La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/01/1990 | FRANCE | N°81790

France | France, Conseil d'État, 6 / 2 ssr, 17 janvier 1990, 81790


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 5 septembre 1986 et 5 janvier 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société "CIMENTS D'ORIGNY", demeurant ..., et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° annule le jugement du 17 juin 1986 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande dirigée contre :
1. la décision du 14 février 1985 par laquelle l'inspecteur du travail de la section n° 8D de Paris a refusé d'autoriser le licenciement pour motif économique de huit salariés ;
2. la décision

du 10 mai 1985 par laquelle l'inspecteur du travail de la section n° 8D de P...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 5 septembre 1986 et 5 janvier 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société "CIMENTS D'ORIGNY", demeurant ..., et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° annule le jugement du 17 juin 1986 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande dirigée contre :
1. la décision du 14 février 1985 par laquelle l'inspecteur du travail de la section n° 8D de Paris a refusé d'autoriser le licenciement pour motif économique de huit salariés ;
2. la décision du 10 mai 1985 par laquelle l'inspecteur du travail de la section n° 8D de Paris a refusé d'autoriser le licenciement pour motif économique de quatre salariés ;
3. la décision du 10 mai 1985 par laquelle l'inspecteur de la section n° 8D de Paris a refusé d'autoriser le licenciement pour motif économique de M. X..., membre du comité d'établissement et du comité central d'entreprise ;
4. la décision du 17 mars 1985 par laquelle le directeur départemental du travail et de l'emploi de Paris a refusé à l'entreprise le versement d'indemnités de chômage partiel ;
2° annule pour excès de pouvoir ces décisions,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. de Froment, Maître des requêtes,
- les observations de Me Baraduc-Benabent, avocat de la société "CIMENTS D'ORIGNY",
- les conclusions de M. de la Verpillière, Commissaire du gouvernement ;

Sur les conclusions dirigées contre la décision de l'inspecteur du travail en date du 14 février 1985 :
Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles L.321-3 et L.321-9 du code du travail, lorsque le nombre de licenciements envisagés par l'employeur est au moins égal à dix dans une même période de trente jours, l'autorité administrative compétente dispose d'un délai de trente jours, à compter de la date d'envoi de la demande de licenciement, pour vérifier les conditions d'application de la procédure de concertation, la réalité des motifs invoqués pour justifier les licenciements, ainsi que la portée des mesures de reclassement et d'indemnisation envisagées, et pour faire connaître à l'employeur soit son accord soit son refus d'autorisation ;
Considérant qu'il est constant que la demande d'autorisation de licenciement présentée le 16 janvier 1985 à l'inspecteur du travail par la société "CIMENTS D'ORIGNY" portait sur 15 salariés au total ; qu'ainsi, nonobstant la circonstance que l'employeur comptait étaler les licenciements sollicités sur une durée supérieure à un mois, c'est à bon droit que l'inspecteur du traail a, d'une part, estimé qu'il disposait de trente jours pour se prononcer sur la demande de la société et, d'autre part, exercé son contrôle sur le plan social élaboré par l'entreprise ; qu'il s'ensuit que la société "CIMENTS D'ORIGNY" n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête en tant qu'elle était dirigée contre la décision de l'inspecteur du travail en date du 14 février 1985 ;
Sur les conclusions dirigées contre la décision de l'inspecteur du travail en date du 10 mai 1985 refusant l'autorisation de licencier quatre salariés :

