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22/02/2017 | FRANCE | N°16-12922

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 22 février 2017, 16-12922


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 novembre 2015), que lors d'une vente aux enchères publiques organisée le 18 juin 2008, la société Librairie Jean-Claude Vrain (la société) a acquis divers lots qui avaient, préalablement, fait l'objet d'une revendication par les Archives de France, ainsi que l'avait indiqué le commissaire-priseur lors de la vente ; que ces lots étaient constitués de plusieurs documents, un tapuscrit du discours radiophonique de Philippe Pétain du 30 octobre 1940 (lot 104),

un brouillon de communiqué de presse consécutif à l'entrevue de Mont...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 novembre 2015), que lors d'une vente aux enchères publiques organisée le 18 juin 2008, la société Librairie Jean-Claude Vrain (la société) a acquis divers lots qui avaient, préalablement, fait l'objet d'une revendication par les Archives de France, ainsi que l'avait indiqué le commissaire-priseur lors de la vente ; que ces lots étaient constitués de plusieurs documents, un tapuscrit du discours radiophonique de Philippe Pétain du 30 octobre 1940 (lot 104), un brouillon de communiqué de presse consécutif à l'entrevue de Montoire (lot 104), une note manuscrite de Philippe Pétain sur les suites de cette entrevue (lot 104), une transcription de l'appel du 18 juin 1940, soulignée et cochée par ce dernier (lot 105) et un brouillon dactylographié et annoté du discours de Philippe Pétain du 8 juillet 1940 (lot 105) ; que le ministre de la culture et de la communication a assigné la société pour faire constater que les documents litigieux constituent des archives publiques et ordonner la restitution de ces documents à l'État, sous astreinte ;

Sur les deux premiers moyens, ci-après annexés :

Attendu que ces moyens ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de dire que les trois documents composant le lot 104 ainsi que les deux documents composant le lot 105 sont des archives publiques et d'ordonner en conséquence la restitution de ces cinq documents à l'Etat, alors, selon le moyen :

1°/ que les archives publiques sont notamment les documents qui procèdent de l'activité, dans le cadre de leur mission de service public, de l'État, des collectivités territoriales, des établissements publics et des autres personnes morales de droit public ou des personnes de droit privé chargées d'une telle mission ; que de simples brouillons et travaux préparatoires dont les différences avec les documents définitifs sont insignifiantes ne sauraient avoir le caractère d'archives publiques en ce qu'ils n'ont aucune valeur historique ; qu'en décidant le contraire la cour d'appel a méconnu l'article L. 211-4 du code du patrimoine, ensemble les articles L. 211-1 et L. 211-5 du même code ;

2°/ que le simple tapuscrit de l'appel du général de Gaulle dont certains paragraphes ont été cochés ou surlignés par Philippe Pétain n'a pas la nature d'archives publiques au sens de l'article L. 212-4 pour ne pas être l'oeuvre intellectuelle de Philippe Pétain et ne comporter aucune annotation personnelle de celui-ci, rajoutant alors au texte original ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a méconnu l'article L. 211-4 du code du patrimoine, ensemble les articles L. 211-1 et L. 211-5 du même code ;

Mais attendu que l'arrêt retient, à bon droit, que le caractère public d'une archive de l'Etat est déterminé par le constat qu'elle procède de l'activité de celui-ci dans sa mission de service public, de sorte que la nature préparatoire ou inachevée du document est indifférente ;

Et attendu, d'abord, qu'après avoir constaté que certains documents émanaient de Philippe Pétain, alors chef de l'Etat français, la cour d'appel a exactement décidé, abstraction faite des motifs surabondants portant sur la valeur historique de ces écrits, qu'ils avaient la qualité d'archives publiques ;

Attendu, ensuite, qu'ayant relevé que le tapuscrit de l'appel du 18 juin 1940 avait été souligné ou coché par Philippe Pétain, elle a fait ressortir que, même sans autre annotation de celui-ci, un tel document procédait de l'activité de l'Etat dans sa mission de service public, comme tel constitutif d'une archive publique ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Librairie Jean-Claude Vrain aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer au ministre de la culture la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux février deux mille dix-sept.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour la société Librairie Jean-Claude Vrain.

