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04/06/2015 | FRANCE | N°13/21713

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 04 juin 2015, 13/21713


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5



ARRET DU 04 JUIN 2015



(n° , 15 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 13/21713



Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Juillet 2013 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - 3ème chambre 4ème section - RG n° 12/07257







APPELANTE



SAS AGORESPACE

ayant son siège social [Adresse 5]

[Adresse

5]

prise en la personne de son Président, Monsieur [T] [P], domicilié en cette qualité audit siège



Représentée par Me Pascale FLAURAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0090

Assistée...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5

ARRET DU 04 JUIN 2015

(n° , 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 13/21713

Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Juillet 2013 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - 3ème chambre 4ème section - RG n° 12/07257

APPELANTE

SAS AGORESPACE

ayant son siège social [Adresse 5]

[Adresse 5]

prise en la personne de son Président, Monsieur [T] [P], domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Pascale FLAURAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0090

Assistée de Me François GREFFE, avocat au barreau de PARIS, toque : E0617

INTIMES

Monsieur [N] [E]

ayant son siège social [Adresse 4]

[Adresse 4]

n'ayant pas constitué avocat, régulièrement assigné

Monsieur [D] [Z]

né le [Date naissance 2] 1955 à [Localité 1], de nationalité française, chef d'entreprise

demeurant [Adresse 3]

[Adresse 3]

Représenté par Me Frédéric BURET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1998

Assisté de Me Brigitte DAILLE DUCLOS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0419

Monsieur [Y] [K], ès qualités de gérant de la société co-intimée AGORA SPORTS CONSEIL

né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 3] (66)

demeurant [Adresse 2]

[Adresse 2]

SARL AGORA SPORTS CONSEIL

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

prise en la personne de son Gérant, Monsieur [Y] [K], domicilié en cette qualité audit siège

Représentés par Me Pierre ROQUEFEUIL, avocat au barreau de PARIS, toque : C0627

Ayant pour avocat plaidant Me Cédric PIVETTA, avocat au barreau des PIRÉNÉES ORIENTALES (case 136), substituant Me Pierre ROQUEFEUIL, avocat au barreau de PARIS, toque : C0627

SA DECAGORA

ayant son siège social [Adresse 4]

[Adresse 4]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

n'ayant pas constitué avocat, régulièrement assignée

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Février 2015, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président, et Monsieur Olivier DOUVRELEUR, Conseiller, chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Colette PERRIN, Présidente de chambre

Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président

Monsieur Olivier DOUVRELEUR, Conseiller

Greffier, lors des débats : Monsieur Bruno REITZER

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Colette PERRIN, Présidente et par Monsieur Bruno REITZER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

Faits et procédure

La société de droit suisse Agora, dont M. [N] [E] était administrateur, a conçu en 1988, sous la dénomination « Agorespace », le concept de « terrains multisports de proximité », permettant la pratique, en libre accès et sur un même terrain, de divers sports (football, basketball, tennis, handball, etc.). A la suite de difficultés financières, qui ont conduit à la liquidation de cette société en 1995, M. [E] s'est associé en 1992, à parts égales, avec M. [P] au sein de la société Agorespace, ayant pour objet la fabrication et la commercialisation de ce produit. M. [P] a ensuite acquis l'intégralité du capital de la société Agorespace dont il a pris la direction.

La société de droit suisse Decagora SA a été créée en 2012 par M. [E] pour promouvoir le lancement d'un produit qu'elle décrit comme consistant en un espace d'activités sportives, ludiques et culturelles. Ayant été approché par M. [E], M. [D] [Z] a décidé d'investir dans cette société, dont il devenu administrateur.

Dans le courant de l'année 2011, la société Agorespace a été amenée à suspecter la société Decagora SA de se livrer à son préjudice à une concurrence déloyale et parasitaire. Aussi a-t-elle fait procéder à deux constats d'huissier consistant dans la consultation du disque dur des ordinateurs d'un de ses salariés et d'un de ses agents commerciaux. Estimant qu'elle détenait la preuve qu'elle était victime d'agissements ayant conduit à sa désorganisation, à la baisse de son chiffre d'affaires de plus de 300 000 euros et en 2011 et de 30 % au premier trimestre 2012, la société Agorespace a, les 23 et 24 avril 2012, assigné devant le tribunal de grande instance de Paris les sociétés Decagora, Agora Sports Conseil et ABLM France ainsi que [N] [E], [D] [Z] et [Y] [K] pour actes de concurrence déloyale.

Par jugement rendu le 11 juillet 2013 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Paris a :

- dit que les sociétés Decagora et Agora Sports Conseil ont commis des fautes à l'égard de la société Agorespace ayant eu pour conséquence une désorganisation du service commercial de la demanderesse ;

- dit que [N] [E], [D] [Z] et [Y] [K] ont commis des fautes détachables de leurs fonctions engageant leurs responsabilités personnelle ;

- dit que la société ABLM n'a pas commis de faute au préjudice de la société Agorespace ;

- condamné in solidum les sociétés Decagora, Agora Sports Conseil, [N] [E], [D] [Z] et [Y] [K] a payer à la société Agorespace la somme de 200 000 € en réparation de son préjudice résultant de la désorganisation de son service commercial ;

- rejeté la demande d'indemnisation de la société Agorespace au titre du préjudice commercial ;

