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18/09/2003 | FRANCE | N°259772

France | France, Conseil d'État, Juge des referes, 18 septembre 2003, 259772


Vu la requête, enregistrée le 26 août 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Yves X, demeurant ... ; M. Yves X demande au juge des référés :

1°) de suspendre, en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la décision du ministre de la défense en date du 13 décembre 2002 lui refusant le bénéfice de la protection juridique prévue par la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972, portant statut général des militaires, et notamment son article 24 , au motif que les faits qui lui sont reprochés ont le caractère d'une fau

te personnelle ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 000 ...

Vu la requête, enregistrée le 26 août 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Yves X, demeurant ... ; M. Yves X demande au juge des référés :

1°) de suspendre, en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la décision du ministre de la défense en date du 13 décembre 2002 lui refusant le bénéfice de la protection juridique prévue par la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972, portant statut général des militaires, et notamment son article 24 , au motif que les faits qui lui sont reprochés ont le caractère d'une faute personnelle ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

M. X soutient qu'il a régularisé la procédure en saisissant la commission instituée par le décret du 7 mai 2001 ; qu'il existe, en l'état de l'instruction, plusieurs moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision du ministre de la défense ; que celle-ci traduit une méconnaissance de la présomption d'innocence ; qu'elle est entaché d'un défaut de motivation, faute de préciser en quoi les faits reprochés au requérant, à savoir un voyage au Kenya offert par une société cliente, la négociation de contrats et la réception de travaux avec la Société ADONIS CREATION dont son fils est gérant et porteur de parts, sont constitutifs d'une faute personnelle ; que la décision contestée est fondée sur une erreur manifeste d'appréciation ; qu'en effet, les faits reprochés au requérant sont soit , en ce qui concerne le voyage au Kenya et la négociation des contrats, inexistants, soit, en ce qui concerne la réception de travaux pour la Société ADONIS CREATION, non constitutifs d'une faute personnelle ; qu'eu égard au préjudice porté au requérant, qui se trouve dans l'impossibilité financière et matérielle d'assurer sa défense, il est urgent de suspendre la décision litigieuse ;

Vu la décision dont la suspension est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation présentée par M. X à l'encontre de cette décision ;

Vu la copie de requête de M. X , en date du 14 août 2003, auprès de la commission de recours des militaires ;

Vu le mémoire en défense, présenté par le ministre de la défense, enregistré le 4 septembre 2003 ; il tend au rejet de la requête ; le ministre soutient que le requérant n'apporte pas de justifications précises de nature à démontrer qu'il subirait un préjudice grave et immédiat permettant de regarder la condition d'urgence comme remplie ; qu'il n'existe, en l'état de l'instruction, aucun moyen susceptible de créer un doute sérieux quant à la légalité de sa décision ; que cette dernière est suffisamment motivée et n'a pas été prise en violation du principe de la présomption d'innocence ; que l'administration n'a pas commis d'erreur dans l'appréciation de la situation de M. X ; que les faits reprochés au requérant sont avérés et constitutifs d'une faute personnelle ;

Vu le mémoire en réplique présenté pour M. X, enregistré le 8 septembre 2003 ; M. X reprend les mêmes conclusions par les mêmes moyens ; il précise que le ministre de la défense n'établit pas la matérialité des faits qui lui sont reprochés ; qu'il se livre à une substitution de griefs en invoquant des faits ne figurant pas parmi les motifs de la décision contestée et datant d'une période antérieure à celle visée par la plainte pénale pour laquelle M. X a demandé le bénéfice de la protection juridique ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. Yves X, d'autre part, le ministre de la défense ;

Vu le procès verbal de l'audience publique du 10 septembre 2003 à 15 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Jean-Philippe CASTON, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. X ;

- les représentants du ministre du la défense ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 septembre 2003, présentée pour M. X ; M. X soutient qu'eu égard au montant de ses revenus et à sa situation patrimoniale, sur lesquels il apporte des précisions chiffrées, et aux sommes qu'il a déjà dû ou qu'il devra prochainement exposer à titre d'honoraires et de frais d'expertise, la condition d'urgence est remplie ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 15 septembre 2003, présenté par le ministre de la défense en réponse à la note en délibéré présentée pour M. X ; le ministre de la défense reprend les conclusions et les moyens de son précédent mémoire ; il soutient en outre que les éléments apportés tardivement par M. X dans sa note en délibéré ne sont pas de nature à établir l'urgence ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n°72-662 du 13 juillet 1972 modifiée, portant statut général des militaires ;

