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01/12/2015 | FRANCE | N°13-80108

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 01 décembre 2015, 13-80108


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Frédéric X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de BASTIA, chambre correctionnelle, en date du 19 décembre 2012, qui, pour diffamation publique envers particulier, l'a condamné à 3 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 20 octobre 2015 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Monfort, conseiller rapporteur, MM. Straehli, Finidori, Buisson, Mme Durin-Karsenty,

MM. Larmanjat, Ricard, conseillers de la chambre, MM. Barbier, Talabardon, conseillers...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Frédéric X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de BASTIA, chambre correctionnelle, en date du 19 décembre 2012, qui, pour diffamation publique envers particulier, l'a condamné à 3 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 20 octobre 2015 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Monfort, conseiller rapporteur, MM. Straehli, Finidori, Buisson, Mme Durin-Karsenty, MM. Larmanjat, Ricard, conseillers de la chambre, MM. Barbier, Talabardon, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Liberge ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de M. le conseiller MONFORT, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, et de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE DE BRUNETON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBERGE ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires, produits ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que l'hebdomadaire "24 Ore" a publié, dans sa rubrique "Le face à face de la semaine", un article intitulé "L'ODARC pris en tenaille", reproduisant, d'une part, les critiques formulées sur le fonctionnement de l'Office de développement agricole et rural de Corse par M. Jean D..., président de la Coordination rurale, d'autre part les réponses apportées par M. Jean-Louis E..., président de cet établissement ; que l'ODARC, estimant que plusieurs passages de ce texte portaient atteinte à sa considération, a , par la voix de son président, fait citer devant le tribunal correctionnel M. X..., directeur de la publication, Mme F..., journaliste, auteur de l'article, et M. D..., des chefs de diffamation publique envers particulier et complicité, au visa des articles 29, alinéa 1, et 32, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881 ; que le tribunal ayant relaxé les prévenus, la partie civile ainsi que le ministère public ont relevé appel ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, 31 et 32 de la loi du 29 juillet 1881, 111-4 du code pénal, 10, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a infirmé le jugement en considérant que la citation délivrée par la partie civile visant l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881 était valable ;
"aux motifs que l'ODARC critique la décision des premiers juges en ce qu'ils ont considéré que l'ODARC avait délivré sa citation sur le fondement de l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881 qui prévoit la diffamation envers un particulier, alors que I'ODARC constitue une personne chargée d'une mission de service public relevant des dispositions de l'article 31 ; que, dans l'hypothèse où il serait admis que les faits de diffamation envers l'ODARC ne relèveraient pas de l'article 32 de la loi, la discussion ne peut porter que sur l'application de l'article 3 1 ou de l'article 30 de la loi ; que ne sont visés par l'article 31 de la loi susvisée que les « membres d'un ministère, d'une chambre, les fonctionnaires publics, les dépositaires ou agents de l'autorité publique, les citoyens chargés d'un service public ou d'un mandat public, les jurés et témoins ; que la discussion ne peut sur ce point porter que sur l'attribution à l'ODARC de la qualité de « citoyen » ; qu'il est constant , si l'on se réfère à la définition communément admise du mot « citoyen », tant dans son acceptation ordinaire que strictement politique , ou si l'on reprend la jurisprudence, que ce mot ne peut viser qu'une personne physique ,et qu'il ne peut donc s'appliquer à l'ODARC, personne morale ; que même dans l'hypothèse où le terme de « citoyen s'appliquerait aussi à une personne morale », il est constant que l'ODARC, établissement public industriel et commercial, et dépourvu des prérogatives de puissance publique ne saurait être considéré comme un « citoyen chargé d'une mission de service public » ; que l'article 30 vise les cours, tribunaux, armées, corps constitués et administrations publiques ; que l'ODARC est un établissement public de la collectivité territoriale de Corse à caractère industriel et commercial ; qu'elle est donc un EPIC, dépourvu de la protection afférente aux Etablissements publics administratifs (EPA) ; qu'en outre l'ODARC, qui est immatriculé au registre du commerce et des sociétés, et dont les membres sont régis par un statut de droit privé, ne réunit pas les critères attribués à une administration publique ; que l'ODARC ne pouvait agir que sur le fondement de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
"1°) alors que la cour d'appel ne pouvait valablement décider, sauf à priver sa décision de toute base légale, que l'ODARC ne pouvait agir que sur le fondement de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, lorsqu'il est constant que cet article ne fait que définir l'infraction de diffamation ;
"2°) alors que l'ODARC, établissement public industriel et commercial, doté de prérogatives de puissance publique et exerçant une action administrative de service public, ne pouvait être assimilé à un simple particulier ; qu'ainsi, la cour d'appel qui a considéré que l'EPIC ne bénéficiait pas de la protection accordée aux établissements publics administratifs (EPA), qu'il était immatriculé au registre du commerce et des sociétés et que ses membres étaient régis par un statut de droit privé sans rechercher si la personne morale elle-même qu'est l'ODARC, pourvue d'une mission de service public, n'était pas dotée, dans l'exercice de sa mission, de prérogatives de puissance publique, n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Attendu que, si c'est à tort que, par suite d'une erreur matérielle susceptible d'être rectifiée suivant la procédure prévue aux articles 710 et 711 du code de procédure pénale, l'arrêt indique que la partie civile ne pouvait agir "que sur le fondement de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881", quand il s'agissait de l'article 32 de la même loi, la cour d'appel a justifié sa décision, dès lors que l'Office de développement agricole et rural de Corse (ODARC), établissement public industriel et commercial, immatriculé au registre du commerce et des sociétés, dont les membres sont régis par un statut de droit privé, et qui fonctionne selon les règles du droit commercial en usage dans les entreprises du secteur privé, n'a pas la qualité d'administration publique au sens de l'article 30 de la loi du 29 juillet 1881 ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, 31, 32 et 35 de la loi du 29 juillet 1881, 131-35 et 111-4 du code pénal, 10, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a infirmé le jugement en relevant le caractère diffamatoire de certains propos dénoncés par la partie civile et refuser le bénéfice de la bonne foi aux prévenus ;
