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16/10/2014 | FRANCE | N°12/07208

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 16 octobre 2014, 12/07208


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRÊT DU 16 Octobre 2014

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/07208



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Avril 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY section encadrement RG n° 10/03007



APPELANT

Monsieur [R] [Q]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 1]

comparant en personne, assisté de Me Ma

rjana PRETNAR, avocat au barreau de PARIS, toque : E0922



INTIMEE

SA AIR FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Aurélien BOULANGER, avocat au barreau de PARIS, t...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRÊT DU 16 Octobre 2014

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/07208

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Avril 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY section encadrement RG n° 10/03007

APPELANT

Monsieur [R] [Q]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 1]

comparant en personne, assisté de Me Marjana PRETNAR, avocat au barreau de PARIS, toque : E0922

INTIMEE

SA AIR FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Aurélien BOULANGER, avocat au barreau de PARIS, toque : T03 substitué par Me Noémie CAUCHARD, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Septembre 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Catherine MÉTADIEU, Présidente de chambre, chargée du rapport, en présence de Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Catherine METADIEU, Présidente

Mme Marie-Elisabeth OPPELT-RÉVENEAU, Conseillère

Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Mme Catherine METADIEU, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE :

M. [R] [Q] a été engagé par la Sa Air France suivant un contrat à durée indéterminée en date du 5 novembre1974, en qualité d'officier pilote de lignes. Il a exercé, depuis le 9 février 1989, les fonctions de commandant de bord B747-400. A compter du 1er septembre 1990, il a été nommé instructeur. Sa rémunération mensuelle brute moyenne sur les 6 derniers mois s'est élevée à 24 082 €, selon M. [Q] et à 21 774,90 € selon la Sa Air France.

Il a également exercé les fonctions d'instructeur.

Né le [Date naissance 1] 1949, il a atteint l'âge de 60 ans le 10 janvier 2009.

Par lettre en date du 19 mai 2008, la Sa Air France lui a annoncé qu'au 10 janvier 2009, date de son 60ème anniversaire, il cessera d'exercer son activité de pilote dans le transport aérien public par application de l'article L421-9 du code de l'aviation civile. Il a été convoqué à un entretien fixé au 3 juillet 2008, en vue d'examiner la possibilité de le reclasser sur un emploi au sol.

Convoqué le 5 septembre 2008 à un entretien préalable fixé au 15 septembre 2008, en vue d'une éventuelle rupture de son contrat de travail, suite aux recherches infructueuses de reclassement dans un emploi au sol au sein du Groupe Air France.

Par courrier en date du 27 octobre 2008, la Sa Air France a notifié à M. [Q] la rupture de son contrat de travail, avec effet au 31 janvier 2009 au terme d'un préavis de 3 mois commençant le 1er novembre 2008.

L'entreprise compte plusieurs milliers de salariés dans le monde.

La relation de travail est régie par les dispositions de la convention d'entreprise du personnel navigant technique et par le code de l'aviation civile.

Contestant la rupture, se prévalant de la loi du 17 décembre 2008, applicable au 1er janvier 2010, en estimant que cette application différée est discriminatoire, M. [Q] a saisi le conseil des Prud'Hommes de Bobigny d'une demande tendant en dernier lieu à obtenir le paiement des indemnité de rupture, d'une indemnité pour licenciement nul (et subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse), d'une indemnité au titre du droit individuel à la formation, des dommages et intérêts pour perte de chance d'obtenir un poste au sol, outre une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile. A titre reconventionnel, la Sa Air France a demandé le paiement d'une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par décision en date du 22 février 2012, le conseil des Prud'Hommes a débouté M. [Q] de toutes ses demandes, ainsi que la Sa Air France . Il a condamné M. [Q] aux dépens.

