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12/06/1987 | FRANCE | N°72388

France | France, Conseil d'État, 1 / 4 ssr, 12 juin 1987, 72388


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 18 septembre 1985 et 20 janvier 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE GANTOIS, dont le siège social est à Saint-Dié 88105 , représentée par son président en exercice, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° annule le jugement du 18 juillet 1985 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 4 janvier 1984 du directeur régional du travail de Lorraine, confirmant les décisions d

es 25 août et 13 octobre 1983 de l'inspecteur du travail d'Epinal enjoi...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 18 septembre 1985 et 20 janvier 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE GANTOIS, dont le siège social est à Saint-Dié 88105 , représentée par son président en exercice, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° annule le jugement du 18 juillet 1985 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 4 janvier 1984 du directeur régional du travail de Lorraine, confirmant les décisions des 25 août et 13 octobre 1983 de l'inspecteur du travail d'Epinal enjoignant à la société requérante de procéder à diverses modifications de son réglement intérieur ;
2° annule pour excès de pouvoir ces décisions ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Le Pors, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Delvolvé, avocat de la SOCIETE GANTOIS,
- les conclusions de M. Robineau, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article L.122-34 du code du travail : "Le règlement intérieur est un document écrit par lequel l'employeur fixe exclusivement : - Les mesures d'application de la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité dans l'entreprise ou l'établissement ; - Les règles générales et permanentes relatives à la discipline..." ; qu'aux termes de l'article L.122-35 du même code : "Le règlement intérieur ne peut contenir de clause contraire aux lois et règlements... Il ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché" ; qu'en vertu de l'article L.122-37, l'inspecteur du travail peut exiger le retrait ou la modification des dispositions contraires aux articles L.122-34 et L.122-35 ; qu'enfin, l'article L.122-37 dispose que "la décision de l'inspecteur du travail... peut faire l'objet dans les deux mois d'un recours auprès du directeur régional du travail et de l'emploi..." ;
Sur l'étendue de la compétence de la juridiction administrative :
Considérant que, lorsqu'il est saisi de conclusions tendant à l'annulation de décisions prises par les autorités administratives chargées de contrôler la conformité d'un réglement intérieur aux articles L.122-34 et L.121-35 précités du code du travail, le juge administratif est compétent pour apprécier cette conformité, alors même que le réglement intérieur litigieux a été établi par un employeur qui n'est pas chargé de la gestion d'un service public et ne dispose d'aucune prérogative de puissance publique ; que, dès lors, la SOCIETE GANTOIS n'est pas fondée à soutenir que cette appréciation constitue une question préjudicielle don l'examen devrait être renvoyé à l'autorité judiciaire ;
Sur la légalité des décisions contestées de l'inspecteur du travail d'Epinal et du directeur régional du travail et de l'emploi de Lorraine :
En ce qui concerne l'article 111 du règlement intérieur :

Considérant que l'article 111 du règlement intérieur établi par la SOCIETE ANONYME GANTOIS prévoit que "tout salarié qui aura un motif raisonnable de penser qu'une situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé devra, après avoir informé son responsable hiérarchique... consigner par écrit toutes les informations concernant le danger estimé grave et imminent" ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.231-8 du code du travail : "Le salarié signale immédiatement à l'employeur ou à son représentant toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé...", et qu'aux termes de l'article L.231-8-1 du même code : "Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un salarié ou d'un groupe de salariés qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux. Le bénéfice de la faute inexcusable de l'employeur définie à l'article L.468 du code de la sécurité sociale est de droit pour le salarié ou les salariés qui seraient victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'eux-mêmes ou un membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail avaient signalé à l'employeur le risque qui s'est matérialisé" ; que si ces dispositions obligent le salarié à signaler immédiatement à l'employeur l'existence d'une situation de travail qu'il estime dangereuse, elles ne lui imposent pas de le faire par écrit ; qu'en obligeant le salarié à faire une déclaration écrite, l'article 111 du règlement intérieur établi par la SOCIETE GANTOIS impose aux salariés de l'entreprise, dans l'exercice de leur droit de retrait d'une situation de travail qu'ils estiment dangereuse, une sujétion qui n'est pas justifiée par les nécessités de la sécurité dans l'entreprise ;
En ce qui concerne l'article 121 du règlement intérieur :

Considérant qu'aux termes du dernier alinéa de l'article R.232-24 du code du travail : "Les armoires individuelles doivent être munies d'une serrure ou d'un cadenas. Elles sont nettoyées dans les conditions fixées par le règlement d'atelier" ;
Considérant que l'article 121 du règlement intérieur établi par la SOCIETE GANTOIS prévoit que "la direction se réserve le droit de faire ouvrir à tout moment... afin d'en contrôler l'état et le contenu", les vestiaires ou armoires individuelles mis à la disposition de chaque salarié pour ses vêtements et ses objets personnels ; qu'une telle disposition, qui ne prévoit notamment pas l'information préalable des salariés concernés, excède l'étendue des restrictions que l'employeur peut légalement apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles en vue d'assurer l'hygiène et la sécurité dans l'entreprise ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que c'est par un exacte application des dispositions précitées de l'article L.122-37 du code du travail que l'inspecteur du travail d'Epinal a exigé, par ses décisions en date des 25 août 1983 et 13 octobre 1983, la modification des articles 111 et 121 du règlement intérieur litigieux, et que le directeur régional du travail et de l'emploi de Lorraine a, par sa décision du 14 janvier 1984 qui ne s'est pas substituée à celles de l'inspecteur du travail, rejeté le recours formé devant lui par la SOCIETE GANTOIS ; que, dès lors, la société requérante n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande dirigée contre les décisions de l'inspecteur du travail et n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que ledit jugement a rejeté sa demande dirigée contre la décision du directeur régional ;
Article 1er : La requête de la SOCIETE GANTOIS est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE GANTOIS et au ministre des affaires sociales et de l'emploi.