- fait injonction aux sociétés Decagora, Agora Sports Conseil, ABLM, ainsi qu'à [N] [E], [D] [Z] et [Y] [K] de cesser de faire usage en France des dénominations Decagora et Agora pour désigner une activité de fabrication et de commercialisation des terrains multisports dans le délai de six mois suivant la signification du jugement, sous astreinte de l 000 € par infraction constatée passé ce délai, se réservant la liquidation de l'astreinte ;

- rejeté l'ensemble des demandes reconventionnelles,

- condamné in solidum les sociétés Decagora, Agora Sports Conseil, [N] [E], [D] [Z] et [Y] [K] à payer à la société Agorespace la somme de 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu l'appel interjeté par la société Agorespace le 13 novembre 2013 contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Agorespace le 16 janvier 2015 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

- débouter M. [Z] de ses demandes reconventionnelles,

- confirmer le jugement du 11 juillet 2013 en ce qu'il a :

* dit que les sociétés Decagora et Agora Sports Conseils ont commis des fautes à l'égard de la société Agorespace ayant eu pour conséquence une désorganisation de son service commercial ;

* dit que M. [E], M. [Z] et M. [K] ont commis des fautes détachables de leur fonction engageant leur responsabilité personnelle ;

- condamner in solidum les sociétés Decagora, Agora sports conseils, MM. [E], [Z] et [K] à payer à la société Agorespace la somme de 1 128 869 € en réparation de son préjudice résultant de la désorganisation de son service commercial et au titre du préjudice commercial ;

- dire et juger en effet que la société Agorespace justifie du préjudice qu'elle a subi ;

- condamner in solidum les sociétés Decagora, Agora Sports Conseils, MM. [E], [Z] et [K] à payer à la société Agorespace la somme de 102 445,80 euros correspondent aux honoraires et frais engagés pour la présente affaire ;

- condamner in solidum les sociétés Decagora, Agora sports conseils, MM. [E], [Z] et [K] à payer à la société Agorespace la somme de 26 211,28 € correspondant au coût d'étude et de préparation du dossier par la direction ;

- condamner in solidum les sociétés Decagora, Agora sports conseils, MM. [E], [Z] et [K] à payer à la société Agorespace la somme de 135 023,17 € correspondant au coût de la formation et du recrutement des nouveaux commerciaux ;

- confirmer le jugement du 11 juillet 2013 en ce qu'il a fait injonction aux sociétés Decagora, Agora Sports Conseils, ABLM ainsi qu'a MM. [E], [Z] et [K] de cesser de faire usage en France des dénominations Decagora et Agora pour désigner une activité de fabrication et commercialisation des terrains multisports et ce, sous astreinte de 5 000 € par infraction constatée ;

- condamner in solidum les sociétés Decagora, Agora sports conseils, MM. [E], [Z] et [K] à payer à la société Agorespace la somme de 80 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

La société Agorespace rappelle que le tribunal a jugé que les intimés avaient commis à son préjudice des actes de concurrence déloyale et qu'il les a, en conséquence, condamnés au paiement de dommages et intérêts à hauteur de 200 000 euros, mais qu'il a refusé d'indemniser le préjudice résultant de la perte de chiffre d'affaires, en considérant que la preuve de ce préjudice n'était pas prouvée. Elle affirme qu'elle rapporte devant la Cour la preuve de ce préjudice, qu'elle évalue à la somme totale de 1 370 605 euros.

Elle soutient que les produits commercialisés par la société Decagora sont similaires aux siens et qu'ils sont destinés à une même clientèle, puisqu'ils consistent en terrains de sport aménagés, dotés d'une structure enveloppante et s'adressant à tout type d'utilisateurs. Elle reproche à la société Decagora d'avoir, en collaboration avec les sociétés Agora Sports Conseil et ABLM et avec MM. [K], [E] et [Z], débauché en l'espace de six mois plus de la moitié de ses salariés et un de ses agents commerciaux. Elle fait valoir que ce débauchage massif et déloyal est démontré par les constatations faites dans le cadre de la consultation des disques durs d'ordinateurs à laquelle il a été procédé par huissier de justice.

Enfin, la société Agorespace soutient que la dénomination « Decagora » de la société créée par MM. [E] et [Z] est une imitation de la dénomination « Agorespace ».

En ce qui concerne son préjudice, la société Agorespace soutient que, par ses agissements déloyaux, la société Decagora a détourné une partie de sa clientèle et a économisé les coûts de constitution de son équipe commerciale. Elle considère que l'indemnisation que lui a accordée le tribunal, au titre de la désorganisation de son entreprise, ne couvre pas tout son préjudice, qui consiste également en chiffre d'affaires non réalisé, en honoraires et frais divers, en coût d'étude de préparation du dossier et en formation et recrutement des nouveaux commerciaux, et elle demande à ces différents titres les sommes, respectivement, de 1 128 869 euros, 102 45,80 euros, 22 611,28 euros et 135 023,17 euros.