M. [Q] a fait appel de cette décision dont il sollicite l'infirmation. Il demande à la cour de juger son licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la SA Air France à lui payer les sommes suivantes :

- 242 825 € à titre d'indemnité de licenciement

- 600 000 € à titre d'indemnité pour licenciement nul ou pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 14 259 € à titre de dommages et intérêts pour privation du droit individuel à la formation

- 60 000 € à titre de dommages et intérêts spéciaux pour rupture fautive anticipée et perte de chance

- 4 200 € en application de l'article 700 du code de procédure civile

La Sa Air France conclut à la confirmation du jugement déféré, en conséquence au débouté de M. [Q] et à sa condamnation à lui payer la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier le 18 septembre 2014, reprises et complétées à l'audience.

MOTIVATION

Sur la rupture du contrat de travail :

Le principe de non discrimination en fonction de l'âge est un principe général du droit de l'Union européenne, qui est mentionné à l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dont la valeur juridique est celle des traités depuis le 1er décembre 2009.

Plus particulièrement, la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail a pour objet d'assurer la mise en oeuvre, au plus tard le 2 décembre 2003, dans les Etats membres, du principe de l'égalité de traitement, en luttant contre les discriminations fondées notamment sur l'âge.

Le même texte autorise, en son article 2§5 les ' mesures prévues par la législation nationale qui, dans une société démocratique, sont nécessaires à la sécurité publique, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et à la protection des droits et libertés d'autrui.'

Aussi son article 4§1 dispose-t-il que 'les Etats membres peuvent prévoir qu'une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l'un des motifs visés à l'article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée'.

Plus spécifiquement, l'article 6§1 autorise les Etats membres à prévoir 'que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires'.

Il convient tout d'abord d'examiner la conformité à ces dispositions de l'article L 421-9 du code de l'aviation civile introduit par la loi de n°95-116 du 4 février 1995, qui dispose, dans sa version critiquée, antérieure à la loi du 17 décembre 2008, que 'le personnel navigant de l'aéronautique civile de la section A du registre prévu à l'article L421-3 [ dont fait partie M. [Q] ] ne peut exercer aucune activité en qualité de pilote ou de co-pilote dans le transport aérien public au-delà de l'âge de 60ans. ....Toutefois, le contrat de travail du navigant n'est pas rompu du seul fait que cette limite d'âge sauf impossibilité pour l'entreprise de proposer un reclassement dans un emploi au sol ou refus de l'intéressé d'accepter l'emploi qui lui est offert'.

Il conviendra également d'examiner la conformité des dispositions transitoires de la loi du 17 décembre 2008 qui, augmentant à 65 ans, l'âge limite de la possibilité de voler des pilotes de ligne, en a différé l'application au 1er janvier 2010, ce qui a eu notamment pour effet, que les pilotes nés en 1949, ayant atteint l'âge de 60 ans dans l'année 2009, ont vu leur contrat de travail rompu par la SA Air France.

M. [Q] s'oppose à l'application des dispositions précitées au motif qu'en fixant à 60ans, l' âge limite impératif pour exercer la profession de pilote en transport aérien public, elle génère une discrimination du fait de l'âge, discrimination illicite du fait qu'elle ne constitue pas une mesure nécessaire à la sécurité publique et à la protection de la santé au sens de l'article 2-5 de la directive 2000/78, qu'elle n'est pas proportionnée au sens de son article 4-1 et qu'elle ne constitue pas davantage une mesure appropriée ou nécessaire pour réaliser un objectif de politique sociale au sens de son article 6-1. Subsidiairement, il fait valoir que la rupture par la Sa Air France contrevient aux articles L1132-1 du code du travail et 1134 du code civil. Il ajoute que la disposition critiquée est tout aussi contraire à la recommandation de l'OACI de mars 2006 et au texte européen JAR-FCL 1 060 et aux dispositions de droit international, notamment aux articles 15 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des libertés et des droits de l'homme, et aux 1° et 2° de la charte sociale européenne, lesquels posent également les principes du droit de gagner sa vie par son travail et du droit à une vie privée professionnelle. Il fait enfin valoir la mauvaise foi de la Sa Air France dans l'exécution de son contrat de travail : il lui reproche de ne pas avoir tenu pas compte des dispositions de la loi de 2008, autorisant les pilotes de ligne à voler jusqu'à l'âge de 65 ans, qui devait la contraindre à le reprendre dans ses effectifs de pilotes après la brève période transitoire d'interdiction d'exercer ses fonctions pendant l'année 2009.

