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21/02/1996 | FRANCE | N°95-82085

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 21 février 1996, 95-82085


CASSATION sur le pourvoi formé par :
- X...,
contre l'arrêt de la cour d'assises de l'Aveyron, en date du 22 mars 1995 qui l'a condamné, pour viols et agressions sexuelles aggravés, à 15 ans de réclusion criminelle, a fixé la période de sûreté à 6 ans et a prononcé l'interdiction des droits civiques, civils et de famille pour une durée de 10 ans.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble viola

tion des droits de la défense :
" en ce qu'il résulte du procès-verbal de débat...

CASSATION sur le pourvoi formé par :
- X...,
contre l'arrêt de la cour d'assises de l'Aveyron, en date du 22 mars 1995 qui l'a condamné, pour viols et agressions sexuelles aggravés, à 15 ans de réclusion criminelle, a fixé la période de sûreté à 6 ans et a prononcé l'interdiction des droits civiques, civils et de famille pour une durée de 10 ans.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble violation des droits de la défense :
" en ce qu'il résulte du procès-verbal de débats et de l'arrêt que la cour d'assises était composée de M. Bouys, président, de M. Rémond, assesseur, et de M. Issaly, assesseur, qui, en leur qualité de juge aux affaires matrimoniales, avaient déjà eu à connaître des faits objet de la présente procédure dans le cadre de la procédure de divorce engagée par la femme de l'accusé ;
" alors, d'une part, qu'aux termes de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial ; que l'exigence d'impartialité s'apprécie objectivement ; qu'il apparaît des circonstances de l'espèce que MM. Rémond et Issaly, qui avaient déjà eu à connaître des faits objets de l'accusation dans le cadre de la procédure de divorce engagée sur le fondement de ces faits par la femme de l'accusé, ne présentaient pas objectivement l'impartialité nécessaire pour prendre parti sur les faits reprochés à l'accusé ; qu'il s'ensuit que la cour d'assises ne remplissait pas les conditions d'indépendance et d'impartialité exigées par le texte susvisé et que les droits de la défense ont été violés ;
" alors, d'autre part, que, à supposer que l'on puisse admettre qu'un juge civil qui, dans une autre circonstance, a connu d'une affaire concernant l'accusé, puisse être impartial, il en va nécessairement différemment lorsque le même juge a pris parti dans sa décision civile sur le fond du droit ; que tel est le cas en l'espèce où, sur la requête en divorce de la femme de l'accusé fondée sur les faits de viol reprochés à celui-ci, M. Rémond a rendu l'ordonnance de non-conciliation du 10 décembre 1993 autorisant la femme de l'accusé à poursuivre la procédure, et où, sur l'assignation en divorce fondée sur les mêmes faits, M. Issaly a fait partie de la formation ayant rendu le jugement de divorce du 20 juillet 1994 ; que le fait que, ni l'ordonnance de non-conciliation, ni le jugement de divorce ne mentionne, à la demande des parties, les motifs du divorce, et que le divorce ait été rendu aux torts partagés des époux, n'est pas de nature à établir que les faits reprochés à l'accusé n'ont pas été pris en considération pour prononcer le divorce à ses torts ; qu'il s'ensuit que le droit de l'accusé à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial qui lui est reconnu par l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été violé " ;
Vu ledit article, ensemble l'article 253 du Code de procédure pénale ;
Attendu que, selon ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial ; qu'il en résulte que ne peut siéger à la cour d'assises un magistrat qui, en qualité de juge civil, a déjà porté une appréciation sur la culpabilité de l'accusé ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que la cour d'assises, appelée à juger X..., était composée, en qualité de président, de M. Bouys, conseiller à la cour d'appel de Montpellier, et en qualité d'assesseurs, de M. Rémond et de M. Issaly, juges au tribunal de grande instance de Rodez ;
Attendu qu'il ressort des pièces produites par le demandeur que M. Issaly a fait partie de la formation de jugement qui, le 20 juillet 1994, a prononcé le divorce des époux X...-Y... aux torts réciproques des parties ; que, dans son assignation en divorce, Mme Y... faisait valoir que " les motivations de la mise en accusation de X..., actuellement incarcéré à la maison d'arrêt de Rodez pour des faits très graves sur la personne de sa fille mineure, justifiaient à eux seuls pleinement sa demande en divorce " ;
Mais attendu qu'ayant été conduit à porter une appréciation sur la culpabilité de X... du chef des viols et agressions sexuelles aggravés qui lui étaient reprochés, M. Issaly ne pouvait ensuite siéger en qualité d'assesseur de la cour d'assises qui devait juger l'accusé pour ces mêmes faits ;
Que, dès lors, la cour d'assises était irrégulièrement composée ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 594, 231, 316, 347, § 3, 352 et 591 du Code de procédure pénale, 6, § 3, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble violation des droits de la défense :
" en ce qu'il résulte du procès-verbal des débats que, après la lecture de l'arrêt de renvoi, à la demande du ministère public, la Cour a rendu un arrêt incident aux termes duquel elle a modifié la date et le lieu des faits reprochés à l'accusé à l'encontre de Z... et "dit que l'arrêt de renvoi comportera charges suffisantes contre X... d'avoir à Rodez et Onet-le-Château (en lieu et place de Rodez seulement) de janvier 1991 (au lieu de janvier 1992)... le reste sans changement" ;
" alors, d'une part, que l'arrêt de la chambre d'accusation, devenu définitif, fixe la compétence de la cour d'assises et l'étendue de la saisine de cette juridiction, laquelle, en aucun cas, ne peut être modifiée par la cour d'assises et étendue par elle à d'autres faits principaux, même avec l'accord de l'accusé ; qu'en modifiant la date et le lieu des faits imputés à l'accusé de telle manière que l'accusation a été étendue à des faits non visés par l'arrêt de renvoi, la Cour a excédé ses pouvoirs et violé les textes susvisés ;
