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27/03/2009 | FRANCE | N°283240

France | France, Conseil d'État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 27 mars 2009, 283240


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 juillet et 28 novembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Marie-Josée A, demeurant ..., Mlle Jennifer B, demeurant ..., Mlle Valérie B, demeurant ... et M. Gilles B, demeurant ... ; Mme A et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 31 mai 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur requête tendant à l'annulation du jugement du 14 février 2003 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. Maur

ice C tendant à l'annulation de la décision du 26 juillet 1999 du di...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 juillet et 28 novembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Marie-Josée A, demeurant ..., Mlle Jennifer B, demeurant ..., Mlle Valérie B, demeurant ... et M. Gilles B, demeurant ... ; Mme A et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 31 mai 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur requête tendant à l'annulation du jugement du 14 février 2003 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. Maurice C tendant à l'annulation de la décision du 26 juillet 1999 du directeur des archives du ministère des affaires étrangères rejetant sa demande de restitution de trois tableaux de Puvis de Chavannes et à ce qu'il soit déclaré propriétaire des tableaux restitués ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu la déclaration interalliée du 5 janvier 1943 ;

Vu l'ordonnance du 12 novembre 1943 ;

Vu l'ordonnance du 14 novembre 1944 ;

Vu l'ordonnance n° 45-624 du 11 avril 1945 ;

Vu l'ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 ;

Vu l'ordonnance n °45-1224 du 9 juin 1945;

Vu le décret n° 46-1542 du 22 juin 1946 ;

Vu le décret n° 47-2105 du 29 octobre 1947 ;

Vu le décret n° 49-1344 du 30 septembre 1949 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Brice Bohuon, Auditeur,

- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de Mme Marie-Josée A et autres,

- les conclusions de M. Julien Boucher, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. François Maurice C a vendu, par contrat en date du 19 décembre 1942, trois tableaux de Puvis de Chavannes à un acheteur allemand ; que ces tableaux, retrouvés en Allemagne dans la zone d'occupation américaine, ont été remis aux autorités françaises en 1952 ; que, par une décision du 26 juillet 1999, le directeur des archives du ministère des affaires étrangères, chargé de la garde de ces trois tableaux conformément à l'article 5 du décret du 30 septembre 1949 relatif à la fin des opérations de la commission de récupération artistique, a refusé de les restituer à M. Maurice C, fils de M. François Maurice C ; que le tribunal administratif de Paris, par un jugement du 14 février 2003, a rejeté la demande de M. Maurice C tendant à l'annulation de la décision de refus du directeur des archives et à ce qu'il soit déclaré propriétaire des tableaux restitués ; que Mme A et autres, agissant en leur qualité d'héritiers de M. C, demandent l'annulation de l'arrêt du 31 mai 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur requête tendant à l'annulation de ce jugement ;

Considérant qu'à la fin de la seconde guerre mondiale, sur le fondement de la déclaration interalliée du 5 janvier 1943, de l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle, ainsi que des ordonnances des 14 novembre 1944, 21 avril et 9 juin 1945 prises pour son application, les autorités françaises ont organisé les conditions de la restitution des biens venus, à la fin de l'occupation, aux mains de l'administration française, aux propriétaires qui en avaient été soit spoliés dans des conditions exorbitantes du droit commun, soit privés par une transaction d'apparence légale effectuée par les autorités d'occupation allemandes, directement ou par personne interposée ; qu'il résulte de ces textes que, après l'expiration des délais de mise en oeuvre des procédures qu'ils organisaient, les autorités administratives demeurent tenues de restituer à leurs propriétaires ou à leurs ayants droit les biens dont ils ont été, soit spoliés dans des conditions exorbitantes du droit commun, soit, s'il apparaît qu'ils ont subi des pressions ou violences et qu'un préjudice direct leur a été causé, privés par une transaction d'apparence légale ;