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est reproché à l'arrêt attaqué de ne pas avoir sursis à statuer pour poser une question préjudicielle au juge administratif relativement à la nature d'archives publiques des documents litigieux ;

Aux motifs propres que :

« C'est par des motifs appropriés que la cour adopte que le tribunal a constaté que l'action en revendication de l'Etat Français ne pouvait être considérée comme tardive et que le seul délai de mise en oeuvre de celle-ci ne pouvait en tout état de cause avoir pour conséquence de la priver de tout fondement.

En effet l'article L 212-1 du code du patrimoine ouvrant à l'Etat Français un droit de revendiquer imprescriptible, il ne peut dés lors être retenu, ainsi que le soutient la société appelante, qu'en revendiquant les biens litigieux dix huit mois après leur acquisition, l'Etat Français aurait agi de façon fautive de sorte que sa demande ne serait plus fondée.

C'est également à juste titre que les premiers juges ont décidé que les trois documents constituant le lot 104 ainsi que le brouillon dactylographié du discours du maréchal Pétain du 8 juillet 1940 comportant des annotations de sa main, intitulé " note sur les événements anglais" constituaient des archives publiques au sens de l'article L 211-14 du code du patrimoine .

Ce texte énonce que :
" Les archives publiques sont :
a) les documents qui procèdent de l'activité dans le cadre de leur mission de service public, de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics et des autres personnes morales de droit public ou des personnes de droit privé chargées d'une telle mission (....)".

Ainsi les deux seuls critères qui définissent le caractère public d'une archive sont que le document doit procéder de l'activité de l'Etat et doit avoir été établi dans le cadre d'une mission de service public.

En revanche la forme importe peu : documents préparatoires ou inachevés, notes de travail, brouillons et il n'est pas nécessaire qu'ils aient été revêtus du sceau de la République.

Enfin la circonstance tenant à la diffusion, la divulgation ou non du document en cause est indifférente à sa qualification d'archives publiques au regard des dispositions de l'article L 211-14 du code du patrimoine précité.

En l'espèce le lot 104 de la vente aux enchères publiques du 18 juin 2008 était composé:
- d'un tapuscrit du discours radiophonique du maréchal Pétain du 30 octobre 1940, justifiant notamment la décision de collaborer avec l'Allemagne,
- un brouillon du communiqué de presse consécutif à l'entrevue de Montoire, écrit par l'amiral Fernetti sous la dictée du maréchal Pétain, dans lequel il est notamment écrit "L'entretien qui a eu lieu le 24 octobre entre le chancelier Hitler et le Maréchal Pétain, s'est déroulé dans une atmosphère de haute courtoisie. Le Maréchal a été reçu avec les honneurs dus à son rang (...)",
- une note manuscrite du maréchal Pétain sur les suites de l'entrevue de Montoire qui comprend les annotations suivantes :" le gouvernement a accepté de collaborer (...) Envisager un plan d'ensemble pour construire l'Europe de demain (...)".

Par ailleurs le lot 105 comprenait :
- d'un tapuscrit de l'appel du général de Gaulle du 18 juin 1940 sur lequel certains paragraphes étaient cochés et soulignés au crayon par le maréchal Pétain,
- un brouillon dactylographié du discours du maréchal Pétain du 8 juillet 1940 portant des annotations de sa main, intitulé " note sur les événements anglais".

Les cinq documents retenus par le tribunal comme constituant des archives publiques émanent tous du maréchal Pétain qui à l'époque exerçait les fonctions de chef de l'Etat.

Sur ce point il importe peu que l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental ait annulé la portée légale des actes réglementaires et législatifs pris à partir du 16 juin 1940 par l'autorité dénommée Gouvernement de Vichy dés lors qu'il n'est plus discuté que celle-ci participe de la continuité de l'Etat Français pour la période du 16 juin 1940 jusqu'à la Libération.

Ces documents émanent d'un homme public dans l'exercice de ses fonctions publiques de chef de l'Etat Français. Ils relèvent ainsi que l'écrit M. Denis A..., directeur de recherche au CNRS, dans son attestation du 23 juin 2015 "du processus décisionnel d'un personnage public dans le cadre de son activité de personnage public" dont les pensées et réflexions sont le fait non pas d'une personne privée, simple spectateur de la vie politique de son pays, mais de l'homme qui alors dirigeait l'Etat Français et qui à ce titre en était l'acteur principal.