M. [Q] s'appuie également sur la jurisprudence communautaire, en particulier la décision du 13 septembre 2011 'Priddge'.

M. [Q] considère que l'article L421-9 du code de l'aviation civile qui, en 1995, introduit progressivement, pour devenir effective en 1997, une limite d'âge qui n'existait pas auparavant, créé, ce faisant, une discrimination injustifiée du fait de l'âge entre ' le pilote français' (pilote inscrit aux registres du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile française, section A, 2ème catégorie, dans le transport aérien public) et les pilotes qui travaillent en France, c'est-à-dire les autres pilotes 'français' qui ne relèvent pas de la section A 2ème catégorie ( les pilotes d'essai et réceptions, les pilotes effectuant du travail aérien dont l'instruction, les pilotes d'hélicoptères de la sécurité civile) , et les pilotes européens ou ceux des pays tiers, non inscrits sur les listes de l'aviation civile française section A 2ème catégorie, qui, au demeurant, peuvent être français, et pourtant exercent leurs fonction de pilotes transport public en France au-delà de 60ans.

Il en déduit que ces différences de traitement ne sauraient être justifiées par des considérations de sécurité des personnes transportées alors que les contrôles médicaux et techniques rigoureux subis par les pilotes suffisent également à assurer la sécurité des passagers et rendent inopérants les considérations fondées sur l'âge.

M. [Q] précise que la France a fini par se conformer à l'ensemble de ces dispositions par l'adoption de la loi du 17 décembre 2008 applicable au 1er janvier 2010 qui a prolongé jusqu'à 65 ans, sous certaines conditions, la possibilité pour les pilotes de ligne de voler. Il ajoute, cependant, qu'en différant au 1er janvier 2010 sa date d'application, elle a maintenu la discrimination illicite du fait de l'âge entre les pilotes nés avant 1950 et ceux nés après. Elle créée ainsi une discrimination dans la discrimination.

M. [Q] conteste également la pertinence de tous les arguments développés par la Sa Air France et notamment celui tiré de la politique de l'emploi menée en faveur des jeunes pilotes.

Il ajoute que vient encore à l'appui de ses contestations, la mise en conformité de la législation française avec les textes communautaires par la loi du 17 décembre 2008, sous la pression de trois procédures en manquement engagées par la Commission européenne, cette mise en conformité traduisant bien le caractère inopérant des arguments de fait et de droit invoqués au soutien de la discrimination fondée sur l'âge instituée par l'article L 421-9 dans sa version critiquée. Il souligne que la question de la discrimination est indépendante de l'obligation de reclassement mise à la charge d'Air France.

Il conclut en précisant que l'application des textes en cause aboutit paradoxalement à ce que des compagnies étrangères, filiales du groupe Air France-KLM, à l'étranger, embauchent des pilotes, comme lui, licenciés par la société mère.

Arguant de l'inapplicabilité des textes internationaux invoqués par M. [Q] , hormis les textes communautaires, la Sa Air France soutient au contraire que l'interdiction de vol prescrite par l'article L421-9 du code de l'aviation civile à compter de l'âge de 60ans constitue une interdiction d'ordre public, sévèrement sanctionnée en cas de non respect qui se justifie par des raisons de sécurité des vols et des raisons de politique de l'emploi, cette mesure favorisant l'emploi de jeunes pilotes.

Elle estime que l'interdiction ainsi prise pour servir ces deux objectifs est appropriée et nécessaire, précision étant faite par elle que la limite d'âge n'entraîne pas à elle seule la rupture du contrat de travail, celle-ci résultant uniquement de l'impossibilité de reclassement.

Concernant les sanctions encourues, la Sa Air France précise que le non respect de la limite d'âge imposée l'expose, ainsi que les pilotes, à des sanctions pénales et à des sanctions administratives de suspension ou de retrait de certificat de transport.

