La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/10/2004 | FRANCE | N°259525

France | France, Conseil d'État, 8eme et 3eme sous-sections reunies, 04 octobre 2004, 259525


Vu 1°), sous le n° 259525, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 août et 1er septembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SARL CHT, dont le siège est ..., représentée par son gérant en exercice ; la SARL CHT demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 30 juillet 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice, à la demande de la société SEMAGEST, d'une part, l'a condamnée à libérer le poste d'amarrage occupé par son navire La Pouncho dans le Vieux Port de Sa

int-Tropez sous astreinte de 200 euros par jour de retard, d'autre part, lui a...

Vu 1°), sous le n° 259525, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 août et 1er septembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SARL CHT, dont le siège est ..., représentée par son gérant en exercice ; la SARL CHT demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 30 juillet 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice, à la demande de la société SEMAGEST, d'une part, l'a condamnée à libérer le poste d'amarrage occupé par son navire La Pouncho dans le Vieux Port de Saint-Tropez sous astreinte de 200 euros par jour de retard, d'autre part, lui a enjoint, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, de cesser tout acte de transport de passagers ainsi que toute circulation depuis les quais de ce port ou dans celui-ci ;

2°) de déclarer la juridiction administrative incompétente pour statuer sur le litige ;

3°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la requête de la société SEMAGEST ;

4°) de condamner la société SEMAGEST à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°) sous le n° 262321, la requête, enregistrée le 2 décembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SARL CHT, dont le siège est ..., représentée par son gérant en exercice ; la SARL CHT demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 10 novembre 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice, d'une part, a procédé à la liquidation de l'astreinte prononcée à son encontre par une ordonnance du 30 juillet 2003 en la condamnant à verser la somme de 9 400 euros à la société SEMAGEST, d'autre part l'a condamnée à cesser toute circulation ainsi que tout transport de passagers dans le Vieux Port de la commune de Saint-Tropez, sous-astreinte de 3 000 euros par jour de retard à compter du lendemain de la notification de l'ordonnance du 10 novembre 2003, enfin l'a condamnée à verser la somme de 1 000 euros à la société SEMAGEST au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administratif ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les demandes présentées par la société SEMAGEST devant le juge des référés du tribunal administratif de Nice ;

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la note en délibéré présentée le 20 septembre 2004 pour la SARL CHT ;

Vu la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 modifiée par la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc El Nouchi, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de la SARL CHT et de la SCP Gaschignard, avocat de la société SEMAGEST et de la commune de Saint-Tropez,

- les conclusions de M. Laurent Olléon, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les pourvois de la SARL CHT portent sur les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la requête n° 259525 :

Considérant que la commune de Saint-Tropez a intérêt au maintien de l'ordonnance attaquée ; qu'ainsi son intervention est recevable ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'en vertu d'une convention d'accostage conclue le 10 juillet 1998 entre la commune de Saint-Tropez et le Groupement des armateurs méditerranéens, M. X..., exploitant d'un navire de transport de passagers dénommé le Thule, a été autorisé, en sa qualité de membre de ce groupement nominativement désigné dans cette convention, à accoster son bateau au quai Gabriel Péri situé sur le Vieux Port de Saint-Tropez ; que M. X... et son épouse, qui ont constitué en mars 2003 la SARL CHT, à laquelle ils ont apporté un nouveau navire dénommé la Pouncho, ont informé le directeur du port de leur intention de poursuivre avec ce nouvel armement leur activité de transport de passagers et sollicité à cette fin, le 1er avril 2003, l'obtention d'une convention d'accostage au Vieux Port ; que, par une réponse du même jour, le directeur du port, agissant pour le compte de la société SEMAGEST chargée par la commune de gérer le port en vertu d'une convention en date du 30 décembre 1998, portant délégation de service public, a informé la société requérante de la décision du conseil portuaire de limiter l'accroissement du nombre de bateaux de transport de passagers sur le Vieux Port et, par suite, de ce que l'activité projetée par elle ne pourrait s'exercer qu'à partir d'un autre poste d'accostage situé à l'extérieur du Vieux Port au lieu-dit l'Estacade ; que, par une lettre du 24 avril 2003, le directeur du port, prenant acte de ce que la SARL CHT exploitait la Pouncho depuis le Vieux Port sans convention d'accostage, malgré le refus qu'il lui avait précédemment opposé, et de ce qu'elle n'avait pas présenté de demande pour une exploitation depuis l'Estacade, lui a fait connaître son intention d'engager toutes mesures en vue de son expulsion du bassin du Vieux Port et, le cas échéant, de supprimer l'emplacement occupé par elle pour le mouillage de son bateau le long du quai d'Estienne d'Orves ; que, par une décision en date du 30 avril 2003, le directeur du port a signifié à la SARL CHT que cet emplacement devait être libéré à la date du 1er juin 2003 ; que, la SARL CHT se pourvoit à l'encontre de l'ordonnance du 30 juillet 2003, par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant à la demande de la société SEMAGEST, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, l'a condamnée, sous astreinte, à libérer le poste d'amarrage occupé par la Pouncho dans le Vieux Port et lui a enjoint, également sous astreinte, de cesser tout acte de transport de passagers et toute circulation dans le Vieux Port ;