Contrairement à ce que soutient la S.A.R.L. La librairie Jean-Claude Vrain ces documents ne peuvent être analysés comme " des papiers corbeille", à savoir " des documents de toutes sortes n'ayant pas vocation à être conservés dans un dossier car dénués d'intérêt administratif et historique".

En effet ils concernent des événements majeurs de l'histoire de la France qui ont certes déjà donné lieu à de nombreuses analyses mais qui conservent à ce titre un intérêt pour les chercheurs et les historiens du régime de Vichy comme en attestent M. Denis A..., mais également Mme Bénédicte B..., docteur en histoire de l'institut d'Etudes politiques de Paris dans son attestation du 3 septembre 2015, dont la sincérité ne peut être a priori suspectée, qui explique notamment que la note manuscrite du maréchal Pétain sur les suites de l'entrevue de Montoire constitue " une source majeure sur la rencontre entre Pétain et Hitler (....) dont devait naître la politique de collaboration, si déterminante dans l'histoire de notre pays" .

Et si ces documents peuvent n'apparaître dans leur substance comme n'étant que la simple variante de phrases déjà exprimées dans d'autres écrits, l'existence de nuances dans la formulation de la pensée de leur auteur ainsi mises en lumière, reste cependant un élément de connaissance indispensable du cheminement de celle-ci ayant conduit à la prise de décision de sorte que c'est à tort que la S.A.R.L. La librairie Jean-Claude Vrain leur dénie toute valeur historique.

Dés lors qu'il vient d'être constaté que les documents litigieux émanent du maréchal Pétain dans l'exercice même de ses fonctions de chef de l'Etat, est inopérant l'argument soutenu par la société appelante tiré de ce que les Archives Nationales détiendraient de très nombreux autres documents qui n'auraient pas le statut d'archives publiques puisque figurant dans la section 415 AP des archives privées ce qui, d'après elle, conférerait nécessairement cette qualité aux écrits en cause.

Tout autant et contrairement a ce qu'a décidé le tribunal, doit être également reconnue la qualité d'archive publique au tapuscrit de l'appel du général de Gaulle.

En effet, souligner ou cocher certains passages d'un écrit par rapport à d'autres, même en dehors de toute annotation, n'est pas en soi anodin lorsque ces manifestations qui concernent un événement majeur de l'histoire de la France, émanent du chef de l'Etat dont elle révèlent ainsi les réactions de l'homme politique à un moment crucial de l'histoire du pays.

Dés lors que pour être qualifié d'archive publique le document concerné n'est soumis à aucune exigence de forme particulière, cette qualité ne peut qu'être reconnue au tapuscrit litigieux ».

Et aux motifs éventuellement adoptés que :

« L'action en revendication ouverte à tout propriétaire permet de faire rétablir le droit de propriété sur un bien.

L'appartenance des Archives publiques au domaine public est prévue par l'article L 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques.

Comme éléments du domaine public, les archives publiques sont inaliénables et imprescriptibles, ce dont dispose l'article L 212-1 du code du patrimoine et peuvent donc faire comme telles l'objet d'une revendication perpétuelle par l'Etat.

Il résulte de ce principe qu'il ne peut être reproché à l'Etat la tardivité de son action en revendication, sauf à remettre alors en cause le principe de l'imprescriptibilité de son domaine,

En tout état de cause le délai de mise en oeuvre d'une action en revendication par l'Etat ne peut avoir pour effet juridique de priver de fondement son action, comme le soutient à tort la défenderesse.

Aux termes de l'article L 211-4 du code du patrimoine les archives publiques sont des documents qui procèdent de l'activité, dans le cadre de leur mission de service public, de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics et des autres personnes morales de droit public ou des personnes de droit privé chargées d'une telle mission ....
Constitue donc une archive publique, au sens de ces dispositions, tout document qui procède de l'activité de l'Etat.

