La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/04/2014 | FRANCE | N°12/09367

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 10 avril 2014, 12/09367


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 5



ARRÊT DU 10 AVRIL 2014



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 12/09367



Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 avril 2012 - Tribunal de Commerce de CRETEIL - 1ère chambre - RG n° 2009F00677





APPELANT



Maître [Z] [Y] agissant en sa qualité de mandataire judiciaire à la liquidation

judiciaire de la Société [K] SAS [Adresse 2], désigné à cette fonction par jugement du Tribunal de Commerce d'AVIGNON du 8 Avril 2010

Demeurant [Adresse 3]

[Localité 1]



Représenté par ...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5

ARRÊT DU 10 AVRIL 2014

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/09367

Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 avril 2012 - Tribunal de Commerce de CRETEIL - 1ère chambre - RG n° 2009F00677

APPELANT

Maître [Z] [Y] agissant en sa qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la Société [K] SAS [Adresse 2], désigné à cette fonction par jugement du Tribunal de Commerce d'AVIGNON du 8 Avril 2010

Demeurant [Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté par Me Catherine BELFAYOL BROQUET, avocat au barreau de PARIS, toque: P0042

Représenté par Me Eric FORTUNET, avocat au barreau d'AVIGNON

INTIMÉE

SAS THYSSENKRUPP STAINLESS FRANCE

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège [Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

Représentée par Me Elisabeth MEYER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0686

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 06 février 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Colette PERRIN, Présidente

Madame Valérie MICHEL-AMSELLEM, Conseillère

Monsieur Olivier DOUVRELEUR, Conseiller chargé d'instruire l'affaire

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Emmanuelle DAMAREY

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Colette PERRIN, Présidente et par Madame Emmanuelle DAMAREY, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

FAITS ET PROCEDURE

La société [K] SAS (ci-après la société [K]) est constructeur de matériels vinicoles et oléicoles inoxydables. En 2006, elle a conclu avec la société Yerevan Brandy Company (ci après société Yerevan), filiale du groupe Pernod Ricard, un marché de vente et d'installation de 18 cuves de 500 hl et 8 cuves de 1 000 hl sur différents sites en Arménie. A cette fin, elle a passé commande, le 10 avril 2006, à la société Thyssenkrupp Stainless France) ci-après société Thyssen krupp (de bobines d'acier inoxydables nécessaires à la réalisation de ces cuves. Les bobines lui ont été livrées en mai 2006 à [Localité 3] et, sans être déballées, elles ont été expédiées en Arménie pour la confection sur place des cuves prévue au mois d'août.

Au déballage des bobines en août 2006, la société [K] a constaté sur deux d'entre elles des défauts d'ordre esthétique consistant dans des rayures, et le signala à la société Thyssenkrupp. Puis, les cuves ayant été fabriquées et remises à la société Yerevan, celle-ci releva, après un mois d'utilisation, des traces d'oxydation sur certaines cuves et elle appliqua une retenue de garantie de 40 % sur le prix payé à la société [K]. La société Thyssenkrupp contesta toute responsabilité dans l'apparition de ces désordres qui selon elle résultaient de la fabrication des cuves par la société [K] ; elle lui suggéra de meuler et poncer les cuves pour faire disparaître les rayures et lui offrit la rétrocession d'une somme de 20 000 euros, à titre exceptionnel et sans que cette offre puisse être considérée comme une reconnaissance de responsabilité. La société [K] suivit la suggestion de la société Thyssenkrupp et procéda au meulage et au ponçage des cuves en cause, sauf sur l'une d'entre elles dans la perspective d'une éventuelle expertise.

Faute de parvenir à un règlement amiable de ces difficultés, la société [K] a obtenu, par ordonnance de référé en date du 19 mars 2008, la nomination d'un expert qui a rendu son rapport le 15 mai 2009. Le 11 juin 2009, elle a assigné, en référé puis au fond, la société Thyssenkrupp devant le tribunal de commerce de Créteil.

