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01/04/2015 | FRANCE | N°12/09386

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 01 avril 2015, 12/09386


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 01 Avril 2015



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/09386



Décision déférée à la cour : jugement rendu le 26 juin 2012 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section industrie - RG n° 10/10121









APPELANT

Monsieur [R] [P]

[Adresse 2]

[Adresse 5]

né le [Date naissance 1] 1959

compa

rant en personne, assisté de Me Emmanuelle BOUSSARD-VERRECCHIA, avocate au barreau de PARIS, E1355







INTIMEE

SA CRYOPAL venant aux droit de la société Air Liquide

[Adresse 7]

[Adresse 4]

SIRET n° 420...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 01 Avril 2015

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/09386

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 26 juin 2012 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section industrie - RG n° 10/10121

APPELANT

Monsieur [R] [P]

[Adresse 2]

[Adresse 5]

né le [Date naissance 1] 1959

comparant en personne, assisté de Me Emmanuelle BOUSSARD-VERRECCHIA, avocate au barreau de PARIS, E1355

INTIMEE

SA CRYOPAL venant aux droit de la société Air Liquide

[Adresse 7]

[Adresse 4]

SIRET n° 420 499 477 00024

[Adresse 3]

représentée par Me Cyprien PIALOUX, avocat au barreau de PARIS, P0461,

PARTIE INTERVENANTE :

FEDERATION NATIONALE DES INDUSTRIES CHIMIQUES CGT

[Adresse 1]

[Adresse 6]

représentée par Me Emmanuelle BOUSSARD-VERRECCHIA, avocate au barreau de PARIS, E1355

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 04 février 2015, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Christine ROSTAND, présidente de la chambre

Madame Joëlle CLÉROY, conseillère

Madame Aline BATOZ, vice présidente placée

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Chantal HUTEAU, lors des débats

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Christine ROSTAND, présidente et par Madame Marion AUGER, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

M. [R] [P] a été embauché le 10 octobre 1977 par un contrat à durée indéterminée, en qualité d'ouvrier OP1, par la SA Air Liquide, coefficient 170,selon la classification des emplois issue de la convention collective nationale de la métallurgie.

Il exerce depuis le 1er mai 2004 les fonctions de préparateur.

En mai 2011, les activités opérationnelles de la société Air liquide SA ont été filialisées et c'est dans ce cadre que le contrat de travail de M.[R] [P] a été transféré à la filiale Cryopal.

La société exerce une activité de gaz pour l'industrie, la santé, l'électronique et l'environnement et emploie plus de 10 salariés.

M. [R] [P] a adhéré au syndicat CGT en1979 et a été élu délégué du personnel de 1989 à 2009, ainsi que délégué syndical de 1991 à 1997. Ayant pris part en 1982 à une grève de plus d'un mois, son appartenance syndicale n'était plus ignorée de son employeur à compter de cette date.

Soutenant avoir été victime de discrimination syndicale et sollicitant le paiement de diverses sommes au titre d'un préjudice financier et moral, M. [R] [P] a saisi, le 29 juillet 2010, le conseil de prud'hommes de Paris qui par jugement du 26 juin 2012, a:

' débouté ce dernier de l'ensemble de ses demandes

' débouté la société de sa demande reconventionnelle

' condamné solidairement les parties aux entiers dépens

M. [R] [P] a régulièrement formé appel de cette décision et aux termes de ses écritures visées par le greffier et soutenues oralement à l'audience, demande à la cour d'appel de :

' constater la nullité du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 26 juin  2012;

' infirmer, à titre subsidiaire, le jugement rendu par le conseil de prud'hommes;

' dire et juger qu'il a été victime de discrimination syndicale;

' fixer au 1er janvier 2009 son coefficient de à 270 et son salaire de base hors ancienneté à 2.402 € bruts;

' dire que ce salaire devra être majoré annuellement des augmentations individuelles et générales moyennes perçues par la catégorie de salarié à laquelle il appartient, déduction faite des augmentations individuelles et générales dont il a bénéficié;

' fixer au 1er janvier 2013 son coefficient à 285 ;

' condamner la société Cryopal au rappel de salaire correspondant avec intérêts de droit à compter de la saisine du conseil, le tout sous astreinte de 100€ par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir;