Vu les dernières conclusions signifiées par M. [Z] le 19 décembre 2014 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu l'article 16 du code de procédure civile,

- écarter des débats les conclusions et les pièces signifiées par la société Agorespace le 16 janvier 2015 ;

Subsidiairement,

- ordonner la révocation de la clôture et déclarer recevable les présentes conclusions ;

Vu notamment les articles 31 et 32-1 du code de procédure civile, et l'article 1382 du code civil,

- infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 11 juillet 2013 en ce qu'il a jugé que l'action de la société Agorespace à l'encontre de Monsieur [D] [Z] était recevable ;

En conséquence,

- débouter la société Agorespace de sa demande de condamnation de M. [Z] in solidum avec les autres intimés au paiement de la somme de 1 128 809 euros au titre de son prétendu « préjudice commercial » ;

- la débouter de sa demande de condamnation de M. [Z] in solidum avec les autres intimés au paiement de la somme de 102 445,80 euros au titre de frais et honoraires ;

- constater que cette demande condamnation au titre de frais et honoraires est présentée deux fois, puisque la société Agorespace demande la condamnation de M. [Z] in solidum avec les autres intimés au paiement d'une somme de 80 000 euros, non justifiée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter la société Agorespace de sa demande de condamnation de M. [Z] in solidum avec les autres intimés au paiement de la somme de 26 211,28 euros au titre du prétendu « coût d'étude et de préparation du dossier par la Direction » ;

- la débouter de sa demande de condamnation de M. [Z] in solidum avec les autres intimés au paiement de la somme de 135 023,17 euros au titre du prétendu coût de formation et de recrutement de nouveaux commerciaux ;

- débouter la société Agorespace de ses entières demandes ;

- condamner la société Agorespace à rembourser les sommes de 200 000 € et de 8 000 € qui lui ont été payées en exécution du jugement du tribunal de grande instance de Paris du 11 juillet 2013 ;

- la condamner au paiement de la somme de 1 159 536 € à M. [Z] à titre de dommages-intérêts ;

- la condamner au paiement de la somme de 50 000 € à M. [Z] en réparation de ses propos diffamatoires ;

- la condamner au paiement de la somme de 10 000 € à M. [Z] à titre de dommages-intérêts pour appel abusif ;

- la condamner au paiement de la somme de 30 000 € à M. [Z] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre liminaire, M. [Z] demande à la Cour de révoquer l'ordonnance de clôture, afin de rendre recevables les conclusions qu'il a signifiées postérieurement, en réponse aux conclusions de l'appelant signifiées quatre jours avant cette clôture.

Sur le fond, M. [Z] expose qu'il a fait la connaissance en 1991 de M. [E], qui était à l'époque associé avec M. [P] de la société Agorespace, et que M. [E] a repris contact avec lui longtemps après, en 2010, alors qu'il était à la recherche d'investisseurs pour le lancement et le financement d'un projet fondé sur un concept socio-éducatif nouveau. A caractère intergénérationnel et dénommé « Décagora », ce concept consistait en un terrain de sport de forme décagonale et de taille réduite, destiné à favoriser l'exercice physique, ludique et intellectuel des « seniors » et à développer la pratique d'activités communes de « seniors » avec de jeunes enfants. Il indique avoir accepté d'investir dans ce projet, M. [E] ayant créé à cette fin une société de droit suisse, Decagora SA, mais sans exercer aucun rôle actif dans la direction et le management de cette société.

Sur le fond, M. [Z] soutient qu'il n'est responsable d'aucun débauchage de salariés de la société Agorespace, et qu'il n'a pas participé aux « réunions Decagora » qui se seraient tenues avec ces derniers. Il fait valoir, par ailleurs, que sa responsabilité personnelle ne saurait être retenue sur le fondement du droit français, mais seulement sur le fondement du droit suisse. A titre subsidiaire, si la Cour jugeait que le droit français est applicable, M. [Z] lui demande d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu sa responsabilité personnelle.

M. [Z] soutient que les produits « Agorespace » et « Decagora » sont différents : alors que « Agora » est un espace pour les jeunes, autogéré par ceux-ci et uniquement dédiés à la pratique de sports, « Decagora » est un espace intergénérationnel pour les personnes à capacité réduite, avec un animateur et dédié à des activités de caractère médico-sportif. Il fait valoir que le produit « Decagora » ne reprend pas les caractéristiques essentielles du produit « Agorespace » et qu'il n'est pas, comme celui-ci, un terrain multisports ; il s'en distingue par sa forme décagonale, et il ne comporte ni palissade, ni panneaux, ni planches disposées en chevrons ; il ne s'adresse pas à la même clientèle puisqu'il est destiné non pas aux communes voulant mettre un espace à disposition de jeunes, mais aux particuliers, aux maisons de retraite, aux hôpitaux ou aux communes souhaitant un espace dédié aux seniors et aux très jeunes enfants. En revanche, M. [Z] signale que plus d'une quinzaine de sociétés commercialisent des terrains identiques ou similaires à ceux de la société Agorespace et destinés à une clientèle identique.

S'agissant du débauchage de salariés de la société Agorespace, M. [Z] souligne que ceux-ci n'ont en définitive pas été embauchés par la société Decagora. Il soutient que ces salariés ont quitté la société Agorespace du fait de la dégradation des relations avec leur employeur, des problèmes de qualité des produits et de la baisse de leurs commission. Ces circonstances expliquent, selon lui que ces salariés aient recherché d'autres solutions professionnelles.

Enfin, M. [Z] soutient que ni sur le plan visuel, phonétique ou conceptuel, les dénominations « Agorespace » et « Decagora » ne présentent aucune similitude entre elles.