La société [K] a été placée en redressement judiciaire le 25 mars 2009, puis en liquidation judiciaire le 8 avril 2010, la procédure étant poursuivie par son mandataire liquidateur, Me [Z] [Y].

Par jugement rendu le 10 avril 2012, le tribunal de commerce de Créteil a :

- condamné la société Thyssenkrupp à payer à Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [K] la somme de 20 000 € ;

- débouté Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [K] du surplus de l'ensemble de ses demandes ;

- dit n'y avoir pas lieu à exécution provisoire ;

- débouté les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu l'appel interjeté par Me [Y] le 22 mai 2012 contre cette décision.

Vu les dernières conclusions, signifiées par Me [Y] le 7 décembre 2012, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

- recevoir Me [Y] ès qualités de mandataire à la liquidation judiciaire de la société [K] en son appel et l'y déclarant bien fondée,

Y faisant droit,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Créteil le 10 avril 2012 et statuant à nouveau,

Constatant l'absence de traçabilité au sein de la société Thyssenkrupp des bobines d'acier inoxydables de 2,5 mm d'épaisseur vendues par la société Thyssenkrupp mais relevant que l'expert a établi qu'il s'agissait de celles utilisées sur les viroles litigieuses constituées en Arménie dans le cadre du marché avec la société Yerevan Brandy Company ;

Constatant que le défaut esthétique relevé au mois d'août 2006 sur 2 des 7 bobines était insignifiant, ce qui justifiait le paiement par la société [K] à la société Thyssenkrupp des bobines litigieuses ;

Constatant l'existence d'un vice caché apparu au mois d'octobre 2006 sur les cuves qui avaient été constituées à partir des aciers litigieux ;

relevant que ce vice était caché à la réception et que la société [K] ne pouvait, même au début de la réalisation des cuves, l'appréhender dans son ampleur et ses consequences ;

Retenant que la société Thyssenkrupp est professionnel de la fabrication et vente en gros de l'acier inoxydable et que la société [K] relève d'une autre spécialisation ;

Vu le jugement de liquidation judiciaire de la SAS [K] par le tribunal de commerce d'Avignon le 8 avril 2010,

Vu les articles 1641 et suivants, notamment 1645 du code civil,

Vu l'article 9 du code de procédure civile,

Vu les articles 1602 et suivants du code civil, notamment la garantie de la chose vendue,

Vu les pièces produites,

Vu les articles 1355 et 135- du code civil,

Vu encore complémentairement les articles 1134, 1146 et suivants, notamment 1157, 1148 et 1149 du code civil,

Constatant l'aveu d'un défaut d'élaboration ' par ailleurs constaté par l'expert judiciaire ' et d'une révélation postérieure du vice, révélation indiscutablement postérieure à la réalisation des cuves par suite d'attaque d'agents extérieurs ;

- condamner la société Thyssenkrupp, sur le fondement du vice caché, subsidiairement du défaut de conformité, plus subsidiairement en réparation du préjudice subi du fait des fautes contractuelles établies à l'encontre du fournisseur, au paiement à Me [Y] ès qualités de liquidateur de la société [K], de la somme de :

. 54 844,65 € en remboursement des bobines défectueuses, avec intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2006 (factures) ;

.19 055 € correspondant à l'intervention réalisée par la société [K] en Arménie sur préconisation de M. [C] de la société Thyssenkrupp, avec intérêts au taux légal à compter du 1eroctobre 2007 ;

Les intérêts au taux légal de la retenue de garantie de 73 451,87 € du 1erseptembre 2006 au 30 octobre 2008 avec intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2008 ;

. 36 177,13 € correspondant à la retenue effectuée par la société Yerevan à concurrence de 5% du marché liant la société Yerevan et la société [K], avec intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2008 ;

.500 000 € en indemnisation du préjudice subi du fait de la perte directe et indirecte de clientèle et de la perte de chance subie par la société [K] du fait des manquements de la société Thyssenkrupp et des répercussions rencontrées par la société [K] dans sa clientèle et sa clientèle potentielle par suite d'une atteinte à son image, outre la liquidation judiciaire ensuite prononcée.

