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28/05/2003 | FRANCE | N°242431

France | France, Conseil d'État, 6eme et 4eme sous-sections reunies, 28 mai 2003, 242431


Vu la requête, enregistrée le 28 janvier 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. et Mme X... X, demeurant ... et par M. et Mme Y... Joseph X, demeurant ... ; MM. et Mmes X demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 2 septembre 1997 portant classement du dépôt de munitions de la base aérienne 132 de Colmar-Meyenheim (Haut-Rhin) et création d'un polygone d'isolement ;

2°) de condamner l'Etat à payer à chacun des requérants la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice adm

inistrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notam...

Vu la requête, enregistrée le 28 janvier 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. et Mme X... X, demeurant ... et par M. et Mme Y... Joseph X, demeurant ... ; MM. et Mmes X demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 2 septembre 1997 portant classement du dépôt de munitions de la base aérienne 132 de Colmar-Meyenheim (Haut-Rhin) et création d'un polygone d'isolement ;

2°) de condamner l'Etat à payer à chacun des requérants la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 22 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu la loi du 8 août 1929 ;

Vu la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 ;

Vu l'arrêté ministériel du 26 septembre 1980 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ducarouge, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la défense :

Considérant que si les conditions et les modalités de publication ou de notification d'un acte administratif affectent son opposabilité aux tiers et déterminent le point de départ du délai de recours contentieux, elles sont sans influence sur sa légalité ;

Sur la légalité externe du décret attaqué :

Considérant qu'aux termes de l'article 22 de la Constitution : Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ; que le décret attaqué a été signé par le Premier ministre et contresigné par le ministre de la défense ; que ni le classement du dépôt de munitions de la base aérienne 132 de Colmar-Meyenheim en tant qu'établissement servant à la conservation, à la manipulation ou à la fabrication des poudres, munitions, artifices ou explosifs, ni la création autour de cet établissement d'un polygone d'isolement, également décidée par ce décret, ne comportent nécessairement l'intervention de mesures réglementaires ou individuelles que le ministre chargé de l'urbanisme serait compétent pour signer ou contresigner ; que, dans ces conditions, le défaut de contreseing de ce ministre n'entache pas d'irrégularité ce décret, alors même que les services du ministre chargé de l'urbanisme auraient été chargés de mettre le dossier à la disposition du public, et que l'article R. 421-38-12 du code de l'urbanisme imposerait une procédure d'instruction conjointe en cas de projet de construction dans un polygone d'isolement ;

Sur la légalité interne du décret attaqué :

Considérant que le décret attaqué a été pris sur le fondement des dispositions de la loi du 8 août 1929, qui n'ont été, contrairement à ce qui est soutenu, ni expressément ni implicitement abrogées par la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement ;

En ce qui concerne le moyen tiré de ce que la loi du 8 août 1929 méconnaîtrait la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

Considérant, en premier lieu, que les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui ont pour objet d'assurer un juste équilibre entre l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit de propriété, laissent au législateur une marge d'appréciation étendue, en particulier dans le domaine de la défense nationale , tant pour choisir les modalités de mise en oeuvre d'une politique de défense que pour juger si ses conséquences se trouvent légitimées, dans l'intérêt général, par le souci d'atteindre les objectifs poursuivis par la loi ;

Considérant que la loi du 8 août 1929 soumet à autorisation du ministre de la défense les constructions nouvelles à l'intérieur des polygones d'isolement autour d'un dépôt de munitions et impose des sujétions aux propriétaires des terrains situés dans ce polygone, terrains auxquels les règles fixées par l'arrêté interministériel du 26 septembre 1980 sont applicables ; qu'en vertu des articles 3 et 9 de cette loi, en cas de nécessité de supprimer des constructions édifiées dans les limites du polygone d'isolement antérieurement au classement, cette suppression pourra être ordonnée moyennant indemnité , ou donnera lieu à expropriation ; qu'ainsi la loi a expressément prévu une indemnisation dans le cas de la modification de l'état antérieur des lieux et, en outre, ne fait pas obstacle à ce que le propriétaire dont le bien est frappé d'une servitude prétende à une indemnisation dans le cas exceptionnel où il résulte de l'ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la servitude a été instituée et mise en oeuvre, ainsi que de son contenu, que ce propriétaire supporte une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi ; qu'il en résulte que la loi du 8 août 929 est compatible avec les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant, en second lieu, qu'eu égard au double objectif de défense des intérêts vitaux de la Nation et de protection de la sécurité des usagers des terrains situés à faible distance des magasins à poudre, artifices ou explosifs régis par la loi du 8 août 1929, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que cette loi créerait, entre les personnes relevant des régimes d'indemnisation des périmètres civils et militaires , une rupture d'égalité qui ne reposerait sur aucun motif d'intérêt général et méconnaîtrait ainsi l'article 14 de ladite convention ;

