La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/10/2015 | FRANCE | N°14-83970

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 28 octobre 2015, 14-83970


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. André X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, en date du 19 mai 2014, qui, pour abus de confiance, l'a condamné à 75 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 16 septembre 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Sadot, conseiller rapporteur, M. Soulard, conseiller de la chambr

e ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de M. le conseiller SADOT, les o...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. André X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, en date du 19 mai 2014, qui, pour abus de confiance, l'a condamné à 75 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 16 septembre 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Sadot, conseiller rapporteur, M. Soulard, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de M. le conseiller SADOT, les observations de la société civile professionnelle MONOD, COLIN et STOCLET, la société civile professionnelle BORÉ et SALVE DE BRUNETON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général BONNET ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 314-1, 314-2, 314-10 du code pénal, 8, 591 et 593 du code de procédure pénale, contradiction de motifs, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que la cour d'appel a déclaré M. X... coupable d'abus de confiance commis sur la période du 1er août 1997 au 30 novembre 2004 portant sur la somme de 81 350 euros et, en répression, l'a condamné à une peine d'amende de 75 000 euros ;
"aux motifs que les faits reprochés à M. X... ont été dénoncés au parquet de Valence le 11 janvier 2007 par l'association tutélaire des majeurs protégés (ATPM) de la Drôme, curateur désigné d'André Y... par jugement du 20 juin 2005 ; qu'André Y..., décédé le 4 février 2007 n'a pu être entendu dans la cadre de l'enquête diligentée au vu de cette dénonciation ; que les faits signalés par l'ATPM de la Drôme remontant à une période antérieure à sa désignation, sans qu'une reddition de compte ait été opérée par M. X... suite au décès de l'un de ses mandants et de l'ouverture d'un régime de protection à l'égard du second, n'ont été dénoncés qu'à partir du moment où ils ont été découverts ; que, par la suite, l'enquête et l'information ont été conduites sans interruption et dans un délai raisonnable compte tenu de la complexité des investigations à effectuer ; que le prévenu n'est pas fondé à prétendre que son droit à un procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droit de l'homme a été méconnu ;
"1°) alors que le point de départ légal de la prescription de trois ans de l'action publique du délit instantané d'abus de confiance doit être fixé au jour où l'infraction est réalisée ; qu'en l'espèce, il était reproché à M. X... d'avoir commis à chaque encaissement de chèque un abus de confiance entre le 1er août 1997 et le 30 novembre 2004 ; qu'aucun acte interruptif de prescription n'est intervenu avant l'ouverture d'une enquête au mois de mars 2007 ; que la cour d'appel ne pouvait retenir, pour entrer en voie de condamnation, que M. X... avait détourné entre le 1er août 1997 et le 30 novembre 2004 la somme de 81 350 euros, tandis que tous les faits antérieurs au mois de mars 2004 devaient être considérés comme prescrits et ne pouvaient être pris en considération ;
"et aux motifs que selon les termes de l'article 314-1 du code pénal, l'abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, de fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé ; qu'en l'espèce, André et Lucienne Y... dans la période qui a suivi la conclusion le 2 février 1995 de la vente en viager de leur maison d'habitation à M. et Mme X..., ont consenti à M. X... une procuration sur le compte joint qu'ils avaient ouvert à la Société générale, agence de Dieulefit sur lequel était versés les arrérages mensuels de la rente viagère, dont partie était destinée à la constitution d'un capital d'assurance vie selon contrat souscrits auprès du même établissement ; qu'il est reproché à M. X... d'avoir, sur une période du 1er août 1997 au 30 novembre 2004 détourné des chèques d'un montant total de 81 350 euros tirés sur le compte des époux Y... à la Banque Postale pour les remettre sur un compte personnel ou sur un compte de son épouse sur lequel il détenait procuration ; qu'il est établi et non contesté que ces chèques lui ont été remis dans le cadre de la procuration qui lui avait été consentie sur le compte