' ordonner la délivrance des bulletins de salaire rectifiés à partir de janvier 2009, sous astreinte de 50€ par jour de retard à compter d'un délai de 15 jours en suite à la notification de la décision à intervenir;

' condamner la société Cryopal à lui verser les sommes de:

' 123 885,45 € au titre du préjudice financier subi

' 20 000 € en réparation du préjudice moral subi

' 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour violation des accords relatifs au droit syndical en vigueur au sein de l'entreprise et des dispositions conventionnelles

' 50 000 € à titre de dommages et intérêts pour violation de son obligation de sécurité de résultat

' 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

' ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil

' condamner la société Cryopal aux entiers dépens, y compris les frais d'exécution éventuels

La société Cryopal, venant aux droits de la société Air Liquide, a repris oralement à l'audience ses conclusions visées par le greffier et demande à la cour de :

' confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris

' rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de M. [P]

' condamner M. [P] à lui verser la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

La Fédération Nationale des Industries Chimiques CGT a repris oralement à l'audience ses conclusions visées par le greffier et demande à la cour de :

' constater la nullité du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 26 juin 2012,

' à titre subsidiaire, d'infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes,

' condamner in solidum les sociétés ALFI, ALEM, et Cryopal à verser au profit de la Fédération Nationale des Industries Chimiques CGT les sommes de:

' 10 000 € au titre du préjudice moral et financier, direct ou indirect

' 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

' condamner in solidum les sociétés ALFI, ALEM, Cryopal aux entiers dépens, y compris les frais d'exécution éventuels.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS

Sur la nullité du jugement du conseil de prud'hommes

Aux termes de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal impartial.

L'article 455 du code de procédure civile dispose que le jugement doit être motivé.

M. [P] soutient que le jugement du conseil de prud'hommes du 26 juin 2012 a été rendu le soir même de l'audience, sans aucun examen des dossiers, qu'il est identique à celui concernant les 10 autres salariés et qu'il ne comporte aucune motivation.

Le jugement du 26 juin 2012 ne mentionne, au titre des motifs de la décision, que la phrase suivante : «'Le conseil après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par jugement contradictoire en premier ressort, après examen des pièces déposées à la barre, les explications du demandeur et du défendeur, après l'observation et la comparaison des situations sur le panel mis en place et signé par les parties, déboute Monsieur [P] [R] de l'ensemble de ses demandes.'»

Il en résulte que cette décision n'est pas motivée. Il convient en conséquence d'en prononcer l'annulation et, dès lors que les parties ont présentement conclu sur le fond du litige, l'affaire est en état de recevoir une solution définitive devant la cour qui fera usage en l'espèce de son droit d'évocation en application de l'article 568 du code de procédure civile.

Sur la discrimination

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n°'2008-496 du 27'mai'2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article'L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'action, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de ses activités syndicales.

Selon l'article L.1134-1 du code du travail, en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, au vu desquels, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, M. [P] soutient que l'analyse du panel des comparants, élaboré conjointement par le syndicat CGT et la direction, révèle une inégalité de traitement au regard de la moyenne des salaires des salariés qui le composent, affirmant que seul le calcul via la moyenne permet une approche globale et réaliste de la situation salariale de chacun. M. [P] fait valoir en outre que les graphiques élaborés à partir de ce panel démontrent que le déroulement de sa carrière a cessé de suivre celui des autres agents dès que son engagement syndical est devenu visible.

Il ressort des pièces versées aux débats que M. [P] a été embauché au salaire mensuel de base de 2.522 francs par mois sur 13 mois, soit 2.732,17 francs correspondant à 416,52 € brut. Il est indiqué, dans le procès-verbal de clôture de l'examen des situations individuelles de représentants du personnel CGT établi entre la société Air Liquide et la CGT, que la date à partir de laquelle la société ALFI ne pouvait ignorer l'engagement syndical de M. [P] a été conjointement fixée à l'année 1982. Il ressort toutefois des panels annexés à ce procès-verbal que la situation de M. [P] n'a été examinée qu'à compter de 1991, pour être comparée à sa situation en 2008. Les parties ont donc retenu comme point de départ des activités syndicales significatives de M. [P], afin d'examiner l'évolution de sa carrière, la date de 1991.

Il n'est pas contesté qu'un panel de comparaison a été conjointement établi au cours de l'année 2009 par la direction et la CGT, rassemblant des salariés ayant des caractéristiques comparables à celles du salarié dont la situation est examinée, à savoir :

' une embauche au même coefficient

' une ancienneté et un âge comparable

' une qualification à l'embauche similaire

' une appartenance au même département Air Liquide.