En l'espèce le lot 104 intitulé La rencontre de Montoire comprend
1) un tapuscrit du discours radiophonique du Maréchal Pétain du 30 octobre 1940 dans lequel on peut lire :
« C'est moi seul que l'histoire jugera ( ...) c'est pour rendre moins lourd le poids de l'occupation, c'est pour accélérer le rapatriement de nos prisonniers, c'est pour atténuer la rigidité de la ligne de démarcation que j'accepte aujourd'hui la collaboration qui m'est proposé par l'Allemagne » ;
2) un brouillon du communiqué de presse consécutif à l'entrevue de Montoire écrit par l'Amiral Fernet, sous la dictée du Maréchal Pétain, daté du 26 octobre 1940 où il est dit :
« L'entretien qui a eu lieu le 24 octobre entre le Chancelier Hitler et le Maréchal Pétain s'est déroulé dans une atmosphère de haute courtoise. Le maréchal a été reçu avec les honneurs dus à son rang ... » ;
3) une note manuscrite du Maréchal Pétain sur les suites de l'entrevue de Montoire qui comprend les annotations suivantes ; « le Gouvernement a accepté de collaborer (...) Envisager un plan d'ensemble pour construire l'Europe de demain ... » ;

Ces trois documents procèdent de l'activité du Maréchal Pétain, en tant que chef de l'Etat Français.

Ces documents constituent des archives publiques au sens de l'article L 211-4 du code du patrimoine et ce indépendamment de la nature de leur support ou du caractère non définitif, étant relevé que la nature publique du document constitué par le brouillon du communiqué de presse est confirmée par la mention « La Présidence du Conseil communique ».

La circonstance que ces documents sont à l'état de brouillon ou n'ont jamais été diffusés ou ont été diffusés sous une autre forme comme c'est le cas du tapuscrit relatif au discours radiophonique de l'entrevue de Montoire, est inopérante dès lors que ces documents relèvent de l'activité de l'Etat pour émaner d'un Chef d'Etat dans le cadre de ses fonctions, seul critère légal pour reconnaître à un document le caractère d'archives publiques au sens de l'article L 212-4 du code du patrimoine .

Le lot 105 intitulé « Philippe Pétain ; Chemise Angleterre contre France » est composé de deux documents :
a)un tapuscrit de l'appel du Général de Gaulle du 18 juin 1940 sur lequel certains paragraphes ont été cochés ou surlignés au crayon par le Maréchal Pétain
b) un brouillon dactylographié du discours du Maréchal Pétain du 8 juillet 1940 avec annotations de sa main intitulé « note sur les événements anglais ». (…)

En revanche la qualification d'archives publiques au sens des dispositions ci-dessus visées doit être attribuée au second document composant le lot 105, pour être un document produit par le Maréchal Pétain dans l'exercice de ses fonctions de chef d'Etat.

L'ordonnance du 9 aout 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire national continental a annulé la portée légale des actes réglementaires et législatifs pris à compter du 16 juin 1940 par le gouvernement Pétain puis Laval jusqu'à l'établissement du Gouvernement provisoire.

Les archives produites par ces deux gouvernements dont les actes encourent la nullité, constituent néanmoins des archives publiques au sens de l'article L 212-4 du code du patrimoine.

En conséquence, il est fait droit à la demande de l'Etat Français pour l'ensemble des documents composant le lot 104 et le document du lot 105 correspondant au brouillon dactylographié du discours du Maréchal Pétain du 8 juillet 1940, l'Etat Français étant débouté de sa demande en revendication pour le document correspondant au tapuscrit de l'appel du Général de Gaulle.

Les éléments de la cause ne justifient pas que soit prononcée une astreinte comme il est demandé ».

Alors que commet un excès de pouvoir le juge judiciaire qui connaît d'un litige qui relève de la compétence du juge administratif ; que l'action en revendication d'archives publiques introduite par une personne publique contre une personne privée en possession de laquelle se trouve ces documents relève de la compétence du juge judiciaire sous réserve d'une éventuelle question préjudicielle au juge administratif en cas de difficulté sérieuse portant sur la détermination du caractère public desdites archives ; qu'en l'espèce, le caractère public des documents litigieux posent une difficulté sérieuse ; que le juge judiciaire n'était donc pas compétent pour déterminer la nature des documents en cause et aurait dû surseoir à statuer pour poser une question préjudicielle au juge administratif ; qu'en s'abstenant de le faire, le juge judiciaire a commis un excès de pouvoir et a méconnu l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790, ensemble le décret du 16 fructidor an III.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est reproché à l'arrêt attaqué, partiellement confirmatif, d'avoir dit que les trois documents composant le lot 104 ainsi que les deux documents composant le lot 105 acquis, lors de la vente aux enchères publiques du 18 juin 2008, par la SARL LIBRAIRIE JEAN-CLAUDE VRAIN sont des archives publiques et d'avoir en conséquence ordonné la restitution de ces cinq documents à l'Etat Français, Ministère de la culture et de la communication.