Sur la compétence de la juridiction administrative :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'aux termes de la convention précitée du 30 décembre 1998, la commune de Saint-Tropez a notamment confié pour missions à la société SEMAGEST, dans le cadre de l'exécution du service public, de réglementer l'usage du port et le bon emploi des outillages et des ouvrages et de mettre à la disposition des tiers les anneaux et les emplacements sur les terre-pleins et sur les plans d'eau, en lui réservant le droit exclusif de placement des bateaux ; qu'en jugeant, dans ces conditions, que la société SEMAGEST exerçait des prérogatives de puissance publique lorsqu'elle attribuait les postes d'amarrage et d'accostage, pour en déduire que le litige dont il était saisi ressortissait à la compétence de la juridiction administrative, le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit ;

Sur les conclusions dirigées contre l'injonction faite à la société requérante de cesser toute circulation dans le Vieux Port :

Considérant que saisi, sur le fondement de l'article R. 521-3 du code de justice administrative de conclusions tendant à ce que soit ordonnée l'expulsion d'un occupant sans titre du domaine public, le juge des référés est habilité à y faire droit dès lors que la demande présentée ne se heurte à aucune contestation sérieuse et que la libération des locaux occupés présente un caractère d'urgence ;

Considérant qu'en jugeant que l'injonction faite à la SARL requérante de cesser toute circulation dans le Vieux Port se déduisait, à la fois, des motifs, développés dans son ordonnance, qui fondaient la mesure d'expulsion sollicitée à son encontre, eu égard à la nature de son navire et à l'activité pour lequel il a été construit, en prononçant l'injonction contestée dans les limites du litige qui lui étaient soumis, en estimant par une appréciation souveraine des faits que l'interdiction de circulation dans le Vieux Port d'un navire commercial transportant un nombre élevé de passagers n'était pas compatible avec la sécurité de la circulation dans cette enceinte portuaire, et en estimant enfin que les moyens tirés par la SARL requérante de la violation des principes de libre circulation, d'égalité des usagers du domaine public et de liberté du commerce et de l'industrie n'étaient pas fondés, le juge des référés, qui a suffisamment motivé l'ordonnance attaquée, n'a pas commis d'erreur de droit ;

Sur les conclusions dirigées contre la mesure d'expulsion :

Considérant, en premier lieu, qu'en relevant que ne ressortait des pièces du dossier l'existence ni d'une convention d'accostage ou d'amarrage conclue entre la SARL CHT et la commune ou la société SEMAGEST autorisant la Pouncho à occuper à titre permanent un mouillage dans le Vieux Port, ni d'un quelconque autre titre permettant à la société requérante d'assurer à partir d'un point quelconque de ce port une activité commerciale de transports de passagers, le juge des référés a suffisamment répondu à l'ensemble des moyens soulevés devant lui ;

Considérant, en deuxième lieu, que le juge des référés n'a pas dénaturé les termes de la convention susmentionnée du 10 avril 1998, en jugeant que cette dernière ne bénéficiait ni à la SARL CHT ni à son navire la Pouncho ;

Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 6 de la loi du 22 juillet 1983 complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat, modifiée en dernier lieu par la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 : Le département est compétent pour créer, aménager et exploiter les ports maritimes de commerce et de pêche (...) ; que les dispositions du même article confèrent à la commune compétence pour créer, aménager et exploiter les ports, autres que ceux visés ci-dessus, dont l'activité dominante est la plaisance et notamment ceux faisant l'objet d'une concession de port de plaisance ;