M. [P] a ainsi bénéficié d'un panel de comparaison comprenant 11 salariés. Il en ressort qu'en 1991, il bénéficiait de la rémunération la plus élevée de tous ces salariés, soit un salaire de 774 € brut. En 2008, alors qu'il bénéficiait d'un salaire de 1.859 € et du coefficient 225, 10 de ces 11 salariés étaient nettement mieux rémunérés que lui (à savoir au minimum 200 € de plus) et trois d'entre eux étaient au coefficient 225. Les autres bénéficiaient d'un coefficient allant de 250 à 400. La moyenne des salaires des 11 salariés composant le panel s'élevait en 1991 à 658,54 € et en 2008 à 2.402 €. Ce mode de calcul doit être retenu en ce qu'il permet de tenir compte des niveaux de rémunération de chacun, les plus bas comme les plus hauts, et intègre donc de façon concrète les évolutions professionnelles de chacun, alors que le fait de retenir, comme le suggère l'employeur, le salaire médian, revient à éliminer les salaires les plus bas ainsi que les plus hauts, ce qui ne permet pas de refléter la diversité des possibilités d'évolution.

M. [P] percevait donc en 1991 une rémunération supérieure de 116 € à la moyenne des salariés du panel, et en 2008 d'une rémunération inférieure de 543 € à cette moyenne.

Il en résulte qu'à compter de 1991, date retenue comme marquant le point de départ des activités syndicales les plus marquantes de M. [P], la carrière de celui-ci, tant en terme de coefficient que de rémunération, a connu un décrochage certain. M. [P] établit ainsi l'existence matérielle de faits pouvant laisser présumer l'existence d'une discrimination à son encontre.

La société Cryopal, venant aux droits de la société Air Liquide, conteste toute discrimination syndicale dans l'entreprise. Elle expose que 348 salariés sont élus et/ou mandatés, et que seuls 9 d'entre eux se prétendent discriminés. La société soutient qu'aucun d'eux n'est le plus mal placé au sein de son panel de comparant, qu'ils sont au niveau ou proches de la médiane, qu'aucun arrêt ou ralentissement de leur évolution professionnelle n'est perceptible ou notable depuis que la date de leur appartenance syndicale a été connue. Elle précise que la politique de rémunération repose sur trois principes : la performance, la fonction et le marché, les contributions des collaborateurs étant évaluées chaque année.

La société Cryopal expose que le panel n'est pas probant dès lors qu'il comprend 5 salariés embauchés au coefficient 170 mais de la convention collective de la chimie, et non de la métallurgie, comme M. [P]. Il convient toutefois de relever que la société ne justifie pas de ses allégations sur ce point.

Elle ajoute que le panel est composé exclusivement de salariés qui ne travaillent pas au sein de Cryopal et qui, avant la filialisation en 2011, ne travaillaient pas au sein de l'établissement DMC, ce qu'elle ne démontre pas. Il convient en outre de rappeler que le panel a été élaboré entre la fin d'année 2008 et le 1er février 2010, soit antérieurement à la filialisation des activités opérationnelles de la société Air Liquide, de sorte que la société Cryopal est mal fondée à opposer le fait que les salariés du panel n'y travaillent pas. En tout état de cause, la société Cryopal ne saurait valablement remettre en cause la composition du panel qui a été conjointement validée par la société Air Liquide et la CGT le 1er février 2010.

La société prétend qu'au sein de la société Cryopal, quatre salariés exercent les mêmes fonctions que M. [P], et que seuls deux d'entre eux ont une rémunération supérieure à la sienne. Elle produit à cet égard un tableau, dont il ressort que ces salariés n'ont ni le même âge, ni la même ancienneté, ni les mêmes coefficient et qualification à l'embauche, et qu'ils n'ont pas davantage le même coefficient et la même qualification aujourd'hui. Toute comparaison de salaire avec ces quatre salariés est donc inopérante.

La société Cryopal, fait valoir par ailleurs que M. [P] gomme totalement toute analyse de la performance, alors que le niveau de performance des représentants du personnel est inférieur à celui de l'ensemble des salariés.