Considérant, en premier lieu, que la circonstance qu'une oeuvre d'art soit détenue par les autorités françaises après avoir été récupérée à la fin de la seconde guerre mondiale durant l'occupation de l'Allemagne et de l'Autriche par les forces alliées, en principe dans le but de procéder à la restitution d'oeuvres spoliées par les autorités d'occupation allemandes en France, est, par elle-même, sans incidence sur la qualification des conditions dans lesquelles son propriétaire initial a perdu son droit de propriété ; que si l'Etat est tenu, à la demande des propriétaires d'une oeuvre d'art ou de ses ayants droit, de rechercher si la restitution à ces propriétaires et ayant droit indûment privés de leur bien est possible, les circonstances dans lesquelles les autorités françaises ont obtenu ce bien sont, par elles-mêmes, sans conséquence, en droit, sur cette appréciation ; que, dès lors, c'est sans erreur de droit que, pour apprécier la légalité de la décision attaquée, la cour administrative d'appel de Paris a analysé les conditions de la transaction opérée en 1942 sans tenir compte des conditions dans lesquelles le bien revendiqué est venu aux mains des autorités françaises en 1952 ;

Considérant, en deuxième lieu, que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas omis de rechercher si la vente des trois tableaux par M. C en 1942 s'était faite sous la contrainte et n'a ainsi pas commis d'erreur de droit ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, devant lesquels il n'a pas été soutenu que M. B aurait fait l'objet d'une spoliation dans des conditions exorbitantes du droit commun, que le propriétaire des trois toiles de Puvis de Chavannes avait exprimé, à de très nombreuses reprises, l'intention de les vendre à partir de l'année 1931 ; que le propriétaire avait également entrepris des démarches à cette fin auprès du musée du Louvre, en particulier en 1932 et en 1937, date à laquelle le directeur des musées nationaux et de l'Ecole du Louvre, déclinant une proposition de vente de ces trois toiles faite par le propriétaire au prix de 1 500 000 francs, avait accepté de garder les trois panneaux en dépôt provisoire afin de permettre leur vente ; qu'en 1942, le propriétaire des toiles a donné son accord à une proposition d'achat faite au prix de 2 500 000 francs, dont les requérants ne sauraient sérieusement soutenir qu'il ne s'agissait pas, à l'époque, du prix du marché, émanant d'un acheteur allemand ; que, par suite, alors même qu'il est constant que les trois toiles ont été vendues à un acheteur allemand par un intermédiaire entretenant des relations commerciales en matière d'oeuvres d'art avec les autorités allemandes d'occupation, la cour administrative d'appel de Paris, qui a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation, n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les conditions dans lesquelles la vente des trois tableaux a été effectuée en 1942 ne révèlent pas l'existence de pressions ou de violences qui auraient contraint le propriétaire à les vendre ;

Considérant, en dernier lieu, que le moyen tiré de ce que la décision du 26 juillet 1999 par laquelle le directeur des archives du ministère des affaires étrangères a rejeté la demande de M. C tendant à la restitution des trois tableaux de Puvis de Chavannes serait contraire aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'a pas été soulevé par les requérants devant les juges du fond ; que ce moyen, nouveau en cassation et qui n'est pas d'ordre public, n'est pas recevable et doit, par suite, être écarté ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A et autres ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué, qui est suffisamment motivé ; que, par voie de conséquence, leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de Mme A et autres est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Marie-Josée A, à Mlle Jennifer B, à Mlle Valérie B, à M. Gilles B et au ministre des affaires étrangères et européennes.


Synthèse
Formation : 10ème et 9ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 283240
Date de la décision : 27/03/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

COMPÉTENCE - RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - COMPÉTENCE DÉTERMINÉE PAR UN CRITÈRE JURISPRUDENTIEL - DÉCISION DU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES REJETANT UNE DEMANDE DE RESTITUTION DE TABLEAUX RÉCUPÉRÉS PAR LES AUTORITÉS FRANÇAISES À LA FIN DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE - CONTESTATION - COMPÉTENCE DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE (SOL - IMPL - ).