Subsidiairement,

- ordonner en tant que de besoin une mesure d'expertise complémentaire à l'effet de déterminer le préjudice direct et indirect subi par la société [K], notamment en perte d'image et de clientèle, du fait des manquements de la société Thyssenkrupp qui a vendu des bobines d'acier inoxydable atteintes de vice caché et non-conformes à ce qui était attendu ;

- en cette hypothèse, allouer une provision de 300 000 € à valoir sur le préjudice subi ;

- condamner enfin la société Thyssenkrupp au paiement de la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

- la condamner encore au paiement de la somme de 60 000 € au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile.

La société [K] rappelle qu'au déballage des bobines en août 2006, elle observa des défauts ' consistant dans des rayures ' sur deux des sept bobines de 2,5mm et les signala à la société Thyssenkrupp, laquelle ne réagit pas. D'ordre purement esthétique, ces défauts doivent, selon elle, être distingués des graves désordres apparus à partir du mois d'octobre 2006 et consistant dans des traces d'oxydation affectant les viroles de 2,5 mm de toutes les cuves. L'appelante considère que ces désordres constituent un vice caché que ne pouvaient laisser prévoir les défauts esthétiques relevés au déballage des bobines.

Elle souligne qu'il est évident que si ces désordres avaient été apparents au mois d'août, elle n'aurait pas utilisé les bobines pour fabriquer les cuves et elle n'en aurait pas payé le prix à la société Thyssenkrupp.

En ce qui concerne les causes des désordres, la société [K] s'appuie sur les conclusions de l'expert qui les impute à « un problème d'élaboration des bobines », relevant par conséquence de la responsabilité de la société Thyssenkrupp.

Elle fait valoir que la société Thyssenkrupp a, par ailleurs, commis des fautes en n'assurant pas la traçabilité de ses produits en ne répondant pas aux sollicitations qu'elle lui a adressées dès le mois d'août.

Subsidiairement, l'appelante soutient que la responsabilité de l'intimée est engagée pour non-conformité des bobines livrées, dont le taux de nickel n'atteignait pas le pourcentage minimal prévu par les normes applicables.

En ce qui concerne son préjudice, la société [K] invoque l'article 1645 du code civil aux termes duquel « si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur ». Elle soutient qu'en sa qualité de fabricant professionnel, la société Thyssenkrupp ne pouvait pas ignorer les vices dont était atteint l'inox qu'elle lui a vendu et, en conséquence, elle demande à être indemnisé de la clientèle qu'elle a perdu et des pertes directes sur le marché conclu avec la société Yerevan.

Très subsidiairement, elle demande à la Cour de désigner un expert pour évaluer le préjudice qu'elle a subi.

Vu les dernières conclusions, signifiées par la société Thyssenkrupp le 9 octobre 2012, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

- constater que Me [Y], ès-qualités, est incapable de démontrer l'existence d'un vice caché ;

-constater la qualité de professionnel de la société [K] ;

- constater que la société Yerevan n'a pas intenté d'action sur le fondement de vice cache ;

- constater l'utilisation des cuves depuis 6 ans conformément à leur destination ;

- constater l'absence de vice rédhibitoire et de vice caché ;

- constater que la société [K] n'a pas demandé le remplacement de la matière ;

- constater que la société [K] a choisi de passer en phase de production, n'a pas formulé de réserves et a opté pour la livraison de la matière paillée au client final ;

En conséquence,

- dire et juger que le désordre invoqué par l'appelant n'est pas un vice caché ;

- dire que la responsabilité de la société Thyssenkrupp ne peut être recherchée ;

- dire et juger que le mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société [K] est responsable du dommage incriminé ;

- constater que les demandes de Me [Y], ès-qualités, sont mal fondées tant dans leur principe que dans leur quantum ;

