Vu la requête, enregistrée le 7 juillet 1997 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le DEPARTEMENT DE LOIR-ET-CHER, représenté par le président du conseil général habilité par une délibération du 6 juin 1997 de la commission permanente ; le DEPARTEMENT DE LOIR-ET-CHER demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule la décision du 17 mars 1997 par laquelle la commission centrale d'aide sociale a annulé une décision du 15 septembre 1993 de la commission départementale d'aide sociale maintenant la décision de récupération contre Mme X..., donataire des sommes avancées par l'aide sociale à Mme Y..., sa mère, au titre de l'allocation compensatrice ;
2°) condamne Mme X... à lui verser une somme de 10 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la famille et de l'aide sociale ;
Vu la loi du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :
Vu le code civil ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Lafouge, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Bonichot, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 894 du code civil : "La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur du donataire qui l'accepte" ; qu'aux termes de l'article 900-1 du même code : "Les clauses d'inaliénabilité affectant un bien donné ou légué ne sont valables que si elles sont temporaires et justifiées par un intérêt sérieux et légitime" ; qu'aux termes de l'article 505 du même code : "Avec l'autorisation du conseil de famille, des donations peuvent être faites au nom du majeur en tutelle, mais seulement au profit de ses descendants et en avancement d'hoirie, ou en faveur de son conjoint" ;
Considérant que, par acte notarié du 13 novembre 1992, dont la passation avait été autorisée par une ordonnance du 8 juin 1990 du juge d'instance de Gannat (Allier), Mme Marie Z..., veuve de M. François Y..., majeure sous tutelle, a fait donation à sa fille unique, Mme Nicole X..., de la moitié de la nue-propriété d'une maison sise route de Varennes à Saint-Pourçain-sur-Sioule (Allier), l'autre moitié étant devenue auparavant propriété de Mme X... à la mort de son père ; que la circonstance que cet acte de disposition fût assorti d'une clause d'inaliénabilité la vie durant du donateur ne lui ôtait pas son caractère de donation au sens des articles précités du code civil ; qu'il s'ensuit qu'en jugeant par la décision attaquée du 17 mars 1997, que la clause d'inaliénabilité dont est assortie, le cas échéant, une donation fait obstacle à ce qu'un département exerce les droits qu'il tire de l'article 146 du code de la famille et de l'aide sociale relatif à la récupération des frais d'aide sociale en cas de donation, la commission centrale d'aide sociale a commis une erreur de droit ; que, dès lors, ladite décision doit être annulée ;
Considérant qu'en vertu de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant qu'aux termes de l'article 146 du code de la famille et de l'aide sociale, dans sa rédaction en vigueur antérieurement à la loi du 24 janvier 1997 : "Des recours sont exercés par le département, par l'Etat, si le bénéficiaire de l'aide sociale n'a pas de domicile de secours, ou par la commune lorsqu'elle bénéficie d'un régime spécial d'aide médicale : a) Contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune ou contre la succession du bénéficiaire ; b) Contre le donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d'aide sociale ou dans les cinq ans qui ont précédé cette demande ; c) Contre le légataire ( ...)" ;
Considérant que, pour l'application de ces dispositions, il appartient auxjuridictions de l'aide sociale, eu égard tant à la finalité de leur intervention qu'à leur qualité de juges de plein contentieux, non d'apprécier la légalité de la décision prise par la commission d'admission compétente pour autoriser ou refuser la récupération, mais de se prononcer elles-mêmes sur le bien-fondé de l'action engagée par la collectivité publique d'après l'ensemble des circonstances de fait dont il est justifié par l'une et l'autre parties à la date de leur propre décision ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la donation litigieuse, d'un montant de 171 000 F, représentait un avancement d'hoirie au sens des dispositions précitées de l'article 505 du code civil ; qu'elle n'a pas eu pour effet, contrairement à ce que soutient le DEPARTEMENT DE LOIR-ET-CHER, "un appauvrissement volontaire" de Mme Y..., celle-ci ayant continué à percevoir les loyers du bien donné tout en étant déchargée, par la convention du 13 novembre 1992, des grosses réparations et des charges "non locatives" ; que, par suite et dans les circonstances de l'espèce, la donation consentie ne pouvait ouvrir droit à récupération au profit du DEPARTEMENT DE LOIR-ET-CHER dans les conditions des dispositions précitées du code de la famille et de l'aide sociale ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par la décision du 15 septembre 1993, la commission départementale d'aide sociale de Loir-et-Cher a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 27 juillet 1993 par laquelle la commission d'admission de Romorantin-Lanthenay a autorisé le DEPARTEMENT DE LOIR-ET-CHER à récupérer une somme de 67 028,36 F auprès de Mme X... ;
Sur la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que le DEPARTEMENT DE LOIR-ET-CHER, qui est la partie perdante dans la présente instance, s'en voie reconnaître le bénéfice ;
Article 1er : La décision du 17 mars 1997 de la commission centrale d'aide sociale est annulée.
Article 2 : La décision du 15 septembre 1993 de la commission départementale d'aide sociale de Loir-et-Cher, ensemble la décision du 27 juillet 1993 de la commission cantonale d'aide sociale de Romorantin-Lanthenay, sont annulées.
Article 3 : Les conclusions du DEPARTEMENT DE LOIR-ET-CHER tendant à se voir reconnaître le bénéfice de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au DEPARTEMENT DE LOIR-ET-CHER, à Mme Nicole X... et au ministre de l'emploi et de la solidarité.