17-03-02 La juridiction administrative est compétente pour connaître de la contestation dirigée contre une décision du ministre des affaires étrangères refusant la restitution à un particulier de trois tableaux, vendus par sa famille pendant la seconde guerre mondiale, et récupérés à l'issue de la guerre par les autorités françaises.

PROCÉDURE - VOIES DE RECOURS - CASSATION - CONTRÔLE DU JUGE DE CASSATION - RÉGULARITÉ INTERNE - APPRÉCIATION SOUVERAINE DES JUGES DU FOND - PERTE D'UN DROIT DE PROPRIÉTÉ - CONDITIONS - CONTRÔLE DU JUGE DE CASSATION - APPRÉCIATION SOUVERAINE DES JUGES DU FOND - SOUS RÉSERVE D'ERREUR DE DROIT ET DE DÉNATURATION.

54-08-02-02-01-03 Le juge de cassation exerce un contrôle d'erreur de droit et de dénaturation sur l'appréciation portée par une cour administrative d'appel sur les conditions dans lesquelles le propriétaire initial d'oeuvres récupérées par les autorités françaises à la fin de la seconde guerre mondiale a perdu son droit de propriété.,,.

69 PROCÉDURE - VOIES DE RECOURS - CASSATION - CONTRÔLE DU JUGE DE CASSATION - RÉGULARITÉ INTERNE - APPRÉCIATION SOUVERAINE DES JUGES DU FOND - DÉCISION DU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES REJETANT UNE DEMANDE DE RESTITUTION DE TABLEAUX RÉCUPÉRÉS PAR LES AUTORITÉS FRANÇAISES À LA FIN DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE - 1) CONTESTATION - COMPÉTENCE DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE (SOL - IMPL - ) - 2) CIRCONSTANCES DANS LESQUELLES LES OEUVRES ONT ÉTÉ RAPATRIÉES PAR LA FRANCE - INCIDENCE SUR LA QUALIFICATION DES CONDITIONS DANS LESQUELLES LE PROPRIÉTAIRE INITIAL A PERDU SON DROIT DE PROPRIÉTÉ - ABSENCE - 3) CONTRÔLE DU JUGE DE CASSATION SUR CES CONDITIONS - APPRÉCIATION SOUVERAINE DES JUGES DU FOND - SOUS RÉSERVE D'ERREUR DE DROIT ET DE DÉNATURATION.

69 1) La juridiction administrative est compétente pour connaître de la contestation dirigée contre une décision du ministre des affaires étrangères refusant la restitution à un particulier de trois tableaux, vendus par sa famille pendant la seconde guerre mondiale, et récupérés à l'issue de la guerre par les autorités françaises. 2) La circonstance qu'une oeuvre d'art soit détenue par les autorités françaises après avoir été récupérée à la fin de la seconde guerre mondiale durant l'occupation de l'Allemagne et de l'Autriche par les forces alliées, en principe dans le but de procéder à la restitution d'oeuvres spoliées par les autorités d'occupation allemandes en France, est, par elle-même, sans incidence sur la qualification des conditions dans lesquelles son propriétaire initial a perdu son droit de propriété. Si l'Etat est tenu, à la demande des propriétaires d'une oeuvre d'art ou de ses ayants droit, de rechercher si la restitution à ces propriétaires ou ayants droits indûment privés de leur bien est possible, les circonstances dans lesquelles les autorités françaises ont obtenu ce bien sont, par elles-mêmes, sans conséquence, en droit, sur cette appréciation. 3) Le juge de cassation exerce un contrôle d'erreur de droit et de dénaturation sur l'appréciation portée par la cour administrative d'appel sur les conditions dans lesquelles le propriétaire initial des oeuvres a perdu son droit de propriété.


Publications
Proposition de citation : CE, 27 mar. 2009, n° 283240
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: M. Brice Bohuon
Rapporteur public ?: M. Boucher Julien
Avocat(s) : SCP VIER, BARTHELEMY, MATUCHANSKY

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:283240.20090327
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