- dire et juger que le tribunal de commerce a statué ultra petita, ce dernier n'étant saisi ni d'une demande fondée sur l'obligation de délivrance, ni d'une demande fondée sur l'homologation ou l'exécution de l'offre d'avoir commercial qui avait été proposée par la société Thyssenkrupp le 23 mars 2007 et qui a été au demeurant refusée par la société [K] ;

- dire et juger subsidiairement que l'avoir commercial de la société Thyssenkrupp est caduc ;

- débouter Me [Y], ès-qualités, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, excepté en ce qu'il a condamné la société Thyssenkrupp à verser à Me [Y], ès qualités, la somme de 20 000 € de sorte que la cour l'infirmera sur ce point.

Sur la demande nouvelle,

- dire et juger que la demande d'expertise complémentaire introduite pour la première fois en appel par Me [Y], ès qualités, est irrecevable, sur le fondement des dispositions des articles 564 et suivants du code de procédure civile ;

- dire et juger qu'à titre subsidiaire la demande est infondée,

- dire et juger que si par extraordinaire, la Cour ferait droit à cette demande irrecevable, il appartiendra à Me [Y], ès qualités, de supporter la consignation des honoraires de l'expert ;

- dire et juger que la demande provisionnelle du paiement de la somme de 300 000 € à titre de dommages et intérêts à valoir sur le prétendu préjudice est irrecevable et infondée ;

- condamner Me [Y], ès qualités, à régler à la société Thyssenkrupp la somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Thyssenkrupp conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce que le tribunal a jugé que les désordres affectant les bobines d'acier étaient apparents dès leur déballage au mois d'août 2006. Elle considère que la société [K], en prenant la responsabilité de confectionner les cuves avec les bobines sur lesquelles elle avait constaté certains défauts alors qu'elle aurait dû demander leur remplacement, a contribué « d'une façon majeure et déterminante à la réalisation du dommage ».

Elle ajoute qu'on ne saurait lui reprocher aucune inertie, puisque la société [K] ne lui a en réalité présenté aucune demande lorsqu'elle a constaté des défauts en août 2006.

S'agissant du moyen tiré de la non conformité du produit, l'intimée considère que celle-ci n'est pas avérée, la teneur en nickel se situant dans les limites requises.

La société Thyssenkrupp demande l'infirmation du jugement en ce qu'il la condamnée à payer la somme de 20 000 euros à la société [K], le tribunal ayant sur ce point statué ultra petita. Elle conclut au rejet de la demande d'expertise présentée à titre subsidiaire par la société [K].

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur les désordres affectant les bobines d'acier et les responsabilités en résultant

Il ressort des pièces du dossier qu'ayant déballé les bobines d'acier sur le site où les cuves devaient être confectionnées, les représentants de la société [K] ont relevé sur deux des sept bobines d'épaisseur de 2,5 mm des défauts, consistant dans des rayures, qu'ils ont signalés à la société Thyssenkrupp par téléphone, par deux courriers électroniques des 9 et 11 août et par un courrier postal du 22 août dans lequel M. [K] émettait des réserves quant à la qualité de ces bobines (pièces n° 4, 79 et 82 produites par l'appelant). La société [K] a néanmoins entrepris la fabrication des cuves avec ces bobines et en a réglé le prix à la société Thyssenkrupp.

Il est établi, par ailleurs, qu'après que les cuves eurent été fabriquées et remises à la société Yerevan, des désordres sont apparus sur les cuves fabriquées avec des bobines livrées par la société Thyssenkrupp.

