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30/04/2024 | FRANCE | N°C2400497

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 30 avril 2024, C2400497


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° F 23-81.586 F-D


N° 00497




GM
30 AVRIL 2024




CASSATION




M. BONNAL président,
















R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 30 AVRIL 2024






M. [S] [J] a

formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 30 novembre 2022, qui, pour harcèlement moral, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis et 3 000 euros d'amende.


Un mémoire a été ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° F 23-81.586 F-D

N° 00497

GM
30 AVRIL 2024

CASSATION

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 30 AVRIL 2024

M. [S] [J] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 30 novembre 2022, qui, pour harcèlement moral, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis et 3 000 euros d'amende.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [S] [J], et les conclusions de Mme Djemni-Wagner, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mars 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Seys, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [S] [J], médecin chef de service à l'[2] ([1]), a été poursuivi du chef de harcèlement moral dans le cadre du travail, pour des faits commis au préjudice de l'un des médecins exerçant dans cet établissement, Mme [W] [R], qui s'est constituée partie civile.

3. Par jugement du 8 mars 2021, le tribunal correctionnel a relaxé le prévenu et prononcé sur les intérêts civils.

4. Le procureur de la République a relevé appel des seules dispositions de cette décision sur l'action publique.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

5. Ils n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [J] coupable de harcèlement moral, alors « que les agissements constitutifs d'un harcèlement moral, lorsqu'ils sont le fait d'un supérieur hiérarchique, doivent excéder ce qu'autorise l'exercice normal d'un pouvoir de direction ; que, pour retenir que le prévenu, directeur d'un institut médico-légal, avait eu à l'égard de la partie civile, praticienne hospitalière recrutée au sein de son service, des agissements constitutifs d'harcèlement moral en lui demandant en réunion de rédiger des articles pour une revue médicale, ce que l'intéressée avait pu refuser au motif qu'elle n'était pas universitaire, la cour d'appel retient que ces demandes avaient participé au contexte de travail difficile mentionné dans l'arrêt de travail établi par le médecin de la partie civile, que le prévenu était resté évasif sur le contenu des réunions et qu'il avait admis avoir recruté cette praticienne sans qu'il soit « question de cette tâche particulièrement » ; qu'en se prononçant par de tels motifs, inopérants à établir que la demande, que l'intéressée avait pu refuser, excédait les pouvoirs de direction, lesquels ne dépendent pas directement de la teneur des tâches évoquées lors du recrutement et autorisent à faire effectuer toutes celles qui relèvent des fonctions, et ceci sans constater ni que le fait de rédiger des articles destinés à être publiés dans une revue médicale ne relève pas des tâches que le directeur d'un [2] peut confier à un praticien hospitalier recruté dans son service, ni que le fait, pour la partie civile d'avoir refusé cette tâche avait eu pour objet ou pour effet la dégradation de ses conditions de travail, la cour d'appel a violé les articles 222-33-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 222-33-2 du code pénal, dans ses versions applicables au moment des faits, et 593 du code de procédure pénale :

7. Il résulte du premier de ces textes que constitue le délit de harcèlement moral le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.

8. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

9. Pour déclarer M. [J] coupable de harcèlement moral au préjudice de Mme [R], notamment par la formulation de demandes arbitraires et injustifiées, ou encore impossibles à réaliser, l'arrêt attaqué énonce que la plaignante, au moment de son audition initiale par les enquêteurs, a affirmé qu'elle avait été sollicitée par le prévenu pour rédiger, pour le compte d'une collègue plus ancienne, un article destiné à une publication scientifique, dont Mme [R] aurait été co-signataire en second.

10. Les juges relèvent que cette dernière, devant le juge d'instruction, a confirmé avoir fait l'objet de demandes inadaptées, comme écrire des articles scientifiques pour le service à une cadence trop élevée étant donné son rôle d'hospitalière, à savoir un par mois, ou encore surveiller des examens, et qu'elle a précisé ne pas y avoir donné suite.

11. Ils observent que ces publications avaient pour objectif de contribuer à la réputation de l'[1] et que, selon les témoins, cette pratique existait, le rythme des publications étant plutôt de une par an, puis ajoutent que la plaignante a été la seule, au sein de l'équipe, à refuser cette tâche.

12. Ils retiennent que M. [J] a confirmé avoir reproché à Mme [R] son refus de participer à toute écriture d'article universitaire.

13. Ils soulignent que ces demandes étaient formulées au cours de réunions d'équipe et que cet aspect du travail n'avait pas été abordé avec la plaignante au moment de son recrutement, dont le prévenu a indiqué qu'il avait été fait en urgence.

