Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 1er décembre 2004 et 21 mars 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Yvette A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 28 septembre 2004 de la cour administrative d'appel de Douai en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles son mari et elle ont été assujettis au titre de l'année 1990 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Egerszegi, Auditeur,
- les observations de Me Odent, avocat de Mme A,
- les conclusions de M. Emmanuel Glaser, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort du dossier soumis à la cour que M. A a constitué en 1989 une EURL dénommée Sea, dont il était gérant et seul associé ; que cette EURL s'est associée avec neuf autres SARL pour créer la société en nom collectif Sodeta, laquelle a acquis un avion, au moyen notamment d'avances consenties par ses associés proportionnellement à leurs parts de capital, et a donné cet avion en location à la société Air Martinique ; qu'eu égard aux difficultés de la société Sodeta, ses associés ont renoncé à percevoir les intérêts, échus et courus au 31 décembre 1990, afférents auxdites avances ; que l'administration fiscale, estimant que cette renonciation avait constitué un acte de gestion anormale de la part de la société Sea, a réintégré la somme correspondante dans les résultats de cette société, ce qui s'est traduit par un rappel d'impôt sur le revenu pour M. A au titre de l'année 1990 ; que par l'arrêt attaqué en date du 28 septembre 2004, la cour administrative d'appel de Douai, confirmant sur ce point le jugement du tribunal administratif de Lille en date du 27 janvier 2000, a refusé de décharger les époux A de ce rappel d'impôts, qui reste seul en litige ;
Considérant que devant la cour, Mme A, venant aux droits de son mari décédé, faisait valoir qu'eu égard au régime des sociétés de personnes applicable tant à la société Sea qu'à la société Sodeta, dont les exercices correspondaient à l'année civile, la réintégration des intérêts litigieux dans les résultats de la Sea, imposables entre ses mains, impliquait qu'il soit lui-même deux fois imposé sur ces intérêts, puisque les résultats de la Sodeta, à raison desquels il était personnellement imposé, avaient été déterminés après réintégration des intérêts abandonnés par ses associés ; qu'en jugeant que, par ces seules allégations, la requérante n'apporte pas d'éléments suffisants de nature à démontrer la prétendue double imposition, la cour a commis une erreur de droit, dès lors que la double imposition invoquée résultait automatiquement de ce que, en application des dispositions de l'article 8 du code général des impôts, M. A était le seul contribuable imposé à raison de sa quote-part des résultats dans la Sea, lesquels incluaient eux-mêmes, en vertu des mêmes dispositions, la quote-part des résultats de la Sodeta correspondant aux droits détenus dans cette société par la Sea ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner ses autres moyens, Mme A est pour ce motif fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a refusé de la décharger des conséquences du redressement des résultats de la Sea pour l'année 1990 ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant que les avances sans intérêts accordés par une entreprise au profit d'un tiers ne relèvent pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages l'entreprise a agi dans son propre intérêt ; que cette règle doit recevoir application même si le bénéficiaire de ces avances est une filiale, hormis le cas où la situation des deux sociétés serait telle que la société-mère puisse être regardée comme ayant agi dans son propre intérêt en venant en aide à une filiale en difficulté ;
Considérant que la situation nette prévisible de la SNC Sodeta au 31 décembre 1990 s'établissant au montant négatif de 2,4 millions de F (365 878 euros), les associés de cette société, personnellement tenus de ses dettes au-delà de leurs apports, n'ont pas commis d'acte anormal de gestion en décidant de réduire cette situation nette négative par l'abandon des intérêts de leurs avances, échus ou courus à cette date ; que, dès lors, Mme A est fondée à soutenir que c'est à tort que par jugement du 27 janvier 2000, le tribunal administratif de Lille a refusé de la décharger des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels elle et son mari ont été assujettis au titre de l'année 1990, impliqués par la réintégration dans les résultats de l'EURL Sea de l'abandon d'intérêts consentis à la SNC Sodeta cette même année ; qu'il y a lieu sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par Mme A et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 28 septembre 2004 de la cour administrative d'appel de Douai et le jugement du 27 janvier 2000 du tribunal administratif de Lille sont annulés en tant qu'ils ont refusé de décharger Mme A des conséquences du redressement des résultats de la Sea pour l'année 1990.
Article 2 : Mme A est déchargée des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 1990 ainsi que des majorations y afférentes.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Yvette A et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.