Aux motifs que : « C'est par des motifs appropriés que la cour adopte que le tribunal a constaté que l'action en revendication de l'Etat Français ne pouvait être considérée comme tardive et que le seul délai de mise en oeuvre de celle-ci ne pouvait en tout état de cause avoir pour conséquence de la priver de tout fondement.

En effet l'article L 212-1 du code du patrimoine ouvrant à l'Etat Français un droit de revendiquer imprescriptible, il ne peut dés lors être retenu, ainsi que le soutient la société appelante, qu'en revendiquant les biens litigieux dix huit mois après leur acquisition, l'Etat Français aurait agi de façon fautive de sorte que sa demande ne serait plus fondée.

C'est également à juste titre que les premiers juges ont décidé que les trois documents constituant le lot 104 ainsi que le brouillon dactylographié du discours du maréchal Pétain du 8 juillet 1940 comportant des annotations de sa main, intitulé " note sur les événements anglais" constituaient des archives publiques au sens de l'article L 211-14 du code du patrimoine »

Alors que, d'une part, les dispositions de l'article L. 212-1 du code du patrimoine méconnaissant, d'abord, le droit de propriété, ensuite, la liberté du commerce et de l'industrie, la liberté d'entreprendre et, enfin, la propre compétence du législateur, la déclaration d'inconstitutionnalité qui sera prononcée par le Conseil constitutionnel sur le fondement de la question présentée dans le présent litige privera de tout fondement juridique la décision de la cour d'appel ayant fait application de ce texte.

Alors que, d'autre part, en ordonnant, sur le fondement de l'article L. 212-1 du code du patrimoine, la restitution sans indemnisation de documents acquis par un professionnel de bonne foi, la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée, en l'espèce, au droit de propriété de ce professionnel, en violation de l'article 1er du 1er protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)

Il est reproché à l'arrêt attaqué, partiellement confirmatif, d'avoir dit que les trois documents composant le lot 104 ainsi que les deux documents composant le lot 105 acquis, lors de la vente aux enchères publiques du 18 juin 2008, par la SARL LIBRAIRIE JEAN-CLAUDE VRAIN sont des archives publiques et d'avoir en conséquence ordonné la restitution de ces cinq documents à l'Etat Français, Ministère de la culture et de la communication.

Aux motifs propres que :

« C'est par des motifs appropriés que la cour adopte que le tribunal a constaté que l'action en revendication de l'Etat Français ne pouvait être considérée comme tardive et que le seul délai de mise en oeuvre de celle-ci ne pouvait en tout état de cause avoir pour conséquence de la priver de tout fondement.

En effet l'article L 212-1 du code du patrimoine ouvrant à l'Etat Français un droit de revendiquer imprescriptible, il ne peut dés lors être retenu, ainsi que le soutient la société appelante, qu'en revendiquant les biens litigieux dix huit mois après leur acquisition, l'Etat Français aurait agi de façon fautive de sorte que sa demande ne serait plus fondée.

C'est également à juste titre que les premiers juges ont décidé que les trois documents constituant le lot 104 ainsi que le brouillon dactylographié du discours du maréchal Pétain du 8 juillet 1940 comportant des annotations de sa main, intitulé " note sur les événements anglais" constituaient des archives publiques au sens de l'article L 211-14 du code du patrimoine .

Ce texte énonce que :
" Les archives publiques sont :
a) les documents qui procèdent de l'activité dans le cadre de leur mission de service public, de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics et des autres personnes morales de droit public ou des personnes de droit privé chargées d'une telle mission (....)".

Ainsi les deux seuls critères qui définissent le caractère public d'une archive sont que le document doit procéder de l'activité de l'Etat et doit avoir été établi dans le cadre d'une mission de service public.

