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18/10/2006 | FRANCE | N°279965

France | France, Conseil d'État, 1ere sous-section jugeant seule, 18 octobre 2006, 279965


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 avril et 26 août 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Christian A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 16 février 2005 par laquelle le président de la troisième chambre du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 2 décembre 2004 par laquelle le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations a rejeté sa demande tendant à l'obtention de la jouissance immédiate

de sa pension civile de retraite ;

2°) statuant au fond, de faire droit à ...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 avril et 26 août 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Christian A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 16 février 2005 par laquelle le président de la troisième chambre du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 2 décembre 2004 par laquelle le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations a rejeté sa demande tendant à l'obtention de la jouissance immédiate de sa pension civile de retraite ;

2°) statuant au fond, de faire droit à sa demande de première instance et d'enjoindre à l'Etat de prendre les mesures qu'impose l'exécution de la décision d'attribution immédiate de la pension civile de retraite ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la Caisse des dépôts et consignations une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu le traité de Rome instituant la Communauté économique européenne devenue la Communauté européenne ;

Vu le traité sur l'Union européenne et les protocoles qui y sont annexés ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu la loi n° 2004 ;1485 en date du 30 décembre 2004 portant loi de finances rectificative pour 2004, notamment son article 136 ;

Vu le décret n° 2003 ;1306 du 26 décembre 2003 ;

Vu le décret n° 2005 ;449 du 10 mai 2005 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Bénassy, chargé des fonctions de Maître des requêtes,

- les observations de la SCP Tiffreau, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Christophe Devys, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

Considérant que, par dérogation aux dispositions du 1° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite qui, applicables en vertu de l'article 25 du décret du 26 décembre 2003 aux fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, subordonnent la jouissance de la pension à des conditions d'âge, celles du a) du 3° de ce I, dans leur rédaction antérieure à l'intervention de la loi du 30 décembre 2004, ouvrent à toute femme fonctionnaire, mère de trois enfants et justifiant de cette condition de services effectifs, le droit de prendre sa retraite avec jouissance immédiate de sa pension ; que, toutefois, le principe d'égalité des rémunérations résultant des stipulations de l'article 119 du traité instituant la Communauté économique européenne, désormais reprises à l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, impose de reconnaître le même droit aux fonctionnaires masculins, pères de trois enfants remplissant la même condition de services effectifs ;

Considérant que, dans la rédaction que lui a donnée le I de l'article 136 de la loi du 30 décembre 2004 et dont le II précise qu'elles « sont applicables aux demandes présentées avant leur entrée en vigueur qui n'ont pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée », le 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite dispose désormais que ce droit de jouissance est ouvert à tout fonctionnaire civil parent de trois enfants vivants « à condition qu'il ait, pour chaque enfant, interrompu son activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat » ; que cette rédaction nouvelle ne pouvait, à la date de l'ordonnance attaquée, recevoir application, à défaut de l'intervention du décret en Conseil d'Etat permettant sa mise en oeuvre ; qu'ainsi, en se fondant sur ces dispositions nouvelles pour rejeter la requête de M. A tendant à l'annulation de la décision du 2 décembre 2004 par laquelle le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations avait rejeté sa demande tendant à l'obtention de la jouissance immédiate de sa pension civile de retraite, le président de la troisième chambre du tribunal administratif de Montpellier a entaché son ordonnance d'erreur de droit ; que, dès lors, cette ordonnance doit être annulée ;

Considérant qu'il y a lieu, par application de l'article L. 821 ;2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;

Sur le bien-fondé de la décision attaquée :