Elle explique la différence de traitement telle qu'elle résulte de l'analyse du panel par l'insuffisance professionnelle avérée de M. [P] depuis de nombreuses années, ainsi que par l'absence de progrès malgré les nombreuses formations continues dont il a pu bénéficier. Elle ajoute que, sur une échelle de A à E, la performance de M. [P] était évaluée à D, correspondant à «'insuffisant'», et que seuls 4% des salariés du groupe Air Liquide sont ainsi notés. La société Cryopal expose qu'à plusieurs reprises, il a été relevé qu'il n'avait pas réalisé, ou n'avait réalisé que partiellement, les objectifs fixés. Elle fait valoir en outre qu'elle a notifié un avertissement à M. [P] en 1989 en raison de des contestations par rapport aux instructions données, de ses nombreux déplacements dans l'usine, et de la mauvaise qualité de son travail.

Au soutien de ces affirmations, la société Cryopal verse aux débats les entretiens individuels d'évaluation de 2002 et de 2009, et M. [P] produit ses entretiens d'évaluation de 2005 à 2007 inclus. Il n'est pas contesté qu'aucun entretien n'a été réalisé en 2008. Il en résulte qu'en 2002, la performance de M. [P] n'a pas été évaluée, et que si des objectifs lui sont fixés pour la période à venir, il n'est pas précisé si ses objectifs précédents ont été réalisés ou non. En 2005, deux objectifs sont partiellement réalisés et les deux autres sont réalisés. En 2006, un objectif (tenant à l'absence totale d'accident), n'est pas réalisé, un autre est partiellement réalisé et les deux autres sont réalisés. En 2007, les deux objectifs non réalisés et partiellement réalisés sont de nouveau mentionnés, mais les trois autres objectifs sont réalisés. L'entretien d'évaluation de 2009 fait apparaître en revanche que sa performance pour l'année écoulée est considérée comme insuffisante et évaluée à la note D, mais ne fait pas état d'objectifs non réalisés ou partiellement réalisés. Ces éléments sont insuffisants pour établir les manquements professionnels allégués, au regard des 31 ans d'ancienneté dont bénéficiait M. [P] au sein de l'entreprise en 2008, puisqu'il n'est pas établi que ses performances ont, au cours des autres années, été mal évaluées. Il importe donc peu que 4% seulement des salariés de l'entreprise soient évalués comme lui à la note D. A cet égard, M. [P] communique ses entretiens d'évaluation de 2010 à 2014, dans lesquels ses performances sont à chaque fois considérées comme «'bonnes'».

En outre, faute pour l'employeur de verser aux débats des pièces permettant de connaître les performances des autres salariés faisant partie du panel précité, les deux compte-rendus d'évaluation de M. [P] communiqués ne constituent pas un élément probant pour établir que la différence de rémunération entre lui et les autres salariés avec lesquels il est comparé dans le cadre du panel se trouve justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La société Cryopal communique l'avertissement notifié à M. [P] le 18 avril 1989 aux termes duquel il lui est reproché, outre une mauvaise qualité de son travail, d'avoir adopté une attitude désinvolte, voire ironique, l'ayant conduit à contester les instructions de ses supérieurs, d'avoir effectué de nombreux déplacements dans l'usine, non justifiés par ses activités professionnelles, ce qui a entraîné des perturbations dans le bon fonctionnement du travail de l'atelier et eu des répercussions sur la productivité de l'ensemble. Il y a toutefois lieu de souligner qu'il s'agit du seul incident disciplinaire allégué alors même que M. [P] bénéficie aujourd'hui d'une ancienneté de plus de 37 ans, et qui ne l'a pas empêché, deux ans plus tard, d'être le mieux rémunéré des salariés composant son panel de comparaison. En outre, la société ne prétend ni ne démontre que les autres salariés du panel seraient exempts de tout incident disciplinaire.

L'employeur échoue ainsi à démontrer que les faits matériellement établis par M. [P] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La discrimination syndicale est ainsi établie.

Aux termes de l'article L.1134-5 du code du travail, les dommages et intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée.

Dès lors que le salaire mensuel moyen résultant de l'étude du panel s'élève au 31 décembre 2008 à la somme de 2.402 €, et le coefficient moyen à 235, il convient de fixer le salaire de M. [P] à compter du 1er janvier 2009 à la somme de 2.402 € et son coefficient à 235, et de condamner la société ALFI au rappel de salaire en découlant.

