la société [W] au titre de l'article L. 442-6, I, 6° du code de commerce.

Sur la demande reconventionnelle de la société Chaumet de résiliation du contrat

Le contrat conclu le 1er janvier 2004 entre les sociétés Chaumet et [W] prévoyait à l'article 2.7 que la société [W] s'engageait à réaliser, pour l'année 2004, un chiffre d'achat minimum de 65 000 euros, auprès de ce fournisseur. La société Chaumet soutient que la société [W] n'a jamais respecté ses engagements et demande la résiliation du contrat à ce titre ainsi qu'au motif des retards de paiement, en application de l'article 9.2 du contrat.

Ainsi qu'elle le précise, la demande en ce sens déjà formulée devant le tribunal, vaut mise en demeure, condition prescrite par l'article 9.1 du contrat.

Qu'elles émanent de la société [W] ou de la société Chaumet, les données chiffrées des montants d'achat réalisés par la société [W], démontrent que la société [W] n'a jamais réalisé les 65 000 euros d'achat convenus en 2008 et ceci depuis 2004, soit bien avant que la société Chaumet n'agrée la société Vannucci. La société [W] ne peut donc imputer ce manquement à la responsabilité de la société Chaumet. Il n'est par ailleurs nullement démontré que cet état de fait qui a débuté en 2004 soit dû à l'état de santé de M. [W] dont la dégradation est intervenue en 2007. Par ailleurs, le fait que la société Chaumet n'ait pas, pendant plusieurs années, agi pour faire respecter le quota d'achats prévu pour 2004 et qu'elle devait réactualiser ensuite, ne constitue pas une renonciation de sa part à réclamer la résiliation pour inexécution du montant d'achat, ainsi que le prévoit l'article 11.2 du contrat. De plus, il est établi que la société [W] a, à plusieurs reprises, accumulé des retards de paiement envers la société Chaumet, en violation de ses obligations contractuelles.

Ces deux obligations constituant des obligations essentielles du contrat, il se déduit de ce qui précède que la société Chaumet est fondée à réclamer que soit prononcée la résiliation judiciaire du contrat à la date à laquelle est rendu le présent arrêt. Le jugement sera donc réformé sur ce point.

Sur les demandes de dommages-intérêts de la société Vannucci

La société Vannucci soutient qu'à l'occasion du présent litige, elle a été décrédibilisée auprès de différentes marques de luxe par la société [W] qui a porté atteinte à sa réputation. Cependant, ni la télécopie adressée par la société [W] à la société Chaumet faisant état des propos d'une cliente, selon lesquels la société Vannucci accorderait des remises excessives sur les produits de sa marque, ni les démarches que la société Vannucci a dû entreprendre auprès de la société Chopard, ni les développements de la société [W] selon lesquels sa concurrente tenterait de l'affaiblir pour mieux récupérer la distribution des marques pour lesquelles elle est agréée, tous éléments qui s'inscrivent dans le cadre d'un conflit exacerbé, ne sont susceptibles de porter atteinte à la réputation de la société Vannucci, qui a sans difficulté été agréée par la société Chaumet et peut distribuer de nombreuses marques de luxe. Par ailleurs, les attestations relatives à des pressions qu'aurait exercées la société Vannucci sur M. [P], représentant de la marque Breitling, que la société Vannucci qualifie de diffamatoires, n'ont donné lieu à aucune action de sa part et doivent être replacées dans le contexte du conflit de concurrence entre les deux sociétés.

Par ailleurs, le fait de se méprendre sur l'étendue de ses droits ne peut à lui seul être constitutif d'un abus et si le litige en cause a donné lieu à des accusations infondées et excessives, il résulte des éléments du dossier que les interlocuteurs des sociétés Vannucci et [W] n'y ont pas porté de crédit et qu'elles n'ont nullement altéré la crédibilité et la réputation de la société Vannucci.

En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages-intérêts de la société Vannucci.

Sur les frais irrépétibles

Au regard de l'ensemble des éléments de la cause, il est justifié de ne pas laisser à la charge des sociétés Vannucci et Chaumet la totalité des frais non compris dans les dépens qu'elles ont dû engager pour faire valoir leurs droits et la société [W] sera condamnée à leur verser la somme de 8 000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

REJETTE les demandes des sociétés Chaumet et Vannucci de révocation de l'ordonnance de clôture et de rejet des conclusions déposées par la société [W] le 3 juillet 2013 ;

CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté la demande de résiliation du contrat conclu le 1er janvier 2004 entre les sociétés Chaumet et [W] ;

Statuant à nouveau de ce chef

PRONONCE la résiliation du contrat de distribution sélective conclu le 1er janvier 2004 entre la société Chaumet et la société [W] ;

CONDAMNE la société [W] à verser aux sociétés Vannucci et Chaumet, la somme de 8 000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile;

REJETTE toutes demandes autres plus amples ou contraires des parties ;

CONDAMNE la société [W] aux dépens qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Le Greffier La Présidente

E.DAMAREY C.PERRIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 12/05692
Date de la décision : 21/11/2013

Références :

Cour d'appel de Paris I5, arrêt n°12/05692 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-11-21;12.05692 ?
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