En revanche la forme importe peu : documents préparatoires ou inachevés, notes de travail, brouillons et il n'est pas nécessaire qu'ils aient été revêtus du sceau de la République.

Enfin la circonstance tenant à la diffusion, la divulgation ou non du document en cause est indifférente à sa qualification d'archives publiques au regard des dispositions de l'article L 211-14 du code du patrimoine précité.

En l'espèce le lot 104 de la vente aux enchères publiques du 18 juin 2008 était composé:
- d'un tapuscrit du discours radiophonique du maréchal Pétain du 30 octobre 1940, justifiant notamment la décision de collaborer avec l'Allemagne,
- un brouillon du communiqué de presse consécutif à l'entrevue de Montoire, écrit par l'amiral Fernetti sous la dictée du maréchal Pétain, dans lequel il est notamment écrit "L'entretien qui a eu lieu le 24 octobre entre le chancelier Hitler et le Maréchal Pétain, s'est déroulé dans une atmosphère de haute courtoisie. Le Maréchal a été reçu avec les honneurs dus à son rang (...)",
- une note manuscrite du maréchal Pétain sur les suites de l'entrevue de Montoire qui comprend les annotations suivantes :" le gouvernement a accepté de collaborer (...) Envisager un plan d'ensemble pour construire l'Europe de demain (...)".

Par ailleurs le lot 105 comprenait :
- d'un tapuscrit de l'appel du général de Gaulle du 18 juin 1940 sur lequel certains paragraphes étaient cochés et soulignés au crayon par le maréchal Pétain,
- un brouillon dactylographié du discours du maréchal Pétain du 8 juillet 1940 portant des annotations de sa main, intitulé " note sur les événements anglais".

Les cinq documents retenus par le tribunal comme constituant des archives publiques émanent tous du maréchal Pétain qui à l'époque exerçait les fonctions de chef de l'Etat.

Sur ce point il importe peu que l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental ait annulé la portée légale des actes réglementaires et législatifs pris à partir du 16 juin 1940 par l'autorité dénommée Gouvernement de Vichy dés lors qu'il n'est plus discuté que celle-ci participe de la continuité de l'Etat Français pour la période du 16 juin 1940 jusqu'à la Libération.

Ces documents émanent d'un homme public dans l'exercice de ses fonctions publiques de chef de l'Etat Français. Ils relèvent ainsi que l'écrit M. Denis A..., directeur de recherche au CNRS, dans son attestation du 23 juin 2015 "du processus décisionnel d'un personnage public dans le cadre de son activité de personnage public" dont les pensées et réflexions sont le fait non pas d'une personne privée, simple spectateur de la vie politique de son pays, mais de l'homme qui alors dirigeait l'Etat Français et qui à ce titre en était l'acteur principal.

Contrairement à ce que soutient la S.A.R.L. La librairie Jean-Claude Vrain ces documents ne peuvent être analysés comme " des papiers corbeille", à savoir " des documents de toutes sortes n'ayant pas vocation à être conservés dans un dossier car dénués d'intérêt administratif et historique".

En effet ils concernent des événements majeurs de l'histoire de la France qui ont certes déjà donné lieu à de nombreuses analyses mais qui conservent à ce titre un intérêt pour les chercheurs et les historiens du régime de Vichy comme en attestent M. Denis A..., mais également Mme Bénédicte B..., docteur en histoire de l'institut d'Etudes politiques de Paris dans son attestation du 3 septembre 2015, dont la sincérité ne peut être a priori suspectée, qui explique notamment que la note manuscrite du maréchal Pétain sur les suites de l'entrevue de Montoire constitue " une source majeure sur la rencontre entre Pétain et Hitler (....) dont devait naître la politique de collaboration, si déterminante dans l'histoire de notre pays" .

Et si ces documents peuvent n'apparaître dans leur substance comme n'étant que la simple variante de phrases déjà exprimées dans d'autres écrits, l'existence de nuances dans la formulation de la pensée de leur auteur ainsi mises en lumière, reste cependant un élément de connaissance indispensable du cheminement de celle-ci ayant conduit à la prise de décision de sorte que c'est à tort que la S.A.R.L. La librairie Jean-Claude Vrain leur dénie toute valeur historique.

