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08/03/2016 | FRANCE | N°14-24921

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 08 mars 2016, 14-24921


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 1120 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 6 novembre 2012, pourvoi n° 11-19.457), que par un protocole d'accord du 24 novembre 1998, la Société pour l'aménagement et la gestion de l'environnement (la SAGED), aux droits de laquelle est venue la société Consortium de réalisation entreprises (la société CDR), a cédé à la société Entreprise J

ean Lefebvre (la société EJL), aux droits de laquelle est venue la société Vinci...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 1120 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 6 novembre 2012, pourvoi n° 11-19.457), que par un protocole d'accord du 24 novembre 1998, la Société pour l'aménagement et la gestion de l'environnement (la SAGED), aux droits de laquelle est venue la société Consortium de réalisation entreprises (la société CDR), a cédé à la société Entreprise Jean Lefebvre (la société EJL), aux droits de laquelle est venue la société Vinci, les actions représentant le capital de la société Matériaux de l'Essonne et du Loing, qui exploitait un centre d'enfouissement technique de classe III dans l'Essonne, et aux droits de laquelle est venue Ia société Matériaux routiers franciliens (la société MRF) ; que la convention de cession comportait en son article 8 un engagement de non-concurrence ; qu'aux termes de l'article 8.2, la SAGED s'interdisait expressément, pour une durée de dix ans à compter de la date du transfert, de s'intéresser ou de participer directement ou indirectement, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, à toute activité similaire ou susceptible de concurrencer les activités des sociétés cédées dans toute la zone géographique couverte par les départements d'Ile-de-France ; qu'aux termes de l'article 8.3, la SAGED s'engageait en particulier à ne pas exploiter un centre d'enfouissement technique de classe III dans le département de l'Essonne ; qu'en 2001, la SAGED a cédé à la Société d'économie mixte d'actions pour la revalorisation des déchets et des énergies locales les actions représentant le capital d'une autre de ses filiales, la société Carrières de l'Essonne et du Loing (la société CEL), qui était titulaire d'une autorisation d'exploitation d'un centre d'enfouissement technique de classe Ill à Ballancourt dans l'Essonne ; qu'ayant appris que depuis 2002, la société CEL avait sous-traité l'exploitation du site de Ballancourt, les sociétés Vinci et MRF, soutenant, dans le dernier état de leurs écritures, que la SAGED s'était portée fort de la non-exploitation de ce site par ses filiales, ont recherché la responsabilité de la société CDR et demandé que celle-ci soit condamnée à leur payer des dommages-intérêts ;
Attendu que pour accueillir cette demande, l'arrêt, après avoir relevé le caractère équivoque de l'article 8 de la convention de cession relatif aux engagements de non-concurrence, retient que la SAGED étant une société holding sans activité opérationnelle, l'obligation souscrite par cette dernière ne peut s'entendre que comme visant ses filiales opérationnelles non cédées et, singulièrement, la société CEL qui disposait d'une autorisation d'exploitation de classe III pour le site de Ballancourt, directement concurrent des sociétés cédées si cette autorisation était mise en oeuvre ; qu'il retient encore qu'une promesse de porte-fort peut être tacite lorsque l'acte manifeste l'intention certaine du promettant de s'engager pour un tiers, et que tel est le cas en l'espèce, les parties ayant consacré un paragraphe distinct de leur convention à l'interdiction d'exploitation d'un centre d'enfouissement de classe III dans le département de l'Essonne, conférant ainsi à la stipulation litigieuse un caractère déterminant dans l'équilibre de la convention, compte tenu de la circonstance, non contestée, de la détention par la filiale CEL d'un permis d'exploiter un centre de la même catégorie dans ce département ; qu'il en déduit que l'engagement souscrit par la SAGED était nécessairement un engagement de porte-fort, par lequel celle-ci, promettant, s'engageait pour le compte d'un tiers, la société CEL, qui exploitait le site de Ballancourt, à l'égard de son cocontractant, la société EJL ;
Qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel qui, en présence d'un contrat ne comportant pas d'engagement exprès de se porter fort pour autrui, n'a pas relevé d'acte manifestant l'intention certaine et non équivoque de la SAGED de souscrire un tel engagement, a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er juillet 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne les sociétés Vinci et Matériaux routiers franciliens aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit mars deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour la société Consortium de réalisation entreprises
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la SAS CONSORTIUM DE REALISATION ENTREPRISES (CDR ENTREPRISES) est responsable envers la SAS VINCI venant aux droits de la société ENTREPRISE JEAN LEFEBVRE et la SAS MRF (MATERIAUX ROUTIERS FRANCILIENS) venant aux droits de la société MEL (MATERIAUX DE L'ESSONNE ET DU LOING) de la violation de l'obligation de non concurrence commise par la société SAGED et contenue dans l'article 8.2 du Protocole de cession en date du 24 novembre 1998, et d'avoir en conséquence ordonné une mesure d'expertise aux fins d'apprécier le manque à gagner de la société MRF ;