14. En se déterminant par ces motifs, sans vérifier si, comme cela était allégué par le prévenu, la réalisation de travaux de recherche universitaire relevait des tâches normales des médecins travaillant à l'[1], la cour d'appel, qui n'a pas déterminé le caractère injustifié ou arbitraire des demandes formulées par le prévenu, n'a pas suffisamment justifié sa décision.

15. La cassation est ainsi encourue.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [J] coupable de harcèlement moral, alors :

« 1°/ que les agissements constitutifs d'un harcèlement moral, lorsqu'ils sont le fait d'un supérieur hiérarchique, doivent excéder ce qu'autorise l'exercice normal d'un pouvoir de direction ; qu'en se bornant à relever que le prévenu s'était adressé à la partie civile, dans son courrier en date du 23 septembre 2013, de façon très péjorative en lui reprochant ses conversations avec les étudiants hospitaliers qui le consternaient et en qualifiant sa conduite d'inadmissible sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces remarques, portant sur l'attitude de Mme [R] qui n'hésitait pas à critiquer et dénigrer la qualité de l'[2] auprès d'étudiants hospitaliers ou lors de conférences auxquelles elle participait, n'étaient pas justifiées de sorte que le prévenu n'avait pas outrepassé son pouvoir de direction, la cour d'appel a violé les articles 222-33-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que le délit de harcèlement moral suppose que les propos ou comportements répétés aient eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail ; qu'en se limitant à constater les « effets dévastateurs » que pouvaient avoir les actes du prévenu pour un jeune médecin en passe d'un concours décisif pour sa carrière sans constater que le courrier du 23 septembre 2013 et l'appel téléphonique à la partie civile la veille de noël 2013 avaient pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail, la cour d'appel a violé les articles 222-33-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 222-33-2 du code pénal, dans ses versions applicables au moment des faits, et 593 du code de procédure pénale :

17. Il résulte du premier de ces textes que constitue le délit de harcèlement moral le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.

18. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

19. Pour déclarer M. [J] coupable de harcèlement moral au préjudice de Mme [R], notamment par l'usage de menaces, même déguisées, sur la carrière de cette dernière ou celle de son mari, l'arrêt attaqué énonce encore que la plaignante a déclaré aux enquêteurs avoir subi des menaces de la part du prévenu à propos de son concours de praticien hospitalier, et que M. [J] s'était arrangé pour faire partie de son jury, seule la dénonciation des faits à la hiérarchie ayant contraint l'intéressé à valider la candidature de la plaignante à une titularisation.

20. Les juges relèvent que, devant le juge d'instruction, Mme [R] a précisé que les menaces proférées par M. [J] et qui la visaient étaient sous-entendues, au contraire de celles concernant la nomination de son époux, médecin lui aussi, en qualité de professeur d'université, qui étaient exprimées ouvertement.

21. Ils soulignent que la plaignante a rapporté les propos suivants du prévenu « c'est donnant-donnant, si vous faites ce que je vous dis, je toucherai un mot pour votre mari ».

22. Ils retiennent que deux éléments confortent les propos de Mme [R], à savoir un courrier que lui a envoyé son supérieur le 23 septembre 2013 et un appel téléphonique de ce dernier à l'intéressée la veille de Noël 2013.

23. Ils observent que si le prévenu a affirmé avoir appelé Mme [R] pour l'informer qu'il était membre de son jury d'examen afin de la rassurer sur ses perspectives de réussite, une telle présentation ne correspond ni aux déclarations de la plaignante, ni aux actes de harcèlement dénoncés, en particulier le courrier susvisé.

24. Ils précisent que cette lettre contient, en des termes très péjoratifs, des critiques sur le comportement de Mme [R], à laquelle le prévenu reproche son attitude avec les étudiants et les propos tenus devant ces derniers, qu'il qualifie de consternants et inadmissibles, renvoyant pour la suite à une discussion de vive voix, à venir.

25. Ils ajoutent que seule la dénonciation effectuée par Mme [R] a permis de neutraliser le poids exercé par M. [J].

26. En se déterminant par ces motifs, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

27. En effet, alors que le prévenu a expliqué que le courrier susvisé avait été adressé à la plaignante après qu'il avait été informé que cette dernière avait gravement dénigré, à plusieurs reprises, l'[1] devant des étudiants et, à l'occasion de colloques universitaires, devant des professionnels, la cour d'appel n'a pas, comme les conclusions en défense l'invitaient à le faire, vérifié si l'envoi de cette lettre relevait de l'exercice normal du pouvoir de direction de M. [J].

28. Ainsi, la cassation est de nouveau encourue.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le quatrième moyen proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 30 novembre 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trente avril deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2400497
Date de la décision : 30/04/2024
Sens de l'arrêt : Cassation

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 30 novembre 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 30 avr. 2024, pourvoi n°C2400497


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet

Origine de la décision
Date de l'import : 07/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C2400497
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