En ce qui concerne le préjudice que la société Agorespace prétend avoir subi, M. [Z] soutient qu'elle ne démontre pas la désorganisation qui aurait résulté du départ de ses salariés. Il fait valoir, par ailleurs, que les difficultés financières et les pertes de marge alléguées par la société Agorespace sont exclusivement imputables à elle-même et résultent des erreurs de gestion commises par sa direction. Elle considère que le chiffrage auquel la société Agorespace a procédé au titre de différents chefs de préjudice et incohérent et n'est prouvé par aucune pièce.

Enfin, M. [Z] soutient que l'action engagée par la société Agorespace a empêché la société Decagora d'exercer normalement son activité et a, en conséquence, déprécié son investissement ; il considère, par ailleurs, que les écritures de la société Agorespace comportent des passages dénigrants et qui attentent à son honneur et à sa considération. Aussi demande-t-il, en réparation, l'allocation des sommes de 1 159 536 euros et de 50 000 euros, ainsi que de la somme de 10 000 euros pour appel abusif.

Vu l'ordonnance sur incident du 27 novembre 2014 déclarant tardives et irrecevables les conclusions signifiées le 21 juillet 2014 par M. [K] et la société Agora Sports Conseil.

La société Decagora et M. [E] n'ont pas constitué avocat et n'ont pas déposé de conclusions.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la demande tendant au report de la clôture

Considérant que la clôture de l'instruction de la présente affaire ayant été fixée au 22 janvier 2015, la société Agorespace a signifié de nouvelles conclusions le 16 janvier 2015 ; que M. [Z] qui avait signifié des conclusions récapitulatives le 19 novembre 2014, a, en réponse, signifié des conclusions récapitulatives n° 2 le 12 février 2015 ; qu'il demande à la Cour de révoquer l'ordonnance de clôture et de déclarer recevable ces dernières conclusions ou, à défaut de rejeter les conclusions signifiées le 16 janvier 2015 par la société Agorespace ;

Considérant qu'il ressort du dossier que dans les conclusions qu'elle a signifiées le 16 janvier 2015, la société Agorespace a augmenté, par rapport à ses précédentes écritures, le montant d'une de ses demandes, en portant de la somme 84 102,51 euros à la somme de 102 445,80 euros le montant de dommages et intérêts réclamés au titre des « frais et honoraires » qu'elle aurait engagés dans le cadre de la présente procédure ; que, par ailleurs, ces mêmes conclusions étaient accompagnées de neuf nouvelles pièces n° 108 à 113-4 ; que le caractère contradictoire de la procédure commande que M. [Z] puisse répondre, comme il l'a fait dans les conclusions qu'il a signifiées le 12 février 2015, aux modifications de la demande de l'appelant et à ses nouveaux éléments de preuve ; qu'il y a lieu, en conséquence, de reporter la clôture de l'instruction de l'affaire au 18 février 2015 ;

Sur la recevabilité de la demande dirigée contre M. [Z]

Considérant que dans le dispositif de ses conclusions, M. [Z] demande à la Cour, au visa des articles 31 et 32-1 du code de procédure civile et 1382 du code civil, de « déclarer irrecevable l'action de la société Agorespace » dirigée à son encontre ; qu'il ne présente, par ailleurs, aucun moyen ni argument à l'appui de cette de demande ;

Considérant que l'article 31 du code de procédure civile ouvre l'action en justice à « tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention » ; que la société Agora prétend que M. [Z] a commis à son préjudice des fautes qui engagent sa responsabilité civile ; qu'elle a en conséquence intérêt à agir contre lui en réparation du préjudice qu'elle allègue et que son action est dès lors recevable ;

Sur le droit applicable

Considérant que M. [Z] reproche aux premiers juges d'avoir retenu sa responsabilité personnelle par application du droit français, alors que le droit suisse était, selon lui, seul applicable ; qu'il fait valoir, en effet, que les faits qui lui sont reprochés s'inscrivent dans le cadre de l'exercice de ses fonctions d'administrateur de la société de droit suisse Decagora SA et que, dès lors, ils doivent être appréciés au regard de la lex societatis, donc de la loi suisse ;

Mais considérant que les faits pour lesquels la responsabilité personnelle de M. [Z] est recherchée ne mettent en cause ni l'organisation, ni le fonctionnement de la société Decagora SA, pas plus que les rapports entre ses différents organes ; que dans la mesure où il est reproché à M. [Z] d'avoir participé à des agissements constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire, la Cour est invitée à apprécier les faits en cause au regard des dispositions de l'article 1382 du code civil, afin de déterminer s'ils caractérisent des fautes qui auraient été commises personnellement par M. [Z] ; que la nationalité de la société Decagora SA est, dès lors, indifférente à cette recherche et que le jugement sera confirmé en ce qu'il a fait application du droit français ;

Sur les agissements constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire reprochés aux intimés

Considérant que le tribunal a jugé que les sociétés Decagora et Agora Sports Conseil avaient commis des fautes à l'égard de la société Agorespace ayant entrainé une désorganisation du service commercial de celle-ci ; qu'il a jugé également que M. [Z] ainsi que MM. [E] et [K] avaient commis des fautes détachables de leurs fonctions et engageant leur responsabilité personnelle ; qu'il les a, en conséquence, condamnés in solidum à payer à la société Agorespace la somme de 200 000 euros en réparation de son préjudice ;