Considérant que, se fondant sur ces dispositions, la SARL CHT a contesté devant le juge des référés, la compétence de la commune de Saint-Tropez pour la gestion du port, en faisant notamment valoir que l'activité de plaisance n'était pas prépondérante dans ce port ; qu'elle en a déduit que la convention de délégation passée avec la société SEMAGEST est entachée d'illégalité et que, par suite, la société SEMAGEST n'avait pas compétence pour solliciter son expulsion de l'emplacement occupé par son navire sur le Vieux Port ; que toutefois il ne ressort pas des pièces du dossier soumis au juge des référés que cette convention de délégation serait entachée de nullité ou qu'elle aurait été résiliée ; qu'il en ressort, en revanche, que par un arrêté du 29 mars 2002, le préfet du Var, a attribué à la commune de Saint-Tropez compétence pour l'exploitation du port de Saint-Tropez au motif que l'activité dominante est la plaisance ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la SARL requérante ne dispose d'aucun titre d'occupation du domaine public en ce qui concerne la Pouncho ; que, dès lors, en jugeant que le moyen sus-analysé ne constituait pas une contestation sérieuse de la demande d'expulsion sollicitée, le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit ; que par ce motif, le juge des référés a légalement justifié sur ce point son ordonnance, l'autre motif, erroné, tiré de ce que les décisions administratives contestées de la société SEMAGEST n'auraient pas fait l'objet d'un recours distinct en excès de pouvoir, étant surabondant ;

Considérant enfin, que le juge des référés a suffisamment motivé l'établissement de la condition d'urgence, en relevant que l'occupation irrégulière du domaine public par la SARL CHT empêchait le fonctionnement normal du service public portuaire qui inclut, à la fois, la sécurité des biens et des personnes et le bon emploi des outillages et des ouvrages du port ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SARL CHT n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

Sur la requête n° 262321 :

Considérant que la SARL CHT se pourvoit en cassation contre l'ordonnance en date du 10 novembre 2003, par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice, d'une part, a procédé à la liquidation de l'astreinte prononcée à son encontre par la précédente ordonnance du 30 juillet 2003 et l'a condamnée en conséquence à verser la somme de 9 400 euros à la société d'économie mixte SEMAGEST, d'autre part, l'a condamnée, sous astreinte de 3 000 euros par jour de retard, à cesser toute circulation ainsi que tout transport de passagers dans le Vieux Port de la commune de Saint-Tropez ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui précède que la SARL CHT n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée par voie de conséquence de l'annulation de l'ordonnance du 30 juillet 2003 ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, d'une part, la commune de Saint-Tropez s'est vue attribuer compétence pour exploiter le port de Saint-Tropez par un arrêté préfectoral du 29 mars 2002, et d'autre part, que la convention en date du 30 décembre 1998 portant délégation de service public de la commune à la société SEMAGEST pour la gestion et l'exploitation du port de Saint-Tropez n'est pas entachée de nullité et n'a pas été résiliée ; que, dès lors, la SARL CHT n'est pas fondée à soutenir que c'est au prix d'une erreur de droit que le juge des référés, estimant cette convention légale, a jugé que la société SEMAGEST avait qualité pour demander l'expulsion d'un occupant irrégulier du domaine public dont la gestion lui avait été déléguée ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés, et notamment de rapports d'agents de police judiciaire et de constats d'huissiers que, nonobstant les mesures d'interdiction prononcées par l'ordonnance du 30 juillet 2003, la SARL a poursuivi son activité commerciale dans et à partir du Vieux Port ; que, dès lors, c'est sans dénaturer les faits de l'espèce, ni entacher son ordonnance d'une insuffisance de motivation, que le juge des référés a relevé, pour décider de la liquidation de l'astreinte qu'il avait précédemment prononcée, que la SARL requérante n'avait pas cessé son activité de transport de passagers à partir du Vieux Port et avait continué à y faire circuler la Pouncho ;

Considérant, en quatrième lieu, que l'appréciation faite par le juge des référés du quantum de l'astreinte qu'il a prononcée est exempte d'erreur de droit ;

Considérant enfin, que pour les motifs précédemment indiqués, les moyens tirés de ce que le juge des référés aurait excédé les limites de sa compétence et méconnu les principes de libre circulation, d'égalité des usagers du domaine public et de liberté du commerce et de l'industrie, ne peuvent qu'être écartés ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société SEMAGEST, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le paiement de la somme que demande la SARL CHT au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des mêmes dispositions et de mettre à la charge de la SARL CHT la somme de 4 000 euros que demande la société SEMAGEST au même titre ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'intervention de la commune de Saint-Tropez est admise.

Article 2 : Les requêtes de la SARL CHT sont rejetées.

Article 3 : La SARL CHT paiera à la société SEMAGEST une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SARL CHT, à la societé SEMAGEST, à la commune de Saint-Tropez et au ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.


Synthèse
Formation : 8eme et 3eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 259525
Date de la décision : 04/10/2004
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 04 oct. 2004, n° 259525
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Genevois
Rapporteur ?: M. Marc El Nouchi
Rapporteur public ?: M. Olléon
Avocat(s) : SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN ; SCP GASCHIGNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2004:259525.20041004
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award