AUX MOTIFS QU' « il est constant que la société Saged a souscrit à une obligation de non-concurrence au bénéfice de la société Entreprise Jean Lefebvre lors de la cession à cette dernière le 24 novembre 1998 des titres d'une société MEL qui exploitait un centre technique d'enfouissement de déchets de classe III dans l'Essonne en s'interdisant d'exploiter dans ce département un centre de même catégorie ;
Que les parties s'accordent sur la cause de cette stipulation tirée de la circonstance qu'à la date de cette cession, la société Saged avait pour filiale une société CEL, non cédée, qui détenait une autorisation administrative d'exploitation, alors non mise en oeuvre, d'un centre d'enfouissement de même catégorie situé à Ballancourt dans l'Essonne ;
Qu'elles sont en revanche contraires sur le débiteur de cette obligation de non-concurrence, le CDR Entreprises, venant aux droits du cédant Saged, soutenant que seule cette dernière, à titre personnel, était débitrice de l'obligation de non-concurrence et qu'elle n'y a pas manqué, n'ayant jamais exploité un centre d'enfouissement, tandis que la société Vinci, venant aux droits du cessionnaire Entreprise Jean Lefebvre, soutient que Saged s'était nécessairement engagée pour le compte de sa filiale CEL en se portant fort de la non exploitation par cette dernière d'activités de classe III sur le site de Ballancourt ;
Que selon l'article 1161 du code civil, toutes les clauses des conventions s'interprètent les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier et selon l'article 1157 lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l'entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle ne pourrait en produire aucun ;
Qu'il sera relevé au préalable que, contrairement à ce que soutient le CDR Entreprises, l'article 8 de la convention relatif aux engagements de non-concurrence est équivoque, l'article 8.2 faisant interdiction à Saged « de s'intéresser et de participer directement ou indirectement sous quelque forme que ce soit ou à quelque titre que ce soit à toute activité » susceptible de concurrencer les sociétés cédées, le premier alinéa de l'article 8.3 stipulant « en particulier » l'engagement de Saged « à ne pas exploiter un centre d'enfouissement technique de classe III dans le département de l'Essonne », sans référence alors à une exploitation directe et indirecte sous quelque forme que ce soit comme précédemment, quand le deuxième alinéa du même article prévoit enfin diverses hypothèses d'exploitation par « Saged ou par un tiers qu'elle se substituerait » ;
Que la disposition litigieuse, en l'espèce l'alinéa premier de l'article 8.2, est dès lors susceptible d'interprétation quant à la débitrice et à la portée de l'obligation de non-concurrence ;
Qu'or, la société Saged étant une société holding sans activité opérationnelle, l'interprétation défendue par l'appelante aux termes de laquelle la Saged se serait seule engagée à ne pas exploiter un centre de classe III, priverait de toute portée l'obligation souscrite, laquelle ne peut dès lors s'entendre que comme visant ses filiales opérationnelles non cédées et singulièrement la société CEL qui disposait d'une autorisation d'exploitation de classe III pour le site de Ballancourt, directement concurrent des sociétés cédées si ladite autorisation y était mise en oeuvre ;
Que cette interprétation se trouve en outre corroborée par la locution « en particulier » qui, figurant en début de l'article 8.3, rattache directement l'obligation ensuite énoncée au paragraphe 8.2 qui précède, lequel interdit à la Saged tout intérêt ou participation « directement ou indirectement » dans une activité concurrente aux activités cédées ;
Qu'il en résulte, comme le soutient désormais la société Vinci, que l'engagement souscrit par la Saged était nécessairement un engagement de porte- fort, au sens de l'article 1120 du Code civil, par lequel la Saged, promettant, s'engageait pour le compte d'un tiers, la société CEL qui exploitait le site de Ballancourt, à l'égard de son cocontractant, la société Entreprise Jean Lefebvre ;
Qu'une promesse de porte-fort peut être tacite dès lors que l'acte manifeste l'intention certaine du promettant de s'engager pour un tiers ;
Que tel est le cas en l'espèce, comme cela ressort du choix des parties de consacrer un paragraphe distinct de leur convention, l'article 8.3, à l'interdiction d'exploitation d'un centre d'enfouissement de classe III dans le département de l'Essonne, quand l'article précédent qui visait tous les départements de l'Ile-de-France se suffisait à lui-même, conférant ainsi à la disposition litigieuse un caractère déterminant dans l'équilibre de la convention, compte tenu de la circonstance, non contestée, de la détention par la filiale CEL d'un permis d'exploiter un centre de la même catégorie dans ce département ;