Dans un premier temps, ces désordres ont été signalés par la société Yerevan à la société [K] dans le cadre de l'"acte de réception provisoire" des cuves qu'elle lui adressé par un courrier du 22 octobre 2006 ainsi rédigé : "La IM [K] INOX a réalisé le montage de 48 citernes. Toutefois nous émettons des réserves sur la qualité de l'inox de 2,5 mm d'épaisseur qui présente sur la majorité des cuves montées des rayures horizontales présentant dans l'épaisseur de la tôle inox des traces d'oxydation seulement après un mois d'utilisation" (pièce n° 6). Ils sont allés en s'amplifiant puisque, par courrier du 21 novembre 2006, la société Yerevan fit savoir à la société [K] que les bobines d'épaisseur de 2,5 mm "présentent des défauts d'aspect, rayures et défeuilletage dans le sens du déroulage. Ces défauts insignifiants au départ vont en s'accentuant et les viroles concernées présentent actuellement des traces d'oxydation et de décollement de matière (...)" ; elle ajouta que, "compte tenu de l'évolution rapide de ces défauts", elle procédait à une retenue de garantie de 40 % sur le prix des cuves concernées (pièce n° 25).

Ultérieurement, dans le cadre de la mission qu'il mena sur place en janvier 2009, l'expert judiciaire décrivit ces désordres dans les termes suivants : "Les défauts constatés sont sous forme de paille, feuillures, rayures et délaminage en pleine virole. Il y a apparition d'oxydes incrustés avec inclusions non métalliques ou oxydées qui apparaissent en surface. Des lignes pailleurses fermées existent qui sous la pression éclatent et permettent de prélever des lamelles de 5-10 cm de longueur, non encore oxydées. Les photos montrent quelques éclats de ces pailles arrachées par l'expert avec beaucoup de facilité". Il constata que, si ces désordres affectaient toutes les cuves, celles-ci n'étaient touchées que dans leur virole inférieure de 2,5 mm d'épaisseur (Rapport d'expertise, Conclusion générale, p. 5).

Si la réalité de ces désordres est avérée, les constatations de l'expert n'étant sur ce point pas contestées, leur origine est en revanche discutée par les parties. Dès 2006, la société Thyssenkrupp a récusé toute responsabilité dans leur apparition, qu'elle imputa, sur la base de l'analyse qu'elle fit réaliser sur un échantillon, à des "travaux mécaniques", la matière qu'elle avait livrée ne présentant "pas de défauts métallurgiques" (pièce n° 11). Elle sollicita par la suite un laboratoire italien indépendant, le Centre de développement des matériaux, qui conclut que les phénomènes de corrosion étaient dus à une contamination exogène survenue pendant la fabrication des cuves et que les défauts d'origine métallurgique ne contenaient que des oxydes thermiques ne provoquant pas d'effet corrosif, à moins qu'ils ne soient eux-mêmes contaminés par des agents extérieurs (pièce n° 12). Aussi mit-elle en cause dans ses écritures les conditions dans lesquelles les bobines avaient été découpées par la société [K] et la nature de l'outillage utilisé par celle-ci.

Cette explication est cependant démentie de la façon la plus nette par l'expert judiciaire qui, ayant vérifié que les collaborateurs de la société [K] intervenaient dans les règles de l'art, a considéré que les désordres ne pouvaient être imputés à la mise en oeuvre des bobines, à leur montage en virole et à l'assemblage des viroles en cuves. En faveur de cette conclusion que la Cour retiendra, on soulignera que, si les désordres avaient été dus aux opérations effectuées par la société [K], ils seraient apparus sur toutes les bobines avec lesquels ont été fabriquées les cuves, quel que soit leur fournisseur et quelle que soit l'épaisseur de leur acier. Or, il convient de rappeler, d'une part, que les désordres n'ont affecté que les bobines fournies par la société Thyssenkrupp, alors que la société [K] a, pour fabriquer les cuves livrées à la société Yerevan, utilisé des bobines provenant d'autres fournisseurs, d'autre part, que parmi les bobines livrées par la société Thyssenkrupp, n'ont été affectées par les désordres que celles dont l'acier avait une épaisseur de 2,5 mm. Pour cette raison au demeurant, on ne saurait tirer de conséquence particulière de l'hypothèse avancée par l'expert, selon laquelle "le cintrage et la confection des viroles ont problablement amplifié" les défauts constatés en août, puisque ces opérations, d'une part, sont précisément l'usage auquel étaient destinées les bobines vendues et, d'autre part, si elles ont pu amplifier les désordres, n'en sont pas à l'origine.