Considérant que, comme il a été dit, le 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2004, dispose que tout fonctionnaire civil parent de trois enfants vivants a droit à la jouissance immédiate de sa pension, sous réserve de justifier d'une interruption d'activité pour chaque enfant, et qu'il résulte de l'article R. 37, introduit dans ce même code par le décret du 10 mai 2005, que l'interruption d'activité susceptible d'être prise en compte à ce titre doit avoir eu une durée continue de deux mois et avoir donné lieu à l'un des congés dont la liste est limitativement énumérée par ce texte ; que, toutefois, dans la mesure où M. A avait présenté sa demande avant la publication de la loi du 30 décembre 2004 et où cette demande avait donné lieu à une décision de refus avant l'entrée en vigueur du décret du 10 mai 2005, le requérant est fondé à soutenir qu'elles méconnaissent, en l'absence de motifs d'intérêt général susceptibles de justifier cette rétroactivité, les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, dans ces conditions, elles doivent être écartées pour apprécier la légalité de la décision du 2 décembre 2004 ;

Considérant que le refus opposé à la demande de M. A par le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations est exclusivement motivé par la circonstance que le a) du 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite exclut les fonctionnaires masculins du bénéfice de la jouissance immédiate de la pension ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci ;dessus que de telles dispositions sont incompatibles avec le principe d'égalité des rémunérations tel qu'il est affirmé par le traité instituant la Communauté européenne et par l'accord annexé au protocole nº 14 sur la politique sociale joint au traité sur l'Union européenne ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la décision en date du 2 décembre 2004 par laquelle le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations a refusé à M. A, père de trois enfants, le bénéfice de la mise à la retraite à compter du 1er avril 2005 avec jouissance immédiate de sa pension, alors même qu'il n'est pas contesté qu'il a assuré l'éducation et la charge de ses enfants, est entachée d'illégalité ; que, dès lors et pour ce motif, M. A est fondé à en demander l'annulation ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

Considérant que le contentieux des pensions civiles et militaires de retraite est un contentieux de pleine juridiction ; qu'il appartient, dès lors, au juge saisi de se prononcer lui ;même sur les droits des intéressés, sauf à renvoyer à l'administration compétente et sous son autorité le règlement de tel aspect du litige dans des conditions précises qu'il lui appartient de fixer ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que M. A, qui totalise plus de quinze années de service, a assuré la charge de l'éducation de trois enfants ; que, dans la mesure où étaient alors maintenues des dispositions plus favorables aux fonctionnaires de sexe féminin ayant assuré l'éducation de leurs enfants, en ce qui concerne la jouissance immédiate de la pension, M. A a droit, ainsi qu'il a été dit plus haut, à la jouissance immédiate de sa pension, prévue au a) du 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans sa rédaction immédiatement antérieure à celle issue de la loi du 30 décembre 2004 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, en application de l'article L. 911 ;1 du code de justice administrative, d'admettre M. A, dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, au bénéfice de la jouissance immédiate de sa pension de retraite, ainsi qu'il le demande, à compter du 1er avril 2005, l'intéressé ayant toutefois droit, en tout état de cause, à la rémunération du service fait jusqu'à la date de sa cessation définitive de fonctions sans pouvoir cumuler, jusqu'à cette date, traitement d'activité et pension de retraite ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la Caisse des dépôts et consignations, mais non de l'Etat qui n'est pas la partie à l'instance, le versement à M. A d'une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 16 février 2005 du président de la troisième chambre du tribunal administratif de Montpellier et la décision du 2 décembre 2004 du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations sont annulées.

Article 2 : Il est enjoint au directeur général de la Caisse des dépôts et consignations d'admettre M. A, dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, à faire valoir ses droits à la retraite avec jouissance de sa pension à compter du 1er avril 2005, dans les conditions précisées aux motifs de la présente décision.

Article 3 : La Caisse des dépôts et consignations versera la somme de 3 000 euros à M. A au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Christian A, à la Caisse des dépôts et consignations et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


Synthèse
Formation : 1ere sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 279965
Date de la décision : 18/10/2006
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Publications
Proposition de citation : CE, 18 oct. 2006, n° 279965
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Arrighi de Casanova
Rapporteur public ?: M. Devys
Avocat(s) : SCP TIFFREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:279965.20061018
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