Considérant que la fonction commerciale de la société Agorespace était assurée, au début de l'année 2011, par douze salariés et deux agents commerciaux ; qu'il est établi que six de ces salariés et un de ces agents commerciaux ' la société Agora Sports Conseil en la personne de M. [K] - ont, alors qu'ils étaient encore au service de la société Agorespace, eu des contacts avec les dirigeants de la société Decagora France. MM. [E] et [Z], dans la perspective du lancement du concept de terrains de sports et de jeux « Decagora » et de la constitution de la société Decagora France ; que ces personnes ont constitué l'équipe de commerciaux sur lesquels les dirigeants de la société Decagora France comptaient s'appuyer pour lancer cette société ; que, comme le tribunal l'a relevé, ce projet reposait presque exclusivement sur les salariés commerciaux de la société Agorespace et sur l'un de ses agents commerciaux ;

Considérant que ces personnes ont ainsi participé à plusieurs réunions dont les compte-rendus ont été versés au dossier et qui se sont tenues, notamment, en avril 2009, les 30 et 31 mai 2011 et le 3 septembre à [Localité 2] (pièces appelant n° 17-7, 19, 20, 31) ; que ces compte-rendus décrivent avec précision les moyens humains, matériels et financiers à mettre en 'uvre pour le lancement de la société Decagora France et de son produit ; que les salariés de la société Agorespace sont, nominativement, désignés dans ces compte-rendus comme constituant l' « équipe française » de la société à constituer, et dont M. [U], à l'époque responsable commercial de la société Agorespace, est présenté comme le « porte-parole » (pièce appelant n° 20) ; que leur rôle dans l'organisation de la future société à constituer était très précisément défini ; qu'ils avaient ainsi vocation à occuper des postes de directeurs régionaux et, pour certains d'entre eux, à participer à la direction et l'administration de la société ; qu'il a été envisagé que M. [K], gérant de la société Agora Sports Conseil, agent commercial de la société Agorespace et tenue par une clause de non-concurrence, prenne la présidence de la société et que quatre des commerciaux d'Agorespace en nommés administrateurs et détiennent, chacun, 8 % de son capital (pièce appelant n° 17-7) ;

Considérant que le calendrier des opérations nécessaires au lancement de la société Decagora France prenait en compte la situation particulière de ces futurs collaborateurs, laquelle tenait au fait qu'ils étaient encore au service de la société Agorespace ; qu'ainsi, selon le compte-rendu de la réunion des 30 et 31 mai, l'un de ces collaborateurs a émis des « réserves de précaution » et souhaité « que l'on soit attentif dans le processus de constitution de la société DF [Decagora France], soit que l'on dénonce les contrats Agorespace avant même la constitution de la société DF » (pièce appelant n° 20) ; que par ailleurs, alors qu'il avait été décidé d'organiser ultérieurement un séminaire de formation pour ces futurs collaborateurs, toujours salariés de la société Agorespace, le compte-rendu indique que « l'idée est de commencer le vendredi matin et terminer le lundi soir (16h00) pour permettre à chacun de prendre son jour indistinctement, discrétion oblige ! » ;

Considérant, par ailleurs, qu'a été versé au dossier un courrier électronique découvert par l'huissier de justice lors du constat qu'il a effectué le 27 septembre 2011 dans les locaux de la société Agorespace (pièce appelant n° 17-1) ; que ce courrier (pièce appelant n° 21) a été adressé le 15 septembre 2011 par M. [O] [U], en sa qualité de responsable commercial de la société Agorespace, à une responsable de l'Institut médico-éducatif [Établissement 1], en vue de la fourniture d'un équipement de cette société ; que par ce courrier, M. [U] a transmis deux propositions, l'une portant sur la fourniture d'un équipement Agorespace et l'autre portant sur la fourniture d'un équipement de la société Decagora ;

Considérant que la consultation du disque dur de l'ordinateur de M. [U] a permis de découvrir un autre message électronique du même jour, ayant pour objet « Une aire de jeux pour tous les âges au parc du [A] », comportant en pièce jointe un fichier intitulé « Offre technique et financière Decagora » et ainsi rédigé « ci-joint quelques informations sur le contenu du Décagora et je t'envoie les plaquettes demain par courrier » (pièce n° 17-1 annexe 1) ; que si M. [U] a indiqué que le destinataire de ce message, ayant l'adresse électronique lu.gt@aliceadsl.fr, était un « ami », il est néanmoins hors de doute que ce message avait pour objet de transmettre une proposition commerciale relative à la fourniture d'un équipement pour une aire de jeux ; que ce message a été expédié par M. [U] alors qu'il était salarié de la société Agorespace, depuis l'adresse électronique [Courriel 1] ; que néanmoins, M. [U] a transmis au destinataire une proposition portant non sur un équipement de la société Agorespace, mais sur un équipement de la société Decagora ; que selon le constat d'huissier, M. [U] s'est ainsi expliqué sur ces différents courriers : « J'ai fait une connerie, j'assume » ; qu'il lui a été remis, le jour même de ce constat, une lettre de convocation à un entretien préalable à son licenciement pour faute lourde (pièce n° 17-1 annexe 2) ;

Considérant que deux autres collaborateurs de la société Agorespace, MM. [Q] [V] et [Q] [W], ont été licenciés pour faute lourde, leur employeur leur reprochant d'avoir, alors qu'ils étaient encore à son service, exercé leur activité au profit de la société Decagora (n° 44 et 45) ;