En ce qui concerne les autres moyens :

Considérant que le décret attaqué se borne à user de la faculté, ouverte par l'article 4 de la loi, si les circonstances l'exigent, en raison des risques mutuels de voisinage , d'une part de créer un polygone d'isolement au-delà d'une distance de 50 mètres des murs d'enceinte, d'autre part de soumettre à l'intérieur de ce polygone d'isolement toute construction à autorisation du ministre de la défense ; qu'ainsi les requérants ne sauraient, en tout état de cause, lui faire grief d'instituer une interdiction générale et absolue de construire ;

Considérant que la délimitation du périmètre du polygone d'isolement par le décret attaqué n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

Considérant que les requérants ne sont pas recevables à se prévaloir, à l'appui de leurs conclusions dirigées contre le décret du 2 septembre 1997, de la prétendue illégalité de l'arrêté interministériel du 26 septembre 1980, dont il ne constitue pas une mesure d'application ;

Considérant, enfin, que la circonstance que la création par le décret du polygone d'isolement ait pour effet de rendre applicables aux terrains privés situés dans son périmètre les règles de détermination des distances d'isolement relatives aux installations pyrotechniques, et notamment leur classement dans l'une des cinq zones de danger définies par l'arrêté, dont l'administration est habilitée à modifier l'étendue en fonction des matières et objets entreposés, dans les conditions prévues par la réglementation en vigueur, est sans incidence sur la légalité du décret attaqué ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions aux fins d'annulation du décret attaqué présentées par MM. et Mmes X ne peuvent qu'être rejetées ; qu'il en est de même, par voie de conséquence, de leurs conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de MM. et Mmes X est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme X... X, à M. et Mme Y... Joseph X, au Premier ministre, au ministre de la défense et au ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.


Synthèse
Formation : 6eme et 4eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 242431
Date de la décision : 28/05/2003
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ARMÉES - DIVERS - LOI DU 8 AOÛT 1929 - RÈGLES APPLICABLES AUX CONSTRUCTIONS SITUÉES À L'INTÉRIEUR D'UN POLYGONE D'ISOLEMENT - A) INCOMPATIBILITÉ AVEC LES STIPULATIONS DE L'ARTICLE 1ER DU PREMIER PROTOCOLE ADDITIONNEL À LA CONVENTION EUROPÉENNE DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES - ABSENCE [RJ1] - B) INCOMPATIBILITÉ AVEC L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION EUROPÉENNE DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES - ABSENCE.

08-04 a) La loi du 8 août 1929 soumet à autorisation du ministre de la défense les constructions nouvelles à l'intérieur des polygones d'isolement d'un dépôt de munitions et impose des sujétions aux propriétaires des terrains situés dans ce polygone. En vertu des articles 3 et 9 de cette loi, en cas de nécessité de supprimer des constructions édifiées dans les limites du polygone d'isolement antérieurement au classement, cette suppression « pourra être ordonnée moyennant indemnité », ou donnera lieu à expropriation. Ainsi la loi a expressément prévu une indemnisation dans le cas de la modification de l'état antérieur des lieux et, en outre, ne fait pas obstacle à ce que le propriétaire dont le bien est frappé d'une servitude prétende à une indemnisation dans le cas exceptionnel où il résulte de l'ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la servitude a été instituée et mise en oeuvre, ainsi que de son contenu, que ce propriétaire supporte une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général. Il en résulte que la loi du 8 août 1929 est compatible avec les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.,,b) Eu égard au double objectif de défense des intérêts vitaux de la Nation et de protection de la sécurité des usagers des terrains situés à faible distance des magasins à poudre, artifice ou explosifs régis par la loi du 8 août 1929, cette loi ne crée pas, entre les personnes relevant des régimes d'indemnisation des périmètres « civils » et « militaires », une rupture d'égalité qui ne reposerait sur aucun motif d'intérêt général et méconnaîtrait ainsi l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LA CONVENTION - PROHIBITION DES DISCRIMINATIONS (ARTICLE 14) - INCOMPATIBILITÉ AVEC CES STIPULATIONS - ABSENCE - LOI DU 8 AOÛT 1929.