M. [P] demande que ce salaire soit majoré des augmentations annuelles moyennes perçues par la catégorie du salarié, et que son coefficient soit fixé à 285 à compter du 1er janvier 2013, sans autre précision. Il ne développe aucun argument au soutien de ces demandes. En tout état de cause, M. [P] ne saurait opérer une comparaison avec l'ensemble des salariés de sa catégorie, dès lors qu'aucun élément ne permet de démontrer qu'il se trouve dans une situation identique à cet ensemble de salariés. Il n'y a donc pas lieu de faire droit à ces demandes.

En outre, s'agissant d'une fixation de salaire et de coefficient et d'une condamnation au rappel de salaire consécutif à ces fixations, dont le montant n'est pas fixé, ces dispositions ne peuvent être assorties d'une astreinte.

Compte tenu des circonstances de la discrimination subie, de sa durée, et des conséquences dommageables qu'elle a eu pour M. [P] telles qu'elles ressortent des pièces et des explications fournies et notamment du manque à gagner mensuel en termes de rémunération à compter de la date retenue comme marquant le début de son engagement syndical significatif en 1991 jusqu'au 31 décembre 2008, le préjudice en résultant pour lui doit être évalué à la somme de 47.243,17 €, ainsi que la somme de 14.172,95 € au titre de l'incidence sur la retraite, soit la somme totale de 61.416,12 €, avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt.

Sur la demande indemnitaire afférente de la Fédération Nationale des Industries Chimiques (FNIC) CGT

La Fédération Nationale des Industries Chimiques (FNIC) CGT qui, nonobstant ce que soutient l'intimée, est valablement représentée par son secrétaire fédéral - M. [E] - habilité sur le fondement de l'article 29 de ses statuts à agir en justice «chaque fois que la FNIC CGT a un intérêt à agir», a subi, au sens des articles L2131-1 et L.2132-3 du code du travail, en raison des agissements de discrimination syndicale au détriment de M. [P], «un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession» qu'elle représente.

La Sa Cryopal sera en conséquence condamnée à payer au syndicat FNIC CGT, partie intervenante volontaire en cause d'appel, la somme indemnitaire à ce titre de 3.000 € avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt.

Sur le préjudice moral

M. [P], qui soutient avoir été victime de la part de son employeur d'une marginalisation en raison de ses activités syndicales, ainsi que d'une dévalorisation face aux autres salariés qui constituent la base des électeurs, ce qui aurait pu mettre gravement en cause sa santé, ne produit aucune pièce au soutien de ses allégations, et permettant d'établir l'existence d'un quelconque préjudice à ce titre.

En conséquence, M. [P] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral.

Sur la violation de l'accord d'entreprise

En application de l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. L'employeur qui ne respecte pas les dispositions conventionnelles et accords d'entreprises s'imposant à lui manque à cette obligation, et est tenu de réparer le préjudice en résultant.

M. [P] soutient que la société n'a pas respecté l'accord d'entreprise sur le droit syndical, qui dispose en son article 5 que «'l'engagement syndical et de représentation du personnel ne doit pas empêcher, modifier ou ralentir l'évolution professionnelle en terme de promotion et de salaire'», et en son article 11 que «'la moindre disponibilité d'un salarié mandaté ne doit pas intervenir dans l'évaluation par sa hiérarchie de la performance réalisée'».

La société Cryopal, venant aux droits de la société Air Liquide, souligne qu'aux termes de l'accord de droit syndical signé le 11 septembre 2002 entre la direction et les organisations syndicales représentatives, dont la CGT, la direction s'est engagée à ce que le pourcentage de représentants promus et/ou augmentés ne soit pas inférieur à celui obtenu pour l'ensemble des salariés.

Compte tenu des développements qui précèdent, il est cependant établi que l'article 5 de l'accord d'entreprise n'a pas été respecté à l'égard de M. [P].

Il convient donc de condamner la société Cryopal à verser à M. [P] la somme de 3.500 € à titre de dommages et intérêts.