joint ouvert au nom des époux Y... à la Société générale, agence de Dieulefit ; qu'il ressort de ses déclarations faites au cours de l'enquête préliminaire et cela est confirmé par le témoignage de son épouse, Mme Monique Z..., qu'il remplissait les chèques soumis à la signature de Lucienne ou André A... ; qu'il prétend que ces chèques lui étaient remis afin qu'il les encaisse sur un compte personnel et qu'il procède ensuite au retrait en espèces des sommes correspondantes qui étaient remises aux époux Y... ; que dans la mesure où les époux Y... procédaient régulièrement à des retraits de fonds sur leur compte ouvert à la banque postale, rien ne permet d'expliquer qu'ils aient remis à André X... des chèques tirés sur ce compte pour qu'il les encaisse sur un autre compte et de plus fort sur l'un de ses comptes personnels pour ensuite leur en remettre la contrevaleur en espèces ; qu'il a été constaté que les souches de plusieurs de ces chèques comportaient des mentions ne correspondant pas à leur libellé, notamment le bénéficiaire mentionné n'était pas M. ou Mme X... mais la Société Générale, banque où les époux Y... étaient titulaires d'un compte ; que, d'une part, les montants inscrits sur les souches étaient systématiquement du dixième du montant du chèque correspondant, la répétition du procédé interdisant d'y voir une simple erreur ; que ces chèques remis à M. X... dans le cadre de son mandat étaient manifestement destinés à être déposés sur le compte des époux Y... à la Société Générale et en les détournant de cette destination pour les encaisser à son profit sur des comptes personnels, en dissimulant tant le montant réel des chèques dont il était le rédacteur que l'identité du bénéficiaire réel, M. X... s'est rendu auteur de l'abus de confiance qui lui est reproché matérialisé par le détournement d'une somme de 81 350 euros ; que la peine d'amende de 75 000 euros est compatible avec l'état de fortune du prévenu et en rapport avec le profit retiré de l'infraction ;
"2°) alors que l'abus de confiance n'est caractérisé que s'il existe un acte positif de détournement, c'est-à-dire si le récipiendaire des fonds où de la chose remise a fait un usage non conforme à celui prévu par le remettant ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que les chèques litigieux étaient, certes, remplis par M. X... mais qu'ils étaient néanmoins soumis à la signature de Mme ou de M. Y... ; qu'il en résultait que M. ou Mme Y..., dont l'état de vulnérabilité a été écarté, avaient, à chaque émission de chèque, été en mesure de vérifier le montant et le destinataire du chèque émis, à savoir M. X..., ce qui permettait d'écarter tout détournement ; que la cour d'appel ne pouvait se borner à affirmer qu'il était inexplicable que les époux Y... aient remis à M. X... des chèques pour qu'il les encaisse, pour juger que ce dernier avait détourné les chèques remis ;
"3°) alors que les faits reprochés à M. X... entre le 1er août 1997 et le mois de mars 2004 étant prescrits, seules les sommes qu'il était reproché à M. X... d'avoir détournées entre le mois de mars 2004 et le mois de novembre 2004 pouvaient être prises en considération pour estimer le profit réalisé, la cour d'appel s'étant fondée sur « l'état de fortune du prévenu et en rapport avec le profit tiré de l'infraction » pour fixer à 75 000 euros la peine d'amende applicable ; que la cassation du chef de dispositif relatif à la culpabilité de M. X... entraînera par voie de conséquence la cassation du chef de dispositif relatif à la peine d'amende prononcée" ;
Attendu que, d'une part, il résulte de l'arrêt attaqué que les faits de détournement imputés à M. X... ne sont apparus et n'ont pu être constatés dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique qu'en 2005, après la désignation de l'association ATMP de la Drôme en qualité de curateur de M. Y..., et ont fait l'objet d'une enquête, après leur dénonciation au procureur de la République le 11 janvier 2007, avant l'expiration du délai de prescription ;
Attendu que, d'autre part, les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées devant elle et caractérisé en tous ses éléments, tant matériel qu'intentionnel, le délit d'abus de confiance dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, contradiction de motifs, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que la cour d'appel, infirmant le jugement, a reçu MM. Alain B..., Daniel B..., Michel B..., Patrick B... et Mme Nicole B..., épouse C..., en leurs constitutions de partie civile, a déclaré M. X... entièrement responsable du préjudice causé par l'infraction commise, a condamné M. X... à payer à MM. Alain B..., Daniel B..., Michel B..., Patrick B... et Mme Nicole B... une indemnité de 5 000 euros en réparation de leur préjudice et une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;