Dés lors qu'il vient d'être constaté que les documents litigieux émanent du maréchal Pétain dans l'exercice même de ses fonctions de chef de l'Etat, est inopérant l'argument soutenu par la société appelante tiré de ce que les Archives Nationales détiendraient de très nombreux autres documents qui n'auraient pas le statut d'archives publiques puisque figurant dans la section 415 AP des archives privées ce qui, d'après elle, conférerait nécessairement cette qualité aux écrits en cause.

Tout autant et contrairement a ce qu'a décidé le tribunal, doit être également reconnue la qualité d'archive publique au tapuscrit de l'appel du général de Gaulle.

En effet, souligner ou cocher certains passages d'un écrit par rapport à d'autres, même en dehors de toute annotation, n'est pas en soi anodin lorsque ces manifestations qui concernent un événement majeur de l'histoire de la France, émanent du chef de l'Etat dont elle révèlent ainsi les réactions de l'homme politique à un moment crucial de l'histoire du pays.

Dés lors que pour être qualifié d'archive publique le document concerné n'est soumis à aucune exigence de forme particulière, cette qualité ne peut qu'être reconnue au tapuscrit litigieux ».

Et aux motifs éventuellement adoptés que :

« L'action en revendication ouverte à tout propriétaire permet de faire rétablir le droit de propriété sur un bien.

L'appartenance des Archives publiques au domaine public est prévue par l'article L 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques.

Comme éléments du domaine public, les archives publiques sont inaliénables et imprescriptibles, ce dont dispose l'article L 212-1 du code du patrimoine et peuvent donc faire comme telles l'objet d'une revendication perpétuelle par l'Etat.

Il résulte de ce principe qu'il ne peut être reproché à l'Etat la tardivité de son action en revendication, sauf à remettre alors en cause le principe de l'imprescriptibilité de son domaine,

En tout état de cause le délai de mise en oeuvre d'une action en revendication par l'Etat ne peut avoir pour effet juridique de priver de fondement son action, comme le soutient à tort la défenderesse.

Aux termes de l'article L 211-4 du code du patrimoine les archives publiques sont des documents qui procèdent de l'activité, dans le cadre de leur mission de service public, de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics et des autres personnes morales de droit public ou des personnes de droit privé chargées d'une telle mission ....

Constitue donc une archive publique, au sens de ces dispositions, tout document qui procède de l'activité de l'Etat.

En l'espèce le lot 104 intitulé La rencontre de Montoire comprend
1) un trapuscrit du discours radiophonique du Maréchal Pétain du 30 octobre 1940 dans lequel on peut lire :
« C'est moi seul que l'histoire jugera ( ...) c'est pour rendre moins lourd le poids de l'occupation, c 'est pour accélérer le rapatriement de nos prisonniers, c'est pour atténuer la rigidité de la ligne de démarcation que j'accepte aujourd'hui la collaboration qui m'est proposé par l'Allemagne » ;
2) un brouillon du communiqué de presse consécutif à l'entrevue de Montoire écrit par l'Amiral Fernet, sous la dictée du Maréchal Pétain, daté du 26 octobre 1940 où il est dit :
« L'entretien qui a eu lieu le 24 octobre entre le Chancelier Hitler et le Maréchal Pétain s'est déroulé dans une atmosphère de haute courtoise. Le maréchal a été reçu avec les honneurs dus à son rang ... » ;
3) une note manuscrite du Maréchal Pétain sur les suites de l'entrevue de Montoire qui comprend les annotations suivantes ; « le Gouvernement a accepté de collaborer (...) Envisager un plan d'ensemble pour construire 1 'Europe de demain ... » ;

Ces trois documents procèdent de l'activité du Maréchal Pétain, en tant que chef de l'Etat Français.

Ces documents constituent des archives publiques au sens de l'article L 211-4 du code du patrimoine et ce indépendamment de la nature de leur support ou du caractère non définitif, étant relevé que la nature publique du document constitué par le brouillon du communiqué de presse est confirmée par la mention « La Présidence du Conseil communique ».

La circonstance que ces documents sont à l'état de brouillon ou n'ont jamais été diffusés ou ont été diffusés sous une autre forme comme c'est le cas du tapuscrit relatif au discours radiophonique de l'entrevue de Montoire, est inopérante dès lors que ces documents relèvent de l'activité de l'Etat pour émaner d'un Chef d'Etat dans le cadre de ses fonctions, seul critère légal pour reconnaître à un document le caractère d'archives publiques au sens de l'article L 212-4 du code du patrimoine .

