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24/09/2003 | FRANCE | N°237115

France | France, Conseil d'État, 8eme et 3eme sous-sections reunies, 24 septembre 2003, 237115


Vu la requête sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 9 août 2001, 10 décembre 2001 et 30 janvier 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE EDITIONS GODEFROY, dont le siège est ..., représentée par son gérant en exercice ; la SOCIETE EDITIONS GODEFROY demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 5 juin 2001 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté sa requête dirigée contre le jugement du 12 mai 1999 du tribunal administratif de Rouen et tendant à la décharge, d'une part, des cotisation

s supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assuje...

Vu la requête sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 9 août 2001, 10 décembre 2001 et 30 janvier 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE EDITIONS GODEFROY, dont le siège est ..., représentée par son gérant en exercice ; la SOCIETE EDITIONS GODEFROY demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 5 juin 2001 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté sa requête dirigée contre le jugement du 12 mai 1999 du tribunal administratif de Rouen et tendant à la décharge, d'une part, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 1987, 1988 et 1994 ainsi que des pénalités y afférentes, d'autre part, des compléments de taxe sur la valeur ajoutée, assortis des intérêts de retard, qui lui ont été assignés, par voie de conséquence, au titre des périodes couvertes par ces exercices ;

2°) statuant au fond, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de ces impositions ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil, notamment ses articles 1588 et 1606 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bereyziat, Auditeur,

- les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de la SOCIETE EDITIONS GODEFROY,

- les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SOCIETE EDITIONS GODEFROY, qui a pour activité l'édition et la vente par correspondance d'ouvrages spécialisés, a fait l'objet de deux vérifications de comptabilité successives, portant respectivement sur les périodes du 1er janvier 1987 au 31 décembre 1989 et du 1er janvier 1993 au 31 décembre 1994, à l'issue desquelles le service a, entre autres chefs de redressement, considéré que le produit des ventes réalisées par la société devait être rattaché à l'exercice au cours duquel intervenait la réception par l'acheteur des ouvrages en cause et non à l'exercice ouvert à la date d'expiration de la période d'essai dont ces ventes étaient systématiquement assorties ; que la SOCIETE EDITIONS GODEFROY a été notamment assujettie, pour ce motif, à des suppléments d'impôt sur les sociétés au titre des exercices 1987, 1988 et 1994, assortis de pénalités ; qu'elle a en revanche bénéficié, par voie de correction symétrique, d'un dégrèvement d'imposition au titre de l'exercice 1989 ; que sa réclamation ayant été rejetée, la société a saisi le tribunal administratif de Rouen de demandes tendant à la décharge de l'ensemble des suppléments d'imposition qui lui ont été assignés, que le tribunal a rejetées par un jugement du 12 mai 1999 ; que la SOCIETE EDITIONS GODEFROY se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 5 juin 2001 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel qu'elle a interjeté de ce jugement, tendant à la décharge, d'une part, des seuls suppléments d'impôt sur les sociétés qui ont été établis sur le fondement du redressement sus-analysé, d'autre part, des compléments de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés, par voie de conséquence, au titre des années 1987, 1988 et 1994 ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SOCIETE EDITIONS GODEFROY a fait valoir, au soutien de sa requête d'appel, que certaines des ventes par correspondance effectuées au cours des périodes vérifiées n'avaient donné lieu, conformément aux stipulations des bons de commande correspondants, à aucun encaissement du prix de vente avant l'expiration du délai ouvert au client insatisfait pour lui retourner, le cas échéant, le bien vendu et ne pouvaient, par suite, être qualifiées de ventes sous condition résolutoire ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, qui n'était pas inopérant, la cour n'a pas suffisamment motivé son arrêt ; que, dès lors, la SOCIETE EDITIONS GODEFROY est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu pour le Conseil d'Etat de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;

Sur les conclusions en décharge relatives aux compléments de taxe sur la valeur ajoutée :