"aux motifs qu'en vertu des articles 2 et 3 du code de procédure pénale, l'action civile en réparation d'un dommage causé par une infraction appartient à ceux qui ont personnellement souffert d'un dommage actuel et certain, directement causé par l'infraction et est recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux découlant des faits objets de la poursuite ; qu'en l'espèce, les consorts B..., bien qu'ils ne soient pas les héritiers d'André ou de Simone Y... sont les bénéficiaires désignés de contrats d'assurance vie souscrits par les époux Y... et, en cette qualité, ont subi un dommage personnel direct et certain du fait de l'ampleur des détournements opérés par M. X..., correspondant sensiblement au tiers des ressources des époux Y..., qui n'ont pas permis que les contrats d'assurance-vie soient abondés conformément aux prévisions et ont même rendu nécessaire des opérations de rachat ; qu'il ont ainsi perdu une chance de percevoir un capital notablement supérieur à celui dont ils ont en définitive bénéficié ; que la cour, infirmant le jugement, les déclarera recevables en leurs constitutions de partie civile et condamnera M. X... en réparation du préjudice résultant de cette perte de chance de leur payer une somme de 5 000 euros déterminée en tenant compte du fait qu'après le décès de Lucienne Y... les ressources d'André Y... suffisaient à peine à régler ses frais de séjour en maison de retraite et que l'épargne constituée pouvait s'en trouver affectée ;
"alors que la personne qui n'est pas le propriétaire, le possesseur ou le détenteur, mais seulement l'éventuel destinataire des deniers détournés par l'auteur d'un abus de confiance, ne justifie pas d'un préjudice découlant directement de l'infraction et n'est pas recevable à se constituer partie civile ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt que les consorts B..., désignés bénéficiaires de contrats d'assurance-vie souscrits par les époux Y..., n'étaient ni propriétaires, ni détenteurs, ni possesseurs des sommes qui auraient été détournées au préjudice des époux Y... et qu'il n'était pas certain qu'ils aient pu en devenir les destinataires ; que la cour d'appel ne pouvait néanmoins déclarer recevables les constitutions de partie civile des consorts B... tandis que ces derniers n'avaient pas personnellement et directement souffert du préjudice résultant de l'abus de confiance reproché à M. X..." ;
Vu les articles 2 et 3 du code de procédure pénale ;
Attendu que l'exercice de l'action civile devant les juridictions répressives n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement subi un préjudice découlant directement des faits, objet de l'infraction poursuivie ;
Attendu que, pour condamner M. X... à indemniser le préjudice allégué par les consorts B..., la cour d'appel retient que ceux-ci, bien qu'ils ne soient pas les héritiers d'André ou de Simone Y..., sont les bénéficiaires désignés de contrats d'assurance-vie souscrits par ces derniers et, en cette qualité, ont subi un dommage personnel, direct et certain du fait de l'ampleur des détournements opérés par le prévenu, qui leur ont fait perdre une chance de percevoir un capital notablement supérieur à celui dont ils ont en définitive bénéficié ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que le délit d'abus de confiance ne cause un préjudice personnel et direct qu'aux propriétaires, détenteurs ou possesseurs des effets ou deniers détournés, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l' organisation judiciaire ;

Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de GRENOBLE, en date du 19 mai 2014, mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT que la constitution de partie civile des consorts B... est irrecevable ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Grenoble et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit octobre deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 14-83970
Date de la décision : 28/10/2015
Sens de l'arrêt : Cassation partielle sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble, 19 mai 2014


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 28 oct. 2015, pourvoi n°14-83970


Composition du Tribunal
Président : M. Guérin (président)
Avocat(s) : SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Monod, Colin et Stoclet

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2015:14.83970
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award