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07/10/2015 | FRANCE | N°14-14702

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 07 octobre 2015, 14-14702


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 janvier 2014), que Mmes Chantal et Nadia X...ont été inscrites sur les registres de l'état civil comme nées en France d'Holga X..., de nationalité allemande, respectivement les 27 janvier 1957 et 22 juillet 1964 ; que, le 8 mars 2012, elles ont assigné Mme Y..., veuve de Mohand Y..., décédé le 18 février 2010, et ses quatre filles, Mmes Ouerdia, Anissa, Dalida et Saïda Y...(les consorts Y...) pour faire juger que Mohand Y...était leur père ; que le tribunal a

déclaré la loi allemande applicable et ordonné avant dire droit une...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 janvier 2014), que Mmes Chantal et Nadia X...ont été inscrites sur les registres de l'état civil comme nées en France d'Holga X..., de nationalité allemande, respectivement les 27 janvier 1957 et 22 juillet 1964 ; que, le 8 mars 2012, elles ont assigné Mme Y..., veuve de Mohand Y..., décédé le 18 février 2010, et ses quatre filles, Mmes Ouerdia, Anissa, Dalida et Saïda Y...(les consorts Y...) pour faire juger que Mohand Y...était leur père ; que le tribunal a déclaré la loi allemande applicable et ordonné avant dire droit une expertise biologique ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les consorts Y...font grief à l'arrêt de déclarer régulièrement acquises aux débats les 70 pièces communiquées par les intimées alors, selon le moyen, que doivent être écartées les pièces, invoquées au soutien des prétentions, qui ne sont pas communiquées simultanément à la notification des conclusions ; qu'en retenant, pour refuser d'écarter les 70 pièces qui n'avaient pas été communiquées simultanément à la notification des conclusions des consorts X..., que l'affaire aurait été fixée selon les modalités de l'article 905 du code de procédure civile, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les dispositions des articles 906, 15 et 16 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant relevé que les pièces contestées avaient été communiquées en première instance et communiquées à nouveau en cause d'appel avant la clôture de l'instruction, de sorte que leur destinataire avait été mis, en temps utile, en mesure de les examiner, de les discuter et d'y répondre, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que ces pièces étaient régulièrement acquises au débat ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que les consorts Y...font grief à l'arrêt de dire que Mohand Y...est le père de Mmes Chantal et Nadia X...alors, selon le moyen, qu'est contraire à l'ordre public international français la loi qui déclare imprescriptible l'action en recherche de paternité ; qu'en l'espèce, les consorts Y...faisaient régulièrement valoir dans leurs conclusions d'appel que la loi allemande, déclarant imprescriptible l'action en recherche de paternité, devait être écartée par le juge français comme contraire à l'ordre public international français ; que la cour d'appel a cru pouvoir appliquer la loi allemande en soulignant que l'action avait été introduite dans le délai de l'article 330 du code civil français, soit dans les dix ans suivant le décès du père prétendu ; qu'en retenant, pour juger que l'action en recherche de paternité fondée sur la loi allemande, de nature imprescriptible, ne portait pas atteinte à l'ordre public international français, que l'action avait été intentée dans le délai de l'article 330 du code civil, quand ce délai ne concerne pourtant que l'établissement de la filiation paternelle par la possession d'état, que ne connaît pas le droit allemand, la cour d'appel, qui aurait dû comparer avec le délai de prescription français de l'article 321 du code civil, en cas d'action en recherche de paternité, a statué par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard de l'article 3 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant, à bon droit, mis en oeuvre la loi allemande, désignée par la règle de conflit de l'article 311-14 du code civil français, qui rattache l'établissement de la filiation à la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant, et relevé que, si l'article 1600 d du code civil allemand ne soumettait pas l'exercice de l'action en constatation judiciaire de paternité à un délai de prescription, à la différence du droit français, cette circonstance était à elle seule insuffisante à caractériser une contrariété à l'ordre public international français conduisant à l'éviction de la loi étrangère, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts Y...aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer à Mmes Chantal et Nadia X...la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept octobre deux mille quinze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :


Moyens produits par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour les consorts Y....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré régulièrement acquises aux débats les 70 pièces communiquées par les intimées ;
Aux motifs que, « Considérant que les appelants sollicitent que les pièces communiquées par les intimées soient écartées des débats pour n'avoir pas été communiquées de manière concomitante avec les premières conclusions signifiées par les appelantes ;
Considérant toutefois que s'agissant d'une affaire fixée selon les modalités de l'article 905 du Code de procédure civile, les dispositions de l'article 906 du même code sont inapplicables en sorte que les pièces incriminées communiquées en première instance et communiquées à nouveau en cause d'appel avant la clôture de l'instruction sont régulièrement acquises aux débats » ;
Alors que doivent être écartées les pièces, invoquées au soutien des prétentions, qui ne sont pas communiquées simultanément à la notification des conclusions ; qu'en retenant, pour refuser d'écarter les 70 pièces qui n'avaient pas été communiquées simultanément à la notification des conclusions des consorts X..., que l'affaire aurait été fixée selon les modalités de l'article 905 du code de procédure civile, la Cour d'appel a violé, par refus d'application, les dispositions des articles 906, 15 et 16 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que Mohand Y...est le père de Madame Chantal X...et que mention en sera portée sur son acte de naissance, et d'avoir dit que Mohand Y...est le père de Madame Nadia X...et que mention en sera portée sur son acte de naissance ;
Aux motifs que, « Considérant que les appelants qui ne contestent pas que la loi allemande soit applicable au litige sollicitent que celle-ci soit évincée au profit de la loi française, soutenant qu'elle serait contraire à l'ordre public international français d'une part en ce qu'elle déclare imprescriptible l'action en recherche de paternité naturelle d'autre part en ce qu'elle permet de contraindre les parties à se soumettre à une mesure d'expertise génétique ;
Considérant que selon l'article 311-14 du Code civil, la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ;
qu'en l'espèce, il est constant que Holga X...était de nationalité allemande au jour de la naissance de Chantal X...et Nadia X...;
qu'il convient dès lors de faire application de la loi allemande laquelle ouvre l'action en recherche de paternité naturelle à la mère et à l'enfant ;
qu'à cet égard, s'il n'est pas contesté qu'aux termes de l'article 1600 d du code civil allemand, l'exercice de cette action en constatation judiciaire de paternité n'est pas soumis à un délai de prescription à la différence du droit français, cette seule circonstance est insuffisante à Caractériser, en l'espèce, une contrariété à l'ordre public international français ou aux principes essentiels de droit qui conduirait à l'éviction de la loi étrangère, dès lors que l'action a été, en l'espèce, introduite dans le délai de l'article 330 du code civil français soit dans le délai de 10 ans à compter du décès du père prétendu ;
que de même, la possibilité prétendument offerte par la loi allemande de contraindre les parties à se soumettre à la mesure d'expertise ne peut davantage être utilement invoquée comme heurtant la conception française de l'ordre public dès lors que les modalités d'exécution d'une mesure d'instruction sont régies par la loi nationale de l'Etat où elle est ordonnée et exécutée soit en l'espèce par le droit français ;
Considérant que l'article 1600 d du code civil allemand énonce que " sans le cadre de la procédure de constatation judiciaire de paternité, est présumé père celui qui a cohabité avec la mère durant la période de conception. Cette présomption n'intervient pas en cas de doutes sérieux sur la paternité " ;
que selon le certificat de coutume produit " dans le cadre de la procédure de constatation, le tribunal doit procéder à une procédure formelle d'administration de la preuve conformément au § 177 alinéa 2 de la loi allemande relative à la procédure en droit de la famille.
Cela signifie que le tribunal doit recueillir des expertises légales de recherche de paternité ", qu'il " doit épuiser toutes les possibilités de constatation de la paternité au moyen de l'expertise ", et que " la présomption de paternité selon le paragraphe 1600 d alinéa 2 du code civil allemand ne joue que si la paternité ne se laisse pas établir après épuisement des éléments de preuve disponibles " ;
Considérant que les pièces produites par les parties intimées démontrent la proximité affective de celles-ci avec Monsieur Mohand Y...ainsi que la continuité de leurs relations avec ce dernier jusqu'à son décès ;
qu'ainsi, sont versées aux débats de nombreuses photographies représentant Madame Holga X...en compagnie de Monsieur Mohand Y...ou encore ce dernier avec les intimées à différents âges de leur vie et notamment lorsqu'elles étaient enfants, certains clichés étant pris à Drancy devant la maison d'habitation acquise par son frère ou encore en Allemagne lors de déplacements après le retour en Allemagne de Madame Holga X...et de ses filles ;
que la teneur d'un courrier adressé pax Holga X...illustré de deux clichés dont l'un la représente et l'autre montre Monsieur Mohand Y...tenant dans ses bras Chantal X...en bas âge est sans équivoque sur la nature des liens entretenus au regard des termes employés " Mon amour un petit souvenir de ta femme et de ta fille Chantal. Mille baisers à toi mon amour " ;
que par ailleurs, dans un témoignage précis et circonstancié qui n'est contredit par aucune pièce adverse, Madame Karin Y..., nièce de Monsieur Mohand Y...fait état de ce que sa " cousine Chantal X...a vécu avec nous une grande partie de son enfance à notre domicile familial situé au ... et a fréquenté l'école Jean Macé également à Drancy " ce dont il est justifié par des documents contemporains (certificat de scolarité, bulletin d'honneur) et par les photographies représentant Madame Karine Y...avec ses cousines dans le jardin de la maison familiale ;
qu'elle atteste par ailleurs que son oncle " Monsieur Mohand Y...a gardé des relations avec ses filles qui vivent en Allemagne jusqu'à son décès " ce que confirment les photographies produites lesquelles démontrent la permanence de ces liens en dépit de l'union légitime contractée par Monsieur Mohand Y...en Algérie, union dont sont issus quatre enfants ;
qu'à cet égard, les correspondances écrites par Ouerdia Y..., fille légitime de Monsieur Mohand Y...à l'intention de Chantal X...révèlent de manière non équivoque que cette dernière et sa soeur Nadia étaient considérées et traitées par les propres enfants légitimes de celui-ci, comme ses filles, Monsieur Mohand Y...étant désigné " père " ou encore " father " ;
Considérant que l'ensemble de ces éléments de même que le refus des appelantes de se soumettre à l'expertise génétique ordonnée alors même que se bornant à faire état, sans autrement s'en expliquer qu'une telle mesure serait contraire à " leur religion " et aux " préceptes de l'Islam ", non autrement définis, elles ne justifient d'aucun motif légitime, suffisent à reconnaître la paternité de Monsieur Mohand Y...à l'égard de Chantal, Titem X...et de Nadia, Monique X...» ;
Alors que est contraire à l'ordre public international français la loi qui déclare imprescriptible l'action en recherche de paternité ; qu'en l'espèce, les consorts Y...faisaient régulièrement valoir dans leurs conclusions d'appel que la loi allemande, déclarant imprescriptible l'action en recherche de paternité, devait être écartée par le juge français comme contraire à l'ordre public international français ; que la Cour d'appel a cru pouvoir appliquer la loi allemande en soulignant que l'action avait été introduite dans le délai de l'article 330 du code civil français, soit dans les dix ans suivant le décès du père prétendu ; qu'en retenant, pour juger que l'action en recherche de paternité fondée sur la loi allemande, de nature imprescriptible, ne portait pas atteinte à l'ordre public international français, que l'action avait été intentée dans le délai de l'article 330 du code civil, quand ce délai ne concerne pourtant que l'établissement de la filiation paternelle par la possession d'état, que ne connait pas le droit allemand, la Cour d'appel, qui aurait dû comparer avec le délai de prescription français de l'article 321 du code civil, en cas d'action en recherche de paternité, a statué par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard de l'article 3 du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 14-14702
Date de la décision : 07/10/2015
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