Si elle ne conteste pas le principe de non discrimination posé par la directive communautaire 2000/78, elle se prévaut des exceptions que celle-ci prévoit, en particulier en ses articles 2.5 et 6.1. A cet égard, la Sa Air France soutient que la mesure d'âge instaurée par l'article L421-9 du code de l'aviation civile poursuit un objectif légitime de sécurité des vols (article 2.5 de la directive) et un objectif légitime lié à la politique de l'emploi, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires (article 6.1 de la directive).

Elle ajoute que contribue à servir cet objectif légitime de sécurité, l'exigence d'une limite d'âge que la nouvelle réglementation de l'OACI prend toujours en compte, notamment en prescrivant qu'à compter du 23 novembre 2006, le pilote âgé de plus de 60ans et de moins de 65ans soit accompagné d'un autre pilote âgé de moins de 60ans. Estimant incontestable par une juridiction l'exception ainsi posée par le législateur, et qui s'impose à elle, la Sa Air France fait valoir que doit être examinée la régularité de l'exception litigieuse au regard du seul article 6.1 de la directive précitée. Elle fait valoir, en outre, qu'il ne saurait lui être reproché de s'être conformée aux dispositions adoptées par le législateur de 2008.

Pour soutenir le caractère régulier de la disposition critiquée au regard de l'exception posée par l'article 6.1 précité, la Sa Air France fait valoir sa conformité avec la jurisprudence communautaire (12 janvier 2010 Wolf et Petersen) et la jurisprudence du Conseil d'Etat, lequel, dans une décision du 25 avril 2006 a validé le décret 2004-1427 du 23 décembre 2004 qui a fixé à 55ans l'âge de cessation d'activité du personnel navigant employé en cabine en estimant que cette limite d'âge répondait à un objectif légitime de bon fonctionnement de la navigation aérienne et de protection des travailleurs et qu'elle était proportionnée à l'objectif poursuivi.

La Sa Air France ajoute que la loi du 4 février 1995 qui prévoit la cessation des activités de pilote et de co-pilote du transport en qualité de navigants professionnels à l'âge de 60ans était conforme au règlement de l'OACI de l'époque qui prévoyait une interdiction complète de vol à 60ans pour les commandants de bord. Elle précise que cette loi avait pour objectif de répondre à un besoin de politique de l'emploi sur cette période : faciliter l'insertion d'élèves pilotes de ligne dans la vie professionnelle, dans un secteur qui était alors en crise.

La Sa Air France fait valoir également que la limite d'âge n'entraîne pas à elle seule la rupture du contrat de travail, laquelle découle seulement de l'impossibilité de reclasser le salarié au sol. Elle en déduit que c'est cette disposition dans son ensemble (limite d'âge et reclassement) qui doit être examinée au regard de l'article 6.1 et non pas seulement celle relative à la limite d'âge.

La cour relève, en premier lieu, et contrairement à ce que soutient la Sa Air France, que le juge national a l'obligation d'écarter l'application d'une norme interne contraire à une règle communautaire, au profit de cette dernière, ce en application du principe de primauté du droit communautaire.

En l'espèce, l'article L421-9 du code de l'aviation civile, qui prescrit l'interdiction de pilotage pour les pilotes de ligne, au-delà de l'âge de 60ans, établit une mesure discriminatoire du fait de l'âge, peu important que la rupture de leur contrat de travail provienne non seulement de cet âge atteint mais également de l'impossibilité de procéder à leur reclassement.

Il convient dès lors d'examiner si cette mesure de restriction constitue, au regard de la directive 2000/78 précitée, une exception possible, au titre de ses articles 2.5, 4.1 et 6.1, d'interprétation stricte, et donc, si concrètement elle constitue :

- une mesure nécessaire à la sécurité publique, et à la protection de la santé (article 2.5)

- une mesure relevant d'une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée

- une mesure objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime, notamment par

des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires'.