Le lot 105 intitulé « Philippe Pétain ; Chemise Angleterre contre France » est composé de deux documents :
a)un tapuscrit de l'appel du Général de Gaulle du 18 juin 1940 sur lequel certains paragraphes ont été cochés ou surlignés au crayon par le Maréchal Pétain
b) un brouillon dactylographié du discours du Maréchal Pétain du 8 juillet 1940 avec annotations de sa main intitulé « note sur les événements anglais ». (…)
En revanche la qualification d'archives publiques au sens des dispositions ci-dessus visées doit être attribuée au second document composant le lot 105, pour être un document produit par le Maréchal Pétain dans l'exercice de ses fonctions de chef d'Etat.

L'ordonnance du 9 aout 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire national continental a annulé la portée légale des actes réglementaires et législatifs pris à compter du 16 juin 1940 par le gouvernement Pétain puis Laval jusqu'à l'établissement du Gouvernement provisoire.

Les archives produites par ces deux gouvernements dont les actes encourent la nullité, constituent néanmoins des archives publiques au sens de l'article L 212-4 du code du patrimoine.

En conséquence, il est fait droit à la demande de l'Etat Français pour l'ensemble des documents composant le lot 104 et le document du lot 105 correspondant au brouillon dactylographié du discours du Maréchal Pétain du 8 juillet 1940, l'Etat Français étant débouté de sa demande en revendication pour le document correspondant au tapuscrit de l'appel du Général de Gaulle.

Les éléments de la cause ne justifient pas que soit prononcée une astreinte comme il est demandé ».

Alors, d'une part, que les archives publiques sont notamment les documents qui procèdent de l'activité, dans le cadre de leur mission de service public, de l'État, des collectivités territoriales, des établissements publics et des autres personnes morales de droit public ou des personnes de droit privé chargées d'une telle mission ; que de simples brouillons et travaux préparatoires dont les différences avec les documents définitifs sont insignifiantes ne sauraient avoir le caractère d'archives publiques en ce qu'ils n'ont aucune valeur historique ; qu'en décidant le contraire la Cour d'appel a méconnu l'article L. 211-4 du Code du patrimoine, ensemble les articles L. 211-1 et L. 211-5 du même Code ;

Alors, d'autre part, que; le simple tapuscrit de l'appel du Général de Gaulle dont certains paragraphes ont été cochés ou surlignés par le Maréchal Pétain n'a pas la nature d'archives publiques au sens de l'article L 212-4 pour ne pas être l'oeuvre intellectuelle du Maréchal Pétain et ne comporter aucune annotation personnelle de celui-ci, rajoutant alors au texte original ; qu'en décidant le contraire, le Cour d'appel a méconnu l'article L. 211-4 du Code du patrimoine, ensemble les articles L. 211-1 et L. 211-5 du même Code ;


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 16-12922
Date de la décision : 22/02/2017
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

PROPRIETE - Action en revendication - Meuble - Fonds d'archives - Caractère public ou privé - Caractérisation - Critères - Détermination

ETAT - Archive - Caractère public ou privé - Définition - Critères - Mission de service public ETAT - Archive - Caractère public ou privé - Définition - Exclusion - Applications diverses

Le caractère public d'une archive de l'Etat est déterminé par le constat qu'elle procède de l'activité de celui-ci dans sa mission de service public. Ni la nature préparatoire ou inachevée du document ni la valeur historique des écrits n'a d'incidence sur la qualification d'archive publique. Un document souligné ou coché par un agent de l'Etat dans l'exercice de ses fonctions procède de l'activité de l'Etat dans sa mission de service public


Références :

articles L. 211-4, L. 211-1 et L. 211-5 du code du patrimoine

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 24 novembre 2015

Sur la caractérisation du caractère public d'archives, à rapprocher : 1re Civ., 21 octobre 2015, pourvoi n° 14-19807, Bull. 2015, I, n° 253 (cassation)


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 22 fév. 2017, pourvoi n°16-12922, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat général : Mme Ancel
Rapporteur ?: Mme Gargoullaud
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:16.12922
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