Sur la remise des bulletins de salaires rectifiés

Il y a lieu d'ordonner la remise des bulletins de salaire conformes à la présente décision à compter du 1er janvier 2009, sans qu'il n'apparaisse nécessaire d'assortir cette remise d'une astreinte, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur la demande indemnitaire au titre de l'obligation de sécurité de résultat

Au soutien de sa demande de ce chef, M. [P] rappelle qu'il a été chaudronnier-soudeur sur les sites de [Localité 3] et de [Localité 2] de 1977 à 1985 avant de rejoindre celui de [Localité 1] à compter de l'année 1986, que tous ont été recensés par la société Air Liquide elle-même comme ayant pu provoquer une exposition de ses salariés à l'amiante, qu'il y était en effet utilisé de manière quotidienne des matériels avec de l'amiante comme il leur était demandé fréquemment d'usiner des pièces en contenant, qu'il n'y avait aucune protection individuelle et collective réellement adaptée contre les risques physiques en découlant dès lors que, notamment, le système de chauffage de l'atelier reposait sur un calopulseur projetant partout des poussières d'amiante à défaut d'une aspiration adéquate, ce que ne pouvait ignorer l'employeur, et que malgré de telles conditions de travail il n'y a eu aucune information sur les risques pour leur santé, ce qui constitue, selon lui, un manquement de l'intimée à son obligation de sécurité de résultat au visa de l'article L.4121-1 du code du travail.

Contrairement à ce qu'objecte sur ce point la société Cryopal, au vu des pièces produites par l'appelant, il apparaît qu'au début des années 1980 le groupe industriel Air Liquide présentait déjà un risque sérieux lié à l'amiante suite à la détection d'un cas d'«asbestose», que la commission d'hygiène et de sécurité à la même époque insistait sur la situation des «personnes manipulant des produits à base d'amiante»; que le chargé de sécurité courant 1985 indiquait encore que «certaines fibres d'amiante peuvent occasionner à longue échéance des lésions de l'appareil respiratoire inscrites au tableau n°30 des maladies professionnelles»; que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail s'étonnait toujours dans un compte rendu de réunion du 27 mars 2006 du peu de communication sur cette question de la part des instances dirigeantes, et que plusieurs témoignages de salariés viennent confirmer une utilisation régulière et massive de produits ou d'éléments d'équipement à base d'amiante sans aucune protection individuelle adaptée et encore moins collective.

En vertu du contrat de travail le liant aux salariés, l'employeur est tenu envers ceux-ci d'une obligation générale de sécurité de résultat en matière de protection de leur santé ainsi que de leur sécurité dans l'entreprise, ce dont l'intimée s'est manifestement abstenue pour les raisons venant d'être exposées, en violation des prescriptions posées par l'article L.4121-1 du code du travail, texte rappelant que «l'employeur prend les mesures nécessaires» en ce sens.

La société Cryopal sera en conséquence condamnée à payer à M. [P] la somme indemnitaire à ce titre de 20.000 € en réparation du préjudice qu'il a subi consécutivement à ce manquement de l'intimée, avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt.

Sur la capitalisation des intérêts

Il convient d'ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1154 du code civil, laquelle est de droit.

La société Cryopal sera condamnée à verser à M. [P] la somme de 2.000 € et au syndicat FNIC CGT celle de 600 €, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

ANNULE le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 26 juin 2012 ;

ÉVOQUE l'affaire et statuant,

FIXE à compter du 1er janvier 2009 le salaire de base de M. [P] à la somme de 2.402€ brut et son coefficient à 235 ;

CONDAMNE la société Cryopal au rappel de salaire en découlant avec intérêts de droit à compter du 25 août 2010 ;

DÉBOUTE M. [P] de sa demande tendant à assortir cette condamnation d'une astreinte ;

CONDAMNE la société Cryopal à verser à M. [P] les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision :

' 61.416,12 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la discrimination

' 3.500 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du non respect de l'accord d'entreprise

' 20'000 € d'indemnité pour violation de l'obligation de sécurité de résultat

CONDAMNE la société Cryopal à payer au syndicat FNIC CGT la somme de 3'000 € à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt

ORDONNE la remise des bulletins de salaire à compter du 1er janvier 2009 conformes à la présente décision ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1154 du code civil ;

DÉBOUTE M. [P] du surplus de ses demandes ;

CONDAMNE la société Cryopal à verser à M. [P] la somme de 2.000 € et au syndicat FNIC CGT la somme de 600 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Cryopal aux dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 12/09386
Date de la décision : 01/04/2015
Sens de l'arrêt : Annulation

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°12/09386 : Annule la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-04-01;12.09386 ?
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