Vu la loi n°79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

Vu le décret n° 2001-407 du 7 mai 2001 ;

Vu le code de justice administrative ;

Considérant qu'en vertu de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension d'une décision administrative par le juge des référés est subordonnée à la double condition que l'urgence le justifie et qu'il soit fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de cette décision ;

Considérant que l'article 24 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires dispose : Les militaires sont protégés par le code pénal et les lois spéciales contre les menaces, violences, outrages, injures ou diffamations dont ils peuvent être l'objet. L'Etat est tenu de les protéger contre les menaces et attaques dont ils peuvent être l'objet à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté... L'Etat est également tenu d'accorder sa protection au militaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle ;

Considérant qu'à la suite de rapports d'enquête administrative portant sur des marchés informatiques passés par la direction des constructions navales, le délégué général de l'armement a saisi, le 17 mai 2001, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris en application de l'article 40 du code de procédure pénale ; que M. Yves X, ingénieur en chef des études et techniques d'armement, qui avait occupé les fonctions d'adjoint au chef du bureau informatique de la direction des constructions navales d'août 1983 à octobre 1992 puis de chef de ce bureau de novembre 1992 à septembre 1996, a été, à la suite de cette transmission, mis en examen le 26 septembre 2002 pour infraction au code des marchés publics, corruption et trafic d'influence ; qu'il a demandé le 3 octobre 2002 le bénéfice de la protection prévue par les dispositions de l'article 24 de la loi du 13 juillet 1972 ; que, par la décision du 13 décembre 2002, notifiée seulement le 14 avril 2003, dont, après avoir saisi d'un recours préalable la commission instituée par le décret du 7 mai 2001, il demande la suspension, le ministre de la défense lui a refusé cette protection au motif que les faits qui lui étaient reprochés avaient le caractère de faute personnelle ;

Considérant que le refus par l'administration d'accorder à un militaire la protection prévue par l'article 24 de la loi du 13 juillet 1972 est susceptible de créer une situation d'urgence lorsque le coût de la procédure exposerait l'intéressé à des dépenses auxquelles il ne serait pas en mesure de faire face et compromettrait ainsi la possibilité pour lui d'assurer sa défense dans des conditions satisfaisantes ; qu'il appartient au requérant d'apporter, devant le juge des référés, les éléments permettant d'apprécier si la condition d'urgence est remplie ;

Considérant qu'en l'espèce, M. X a apporté, dans une note en délibéré produite après l'audience publique du 9 septembre 2003 et qui a conduit à rouvrir l'instruction, des précisions chiffrées sur le montant de ses revenus et sur l'état de son patrimoine ainsi que des indications précises sur les frais, notamment d'honoraires, qu'il a déjà exposés ou qu'il devra supporter à brève échéance ; qu'eu égard aux éléments ainsi produits, la condition d'urgence doit être regardée comme remplie ;

Considérant que, pour rejeter la demande d'un militaire qui sollicite le bénéfice des dispositions de l'article 24 précité de la loi du 13 juillet 1972, le ministre de la défense peut, sous le contrôle du juge, exciper du caractère personnel de la ou des fautes qui ont conduit à l'engagement de la procédure pénale, sans attendre l'issue de cette dernière ou de la procédure disciplinaire ; qu'il se prononce au vu des éléments dont il dispose à la date de sa décision en se fondant, le cas échéant, sur ceux recueillis dans le cadre de la procédure pénale ;

Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la décision dont M. X demande la suspension comporte une erreur quant à la date à laquelle l'intéressé aurait accompli, dans des conditions qui lui sont reprochées, un voyage à l'étranger ; que, si l'administration qualifie cette erreur de purement matérielle, le moyen tiré de ce qu'elle aurait pu exercer une influence sur le signataire de la décision contestée est, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître doute sérieux sur la légalité de cette décision ;