Il ressort des débats que l'âge des pilotes de ligne constitue une préoccupation liée aux objectifs de sécurité légitimes attachés à la navigation aérienne, de sorte qu'une interdiction de pilotage est prescrite pour les pilotes âgés de plus de 65ans, et qu'entre 60 et 65ans, la législation a varié, les préconisations de l'OACI posant l'âge de 60ans jusqu'au 23 novembre 2006, date à laquelle cette limite a été portée à 65ans, à condition que le pilote âgé de 60ans ne pilote pas seul l'aéronef et qu'il soit en copilotage avec un collègue âgé de moins de 60ans. Par exemple, cette nouvelle recommandation est entrée en application aux Etats-Unis en décembre 2007.

Par ailleurs le règlement européen JAR-FCL 1 060 dont il n'est pas contesté qu'il soit applicable en l'espèce, a été adopté le 15 avril 2003, par la Joint Aviation Authorities, qui prévoit une restriction concernant les titulaires de licences âgés de plus de 60ans, en les autorisant néanmoins à exercer leur activité de pilote sur un avion de transport commercial à condition que l'équipage comporte plusieurs pilotes et que les autres pilotes aient moins de 60ans.

Il s'ensuit que la législation internationale applicable en France n'impose pas une interdiction absolue de piloter aux pilotes âgés entre 60 et 65ans.

Il ressort de ce qui précède qu'une règle interne qui fixe de manière absolue, et sans exception possible, à 60ans l'âge limite à compter duquel les pilotes ne peuvent plus exercer leur activité professionnelle alors que les réglementations communautaire et internationale, fixent cet âge à 65ans, n'institue pas une mesure nécessaire à la sécurité publique et à la protection de la santé au sens de l'article 2§5 de la directive précitée, pas plus qu'elle n'instaure une restriction légitime, en raison de la nature de l'activité professionnelle en cause ou des conditions de son exercice, cette limite d'âge à 60ans n'en constituant pas une exigence professionnelle essentielle et déterminante, au sens de l'article 4§1 de la même directive.

En revanche, il résulte de la réponse ministérielle publiée au JO du 30 mars 1995, du rapport réalisé au nom de la commission des Affaires sociales du Sénat sur le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social annexé au procès-verbal de la séance du 9 novembre 1994, du rapport réalisé par l'Assemblée Nationale, sur le même texte, que des impératifs liés à l'emploi, alors qu'il était constaté que la crise de l'aéronautique d'alors privait d'emploi 1 200 pilotes, avait conduit le gouvernement à baisser l'âge limite pour piloter de 65 à 60ans et à adopter l'article L421-9 critiqué afin de favoriser l'embauche de jeunes pilotes, non seulement en 1995 avec un objectif de 130 à 150 pilotes, selon les débats se déroulant au Sénat publiés le 16 novembre 1994 au JO mais également pour les années à venir. En outre, selon la réponse ministérielle publiée au JO du 30 mars 1995, l'objectif tenant à la politique de l'emploi est doublée de l'impératif pour les jeunes pilotes d'achever leur formation qualifiante lors d'une première embauche sur un avion de transports de passagers, à défaut de laquelle ils 'risquent de perdre le bénéfice de leur scolarité.'

En outre, selon la réponse ministérielle publiée dans le JO du 23 septembre 2008, ce sont, outre l'évolution des législations communautaire et internationale, ces mêmes préoccupations de politique de l'emploi, qui ont conduit le gouvernement, constatant 'une véritable pénurie' du personnel navigant, à augmenter ladite limite d'âge en la portant de 60 à 65ans à certaines conditions en modifiant l'article L421-9 précité par la loi du 17 décembre 2008.

Il résulte donc de ces éléments sérieux qui sont versés aux débats et qui méritent donc d'être retenus, qu'en 1995, le relèvement de la limite d'âge en cause, inscrite à l'article L421-9 dans sa version critiquée, constitue une mesure appropriée qui a été directement dictée par un objectif légitime de politique de l'emploi, du marché du travail, au sens de l'article 6§1 de la directive communautaire précitée.