Considérant que ces faits ne peuvent, à l'évidence, procéder de la seule initiative de MM. [U], [V] et [W] ; qu'ils révèlent que la société Decagora était prête à fournir des équipements à des clients de la société Agorespace, détournant ainsi cette clientèle à son profit, en violation à la fois du principe de loyauté des relations commerciales et des obligations du contrat de travail des salariés ;

Considérant que M. [Z] souligne que les commerciaux de la société Agorespace n'ont finalement pas été recrutés par la société Decagora France, dont le projet de création n'a pas abouti, et que ces commerciaux ont quitté la société Agorespace pour réaliser d'autres projets professionnels ;

Mais considérant la responsabilité des intimés est recherchée, non parce que les commerciaux ' qui d'ailleurs ne sont pas dans la cause ' avaient décidé de quitter la société Agorespace, du fait, selon M. [Z], du « malaise » régnant au sein de cette société, mais parce que les intimés se seraient livrés à des agissements déloyaux ; que les constatations ci-dessus établissent la réalité de ces agissements et la désorganisation en résultant puisque tous les commerciaux ayant participé aux contacts avec la société Decagora ont quitté la société Agorespace entre juillet 2011 et mars 2012, soit en l'espace de quelques mois ;

Sur la participation personnelle de M. [Z] à ces agissements

Considérant que M. [Z] rappelle qu'il a été contacté en 2010 par M. [E], lequel était à la recherche de financement pour lancer le projet Decagora, qu'il a accepté d'y investir ; qu'il a conclu à cet effet un protocole d'accord en vue du financement et de la constitution de la société de droit suisse Decagora SA ; qu'il soutient qu'il s'est tenu au rôle de simple investisseur et qu'il ne s'est pas impliqué dans la gestion du projet ;

Mais considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier que M. [Z] ne s'est pas contenté d'être un bailleur de fonds, mais qu'il s'est impliqué personnellement et de façon importante dans la préparation et la mise en place du projet, et en particulier dans le recrutement et organisation de l'équipe composée des commerciaux venus de la société Agorespace ; que contrairement à ce qu'il allègue, M. [Z] a personnellement pris part à certaines des réunions organisées avec les commerciaux de la société Agorespace ; qu'ainsi, il a participé à la réunion, ci-dessus évoquée, qui s'est tenue les 30 et 31 mai 2011 ; que s'il n'a pas participé à la réunion du 3 septembre 2011, le compte-rendu indiquant qu'il était « retenu », il en a été destinataire, comme de tous les comptes-rendus des autres réunions ; que si M. [Z] soutient qu'il n'a pas rédigé ces comptes-rendus et s'il en discute l'interprétation qu'il convient de leur donner, il y a lieu de constater qu'il n'en conteste pas les termes ; que ces réunions avaient pour objet principal la mise en place de l'équipe de commerciaux de la future société Decagora France ; que cette équipe était issue des effectifs de la société Agorespace, de sorte que celle-ci allait se trouver privée, en un laps de temps très court, de la moitié de son équipe commerciale interne et de l'un de ses deux agents commerciaux ; que les comptes-rendus des réunions auxquelles M. [Z] a participé font état de la situation particulière des salariés de la société Agorespace voués à constituer l' « équipe française » de la future société Decagora France, notamment quant à la nécessité de faire preuve de « discrétion » et de coordonner leur départ de la société Agorespace ; que comme la Cour l'a constaté plus haut, certains de ces collaborateurs avaient, alors qu'ils étaient encore au service de la société Agorespace, entrepris d'en détourner la clientèle ; que l'intervention et l'implication de M. [Z] dans ces agissements sont, par ailleurs, confirmées par les échanges de courriers électroniques versés aux débats et relatifs, notamment, à la mise en place de l'équipe de commerciaux venus de la société Agorespace (pièces appelant n° 18 et 30) ; que s'il n'était, souvent, que destinataire en copie des courriers en cause, il n'en demeure pas moins que ces courriers témoignent de ce qu'il était considéré comme l'un des principaux intéressés par les différents phases de la mise en 'uvre du projet ; que ces éléments démontrent que M. [Z] a personnellement approuvé le projet consistant à détourner au profit de la société Decagora la moitié de l'équipe commerciale de la société Agorespace et qu'il a contribué à son exécution, quand bien même les collaborateurs en cause n'ont finalement pas été recrutés ; qu'en intervenant ainsi personnellement dans la mise en place opérationnelle du projet, qui était largement fondé sur la captation déloyale d'une partie importante de l'équipe commerciale de la société Agorespace, M. [Z] est allé au-delà du cadre des responsabilités qui lui incombaient normalement en sa qualité d'associé de la société Decagora SA, via sa société Sima, et d'administrateur ; que c'est donc à juste titre que le tribunal a retenu sa responsabilité personnelle avec celle des autres intimés ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a donc condamné in solidum avec les sociétés Decagora SA et Agora Sports Conseil et MM. [E] et [K] à réparer le préjudice causé à la société Agorespace ;

