La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/03/2014 | FRANCE | N°13-16829

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 20 mars 2014, 13-16829


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 9 du code civil, ensemble les articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 4 décembre 2009, M. X..., imitateur, dans le contexte de la chronique satirique qu'il anime quotidiennement de 8 heures 45 à 8 heures 55 sur les ondes de la station de radio dite RTL, a contrefait la voix d'une petite fille, dans le dialogue suivant : «- Cette semaine dans l'école des fans Philippe

Y... recevait une nouvelle candidate, une charmante petite fille,...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 9 du code civil, ensemble les articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 4 décembre 2009, M. X..., imitateur, dans le contexte de la chronique satirique qu'il anime quotidiennement de 8 heures 45 à 8 heures 55 sur les ondes de la station de radio dite RTL, a contrefait la voix d'une petite fille, dans le dialogue suivant : «- Cette semaine dans l'école des fans Philippe Y... recevait une nouvelle candidate, une charmante petite fille, bonjour comment tu t'appelles ?- Mathilde.- Et tu es fan de qui Mathilde ?- De mon papy.- De ton papy, il est gentil ton papy ?- Oui il est très gentil, n'est-ce pas, il me chante des chansons euh pour m'endormir le soir.- Des chansons, pas mal, pas mal, tu peux nous en chanter une Mathilde ?- J'ose pas, n'est ce pas.- Tu es timide mais fais comme s'il n'y avait personne, chante juste pour moi, allez.- Il court il court le führer, le führer du bois mesdames - Barbie tu dors ; Jean Moulin, Jean Moulin va trop vite

- Bravo Mathilde, tu chantes très bien et il est venu avec toi ton papy ?- Oui, vous voyez il est là-bas, n'est-ce pas.- Ah c'est le Monsieur qui tend le bras pour te saluer ?- Tu es bête, n'est-ce pas, c'est pas pour te dire bonjour qu'il fait ça, mon papy, c'est pour saluer ses amis, n'est-ce pas.- A côté de lui, la dame blonde c'est ta maman ?- Oui, n'est ce pas, c'est ma maman. Et comment elle s'appelle ta maman ?- Marine.- C'est joli Marine, qu'est ce que tu voudrais garder comme cadeaux Mathilde ?- Un coucou suisse, on aime beaucoup les suisses avec mon papy, n'est ce pas, mais attention, un vrai coucou, pas celui avec le minaret et le médecin qui sort pour chanter.- Pas mal, pas mal. » ; que Mme Z... et M. B..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur fille, Mathilde B...-Z..., née le 7 avril 1999, ainsi que M. Z..., ci-après les consorts Z..., ont assigné en dommages-intérêts M. X... et la Société pour l'édition radiophonique Ediradio, ayant pour nom commercial RTL, pour atteinte portée à leur vie privée ;