Aucun élément produit aux débats ne permettant de démentir le caractère légitime de cet objectif, il n'y a pas lieu de remettre en cause celui-ci jusqu'au changement de législation.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que pour la période concernée par la rupture de la relation de travail de M. [Q] , l'article L421-9 dans sa version critiquée, instaure une différence de traitement fondée sur l'âge, conforme à l'article 6§1 de la directive précitée, qui ne constitue pas une discrimination illicite, ce dont il se déduit également que le législateur a pu décider de différer l'application de la loi du 17 décembre 2008 au 1er janvier 2010, sans davantage commettre de discrimination illicite, ni qu'il puisse lui être reproché une quelconque mauvaise foi dans son refus opposé à la proposition de M. [Q] de cesser temporairement ses fonctions et de les reprendre à compter du 1er janvier 2010.

Il s'ensuit que la Sa Air France a pu faire application de la disposition litigieuse à M. [Q] sans qu'il puisse en outre lui être reproché de la mauvaise foi dans l'exécution du contrat de travail de M. [Q] .

Il convient, en conséquence, d'examiner la régularité du reclassement.

Sur le reclassement

En application de l'article L421-9 précité le contrat de travail du pilote est rompu en cas d'impossibilité de le reclasser au sol. Les recherches de reclassement par l'employeur doivent être sérieuses et loyales. La charge de la preuve en incombe à l'employeur. Le licenciement prononcé en violation des dispositions de l'article précité est dépourvu de caractère réel et sérieux.

M. [Q] estime que cette obligation de reclassement ne se limite pas aux termes du texte précité aux seuls emplois situés au sol mais plus largement, et d'abord sur le fondement de l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail incombant à l'employeur, à tout autre emploi, y compris de pilote, et notamment au sein des filiales du groupe Air France situées à l'étranger.

Il relève notamment qu'aucune recherche n'a été entreprise en ce sens auprès de la société Cityjet , filiale irlandaise de Air France qui emploie des pilotes âgés de plus de 60ans. M. [Q] ajoute que la Sa Air France n'a pas davantage mené de recherches de reclassement au sol qui soient sérieuses, concernant au besoin des emplois justifiant la mise en oeuvre d'une formation complémentaire, alors, en outre, qu'il offrait également la qualification d'instructeur au sol.

Exposant que l'obligation de reclassement instituée par le texte précité était spécifique et non comparable avec celle imposée à l'employeur dans le cadre d'autres modes de rupture, la Sa Air France se prévaut de ce qu'il s'agit en tout cas d'une obligation de moyen et non de résultat, qui porte sur la seule catégorie des seuls emplois au sol et qui est préalable à la rupture. Elle précise avoir mené des recherches sérieuses de reclassement au sol au terme desquelles il est apparu qu'aucun emploi correspondant aux compétences de M. [Q] n'était disponible.

En premier lieu, la cour relève que, compte-tenu de ce qui précède, l'article L421-9 ne saurait, au risque de caractériser une discrimination illicite, priver, en l'absence de contre indication médicale, un pilote âgé entre 60 et 65ans, de la possibilité d'être reclassé comme pilote au sein d'une filiale située à l'étranger où ces vols sont autorisés.

Elle en déduit en second lieu que la Sa Air France qui n'a, au vu de ses explications mêmes, pas procédé à une quelconque recherche de reclassement de M. [Q] comme pilote au sein d'une filiale étrangère dépendant du même groupe que celui auquel elle appartient, a manqué à son obligation de reclassement.

Il s'ensuit que la rupture de la relation de travail s'analyse, non en un licenciement nul, mais en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, faute de recherche sérieuse de reclassement.

M. [Q] ne peut donc qu'être débouté au titre de ses demandes pour licenciement nul.

Sur les conséquences de la rupture

La SA Air France précise que :

- M. [Q] a déjà perçu la somme de 215 335 € à titre d'indemnité spécifique de départ

- M. [Q] a bénéficié des règles de retraite dérogatoires applicables au personnel navigant permettant le bénéfice d'une pension de retraite au titre de la CRPN à taux plain dès 50 ans en contrepartie de 25 annuités.