Dans ces conditions, l'expert a envisagé les deux séries de cause pouvant être à l'origine de désordres - une "non conformité du produit" et un "problème d'élaboration du produit" ' et a privilégié la seconde, une non conformité tenant en particulier à une trop faible teneur de l'acier en nickel n'étant pas démontrée, en indiquant que "l'apparition des désordres, lignes pailleuses, rayures, écailles, feuillures est sans contestation due à un problème d'élaboration des bobines" (Rapport, Conclusion générale p. 6). Il en résulte que les désordres qui se sont manifestés sur les viroles composées d'acier de 2,5 mm d'épaisseur, ont pour origine une cause préexistante à la livraison des bobines à la société [K] et résidant dans leur processus de fabrication. La question est donc de savoir si les vices dont les bobines étaient affectées étaient apparents lorsqu'elles ont été vendues ou s'ils étaient cachés, auquel cas la responsabilité de la société Thyssenkrupp serait engagée.

Sur ce point, le juge des référés du tribunal de commerce a spécialement donné mission à l'expert, après avoir décrit les vices dont seraient atteintes les cuves, de "préciser en quoi ils sont des vices cachés". L'expert cependant n'a pas pris position sur ce point et a seulement rappelé que la société [K] avait, au déballage des bobines, relevé des défauts sur certaines d'entre elles. La société Thyssenkrupp, pour sa part, soutient que les vices étaient apparents dès la livraison des bobines puisque, précisément, ils ont été constatés par la société [K].

Des éléments du dossier, il ressort que les constatations faites par la société [K] lors du déballage des bobines ont porté sur deux d'entre elles, alors que les désordres ont ensuite affecté toutes les bobines composées d'acier de 2,5 mm d'épaisseur, soit sept bobines. La société [K] par ailleurs, soutient n'avoir alors constaté que des "défauts d'aspect". La Cour relève que cette affirmation est confortée par le fait que la société [K] n'en a pas moins entrepris la fabrication des cuves avec l'acier sur lequel elle avait constaté ces défauts, qu'elle a réglé à la société Thyssenkrupp le prix des bobines, signe qu'elle n'imaginait pas que le produit livré ne serait pas conforme aux exigences contractuelles de qualité, et qu'enfin ce n'est qu'au mois d'octobre suivant que l'utilisateur des cuves qui avaient été fabriquées avec l'acier de ces bobines, la société Yerevan, a signalé des difficultés suffisamment graves à ses yeux pour qu'elle procède, sur le prix convenu, à une retenue particulièrement lourde puisque s'élevant à 40 %.

Or, loin de consister en de simples "défauts d'apparence", les désordres signalés en octobre 2006 par la société Yerevan consistaient dans des "traces d'oxydation" présentes "dans l'épaisseur de la tôle". Il est avéré que ce phénomène d'oxydation s'est amplifié ; c'est ainsi que dès le mois de novembre suivant, la société Yerevan a alerté la société [K] sur l'évolution de la situation en notant que "ces défauts insignifiants au départ vont en s'accentuant et les viroles concernées présentent actuellement des traces d'oxydation et de décollement de matière" (pièce n° 25). Comme la Cour l'a noté plus haut, cette évolution parut si inquiétante à la société Yerevan qu'elle procéda, unilatéralement, à une importante retenue sur le prix prévu au contrat. Elle fut ensuite amenée à constater, dans un courrier du 10 mai 2007 adressé à la société [K], que les cuves "ont toutes développé des traces de rouille" au niveau de leur virole inférieure de 2,5 mm d'épaisseur (pièce n° 24). Il convient enfin de rappeler que les travaux de meulage auxquels la société [K] a procédé en 2007, sur les conseils de la société Thyssenkrupp, s'ils ont permis de remédier aux défauts d'aspect, n'ont nullement enrayé le phénomène d'oxydation dont l'expert a relevé la persistance, a suggéré d'en surveiller l'évolution et a envisagé à terme la reprise de toutes les cuves "pour gommer, poncer et cacher les désordres (...) avant leur éventuel remplacement si les défauts s'aggravent" (Rapport, Conclusion générale ' p. 7).