Qu'il importe peu enfin que le tiers pour lequel la société Saged s'est portée fort ne soit pas précisément désigné dès lors qu'il ressort des pièces produites, des écritures des parties et des circonstances qui ont présidé à la stipulation de la clause litigieuse, que la société CEL était spécialement concernée pour disposer d'une autorisation d'exploiter directement concurrente des activités cédées, le promettant et le tiers entretenant à la date de la convention des liens particulièrement étroits, la société CEL étant filiale à 100 % du promettant ;
Qu'en s'étant obligée pour une durée de 10 ans, la société Saged a garanti à son cocontractant, durant cet entier délai, l'absence d'exploitation par la société CEL d'un site de classe III dans le département de l'Essonne, sans qu'aucune disposition de la convention ne la libère de cet engagement en cas de cession de la société CEL au cours de ladite période ;
Que le CDR Entreprises ne saurait invoquer à cet égard les stipulations de la convention de cession de CEL qu'elle a conclue avec la société Semardel, lesquelles ne sont pas opposables à l'intimée ;
Qu'enfin, si la société Semardel, tiers à l'acte du 24 novembre 1998, n'est pas engagée par l'obligation de non-concurrence qui y était stipulée, celui qui s'est engagé à une obligation de non-concurrence durant un certain délai en se portant fort pour un tiers, engage sa responsabilité contractuelle à l'égard du bénéficiaire quand l'engagement souscrit n'a pas été réalisé ;
Que pour ces motifs, substitués à ceux des premiers juges, le jugement déféré sera confirmé tant en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Vinci, venant aux droits et obligations de la société Saged, ensuite de la transmission universelle de patrimoine de la seconde à la première, qu'en ce qu'il a ordonné une mesure d'expertise confiée à M. X... » ;
1/ ALORS QU'une promesse de porte-fort ne peut résulter que d'actes manifestant l'intention certaine du promettant de s'engager pour un tiers ; que l'existence d'une intention certaine de se porter fort ne peut résulter du simple constat que celui qui a souscrit l'engagement ne peut matériellement l'exécuter, seul un tiers étant en position de le faire ; qu'en l'espèce, pour juger que la SAGED se serait portée fort au nom de la société CEL que celle-ci n'exploiterait pas un centre d'enfouissement de classe III, la Cour d'appel s'est bornée à retenir que le « choix des parties de consacrer un paragraphe distinct de leur convention, l'article 8.3, à l'interdiction d'exploitation d'un centre d'enfouissement de classe III dans le département de l'Essonne, quand l'article précédent qui visait tous les départements de l'Ile-de-France se suffisait à lui-même, conférant ainsi à la disposition litigieuse un caractère déterminant dans l'équilibre de la convention, compte tenu de la circonstance, non contestée, de la détention par la filiale CEL d'un permis d'exploiter un centre de la même catégorie dans ce département » (arrêt, p. 6, pénultième alinéa) ; qu'en statuant ainsi, quand cette circonstance, qui établissait uniquement que le véritable titulaire du droit d'exploiter un centre de classe d'enfouissement de classe III était la société CEL, était impropre à établir l'intention tacite mais certaine de la SAGED de se porter fort pour autrui, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1120 du Code civil ;
2/ ALORS QU'une promesse de porte fort suppose que l'engagement soit pris pour le compte d'un tiers déterminé ; qu'en jugeant pourtant qu'« il importe peu enfin que le tiers pour lequel la société Saged s'est portée fort ne soit pas précisément désigné dès lors qu'il ressort des pièces produites, des écritures des parties et des circonstances qui ont présidé à la stipulation de la clause litigieuse, que la société CEL était spécialement concernée pour disposer d'une autorisation d'exploiter directement concurrente des activités cédées » (arrêt, p. 6, dernier alinéa), la Cour d'appel a violé l'article 1120 du Code civil ;
3/ ALORS ET EN TOUTE HYPOTHESE QUE, dans ses motifs, la Cour d'appel a retenu que la société SAGED aurait souscrit un engagement de porte-fort : « l'engagement souscrit par la Saged était nécessairement un engagement de porte-fort, au sens de l'article 1120 du Code civil » (arrêt, p. 6, alinéa 6) ; qu'il résulte de son dispositif que la SAGED aurait souscrit une obligation de non-concurrence, l'arrêt ayant confirmé le jugement en ce qu'il avait « dit que la SAS CONSORTIUM DE REALISATION ENTREPRISES (CDR ENTREPRISES) est responsable envers la SAS VINCI venant aux droits de la société ENTREPRISE JEAN LEFEBVRE et la SAS MRF (MATERIAUX ROUTIERS FRANCILIENS) venant aux droits de la société MEL (MATERIAUX DE L'ESSONNE ET DU LOING) de la violation de l'obligation de non concurrence commise par la société SAGED et contenue dans l'article 8.2 du Protocole de cession en date du 24 novembre 1998 » (jugement, p. 8, dernier alinéa) ; qu'en entachant ainsi sa décision d'une contradiction entre les motifs et le dispositif de son arrêt, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 14-24921
Date de la décision : 08/03/2016
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 01 juillet 2014


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 08 mar. 2016, pourvoi n°14-24921


Composition du Tribunal
Président : Mme Mouillard (président)
Avocat(s) : SCP Bénabent et Jéhannin, SCP Monod, Colin et Stoclet

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2016:14.24921
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