" alors, d'autre part, que, aux termes de l'article 6, § 3, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tout accusé a droit à être informé d'une manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui et de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; qu'en aucun cas, la Cour ne pouvait en particulier à l'audience des débats, sans violer les dispositions susrappelées, élargir sa saisine à des faits commis à des dates et en des lieux qui n'avaient pas été visés par l'arrêt de mise en accusation ; qu'en élargissant à l'audience même le champ de l'accusation portée contre l'accusé, sans lui accorder le temps nécessaire pour préparer sa défense, la Cour a porté atteinte au principe susvisé et violé les droits de la défense ;
" alors, de troisième part, que seuls des faits révélés au cours des débats et constitutifs, non de faits principaux nouveaux, mais de circonstances aggravantes peuvent, à l'issue des débats, faire l'objet de questions spéciales et donc être rajoutés à l'accusation, soit par le président en l'absence d'incident contentieux, soit par la Cour s'il s'élève un incident contentieux ; qu'en l'espèce, à supposer que les faits ajoutés à l'accusation ne constituent que des circonstances aggravantes de celle-ci, ils ne pouvaient être inclus, en l'absence d'incident contentieux, dans les questions devant être posées à la Cour et au jury que par le président, à l'issue de l'instruction à l'audience et non, comme cela résulte du procès-verbal des débats, avant tout débat et par la Cour nonobstant l'absence d'incident contentieux ; que la modification de l'accusation par la Cour avant tout débat et en l'absence d'incident contentieux constitue une violation par la Cour à la fois du principe de l'oralité des débats et de ses pouvoirs ; qu'il s'ensuit que la condamnation prononcée est illégale " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu qu'il résulte des l'articles 231 et 594 du Code de procédure pénale, que la cour d'assises ne peut connaître d'aucune autre accusation que celle résultant de l'arrêt de mise en accusation qui, devenu définitif, fixe sa compétence ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt de la chambre d'accusation que X... a été renvoyé devant la cour d'assises, notamment, pour avoir, à Rodez, de janvier 1992 au 1er octobre 1992, commis des actes de pénétrations sexuelles sur la personne de Z..., par violence, contrainte, surprise, avec cette circonstance qu'il avait autorité sur elle et que de plus, elle était mineure de 15 ans comme étant née le 25 juin 1980 ;
Attendu qu'après la lecture de l'arrêt de renvoi, la Cour, sur les réquisitions du ministère public, a dit qu'il y avait lieu de rectifier l'arrêt et de dire qu'il comporterait charges suffisantes contre l'accusé d'avoir, à Rodez et à Onet-le-Château, de janvier 1991 au 1er octobre 1992, commis les crimes ci-dessus rappelés ;
Mais attendu qu'il ne résulte d'aucune énonciation de l'arrêt de la chambre d'accusation que Benjamin X... ait commis un acte constitutif du crime de viol antérieurement au 1er janvier 1992 et qu'il n'importe que l'accusé a, comme le relate le procès-verbal des débats, accepté cette rectification ;
D'où il suit que la cassation est derechef encourue ;
Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation des articles 349 et 591 du Code de procédure pénale :
" en ce que la Cour et le jury ont répondu par l'affirmative à la question n° 1 qui est ainsi libellée :
" L'accusé X... est-il coupable d'avoir, à Rodez et Onet-le-Château, de janvier 1991 au 1er octobre 1992, commis des actes de pénétration sexuelle sur la personne de Z... par violence, contrainte ou surprise, avec cette circonstance qu'il était une personne ayant autorité sur elle et que de plus elle était mineure de 15 ans comme étant née le 25 juin 1980 à Colmar (Haut-Rhin) " ;
" alors que cette question est nulle pour être entachée de complexité à un triple titre ; qu'en effet, par cette question unique, la Cour et le jury sont interrogés à la fois :
" sur des faits de viol commis dans deux lieux distincts (Rodez et Onet-le-Château) et à des temps différents (le changement de résidence de Rodez à Onet-le-Château ayant eu lieu en mai 1992) ;
" sur la circonstance aggravante de minorité de la victime, et ;
" sur la circonstance aggravante d'autorité de l'auteur des faits sur cette victime, cependant qu'une question distincte devait être posée sur la commission des faits dans chacun des lieux en spécifiant les dates auxquelles ils auraient été commis, ainsi que sur chacune des circonstances aggravantes " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 349 du Code de procédure pénale que des questions distinctes doivent être posées sur le fait principal et sur chacune des circonstances aggravantes ;
Attendu que la Cour et le jury ont répondu par l'affirmative à la première question qui leur était posée en ces termes :
" L'accusé X... est-il coupable d'avoir, à Rodez et Onet-le-Château, de janvier 1991 au 1er octobre 1992, commis des actes de pénétration sexuelle sur la personne de Z... par violence, contrainte ou surprise, avec cette circonstance qu'il était une personne ayant autorité sur elle et que de plus elle était mineure, comme étant née le 25 juin 1980 à Colmar (Haut-Rhin) ? " ;
Attendu que la Cour et le jury ont ainsi été interrogés par une question unique sur les viols, sur l'autorité exercée par leur auteur sur la victime, et sur la minorité de 15 ans de cette dernière ;
Que cette question, réunissant le fait principal et les circonstances aggravantes, lesquels peuvent donner lieu à des réponses distinctes qui, diversement appréciées, peuvent conduire à des conséquences différentes, est entachée de complexité ;
D'où il suit que la cassation est encore encourue de ce chef ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt précité de la cour d'assises de l'Aveyron, ensemble la déclaration de la Cour et du jury et les débats qui l'ont précédée ;
Et pour être à nouveau statué conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'assises de la Haute-Garonne.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 95-82085
Date de la décision : 21/02/1996
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° COUR D'ASSISES - Composition - Assesseurs - Incompatibilités - Magistrat ayant connu en matière de divorce des faits reprochés à l'accusé.

1° CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 6 - 1 - Tribunal indépendant et impartial - Cour d'assises - Composition - Assesseurs - Magistrat ayant connu en matière de divorce des faits reprochés à l'accusé.

1° Ne peut siéger en qualité d'assesseur de la cour d'assises le magistrat qui a été antérieurement conduit à porter une appréciation sur les faits de viols et agressions sexuelles aggravés reprochés à l'accusé, à l'occasion d'une instance en divorce opposant ce dernier à son épouse et au cours de laquelle étaient invoqués les faits poursuivis.

2° COUR D'ASSISES - Compétence - Fixation - Arrêt de renvoi.

2° Il résulte des articles 231 et 594 du Code de procédure pénale que la cour d'assises ne peut connaître d'aucune autre accusation que celle fixée par l'arrêt de renvoi, devenu définitif. Méconnaît ces textes l'arrêt incident de la cour d'assises qui, après la lecture de l'arrêt de renvoi, modifie les termes de l'accusation ; qu'il n'importe que l'accusé ait comme le relate le procès-verbal, accepté cette rectification.

3° COUR D'ASSISES - Questions - Complexité - Viol - Circonstances aggravantes d'autorité sur la victime et de la minorité de celle-ci - Question unique.

3° VIOL - Cour d'assises - Questions - Complexité - Circonstances aggravantes d'autorité sur la victime et de minorité de celle-ci - Question unique.

3° Ne peuvent être réunis dans une question unique les faits de viol reprochés à l'accusé et les circonstances aggravantes d'autorité sur la victime et de minorité de celle-ci. Une telle question, entachée de complexité, contrevient aux dispositions de l'article 349 du Code de procédure pénale.


Références :

1° :
3° :
1° :
Code de procédure pénale 231, 594
Code de procédure pénale 253 2° :
Code de procédure pénale 349
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 art6, paragraphe 1

Décision attaquée : Cour d'assises de l'Aveyron, 22 mars 1995


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 21 fév. 1996, pourvoi n°95-82085, Bull. crim. criminel 1996 N° 82 p. 234
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1996 N° 82 p. 234

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Le Gunehec
Avocat général : Avocat général : M. Amiel.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Fabre.
Avocat(s) : Avocat : la SCP Delaporte et Briard.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1996:95.82085
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