Considérant que la demande d'autorisation de licencier huit salariés non protégés, présentée le 14 mars 1985 par la société "CIMENTS D'ORIGNY", qui ne faisait apparaître aucun élément nouveau depuis le refus, concernant les mêmes salariés, qui lui avait été notifié le 14 février 1985, constituait en réalité un recours gracieux dirigé contre cette dernière décision ; que, pour rejeter ce recours par une décision en date du 10 mai 1985, l'inspecteur du travail s'est notamment fondé sur la circonstance, déjà relevée dans sa première décision, que les mesures d'accompagnement du plan social étaient insuffisantes s'agissant de quatre des salariés concernés ; que, s'il a, dans la même décision, autorisé le licenciement de trois des salariés dont le licenciement avait été antérieurement refusé, la société n'établit pas que les salariés dont le licenciement a été refusé auraient fait l'objet des mêmes propositions de reclassement et qu'ainsi la décision attaquée serait entachée de contradiction ; que, quel que soit le bien-fondé de l'autre motif invoqué par l'inspecteur du travail, il ressort des pièces du dossier que celui-ci aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur ce seul motif, dont la société ne conteste pas la réalité ; qu'enfin, en énonçant que les salariés dont le licenciement était refusé devaient être réintégrés dans l'entreprise, l'inspecteur du travail n'a pas entendu adresser une injonction à la société, mais s'est borné à indiquer les conséquences qu'impliquait nécessairement sa décision de refus, laquelle n'est donc pas, sur ce point, entachée d'illégalité ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les conclusions dirigées contre la décision en date du 10 mai 1985 par laquelle l'inspecteur du travail de la section n° 8D à Paris a refusé d'autoriser le licenciement pour motif économique de quatre salariés doivent être rejetées ; qu'il s'ensuit que la société "CIMENTS D'ORIGNY" n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête en tant qu'elle était dirigée contre la décision de l'inspecteur de travail en date du 10 mai 1985 refusant l'autorisation de licencier quatre salariés ;
Sur les conclusions dirigées contre la décision de l'inspecteur du travail du 10 mai 1985 refusant l'autorisation de licencier M. X... :
Considérant qu'en vertu de l'article L.436-1 du code du travail, tout licenciement envisagé par l'employeur d'un membre titulaire ou suppléant du comité d'entreprise ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement ; et qu'aux termes de l'article R.436-4 du code : "L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. L'inspecteur du travail statue dans un délai de quinze jours qui est réduit à huit jours en cas de mise à pied. Ce délai court à compter de la réception de la demande motivée prévue à l'article R.436-3 ; il ne peut être prolongé que si les nécessités de l'enquête le justifient. L'inspecteur avise de la prolongation du délai les destinataires mentionnés au troisième alinéa du présent article. La décision de l'inspecteur est motivée. Elle est notifiée à l'employeur et au salarié ainsi que, lorsqu'il s'agit d'un délégué syndical ou d'un représentant syndical au comité d'entreprise, à l'organisation syndicale concernée, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception" ;

Considérant, d'une part, qu'est sans incidence sur la légalité de la décision de l'inspecteur du travail la double circonstance que l'inspecteur n'a ni avisé l'employeur de la prorogation du délai d'enquête, ni respecté le délai de quinze jours qui lui est imparti pour statuer en vertu des dispositions susrappelées de l'article R.436-4 du code du travail ;
Considérant, d'autre part, qu'en vertu des dispositions susrappelées, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir si la situation de l'entreprise justifie le licenciement de l'intéressé en tenant compte notamment de la nécessité des réductions d'effectifs envisagées et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ; qu'en outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence ;

Considérant que la société "CIMENTS D'ORIGNY" a demandé, le 16 janvier 1985, à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier, pour motif économique, quinze salariés dont M. X..., chef du bureau d'études électriques de la DIET, membre du comité d'établissement et du comité central d'entreprise ; que ces licenciements étaient motivés par la suppression, due à une baisse importante des commandes, du service dont relevaient ces salariés ; que la réalité du motif économique n'est pas contestée ; que, par décision en date du 10 mai 1985, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. X..., au motif notamment que, concernant l'intéressé, les mesures de reclassement étaient insuffisantes et n'avaient pas évolué depuis la demande ;
Considérant toutefois qu'il ressort des pièces du dossier que la société "CIMENTS D'ORIGNY" avait proposé un nouvel emploi à M. X... qui l'a refusé ; que la demande de licenciement n'a pas été en rapport avec les activités représentatives qu'exerçait M. X... ; que, dès lors, la décision par laquelle l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. X... est entachée d'illégalité ; que la société "CIMENTS D'ORIGNY" est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa requête en tant qu'elle était dirigée contre la décision de l'inspecteur du travail du 10 mai 1985 refusant l'autorisation de licencier M. X... ;
Sur les conclusions dirigées contre la décision du directeur départemental du travail et de l'emploi du 17 mars 1985 refusant le versement à la société d'indemnités de chômage partiel :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 351-25 du code du travail : "Les salariés qui, tout en restant liés à leur employeur par un contrat de travail, subissent une perte de salaire imputable soit à la fermeture temporaire de l'établissement qui les emploie, soit à la réduction de l'horaire de travail habituellement pratiqué dans l'établissement en deça de la durée légale du travail, bénéficient, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, d'une allocation spécifique qui est à la charge de l'Etat." ; qu'il résulte de ces dispositions que la réduction du temps de travail imputable à la fermeture définitive d'un service n'entre pas dans le champ d'application de la loi ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la demande, formée le 6 mars 1985 par la société requérante, tendait au versement d'allocations de chômage partiel à 9 salariés de l'entreprise qui avaient fait l'objet, pour certains d'une demande d'autorisation de licenciement pour le motif économique d'ordre structurel susmentionné refusée le 14 février 1985 par l'inspection du travail et pour M. X..., d'une demande d'autorisation en cours d'instruction fondée sur le même motif ; qu'ainsi en estimant que la demande de la société faisant suite à des demandes d'autorisation de licenciement fondées sur une baisse de commandes durable de la division ingénierie ayant entraîné la suppression de cette dernière, ne pouvait être accueillie, le directeur du travail et de l'emploi de Paris n'a commis ni erreur de droit ni erreur manifeste dans l'appréciation de la demande ; qu'il suit de là que la SOCIETE CIMENTS D'ORIGNY n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa requête en tant qu'elle était dirigée contre la décision du directeur départemental du travail et de l'emploi du 17 mars 1985 lui refusant le versement d'indemnités de chômage partiel ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 17 juin 1986 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de la SOCIETE CIMENTS D'ORIGNY dirigée contre la décision de l'inspecteur du travail du 10 mai 1985 lui refusant l'autorisation de licencier M. X....
Article 2 : La décision en date du 10 mai 1985 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé à la SOCIETE CIMENTS D'ORIGNY l'autorisation de licencier M. X... est annulée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SOCIETE CIMENTS D'ORIGNY est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE CIMENTS D'ORIGNY, à M. X... et au ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle.


