Vu la requête, enregistrée le 10 avril 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par Mme Marie-Françoise X, élisant domicile au tribunal de première instance de Nouméa, Nouvelle Calédonie ; Mme X demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté la demande qu'elle lui a adressée le 15 novembre 2001 tendant à ce que lui soit accordée une protection en application de la loi du 13 juillet 1983 ;
2°) de condamner l'Etat au versement de la somme de 2 286,74 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ducarouge, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : (...) Les magistrats sont protégés contre les menaces, attaques de quelque nature que ce soit, dont ils peuvent être l'objet dans l'exercice ou à l'occasion de leurs fonctions. L'Etat doit réparer le préjudice direct qui en résulte, dans tous les cas non prévus par la législation des pensions ;
Considérant que ces dispositions, dont Mme X, qui invoque à tort celles de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, doit être regardée comme se prévalant, établissent à la charge de l'Etat et au profit des magistrats, lorsqu'ils ont été victimes d'attaques relatives au comportement qu'ils ont eu dans l'exercice ou à l'occasion de leurs fonctions, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que pour des motifs d'intérêt général ;
Considérant que, dans un article publié dans un hebdomadaire paru le 18 octobre 2001, l'impartialité de Mme X, vice-président au tribunal de première instance de Nouméa, a été mise en cause à propos des conditions dans lesquelles avait été rendue le 12 octobre 2001, sous sa présidence, par la formation correctionnelle de ce tribunal, une décision de justice ; que, saisi par l'intéressée d'une demande tendant à ce que lui soit accordée la protection prévue par la loi, le garde des sceaux, ministre de la justice, lui a opposé un refus implicite ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme X a été mise en cause à raison de son comportement dans l'exercice de ses fonctions dans des termes portant atteinte à son honneur professionnel ; que, par son contenu, la prise à partie dont elle a été l'objet constituait une attaque relevant de l'article 11 de l'ordonnance précitée ; que le garde des sceaux, ministre de la justice, qui n'invoque aucun motif d'intérêt général de nature à l'en dispenser, était ainsi tenu d'accorder à Mme X la protection sollicitée ; que le refus qu'il lui a opposé étant entaché d'excès de pouvoir, Mme X est fondée à en demander l'annulation ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l'Etat à payer à Mme X la somme de 2 286,74 euros qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : La décision de rejet résultant du silence gardé pendant deux mois par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la demande que lui a adressée Mme X le 15 novembre 2001 est annulée.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme X une somme de 2 286,74 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme Marie-Françoise X et au garde des sceaux, ministre de la justice.