Attendu que, pour débouter les consorts Z..., l'arrêt relève, par motifs propres ou adoptés, que les propos litigieux ont été tenus en direct dans un sketch radiophonique par un imitateur humoriste, que la scène est purement imaginaire, caricaturale, aucune confusion n'étant possible pour les auditeurs avec une émission d'information, que le recours à l'enfant n'était qu'une façon, pour l'humoriste, de brocarder M. Z..., alors président du Front national, qu'il appartient au juge de concilier la liberté de l'information avec le droit de chacun au respect de sa vie privée, que l'homme politique doit faire preuve d'une grande tolérance, d'autant plus lorsqu'il est connu pour ses positions polémiques, qu'en l'espèce M. X... s'est livré, certes en des termes outranciers et provocateurs, dans « la chronique de Laurent X... », émission à vocation comique et parodique, à une satire humoristique et caricaturale exclusive d'une atteinte à l'intimité de la vie privée, que, pour singulier que soit le choix opéré par M. X... d'utiliser la figure symbolique d'une petite-fille pour faire rire de son grand-père, homme politique, la convention de lecture inhérente à un sketch de cette nature comme la recherche d'un effet comique résultant de l'invraisemblance de la scène excluent toute atteinte à la vie privée de l'enfant, la voix utilisée n'étant pas la sienne, mais celle de M. X... et aucune information n'étant livrée sur son compte, autre que son prénom et son âge approximatif, toutes choses qui, comme son ascendance, relèvent de l'état civil, que le caractère imaginaire manifeste fait que ni les sentiments supposés de l'enfant ni le type de relations qu'elle entretient avec son grand-père ou ce dernier avec elle ne se trouvent révélés au public ;
Qu'en statuant ainsi, quand le droit de chacun au respect de sa vie privée et familiale s'oppose à ce que l'animateur d'une émission radiophonique, même à dessein satirique, utilise la personne de l'enfant et exploite sa filiation pour lui faire tenir des propos imaginaires et caricaturaux à l'encontre de son grand-père ou de sa mère, fussent-ils l'un et l'autre des personnalités notoires et dès lors légitimement exposées à la libre critique et à la caricature incisive, l'arrêt, qui relève que, si les noms de B... et de Z... n'étaient pas cités, l'enfant était identifiable en raison de la référence à son âge, à son prénom exact, à celui de sa mère Marine et d'un tic de langage de son grand-père, la cour d'appel, méconnaissant les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a écarté l'atteinte à la vie privée de Mathilde B...-Z..., l'arrêt rendu le 23 janvier 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne M. X... et la Société pour l'édition radiophonique Ediradio RTL aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. X... et la Société pour l'édition radiophonique Ediradio RTL à payer la somme globale de 3 000 euros à Mme Z... et M. B..., ès qualités ; rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mars deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Le Griel, avocat aux Conseils, pour Mme Z..., M. B... et M. Z....
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Marine Z... et Franck B..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure Mathilde, et Jean-Marie Z... de leurs demandes en réparation de l'atteinte portée à leur vie privée par Laurent X...,
aux motifs propres que « les propos litigieux ont été tenus en direct dans un sketch radiophonique lors duquel l'imitateur et humoriste Laurent X... a fait tenir à une enfant, dont il contrefaisait la voix, des propos imaginaires » ; que « si les noms patronymiques de B... et de Z... n'étaient pas cités, l'enfant était identifiable en raison de la référence à son prénom, à celui de sa mère Marine et d'un tic de langage de son grand-père, Jean-Marie Z... » ; qu'« en dehors de son âge, de son prénom et de celui de sa mère, aucune information n'était livrée sur l'enfant », que « la scène était purement imaginaire, caricaturale, aucune confusion n'étant possible, dans l'esprit des auditeurs de la station RTL, avec une émission d'information » ; que « le recours à l'enfant n'était qu'une façon, pour l'humoriste, de brocarder Jean-Marie Z..., alors président du Front National » ; qu'« il appartient au juge de concilier la liberté de l'information avec le droit de chacun au respect de la vie privée » ; que « l'homme politique doit faire preuve d'une grande tolérance, d'autant plus lorsqu'il est connu pour ses positions polémiques » ; qu'« en l'espèce, Laurent X... s'est livré, en des termes certes outranciers et provocateurs, dans « la chronique de Laurent X... », émission à vocation comique et parodique, à une satire humoristique et caricaturale exclusive d'une atteinte à l'intimité de la vie privée » ;
et aux motifs adoptés des premiers juges que « pour singulier, que soit le choix opéré par Laurent X... d'utiliser la figure symbolique d'une petite-fille pour faire rire de son grand-père, homme politique, la convention de lecture inhérente à un sketch de cette nature comme la recherche d'un effet comique résultant de l'invraisemblance de la scène sont exclusives de toute atteinte à la vie privée de l'enfant, la voix utilisée n'étant pas la sienne, mais celle de Laurent X... et aucune information n'étant livrée sur son compte, autre que son prénom et son âge approximatif, toutes choses qui, comme son ascendance, relèvent de l'état civil » ; que « par ailleurs, le caractère imaginaire de la scène est manifeste de sorte que ni les sentiments supposés de l'enfant, ni le type de relations qu'elle entretient avec son grand-père ou ce dernier avec elle ne se trouvent révélés au public » ;
alors qu'en vertu des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée, que celui qui abuse de sa liberté d'expression en portant atteinte à la vie privée d'autrui sans nécessité ou de manière disproportionnée engage, de ce seul fait, sa responsabilité ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations mêmes des juges du fond que, dans le sketch radiophonique litigieux, la jeune Mathilde était parfaitement identifiable et que Laurent X... contrefaisait sa voix et lui faisait tenir des propos sur sa mère et son grand-père ; qu'en utilisant ainsi, fût-ce dans un sketch humoristique et caricatural, des éléments de la personne et de l'existence de la jeune Mathilde et en lui en adjoignant d'autres, fussent-ils imaginaires, relatifs à ses rapports avec son grand-père, fût-il homme politique, selon lesquels celui-ci serait un partisan du nazisme et lui ferait partager cette idéologie, Laurent X... a, sans aucune nécessité, porté atteinte à la vie privée de cette enfant comme de ses parents et de son grand-père et qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant par là les textes susvisés.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 13-16829
Date de la décision : 20/03/2014
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Analyses

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE - Respect de la vie privée - Atteinte - Caractérisation - Cas - Exploitation par l'animateur d'une émission radiophonique, de la filiation d'un enfant en lui faisant tenir des propos imaginaires et caricaturaux à l'encontre de ses ascendants, personnalités notoires

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 8 - Respect de la vie privée et familiale - Atteinte - Caractérisation - Cas - Exploitation par l'animateur d'une émission radiophonique, de la filiation d'un enfant en lui faisant tenir des propos imaginaires et caricaturaux à l'encontre de ses ascendants, personnalités notoires CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 10 - Liberté d'expression - Exercice - Caractère abusif - Applications diverses - Exploitation par l'animateur d'une émission radiophonique, de la filiation d'un enfant en lui faisant tenir des propos imaginaires et caricaturaux à l'encontre de ses ascendants, personnalités notoires

Le droit de chacun au respect de sa vie privée et familiale s'oppose à ce que l'animateur d'une émission radiophonique, même à dessein satirique, utilise la personne de l'enfant et exploite sa filiation pour lui faire tenir des propos imaginaires et caricaturaux à l'encontre de sa mère ou de son grand-père, fussent-ils l'un et l'autre des personnalités notoires légitimement exposées dès lors à la libre critique et à la caricature incisive


Références :

article 9 du code civil

articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 23 janvier 2013


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 20 mar. 2014, pourvoi n°13-16829, Bull. civ. 2014, I, n° 57
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2014, I, n° 57

Composition du Tribunal
Président : M. Gridel (conseiller doyen faisant fonction de président et rapporteur)
Avocat général : M. Cailliau
Avocat(s) : Me Spinosi, SCP Le Griel

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2014:13.16829
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award