Considérant qu'en vertu de l'article R. 200-2 du livre des procédures fiscales, un contribuable n'est pas recevable à demander, devant le juge de l'impôt, la décharge d'impositions distinctes de celles visées dans la réclamation qu'il a formée devant l'administration fiscale ; qu'il suit de là que les conclusions de la SOCIETE EDITIONS GODEFROY relatives aux compléments de taxe sur la valeur ajoutée, assortis des intérêts de retard, auxquels elle a été assujettie au titre des années 1987, 1988 et 1994, ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions en décharge relatives aux suppléments d'impôt sur les sociétés :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SOCIETE EDITIONS GODEFROY ne demande plus la décharge, en droits et pénalités, que des seuls suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie du fait du rattachement, par le vérificateur, du produit de ses ventes par correspondance aux exercices au cours desquels est intervenue la réception par l'acheteur des biens correspondants ;

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction et n'est d'ailleurs pas contesté qu'au cours de la première vérification de comptabilité dont la SOCIETE EDITIONS GODEFROY a fait l'objet, qui portait sur la période du 1er janvier 1987 au 31 décembre 1989 et s'est déroulée du 3 avril 1990 au 13 juin de cette même année, le vérificateur s'est rendu un jour par semaine dans les locaux du contribuable ; que si la SOCIETE EDITIONS GODEFROY fait valoir que les redressements qui lui ont été notifiés à l'issue de ce contrôle ne distinguaient pas, au sein des ventes ayant fait l'objet de la vérification, celles qui avaient donné lieu à l'encaissement immédiat du prix des ouvrages expédiés de celles dont le prix n'avait été encaissé qu'à l'expiration de la période d'essai proposée à l'acheteur, cette circonstance ne permet pas d'établir que le vérificateur se serait refusé à tout échange de vues et ait, par suite, privé le contribuable de la possibilité de nouer un débat oral et contradictoire ; que cette circonstance ne suffit pas davantage à établir que le vérificateur se serait abstenu de prendre connaissance de la totalité des documents comptables de l'entreprise vérifiée ; qu'au demeurant, l'article L. 13 du livre des procédures fiscales, qui a pour objet de fixer les limites dans lesquelles peut s'exercer le droit de contrôle sur place reconnu à l'administration, n'a pas pour effet d'imposer au vérificateur une telle obligation ;

Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que la notification de redressements datée du 23 juillet 1990 précisait, d'une part, les éléments de droit et de fait sur lesquels le vérificateur s'était fondé pour estimer que la totalité des ventes réalisées par la SOCIETE EDITIONS GODEFROY au cours des exercices vérifiés avaient été conclues sous condition résolutoire, d'autre part, que l'administration fiscale avait, pour ce motif, réintégré dans les bénéfices imposables de ces exercices l'ensemble des ventes conclues au cours des mois de décembre des années 1987 à 1989 mais que la société n'avait comptabilisées qu'au titre des mois suivants ; qu'ainsi cette notification est suffisamment motivée, alors même qu'elle ne distinguerait pas, au sein de l'ensemble des ventes ayant fait l'objet de la vérification, celles qui ont donné lieu à l'encaissement immédiat du prix des ouvrages expédiés de celles dont le prix n'a été encaissé qu'à l'expiration de la période d'essai proposée à l'acheteur ;

En ce qui concerne le bien-fondé des redressements restant en litige :

Considérant, d'une part, que le moyen tiré de ce que le vérificateur, dans le calcul de ces redressements, n'aurait pas tenu compte des ventes qui auraient été comptabilisées à tort au cours des mois de janvier de chacun des exercices vérifiés, n'est pas assorti de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

Considérant, d'autre part, qu'en vertu de l'article 38 du code général des impôts, les produits correspondant à des créances sur la clientèle ou à des versements reçus à l'avance en paiement du prix sont rattachés à l'exercice au cours duquel intervient soit la livraison des biens, c'est-à-dire leur délivrance au sens du code civil, pour les ventes ou opérations assimilées, soit l'achèvement des prestations, pour les fournitures de services ; qu'à la différence de ce qui vaut pour des ventes dont la conclusion est assortie d'une clause résolutoire, la livraison ou délivrance d'un bien vendu sous une condition suspensive ne peut intervenir avant que cette dernière condition ait été réalisée ; qu'aux termes de l'article 1588 du code civil : La vente faite à l'essai est toujours présumée faite sous une condition suspensive ;