Sur le préjudice allégué par la société Agorespace

Considérant qu'en réparation du préjudice qu'elle prétend avoir subi, la société Agorespace a, selon les énonciations du jugement déféré, demandé devant le tribunal l'allocation des sommes de 2 658 842 euros, au titre de la désorganisation de son entreprise, et de 500 000 euros, au titre de la perte de marchés ; que le tribunal lui accordé la somme 200 000 euros, en indiquant, notamment, que la baisse de son chiffre d'affaires en 2011 et 2012 ne pouvait être exclusivement imputée aux agissements des défendeurs et que la perte de marchés résultait du libre jeu de la concurrence ;

Considérant que devant la Cour, la société Agorespace demande la condamnation des intimés à lui payer la somme totale de 1 388 949,25 euros, représentant les sommes de 1 128 899 euros au titre de sa marge sur le chiffre d'affaires perdu, 102 445,80 euros au titre des honoraires et frais divers qu'elle dit avoir engagés à la suite de la désorganisation dont elle a été victime, 22 611,28 euros au titre du coût d'étude et de préparation du dossier dans le cadre du présent litige et 135 023,17 euros au titre des coûts de recrutement et de formation des nouveaux commerciaux ; qu'elle produit une attestation de son expert-comptable qui a vérifié la cohérence de ces montants avec la comptabilité et les données sous-tendant la comptabilité (pièce n° 90) ;

Considérant, s'agissant de la marge sur chiffre d'affaires, que la société Agorespace a constaté que son chiffre d'affaires avait baissé en 2011 et 2012 de 12,65 % et 11,66 %, alors que sur les mêmes exercices le chiffre d'affaires de ses concurrents avait augmenté de 9,03 % et 1,15 % ; qu'elle considère que son chiffre d'affaires aurait dû suivre l'évolution du chiffre d'affaires de ses concurrents et qu'elle en conclut que son préjudice est égal à la marge sur coûts variables correspondant au chiffre d'affaires qu'elle aurait, selon elle, dû réaliser ;

Considérant que M. [Z] conteste cette analyse, dans sa méthode comme dans son résultat ; qu'il s'appuie sur une note d'analyse établie, à sa demande, par M. [X], expert-comptable, commissaire aux comptes et expert judiciaire près la Cour d'appel de Paris (pièce n° 82) ; qu'il soutient que la comparaison des chiffres d'affaires faites avec les prétendus concurrents de la société Agorespace n'est pas pertinente, car il n'est pas démontré que les entreprises en cause exerçaient la même activité puisqu'elles étaient dotées d'un code NAF différent de celui de la société Agorespace ; qu'il prétend, par ailleurs, que le calcul du taux de marge sur coûts variables de la société Agorespace est erroné, car il n'a pas été tenu compte dans ce calcul des charges mixtes ;

Considérant que ces observations ayant été portées à la connaissance de l'expert-comptable de la société Agorespace, ce professionnel n'en a pas moins maintenu son analyse (pièce intimé n° 108) ; qu'il a rappelé, en particulier, qu'il avait effectué ses vérifications selon les normes applicables et qu'il avait procédé aux diligences requises ;

Considérant, en tout hypothèse, qu'à supposer que la méthodologie retenue par la société Agorespace pour le chiffrage de son préjudice soit pertinente en ce qui concerne l'évolution du chiffre d'affaires de ses concurrents et le taux de sa marge sur coûts variables, force est de constater qu'elle postule que son chiffre d'affaires aurait dû suivre exactement celui de ses concurrents ; que ce postulat est, de façon évidente, contestable dans son principe même ; que si la désorganisation subie par la société Agorespace a eu nécessairement un impact sur son activité et sur son chiffre d'affaires, il serait arbitraire de supposer que cette désorganisation explique à elle seule l'évolution de cette activité et de ce chiffre d'affaires puisque d'autres facteurs ont pu jouer ; qu'à cet égard, M. [Z] fait valoir que le chiffre d'affaires de la société Agorespace avait baissé depuis 2007, que son bénéfice avait diminué de moitié en 2010, et que ces difficultés, préexistantes aux faits reprochés aux intimés, étaient imputables à des erreurs de gestion commises par la direction de cette société et ayant trait, pour l'essentiel, au niveau trop élevé de ses prix de vente ; que la société Agorespace conteste ces allégations et soutient que M. [Z] confond, à dessein, les prises de commande et la facturation ;

Considérant que si les pièces versées au dossier ne permettent pas à la Cour de trancher de façon définitive sur ce point entre les arguments des parties, on ne saurait, en toute hypothèse, retenir pour principe ni que le chiffre d'affaires de la société Agorespace devait suivre celui de ses concurrents, ni que cette société avait, en toutes circonstances, un droit acquis au maintien de sa clientèle et de son chiffre d'affaires, sauf, comme l'a justement rappelé le tribunal, à nier toute portée au libre jeu de la concurrence ;

Considérant que, dans ces conditions, c'est à juste titre que le tribunal, au vu des circonstances de l'espèce, a fixé à 200 000 euros le montant de l'indemnité due à la société Agorespace ; que ce montant répare l'entier préjudice subi par celle-ci, du fait de la baisse de son chiffre d'affaires et des coûts résultant de la désorganisation de son service commercial et liés au recrutement et à la formation de ses nouveaux salariés ; que s'agissant des coûts d'honoraires et de frais divers liés à la présente procédure, c'est dans le cadre de la demande présentée au titre des frais irrépétibles qu'ils seront examinés ;