Synthèse
Formation : 6 / 2 ssr
Numéro d'arrêt : 81790
Date de la décision : 17/01/1990
Sens de l'arrêt : Annulation
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours pour excès de pouvoir

Analyses

TRAVAIL ET EMPLOI - LICENCIEMENTS - AUTORISATION ADMINISTRATIVE - SALARIES NON PROTEGES - LICENCIEMENT POUR MOTIF ECONOMIQUE - MODALITES DE DELIVRANCE DE L'AUTORISATION ADMINISTRATIVE - POUVOIRS DE L'ADMINISTRATION - Demande d'autorisation de licencier plus de dix salariés sur une période supérieure à un mois - Autorité administrative disposant de trente jours pour statuer (articles L - 321-3 et L - 321-9 du code du travail).

66-07-02-03-04 Demande d'autorisation de licenciement présentée le 16 janvier 1985 à l'inspecteur du travail par la société portant sur 15 salariés au total. Nonobstant la circonstance que l'employeur comptait étaler les licenciements sollicités sur une durée supérieure à un mois, c'est à bon droit que l'inspecteur du travail a, d'une part, estimé qu'il disposait de trente jours pour se prononcer sur la demande de la société et, d'autre part, exercé son contrôle sur le plan social élaboré par l'entreprise en application des dispositions combinées des articles L.321-3 et L.321-9 du code du travail, selon lesquelles le nombre de licenciements envisagés par l'employeur est au moins égal à dix dans une même période de trente jours, l'autorité administrative compétente dispose d'un délai de trente jours, à compter de la date d'envoi de la demande de licenciement, pour vérifier les conditions d'application de la procédure de concertation, la réalité des motifs invoqués pour justifier les licenciements, ainsi que la portée des mesures de reclassement et d'indemnisation envisagées, et pour faire connaître à l'employeur soit son accord soit son refus d'autorisation.

TRAVAIL ET EMPLOI - POLITIQUES DE L'EMPLOI - INDEMNISATION DES TRAVAILLEURS PRIVES D'EMPLOI - Chômage partiel - Refus de versement d'indemnités de chômage partiel - Légalité - Réduction de travail imputable à la fermeture définitive d'un service - Salariés en cause ayant fait l'objet d'une procédure de demande de licenciement pour cause économique.

66-10-02 Il résulte des dispositions de l'article L.321-5 du code du travail aux termes desquelles "Les salariés qui, tout en restant liés à leur employeur par un contrat de travail, subissent une perte de salaire imputable soit à la fermeture temporaire de l'établissement qui les emploie, soit à la réduction de l'horaire de travail habituellement pratiqué dans l'établissement en deça de la durée légale du travail, bénéficient, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, d'une allocation spécifique qui est à la charge de l'Etat", que la réduction du temps de travail imputable à la fermeture définitive d'un service n'entre pas dans le champs d'application de la loi. La demande formée par la société requérante tendait au versement d'allocations de chômage partiel à 9 salariés de l'entreprise qui avaient fait l'objet de demandes d'autorisation de licenciement pour motif économique d'ordre structurel refusées ou en cours d'instruction. Ainsi, en estimant que la demande de la société faisant suite à des demandes d'autorisation de licenciement fondées sur une baisse de commandes durable de la division ingénierie ayant entraîné la suppression de cette dernière ne pouvait être accueillie, le directeur du travail et de l'emploi de Paris n'a commis ni erreur de droit ni erreur manifeste dans l'appréciation de la demande.


Références :

Code du travail L321-3, L321-9, L436-1, R436-4, L351-25


Publications
Proposition de citation : CE, 17 jan. 1990, n° 81790
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Bauchet
Rapporteur ?: M. de Froment
Rapporteur public ?: M. de La Verpillière

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1990:81790.19900117
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award