Considérant qu'il n'est pas sérieusement contesté que l'ensemble des ventes par correspondance réalisées par la société au cours des périodes vérifiées ont été conclues à l'essai ; que, dès lors, en vertu de l'article 1588 précité du code civil, ces ventes devaient être présumées faites sous une condition suspensive ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que l'administration fiscale a fait valoir, sans être contredite sur ce point, que le prix de certains des ouvrages expédiés par la SOCIETE EDITIONS GODEFROY avait été encaissé par l'intéressée avant même l'expiration de la période d'essai dont ces livraisons étaient contractuellement assorties et que dès la réception de l'ouvrage, le client en avait la libre disposition et supportait d'ailleurs le risque de sa destruction ; que, ce faisant, dans les circonstances de l'espèce, l'administration a renversé la présomption susmentionnée, établi que les ventes correspondantes avaient été conclues, du commun accord des parties, sous une clause résolutoire et légalement justifié le rattachement du produit de ces ventes à l'exercice au cours desquels lesdits ouvrages avaient été réceptionnés par leurs acquéreurs ; que si, dans le dernier état de ses écritures devant le juge d'appel, la SOCIETE EDITIONS GODEFROY soutient qu'en vertu de clauses contractuelles, le prix de certaines autres des ventes réalisées au cours des périodes en cause n'a, en revanche, été encaissé qu'à l'expiration de la période d'essai dont ces dernières ventes étaient assorties, elle ne précise toutefois pas le montant des ventes en cause ; que les justificatifs qu'elle apporte au soutien de ces allégations, dépourvus de dates, de signatures et d'indication chiffrée du montant des ventes en cause, sont dénués de toute valeur probante ; qu'il suit de là que la SOCIETE EDITIONS GODEFROY n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 12 mai 1999, le tribunal administratif de Rouen a maintenu à sa charge, en droits et pénalités, les supplément d'impôts sur les sociétés résultant du redressement dont s'agit ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la requête de la SOCIETE EDITIONS GODEFROY devant la cour administrative d'appel de Douai ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente espèce, soit condamné à payer à la SOCIETE EDITIONS GODEFROY la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle, tant devant les juges du fond que devant le Conseil d'Etat, et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 5 juin 2001 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé.

Article 2 : Les conclusions de la requête de la SOCIETE EDITIONS GODEFROY devant la cour administrative d'appel de Douai, ainsi que le surplus des conclusions de son pourvoi devant le Conseil d'Etat, sont rejetés.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE EDITIONS GODEFROY et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


Synthèse
Formation : 8eme et 3eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 237115
Date de la décision : 24/09/2003
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-01-03-02 CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES - REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES PARTICULIÈRES - BÉNÉFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX - ÉVALUATION DE L'ACTIF - CRÉANCES - A) RATTACHEMENT À L'EXERCICE AU COURS DUQUEL INTERVIENT SOIT LA LIVRAISON DU BIEN, SOIT L'ACHÈVEMENT DE LA PRESTATION - NOTION DE LIVRAISON - DÉLIVRANCE AU SENS DU CODE CIVIL - B) CAS DES BIENS VENDUS SOUS UNE CONDITION SUSPENSIVE - DÉLIVRANCE INTERVENANT LORS DE LA RÉALISATION DE LA CONDITION - ILLUSTRATION - VENTES FAITES À L'ESSAI (ART. 1588 DU CODE CIVIL).

19-04-02-01-03-02 a) En vertu de l'article 38 du code général des impôts, les produits correspondant à des créances sur la clientèle ou à des versements reçus à l'avance en paiement du prix sont rattachés à l'exercice au cours duquel intervient soit la livraison des biens, c'est-à-dire leur délivrance au sens du code civil, pour les ventes ou opérations assimilées, soit l'achèvement des prestations, pour les fournitures de services.... ...b) A la différence de ce qui vaut pour des ventes dont la conclusion est assortie d'une clause résolutoire, la livraison ou délivrance d'un bien vendu sous une condition suspensive ne peut intervenir avant que cette dernière condition ait été réalisée. Tel est le cas des ventes faites à l'essai qui, en vertu des dispositions de l'article 1588 du code civil, sont toujours présumées faites sous une condition suspensive.


Références :



Publications
Proposition de citation : CE, 24 sep. 2003, n° 237115
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Labetoulle
Rapporteur ?: M. Frédéric Bereyziat
Rapporteur public ?: M. Bachelier
Avocat(s) : SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2003:237115.20030924
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