Considérant, d'autre part, que le moyen tiré de ce que les agissements regardés par la décision dont la suspension est demandée comme une faute personnelle du requérant ont été commis au cours d'une période qui ne correspond pas à celle pour laquelle des poursuites pénales ont été engagées à son encontre est également de nature à faire naître, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de cette décision ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. X est fondé à demander la suspension de la décision en date du 13 décembre 2002 par laquelle le ministre de la défense lui a refusé le bénéfice de la protection prévue par l'article 24 de la loi du 13 juillet 1972 ; que toutefois la suspension de cette décision n'implique pas que la protection lui soit accordée ; qu'elle impose seulement au ministre de la défense de réexaminer sa demande au regard des règles rappelées par la présente ordonnance ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à M. X la somme de 2 000 euros qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'exécution de la décision en date du 13 décembre 2002 par laquelle le ministre de la défense a refusé à M. X le bénéfice de la protection prévue par l'article 24 de la loi du 13 juillet 1972 est suspendue.

Article 2 : Le ministre de la défense réexaminera la demande de M. X tendant au bénéfice de cette protection au regard des règles rappelées par la présente ordonnance.

Article 3 : L'Etat versera à M. X la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Yves X et au ministre de la défense.


Synthèse
Formation : Juge des referes
Numéro d'arrêt : 259772
Date de la décision : 18/09/2003
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

PROCÉDURE - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000 - RÉFÉRÉ SUSPENSION (ARTICLE L 521-1 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE) - CONDITIONS D'OCTROI DE LA SUSPENSION DEMANDÉE - MOYEN PROPRE À CRÉER UN DOUTE SÉRIEUX SUR LA LÉGALITÉ DE LA DÉCISION - EXISTENCE - REFUS DE L'ADMINISTRATION D'ACCORDER À UN MILITAIRE LA PROTECTION PRÉVUE PAR L'ARTICLE 24 DE LA LOI DU 13 JUILLET 1972 - MOYEN TIRÉ DE CE QUE LES AGISSEMENTS FAISANT L'OBJET DE POURSUITES PÉNALES - REGARDÉS PAR L'ADMINISTRATION COMME CONSTITUTIFS D'UNE FAUTE PERSONNELLE - ONT ÉTÉ COMMIS À UNE PÉRIODE AUTRE QUE CELLE POUR LAQUELLE LES POURSUITES ONT ÉTÉ ENGAGÉES.

54-035-02-03-01 Refus de l'administration d'accorder à un militaire la protection prévue par l'article 24 de la loi du 13 juillet 1972 dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales. Le moyen tiré de ce que les agissements regardés par l'administration comme constitutifs d'une faute personnelle ont été commis au cours d'une période qui ne correspond pas à celle pour laquelle des poursuites pénales ont été engagées à l'encontre du militaire est également de nature à faire naître, en l'état de l'instrction, un doute sérieux sur la légalité du refus.

PROCÉDURE - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000 - RÉFÉRÉ SUSPENSION (ARTICLE L 521-1 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE) - CONDITIONS D'OCTROI DE LA SUSPENSION DEMANDÉE - URGENCE - EXISTENCE - REFUS DE L'ADMINISTRATION D'ACCORDER À UN MILITAIRE LA PROTECTION PRÉVUE PAR L'ARTICLE 24 DE LA LOI DU 13 JUILLET 1972 - CONDITIONS.

54-035-02-03-02 Le refus par l'administration d'accorder à un militaire la protection prévue par l'article 24 de la loi du 13 juillet 1972, dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle, est susceptible de créer une condition d'urgence lorsque le coût de la procédure exposerait l'intéressé à des dépenses auxquelles il ne serait pas en mesure de faire face et compromettrait ainsi la possibilité pour lui d'assurer sa défense dans des conditions satisfaisantes. Il appartient au requérant d'apporter, devant le juge des référés, les éléments permettant d'apprécier si la condition d'urgence est remplie.


Références :



Publications
Proposition de citation : CE, 18 sep. 2003, n° 259772
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: M. Bernard Stirn
Avocat(s) : SCP LAUGIER, CASTON

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2003:259772.20030918
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