Sur la confusion entre les dénominations Agorespace et Decagora

Considérant que le tribunal a jugé que la proximité des dénominations « Agorespace » et « Decagora » créait un risque de confusion entre elles ; qu'il a, en conséquence, interdit aux intimés de faire usage en France des dénominations Decagora et Agora pour désigner une activité de fabrication et commercialisation de terrains multisports ;

Considérant que M. [Z] demande à la Cour d'infirmer sur ce point le jugement en soutenant que les dénominations en cause ne présentent aucune similitude, ni visuel, ni phonétique, ni conceptuel ;

Mais considérant que, comme le tribunal l'a relevé, les deux dénominations ont pour élément dominant le mot « Agor(a) », d'où il résulte, nonobstant l'emploi du préfixe « dec » et du suffixe « space », une similitude phonétique et visuelle ; que cette similitude est d'autant plus marquée que ces dénominations s'appliquent à des espaces de sport et de jeu, auxquels renvoie directement le terme « agora » ; que si M. [Z] produit des listes de dénominations sociales et de marques comprenant le terme « agora » (pièces n° 59 et 60), il y a lieu de constater qu'aucune d'entre elles ne s'applique à des produits identiques ou similaires à ceux de la société Agorespace ; qu'à l'inverse, aucun des concurrents de la société Agorespace n'emploie, dans sa dénomination sociale ou son nom commercial, le terme « agora » ; qu'enfin, si les produits commercialisés par les sociétés Agorespace et Decagora se distinguent par certains traits caractéristiques qui leurs sont propres, ils ne s'adressent pas moins à la même clientèle pour satisfaire les mêmes besoins ; que la preuve en est que la Cour a relevé plus haut que le responsable commercial de la société Agorespace avait proposé à l'Institut médico-éducatif [Établissement 1] deux équipements alternatifs, l'un de la société Agorespace, l'autre de la société Decagora ;

Considérant que c'est donc à juste titre que le tribunal a enjoint aux intimés de cesser de faire usage en France des dénominations Decagora et Agora pour désigner une activité de fabrication et commercialisation de terrains multisports ; que le jugement sera donc confirmé ;

Sur la demande reconventionnelle de condamnation de la société Agorespace au paiement de la somme de 1 159 536 euros

Considérant que M. [Z] expose qu'il a investi la somme de 1 159 536 euros dans la société Decagora SA ; qu'il fait valoir que l'action engagée contre elle par la société Agorespace l'a en définitive empêchée d'exercer son activité ; qu'il demande en conséquence la condamnation de cette société au paiement de dommages et intérêts à hauteur de son investissement ;

Mais considérant qu'il a été fait droit très largement par le tribunal aux demandes de la société Agorespace dirigées contre la société Decagora SA ; qu'en particulier, il lui a été fait interdiction d'utiliser la dénomination Decagora pour les produits qu'elle se proposait de commercialiser ; que la Cour confirmant ces condamnations, l'action engagée par la société Agorespace contre la société Decagora SA ne saurait être considérée comme ayant un caractère fautif ; que M. [Z] sera donc débouté de sa demande ;

Sur la demande reconventionnelle de condamnation de la société Agorespace pour propos diffamatoires

Considérant que M. [Z] soutient que les conclusions de la société Agorespace contiennent des « sous-entendus dénigrants et attentatoires » à sa considération et à son honneur ; qu'il vise ainsi le passage de ces conclusions dans lequel la société Agorespace indique qu'il aurait fait savoir que, fort des relations qu'il avait nouées dans de précédentes fonctions, il pouvait intervenir auprès de municipalités et d'administrations constituant la clientèle de la société Agorespace ;

Mais considérant que cette allégation est à la fois imprécise et accessoire, en ce qu'elle ne vient nullement au soutien de l'argumentation de la société Agorespace ; qu'elle ne revêt en l'espèce pas de caractère fautif ; que M. [Z] sera dès débouté de sa demande et que le jugement sera confirmé ;

Sur la demande de condamnation de la société Agorespace pour appel abusif

Considérant que M. [Z] demande la condamnation de la société Agorespace à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif ; 

Mais considérant qu'il ne ressort du dossier aucun élément qui démontrerait que l'appel interjeté par la société Agorespace aurait un caractère abusif ou de mauvaise foi ; que M. [Z] sera donc débouté de sa demande ;

Sur les frais irrépétibles

Considérant que la société Agorespace a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge ; qu'il y a donc lieu de faire application des dispositions de l'article 700 et de condamner M. [Z] à lui payer la somme de 20 000 euros ;

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

RABAT l'ordonnance fixant au 22 janvier 2015 la clôture de l'instruction de l'affaire ;

ORDONNE la clôture de l'instruction de l'affaire au 18 février 2015 ;

DECLARE recevable la demande de la société Agorespace dirigée contre M. [D] [Z] ;

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

DEBOUTE M. [D] [Z] de ses demandes tendant à la condamnation de la société Agorespace au paiement des sommes de 1 159 536 euros, au titre de son investissement dans la société Decagora SA, et de 10 000 euros pour appel abusif ;

CONDAMNE M. [D] [Z] à payer à la société Agorespace la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toutes les demandes autres, plus amples ou contraires des parties ;

CONDAMNE M. [D] [Z] au paiement des dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier La Présidente

B.REITZER C.PERRIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 13/21713
Date de la décision : 04/06/2015

Références :

Cour d'appel de Paris I5, arrêt n°13/21713 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-06-04;13.21713 ?
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