- M. [Q] a liquidé sa retraite à taux plain à la CNAV dès le 1er avril 2009

Elle en conclut que les demandes de M. [Q] sont exorbitantes alors que celui-ci ne subit aucun préjudice direct et certain de la situation.

La rupture du contrat de travail intervenue en application de l'article L421-9 du code de l'aviation civile, en raison de la limite d'âge, et faute de reclassement, donne lieu au profit du salarié dont le contrat prend fin, au versement d'une indemnité de départ calculée conformément aux dispositions de l'article L423-1 du même code.

L'atteinte de la limite d'âge, non suivie de reclassement, constitue donc une cause spécifique de rupture, donnant lieu au paiement d'une indemnité de départ spécifique, qui la distingue du licenciement intervenant pour une autre cause, au titre duquel l'article 7 du contrat de travail de M. [Q] prévoit le paiement d'une autre indemnité distincte et exclusive de la précédente.

Compte-tenu de la requalification de la rupture en cause et de ce qu'il n'est pas contesté que M. [Q] a reçu la somme de 215 335 € au titre de l'indemnité spécifique de départ, il convient de déduire cette somme de celle de 242 825 € qu'il réclame sans être contredit au titre de l'indemnité de licenciement. Il reste donc du à ce titre à M. [Q] , la somme de 27 490 €

Cette situation donne, en outre, droit à M. [Q] à percevoir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse que la cour, compte-tenu des éléments produits aux débats, notamment de l'ancienneté de M. [Q] , du montant de son salaire brut mensuel ( 22 000 €) en sachant également qu'il dispose d'ores et déjà d'une pension de retraite pleine, est en mesure de fixer à 132 000 €.

M. [Q] réclame, en outre, des dommages et intérêts pour rupture prématurée et fautive du contrat de travail et pour perte de chance de se voir proposer un poste au sol, sans démontrer que ces préjudices invoqués sont distincts de ceux d'ores et déjà indemnisés par l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse précédemment allouée. Il ne peut donc qu'être débouté de ses demandes de ce chef.

Compte-tenu de ce que la rupture du contrat de travail de M. [Q] est qualifiée de licenciement sans cause réelle et sérieuse, et contrairement à ce que soutient Air France, M. [Q] bénéficie des dispositions relatives au droit individuel à la formation, ce dont il résulte qu'en ne lui notifiant pas ses droits à ce titre, la société Air France a commis un manquement engendrant pour son salarié un préjudice que la cour, compte-tenu du nombre d'heures acquises, est en mesure d'évaluer à la somme de 14 259 €.

Corrélativement, il convient d' ordonner d'office, en application de l'article L 1235-4 du code du travail, et dans la limite posée par cette disposition, le remboursement par la Sa Air France de toutes les indemnités de chômage payées à M. [Q] .

Le jugement déféré est, en conséquence, infirmé en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

- infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Dit que la rupture de la relation de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse

Condamne la Sa Air France à payer à M. [R] [Q] les sommes suivantes :

- 27 490 € à titre de solde d'indemnité de licenciement (compte-tenu de l'indemnité spécifique de rupture déjà perçue)

cette somme portant intérêts au taux légal à compter de la notification à la Sa Air France de sa convocation devant le bureau de conciliation

-132 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

-14 259 € au titre du non respect du droit individuel à la formation

ces sommes portant intérêts au taux légal à compter de la présente décision

Dit que les intérêts échus pour une année entière seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du code civil

Déboute M. [Q] pour le surplus

Ordonne d'office, en application de l'article L 1235-4 du code du travail, et dans la limite posée par cette disposition, le remboursement par la Sa Air France de toutes les indemnités de chômage payées à M. [Q]

Vu l'article 700 du code de procédure civile ;

La condamne à payer à M. [Q] la somme de 3 000 €

Déboute la Sa Air France de sa demande de ce chef

Condamne la Sa Air France aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 12/07208
Date de la décision : 16/10/2014

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°12/07208 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-10-16;12.07208 ?
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