26-055-01 Eu égard au double objectif de défense des intérêts vitaux de la Nation et de protection de la sécurité des usagers des terrains situés à faible distance des magasins à poudre, artifice ou explosifs régis par la loi du 8 août 1929, cette loi ne crée pas, entre les personnes relevant des régimes d'indemnisation des périmètres « civils » et « militaires », une rupture d'égalité qui ne reposerait sur aucun motif d'intérêt général et méconnaîtrait ainsi l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LES PROTOCOLES - DROIT AU RESPECT DE SES BIENS (ART 1ER DU PROTOCOLE ADDITIONNEL) - INCOMPATIBILITÉ - ABSENCE - LOI DU 8 AOÛT 1929 [RJ1].

26-055-02-01 La loi du 8 août 1929 soumet à autorisation du ministre de la défense les constructions nouvelles à l'intérieur des polygones d'isolement d'un dépôt de munitions et impose des sujétions aux propriétaires des terrains situés dans ce polygone. En vertu des articles 3 et 9 de cette loi, en cas de nécessité de supprimer des constructions édifiées dans les limites du polygone d'isolement antérieurement au classement, cette suppression « pourra être ordonnée moyennant indemnité », ou donnera lieu à expropriation. Ainsi la loi a expressément prévu une indemnisation dans le cas de la modification de l'état antérieur des lieux et, en outre, ne fait pas obstacle à ce que le propriétaire dont le bien est frappé d'une servitude prétende à une indemnisation dans le cas exceptionnel où il résulte de l'ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la servitude a été instituée et mise en oeuvre, ainsi que de son contenu, que ce propriétaire supporte une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général. Il en résulte que la loi du 8 août 1929 est compatible avec les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

URBANISME ET AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE - AUTRES AUTORISATIONS D'UTILISATION DES SOLS - LOI DU 8 AOÛT 1929 - RÈGLES APPLICABLES AUX CONSTRUCTIONS SITUÉES À L'INTÉRIEUR D'UN POLYGONE D'ISOLEMENT - A) INCOMPATIBILITÉ AVEC LES STIPULATIONS DE L'ARTICLE 1ER DU PREMIER PROTOCOLE ADDITIONNEL À LA CONVENTION EUROPÉENNE DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES - ABSENCE [RJ1] - B) INCOMPATIBILITÉ AVEC L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION EUROPÉENNE DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES - ABSENCE.

68-04 a) La loi du 8 août 1929 soumet à autorisation du ministre de la défense les constructions nouvelles à l'intérieur des polygones d'isolement d'un dépôt de munitions et impose des sujétions aux propriétaires des terrains situés dans ce polygone. En vertu des articles 3 et 9 de cette loi, en cas de nécessité de supprimer des constructions édifiées dans les limites du polygone d'isolement antérieurement au classement, cette suppression « pourra être ordonnée moyennant indemnité », ou donnera lieu à expropriation. Ainsi la loi a expressément prévu une indemnisation dans le cas de la modification de l'état antérieur des lieux et, en outre, ne fait pas obstacle à ce que le propriétaire dont le bien est frappé d'une servitude prétende à une indemnisation dans le cas exceptionnel où il résulte de l'ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la servitude a été instituée et mise en oeuvre, ainsi que de son contenu, que ce propriétaire supporte une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général. Il en résulte que la loi du 8 août 1929 est compatible avec les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.,,b) Eu égard au double objectif de défense des intérêts vitaux de la Nation et de protection de la sécurité des usagers des terrains situés à faible distance des magasins à poudre, artifice ou explosifs régis par la loi du 8 août 1929, cette loi ne crée pas, entre les personnes relevant des régimes d'indemnisation des périmètres « civils » et « militaires », une rupture d'égalité qui ne reposerait sur aucun motif d'intérêt général et méconnaîtrait ainsi l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Références :

[RJ1]

Rappr. Section, 3 juillet 1998, Bitouzet, p. 288.


Publications
Proposition de citation : CE, 28 mai. 2003, n° 242431
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Robineau
Rapporteur ?: Mme Françoise Ducarouge
Rapporteur public ?: M. Lamy

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2003:242431.20030528
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