Force est donc de constater que lors de la livraison et du déballage des bobines, les vices dont elles se sont avérées affectées n'étaient apparents ni dans leur généralité ' ils ne portaient que sur deux des sept bobines livrées -, ni dans leur gravité ' la société [K] n'ayant constaté que des défauts d'aspect consistant dans des rayures, alors qu'un phénomène d'oxydation est apparu ultérieurement.

Ces vices n'ont pas rendu les bobines d'acier impropres à l'usage auquel elles étaient destinées, puisqu'elles ont été utilisées pour fabriquer les cuves livrées à la société Yerevan ; mais il est évident que si la société [K] en avait eu connaissance, elle aurait refusé la livraison de ces bobines et en aurait demandé le remplacement. A cet égard, le fait qu'elle n'ait pas demandé ce remplacement en août 2006 ne saurait lui être reproché puisque les désordres affectant les bobines ne sont apparus qu'ultérieurement en octobre 2006.

La société Thyssenkrupp qui avait acccepté de procéder à une rétrocession de 20 000 € doit être condamnée au paiement de l'intégralité de la somme retenue par le client sur le prix de vente soit la somme de 54.844,65 € et ce avec intérêts à compter de l'assignation soit le 11 juin 2009.

Sur les préjudices invoqués par la société [K]

La société [K] prétend avoir subi des préjudices consistant, d'une part, dans la perte directe et indirecte de clientèle, une perte de chance, l'atteinte à son image et de la liquidation judiciaire dont elle est l'objet, d'autre part, dans la retenue opérée par la société Yerevan sur le prix des cuves et, enfin, dans le coût de l'intervention qu'elle a réalisée en 2007, sur les conseils de la société Thyssenkrupp, afin de remédier aux désordres constatés. Elle en demande réparation sur le fondement de l'article 1645 du code civil, en soutenant que la société Thyssenkrupp connaissait les vices de la chose vendue. Mais au-delà des affirmations qu'elle développe dans ses écritures à l'appui de cette demande, force est de constater qu'elle n'établit pas que l'intimée savait que l'élaboration des bobines avait été défectueuse et qu'il en résulterait avec le temps un phénomène d'oxydation. En particulier, on ne saurait déduire de sa qualité de fabricant professionnel que la société Thyssenkrupp avait nécessairement cette connaissance. Ses demandes seront donc rejetées.

Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive

Il ne résulte pas du dossier que la société Thyssenkrupp ait, par un comportement manifestement fautif, abusivement résisté aux demandes de la société [K], lesquelles ont d'ailleurs été rejetées en première instance par le tribunal.

Sur les frais irrépétibles

Au regard de l'ensemble de ce qui précède, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société [K] la totalité des frais irrépétibles qu'elle a engagés et la société Thyssenkrupp sera condamnée à lui verser la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier resort,

INFIRME jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

CONDAMNE la société Stainless France à payer à Me [Z] [Y], en qualité de liquidateur de la société [K] SAS, la somme de 54 844,65 €, avec intérêts au taux légal à compter du 11 juin 2009 ;

CONDAMNE la société Stainless France à payer à Me [Z] [Y], en qualité de liquidateur de la société [K] SAS, la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toutes les demandes autres, plus amples ou contraires des parties ;

CONDAMNE la société Stainless France aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Le GreffierLa Presidente

E.DAMAREYC.PERRIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 12/09367
Date de la décision : 10/04/2014

Références :

Cour d'appel de Paris I5, arrêt n°12/09367 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-04-10;12.09367 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award