FILIATION - Dispositions générales - Conflit de lois - Loi applicable - Loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant - Conditions - Absence de contrariété à l'ordre public international - Caractérisation - Applications diverses - Loi ne soumettant pas l'exercice de l'action en constatation judiciaire de paternité à un délai de prescription

CONFLIT DE LOIS - Statut personnel - Filiation - Etablissement - Loi applicable - Loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant - Conditions - Absence de contratiété à l'ordre public international - Caractérisation - Applications diverses - Loi ne soumettant pas l'exercice de l'action en constatation judiciaire de paternité à un délai de prescription CONFLIT DE LOIS - Applications de la loi étrangère - Mise en oeuvre par le juge français - Conditions - Absence de contrariété à l'ordre public international - Caractérisation - Applications diverses

N'est pas contraire à l'ordre public international français la loi étrangère qui ne soumet l'exercice de l'action en constatation judiciaire de paternité à aucun délai de prescription


Références :

article 311-14 du code civil

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 28 janvier 2014

Sur la prise en compte de l'ordre public international français en présence d'une loi étrangère prévoyant l'imprescriptibilité d'une action relative à la filiation, à rapprocher :1re Civ., 13 novembre 1979, pourvoi n° 78-12634, Bull. 1979, I, n° 277 (1) (rejet).Sur l'appréciation de l'ordre public international français en matière de filiation, à rapprocher :1re Civ., 26 octobre 2011, pourvoi n° 09-71369, Bull. 2011, I, n° 182 (rejet)

arrêt cité


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 07 oct. 2015, pourvoi n°14-14702, Bull. civ. 2016, n° 837, 1re Civ., n° 305
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2016, n° 837, 1re Civ., n° 305

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat général : Mme Valdès-Boulouque
Rapporteur ?: Mme Le Cotty
Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 15/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2015:14.14702
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