"aux motifs que l'ODARC soutient que les passages incriminés contiennent des propos diffamatoires ; qu'ainsi l'ODARC est mise en cause pour son fonctionnement puisqu'il est indiqué dans le premier passage que les primes sont versées avec retard, et dans le quatrième passage est employé le mot « gabegie » ; qu'elle est aussi mise en cause pour son absence de probité puisque que dans le cinquième passage il est évoqué un « paysage corrompu », des « avances crapuleuses », le « blanchiment d'argent », infraction pénale ; que l'article incriminé, publié dans l'hebdomadaire 24 ORE, se présente, sous une rubrique intitulée « face à face », sous la forme d'un échange de vues entre MM. Jean D..., président de la coordination rurale, et Jean-Louis E..., président de l'ODARC, dont les photographies respectives figurent au centre de l'article ; que la bonne foi suppose la réunion de quatre éléments : la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression et la qualité de l'enquête ; que, s'agissant de M D..., dont l'ODARC critique le caractère diffamatoire des propos tenus, si la bonne foi peut faire l'objet d'une appréciation plus large lorsque les propos contestés se présentent dans le cadre d'une polémique à caractère syndical, ces propos ne sont pas moins soumis à l'exigence de mesure et de prudence dans l'expression de la pensée ; qu'en insinuant que l'ODARC rapproche les éleveurs en difficulté des prêteurs « voyous », en accusant l'ODARC d'être un « prête-nom » pour le « blanchiment d'argent », M. D... va au-delà de la simple polémique syndicale ; qu'il sera en conséquence déclaré coupable du délit de complicité de diffamation publique ; que, s'agissant de M. X..., et de Mme F..., respectivement directeur de publication et journaliste, si la rédaction et la publication d'un article consacré à l'ODARC correspond au souci légitime d'informer le public insulaire sur un sujet sensible, encore faut-il que les auteurs, pour invoquer la bonne foi, respectent les exigences de prudence dans la reproduction ou la publication des propos tenus ; qu'en écrivant ou faisant paraître dans un journal, même accompagnés de guillemets, des termes fortement péjoratifs (« voyou ») voire à connotation d'infraction pénale (« blanchiment d'argent ») les prévenus ont fait preuve d'une légèreté blâmable qui doit être sanctionnée ;
"1°) alors que la diffamation suppose l'allégation ou l'imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur les propos, qui doivent se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être sans difficulté l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire, prétendument attentatoires à l'honneur et à la considération de l'ODARC, sa seule mise en cause pour absence de probité étant insuffisante, la cour d'appel a privé sa décision de tous motifs ;
"2°) alors que l'admission de la bonne foi suppose que l'auteur des propos ait agi sans animosité personnelle, en poursuivant un but légitime, avec prudence et mesure dans l'expression en ayant vérifié ses sources ; qu'en se bornant à relever de manière totalement péremptoire, pour écarter la bonne foi, que les prévenus avaient fait preuve d'une légèreté blâmable tout en constatant que l'article litigieux correspondait au souci légitime d'informer le public insulaire sur un sujet sensible, la cour d'appel qui n'a pas indiqué en quoi, sur un tel sujet, les propos dépassaient les limites admissibles à la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, n'a pas légalement justifié sa décision ;
"3°) alors qu'en outre, la cour d'appel ne pouvait valablement refuser le bénéfice de la bonne foi aux prévenus, qui n'avaient aucunement animosité personnelle à l'encontre de la partie civile et s'étaient contentés de rapporter les propos tenus et avaient pris le soin, dans le même article portant sur un sujet d'intérêt général, de retranscrire la position du président de l'ODARC, lequel avait également pu répondre aux arguments de M. D... ;
"4°) alors que la cour d'appel qui s'est bornée à retenir la diffamation sans s'en expliquer n'a pas répondu aux conclusions qui faisaient valoir que la bonne foi devait être appréciée de manière spécifique s'agissant d'une interview" ;
Vu l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Attendu que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l'article 10 précité ;
Attendu que l'arrêt, après avoir, à juste titre, retenu le caractère diffamatoire de certains des passages incriminés imputant à la partie civile une "gabegie" et un comportement frauduleux, a refusé à M. X... le bénéfice de la bonne foi, par les motifs repris au moyen ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que les propos incriminés, qui s'inscrivaient dans le contexte d'un débat d'intérêt public relatif au fonctionnement d'un organisme chargé de la mise en oeuvre des actions de soutien à l'agriculture, intéressant l'ensemble des agriculteurs et des éleveurs de la région, et qui reposaient sur le principe d'une confrontation des points de vue entre un détracteur de l'ODARC et le président de celui-ci, mis en position de répliquer directement aux griefs exposés, ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ; que n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions pénales et civiles concernant M. X..., l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bastia, en date du 19 décembre 2012 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bastia et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier décembre deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 13-80108
Date de la décision : 01/12/2015
Sens de l'arrêt : Cassation partielle sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Bastia, 19 décembre 2012


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 01 déc. 2015, pourvoi n°13-80108


Composition du Tribunal
Président : M. Guérin (président)
Avocat(s) : SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2015:13.80108
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