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24/06/2011 | FRANCE | N°343391

France | France, Conseil d'État, 6ème sous-section jugeant seule, 24 juin 2011, 343391


Vu la requête, enregistrée le 21 septembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Sabri B, demeurant ... ; M. B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 26 août 2010 portant nomination de magistrats en tant qu'il ne procède pas à sa nomination dans le poste de juge d'instruction au tribunal de grande instance de Grenoble et en tant qu'il y nomme M. André A ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde de...

Vu la requête, enregistrée le 21 septembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Sabri B, demeurant ... ; M. B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 26 août 2010 portant nomination de magistrats en tant qu'il ne procède pas à sa nomination dans le poste de juge d'instruction au tribunal de grande instance de Grenoble et en tant qu'il y nomme M. André A ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'ordonnance n° 58-1170 du 22 décembre 1958 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Mattias Guyomar, rapporteur public ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation du décret attaqué :

Considérant que M. B, magistrat du siège du second grade placé auprès du premier président de la cour d'appel de Grenoble, demande, sur le fondement de l'article 3-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, l'annulation du décret du Président de la République du 26 août 2010, en tant qu'il ne le nomme pas en qualité de juge d'instruction au tribunal de grande instance de Grenoble et qu'il nomme dans ces fonctions M. André A ;

Considérant que l'article 1er de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature dispose : I. Le corps judiciaire comprend : (...) 2° Les magistrats du siège et du parquet placés respectivement auprès du premier président et du procureur général d'une cour d'appel et ayant qualité pour exercer les fonctions du grade auquel ils appartiennent à la cour d'appel à laquelle ils sont rattachés et dans l'ensemble des tribunaux de première instance du ressort de ladite cour ; que l'article 3-1 de la même ordonnance, qui prévoit la possibilité pour les magistrats mentionnés au 2° de l'article 1er d'exercer temporairement certaines fonctions à titre de remplacement ou de renfort, dispose, en son 9ème alinéa, qu'après deux ans d'exercice dans leurs fonctions et sur leur demande, ces magistrats sont nommés au tribunal de grande instance du siège de la cour d'appel à laquelle ils sont rattachés ou au tribunal de grande instance le plus important du département où est située ladite cour. La nomination intervient sur le premier emploi vacant respectivement du siège ou du parquet du niveau hiérarchique auquel ces magistrats appartiennent et pour lequel ils se sont portés candidats, à l'exception des emplois de chef de juridiction ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, pour justifier la nomination de M. A, le garde des sceaux entend soutenir que l'article 3-1 précité n'impose pas de procéder à la nomination des magistrats qui en remplissent les conditions, dès lors que, conformément aux articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 29 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, doit être également prise en compte la situation familiale des autres candidats aux fonctions dont s'agit ;

Considérant, toutefois, qu'il résulte des dispositions précitées que, lorsque la demande exprimée par un magistrat satisfait aux conditions qu'elles énoncent, l'intéressé bénéficie d'un droit de priorité pour être nommé dans le poste auquel il se porte candidat, sans que puisse y faire légalement obstacle la situation familiale d'un autre magistrat ne relevant pas de l'article 3-1 ;

Considérant que, par suite, l'administration était tenue de procéder à la nomination de M. B, dont il n'est pas contesté qu'il remplissait les conditions posées par l'article 3-1 précité, à l'emploi vacant de juge d'instruction au tribunal de grande instance de Grenoble auquel il s'était porté candidat ; que M. B est ainsi fondé à demander l'annulation du décret du Président de la République du 26 août 2010, en tant qu'il ne le nomme pas en qualité de juge d'instruction au tribunal de grande instance de Grenoble et nomme à sa place M. André A ;

Sur les conséquences de l'illégalité du décret attaqué :

Considérant que l'annulation d'un acte administratif implique, en principe, que cet acte est réputé n'être jamais intervenu ; que, toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation ; qu'il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à l'annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine ;

Considérant que l'irrégularité de la nomination d'un magistrat est de nature à provoquer la nullité des jugements et procédures auxquels il a concouru ; qu'il résulte de l'instruction que, compte tenu de la nature du motif d'annulation retenu, la disparition rétroactive du décret nommant M. A porterait, eu égard à la nature et à la durée des fonctions qu'il a exercées en qualité de vice-président chargé de l'instruction au tribunal de grande instance de Grenoble et au regard des intérêts de l'ensemble des justiciables susceptibles d'être concernés, une atteinte manifestement excessive au fonctionnement du service public de la justice ; que dès lors, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de ne prononcer l'annulation de la nomination de M. A qu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de la présente décision ;

Sur les conclusions de M. B tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros qui sera versée à M. B au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le décret du 26 août 2010 portant nomination de magistrats est annulé, en tant qu'il nomme M. A aux fonctions de juge d'instruction au tribunal de grande instance de Grenoble et qu'il n'y nomme pas M. B, à l'expiration d'un délai d'un mois courant de la date de la présente décision.

Article 2 : L'Etat versera à M. B la somme de 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Sabri B, à M. André A, au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.


Synthèse
Formation : 6ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 343391
Date de la décision : 24/06/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 jui. 2011, n° 343391
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Christine Maugüé
Rapporteur ?: M. Didier Ribes
Rapporteur public ?: M. Mattias Guyomar

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:343391.20110624
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