Synthèse
Formation : 1 / 4 ssr
Numéro d'arrêt : 72388
Date de la décision : 12/06/1987
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours pour excès de pouvoir

Analyses

- RJ1 ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - DISPARITION DE L'ACTE - RETRAIT - RETRAIT DES ACTES CREATEURS DE DROITS - CONDITIONS DU RETRAIT - CAS PARTICULIERS - RETRAIT SUR RECOURS HIERARCHIQUE - Licenciement des salariés protégés - Décision du directeur régional du travail et de l'emploi rejetant un recours formé - en application de l'article L - 122-37 du code du travail - contre une décision de l'inspecteur du travail demandant la modification du règlement intérieur d'une entreprise - Décision ne se substituant pas à celle de l'autorité subordonnée [1].

01-09-01-02-01-04-01, 66-03-01-01[1] La décision par laquelle le directeur régional du travail et de l'emploi, saisi, par application des dispositions de l'article L.122-37 du code du travail, d'un recours hiérarchique contre la décision d'un inspecteur du travail exigeant la modification de certains articles du règlement intérieur d'une entreprise, rejette ledit recours ne se substitue pas à la décision de l'inspecteur du travail.

- RJ2 COMPETENCE - COMPETENCES CONCURRENTES DES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - CONTENTIEUX DE L'APPRECIATION DE LA LEGALITE - CAS OU UNE QUESTION PREJUDICIELLE NE S'IMPOSE PAS - Question préjudicielle du juge administratif au juge judiciaire - Appréciation de la conformité du règlement intérieur d'une entreprise aux articles L - 122-34 et L - 122-35 du code du travail - Compétence du juge administratif statuant sur un recours formé contre une décision de l'inspecteur du travail [2].

17-04-02-02, 66-03-01-01[2] Lorsqu'il est saisi de conclusions tendant à l'annulation de décisions prises par les autorités administratives chargées de contrôler la conformité d'un règlement intérieur aux articles L.122-34 et L.122-35 du code du travail, le juge administratif est compétent pour apprécier cette conformité alors même que le règlement intérieur litigieux a été établi par un employeur qui n'est pas chargé de la gestion d'un service public et ne dispose d'aucune prérogative de puissance publique.

TRAVAIL ET EMPLOI - CONDITIONS DE TRAVAIL - REGLEMENT INTERIEUR - Contenu - Dispositions contraires aux lois et règlements ou apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles des restrictions qui ne sont pas justifiées par la nature des tâches à accomplir ni proportionnées au but recherché - [1] Disposition imposant au salarié - en cas de danger grave et imminent - de consigner par écrit - après avoir informé son supérieur hiérarchique - toutes les informations concernant ce danger - Illégalité - [2] Disposition permettant à l'employeur d'ouvrir à tout moment - et sans information des salariés concernés - les vestiaires ou armoires individuelles - Illégalité.

66-03-01[1] Si les dispositions des articles L.231-8 et L.231-8-1 du code du travail obligent le salarié à signaler immédiatement à l'employeur l'existence d'une situation de travail qu'il estime dangereuse, elles ne lui imposent pas de le faire par écrit. En obligeant le salarié à faire une déclaration écrite, l'article III du règlement intérieur établi par la société G. impose aux salariés de l'entreprise, dans l'exercice de leur droit de retrait d'une situation de travail qu'ils estiment dangereuse, une sujétion qui n'est pas justifiée par les nécessités de la vie en entreprise.

TRAVAIL ET EMPLOI - CONDITIONS DE TRAVAIL - REGLEMENT INTERIEUR - CONTROLE PAR L'INSPECTEUR DU TRAVAIL [1] - RJ1 Recours - Recours hiérarchique - Recours hiérarchique auprès du directeur régional du travail et de l'emploi - Décision du directeur régional ne se substituant pas à celle de l'inspecteur [1] - [2] - RJ2 Recours - Recours pour excès de pouvoir - Compétence du juge administratif pour apprécier - à la suite de l'inspecteur du travail - la conformité du règlement intérieur aux articles L - 122-34 et L - 122-35 du code du travail [2].

66-03-01[2] L'article 121 du règlement intérieur établi par la société G. prévoit que "la direction se réserve le droit de faire ouvrir à tout moment ... afin d'en contrôler l'état et le contenu" les vestiaires ou armoires individuelles mis à la disposition de chaque salarié pour ses vêtements et ses objets personnels. Une telle disposition, qui ne prévoit notamment pas l'information préalable des salariés concernés, excède l'étendue des restrictions que l'employeur peut légalement apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles en vue d'assurer l'hygiène et la sécurité dans l'entreprise.


Références :

Code du travail L122-34, L122-35, L122-37, L231-8-1, R232-24

1.

Cf. Section, 1987-06-05, Ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle c/ Compagnie "Union des Assurances de Paris", n° 74480. 2.

Rappr. sous l'empire des anciens textes, Section, 1980-02-01, Ministre du travail c/ Société "Peintures Corona", p. 59


Publications
Proposition de citation : CE, 12 jui. 1987, n° 72388
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Coudurier
Rapporteur ?: M. Le Pors
Rapporteur public ?: M. Robineau

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1987:72388.19870612
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