CASSATION SANS RENVOI sur le pourvoi formé par :
- le procureur général près la Cour d'appel de Paris,
contre un arrêt de la Chambre d'accusation de ladite Cour (section B) du 27 février 1986 qui, dans une information suivie contre X... Robert du chef d'importation sans déclaration de marchandises prohibées, a sursis à statuer sur l'exception d'immunité parlementaire et a décidé de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice des communautés européennes.
LA COUR,
Vu l'ordonnance en date du 25 avril 1986 par laquelle le président de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation a dit que l'intérêt de l'ordre public et celui d'une bonne administration de la justice commandaient l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation de l'article 177 du Traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a sursis à statuer sur l'exception d'irrecevabilité des poursuites soulevées par l'inculpé en raison de son élection au Parlement européen et a ordonné, à titre préjudiciel, le renvoi de l'affaire à la Cour de Justice des communautés européennes pour l'interprétation de l'article 10 du Protocole sur les privilèges et immunités desdites communautés du 8 avril 1965, à l'effet de déterminer si, en cas de poursuites pénales commencées en France contre un représentant français à l'Assemblée des communautés européennes, ces poursuites peuvent être continuées sans que ladite Assemblée ait autorisé cette continuation et, dans l'affirmative, si l'Assemblée a le pouvoir d'en ordonner la suspension ;
" alors que, d'une part, la disposition de l'article 10 du Protocole sur les privilèges et immunités des communautés européennes ne comporte aucune ambiguïté pour la solution du litige soumis au juge national ;
" alors que, d'autre part, la question préjudicelle ne peut être relative qu'à l'interprétation d'une disposition de droit communautaire et doit être liée à la solution de ce litige ;
" qu'ainsi, il n'y avait lieu à question préjudicielle de la compétence de la Cour de Justice des communautés européennes " ;
Vu lesdits articles, ensemble l'article 4 § 2 de l'Acte du 20 septembre 1976 portant élection des représentants à l'Assemblée des communautés européennes, l'article 10 du Protocole sur les privilèges et immunités des communautés européennes, annexé au Traité du 8 avril 1965 instituant un Conseil unique et une commission unique desdites Communautés, et l'article 26 de la Constitution ;
Attendu que, selon l'article 10 du Protocole précité, les représentants élus à l'Assemblée des communautés européennes bénéficient, pendant la durée des sessions de cette assemblée, pour des faits commis sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du Parlement de leur pays ; que la détermination de l'existence d'une session n'étant pas en cause, cette disposition dépourvue d'ambiguïté accorde auxdits représentants le bénéfice des immunités telles qu'elle sont appliquées aux parlementaires nationaux ;
Attendu que, dans une information suivie contre lui du chef d'importation sans déclaration de marchandises prohibées, Robert X..., inculpé le 17 octobre 1983, a fait valoir qu'ayant été élu le 19 juin 1984 représentant français à l'Assemblée des communautés européennes, il bénéficiait, en vertu de l'article 4 § 2 de l'Acte du 20 septembre 1976 portant élection des représentants à cette Assemblée, des privilèges et immunités applicables à ses membres en raison de l'article 10 du Protocole sur lesdits privilèges et immunités des communautés européennes, annexé au Traité du 8 avril 1965 ;
Qu'il en déduisait qu'en l'absence d'autorisation de continuation des poursuites de la part de l'Assemblée dont il faisait désormais partie, celles-ci étaient irrecevables, et, subsidiairement, demandait que soit saisie la Cour de Justice des communautés européennes en application de l'article 177 du Traité C. E. E. ;
Attendu que par ordonnance du 19 septembre 1985, le juge d'instruction a rejeté cette exception ; que la Chambre d'accusation, sur appel de l'inculpé, a, par l'arrêt attaqué, décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de Justice des communautés européennes d'une question préjudicielle ainsi formulée : " En cas de poursuites pénales commencées en France contre un représentant français à l'Assemblée des communautés européennes, antérieurement à son élection, ces poursuites peuvent-elles être continuées sans que l'Assemblée ait autorisé cette continuation ? Dans l'affirmative l'Assemblée a-t-elle le pouvoir d'en ordonner la suspension ? " ;
Attendu que, pour fonder leur décision, les juges énoncent, d'une part, que " malgré le renvoi fait par l'article 10 du Protocole du 8 avril 1965 aux immunités reconnues aux membres des parlements nationaux, la question se pose de savoir si cette règle est compatible avec le droit communautaire européen tel qu'il s'est dégagé des diverses décisions prises par les organismes compétents de cette communauté et ce en l'état des dispositions de l'article 5 du Traité de la C. E. E. qui impose aux Etats membres de faciliter l'accomplissement de sa mission et de s'abstenir de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des buts dudit Traité et de l'article 8 alinéa 1er du Protocole sur les privilèges et immunités qui a pour effet d'interdire auxdits Etats de créer des restrictions d'ordre administratif ou autre à la liberté de déplacement de ses membres " ;
" l'opinion soutenue par la Commission juridique et des droits des citoyens du Parlement européen à propos d'une demande de mainlevée de l'immunité d'un parlementaire " suivant laquelle le renvoi aux immunités reconnues aux membres des parlements nationaux n'empêcherait pas l'Assemblée des communautés européennes de se " forger une notion cohérente d'immunité parlementaire qui serait par principe autonome par rapport aux pratiques diverses des parlements nationaux " ;
Que la Chambre d'accusation en a déduit qu'elle ne pouvait statuer en l'état sans recourir à la procédure prévue par l'article 177 du Traité C. E. E. ;
Mais attendu que, contrairement à ce que les juges énoncent, aucune contradiction ne saurait exister entre les dispositions générales de l'article 5 du Traité et celles, particulières, de l'article 10 du Protocole qui a pour objet de préciser le régime des immunités relatives aux poursuites judiciaires ; qu'il ne saurait davantage exister de contradiction entre l'article précité et l'article 8 du même Protocole qui, protégeant la liberté de déplacement des représentants à l'Assemblée, n'est pas en cause en l'espèce ;
Que, par ailleurs, les opinions émises au sein de la Commission juridique de l'Assemblée des communautés européennes ne concernent, ainsi que le note l'arrêt attaqué, que les cas où des demandes de mainlevée d'immunité lui sont présentées et portent sur la seule harmonisation des pratiques à suivre sur ce point par cette Assemblée ;
D'où il suit qu'aucune question d'interprétation du droit communautaire ne se posant en l'espèce, il n'y avait lieu à application de l'article 177 du Traité C. E. E. et il appartenait aux juges, en présence des dispositions de l'article 10 du Protocole précité, de se prononcer sur l'exception d'immunité parlementaire invoquée par X... au vu de l'article 26 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Qu'en ne le faisant pas ils ont méconnu les textes susvisés et que la cassation est ainsi encourue ;
Et attendu que les éléments de la cause, tels que constatés par la Chambre d'accusation, permettent à la Cour de Cassation d'appliquer la règle de droit appropriée ;
Attendu que, dès lors que le premier acte de poursuite contre X... a été exercé avant que celui-ci ait été élu représentant français à l'Assemblée des communautés européennes, l'exception d'immunité parlementaire, soulevée par le demandeur, ne saurait être accueillie ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt de la Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Paris du 27 février 1986 ;
Et, vu l'article 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;
Confirme l'ordonnance du juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Paris rejetant l'exception d'immunité parlementaire soulevée par le demandeur ;
Dit qu'il n'y a lieu à renvoi.