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07/12/2011 | FRANCE | N°321349

France | France, Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 07 décembre 2011, 321349


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 octobre 2008 et 6 janvier 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE METROPOLE TELEVISION, dont le siège est 89 avenue Charles de Gaulle à Neuilly-sur-Seine (92275 cedex) ; la SOCIETE METROPOLE TELEVISION demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n° 2008-523 du 8 juillet 2008 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel, en règlement d'un différend l'opposant à la société AB Sat, lui a enjoint de présenter à cette dernière une proposition com

merciale de distribution, dans l'offre Bis Télévision, du service de télév...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 octobre 2008 et 6 janvier 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE METROPOLE TELEVISION, dont le siège est 89 avenue Charles de Gaulle à Neuilly-sur-Seine (92275 cedex) ; la SOCIETE METROPOLE TELEVISION demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n° 2008-523 du 8 juillet 2008 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel, en règlement d'un différend l'opposant à la société AB Sat, lui a enjoint de présenter à cette dernière une proposition commerciale de distribution, dans l'offre Bis Télévision, du service de télévision M6 qu'elle édite ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 novembre 2011, présentée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ;

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

Vu le décret n° 2006-1084 du 29 août 2006 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Ranquet, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de METROPOLE TELEVISION,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de METROPOLE TELEVISION ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'au cours de l'année 2007, la société AB Sat, distributrice de services audiovisuels par satellite, a sollicité la SOCIETE METROPOLE TELEVISION pour qu'elle mette à sa disposition, en vue de la constitution d'une offre d'abonnement dénommée " Bis Télévision ", le service M6 qu'elle édite ; que l'éditeur ayant refusé d'engager quelque négociation que ce soit en vue de la conclusion d'un contrat de distribution, la société AB Sat a saisi le Conseil supérieur de l'audiovisuel du différend entre elle et la SOCIETE METROPOLE TELEVISION ; que par sa décision n° 2008-523 du 8 juillet 2008, ce dernier, estimant discriminatoire le refus de contracter avec la société AB Sat alors que la SOCIETE METROPOLE TELEVISION mettait déjà le service M6 à la disposition de nombreux autres distributeurs, a enjoint à cette société de présenter à la société AB Sat, dans le délai de six semaines après la notification de la décision, une proposition commerciale de distribution de la chaîne M6 ; que la SOCIETE METROPOLE TELEVISION forme, à l'encontre de cette décision, le recours de pleine juridiction prévu à l'article 42-8 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 : " Le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut être saisi par un éditeur ou par un distributeur de services, par une des personnes mentionnées à l'article 95 ou par un prestataire auquel ces personnes recourent, de tout différend relatif à la distribution d'un service de radio ou de télévision, y compris aux conditions techniques et financières de mise à disposition du public de ce service, lorsque ce différend est susceptible de porter atteinte au caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion, à la sauvegarde de l'ordre public, aux exigences de service public, à la protection du jeune public, à la dignité de la personne humaine et à la qualité et à la diversité des programmes, ou lorsque ce différend porte sur le caractère objectif, équitable et non discriminatoire des conditions de la mise à disposition du public de l'offre de programmes ou des relations contractuelles entre un éditeur et un distributeur de services. / (...) La décision du conseil précise les conditions permettant d'assurer le respect des obligations et des principes mentionnés au premier alinéa. Le cas échéant, le conseil modifie en conséquence les autorisations délivrées. (...) " ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 34-4 de la même loi : " Sans préjudice des articles 34-1 et 34-2, tout distributeur de services fait droit, dans des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires, aux demandes des éditeurs de services de télévision ne faisant pas appel à rémunération de la part des usagers et dont la diffusion est autorisée conformément aux articles 30 ou 30-1 tendant, d'une part, à permettre l'accès, pour la réception de leurs services, à tout terminal utilisé par le distributeur pour la réception de l'offre qu'il commercialise et, d'autre part, à assurer la présentation de leurs services dans les outils de référencement de cette offre. " ; que les éditeurs privés de services audiovisuels gratuits, visés par ces dispositions, ne sont en revanche pas tenus de mettre les services qu'ils éditent à la disposition des distributeurs, hors les exceptions prévues aux articles 34-1, 98-1 et 98-2 de la même loi ;

Considérant que les pouvoirs conférés par le législateur au Conseil supérieur de l'audiovisuel au titre de sa mission de règlement de différends doivent être conciliés avec la liberté contractuelle dont disposent, dans les limites fixées par la loi, les éditeurs et distributeurs de services audiovisuels ; que lorsque le différend qui lui est soumis naît dans le cadre d'une relation contractuelle entre un éditeur et un distributeur ou d'une offre de contrat, il lui est loisible, pour assurer le respect de l'ensemble des principes et obligations énumérés à l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, de prononcer, sous le contrôle du juge, des injonctions ayant une incidence sur la conclusion, le contenu ou l'exécution des conventions entre les parties au différend, y compris si les circonstances de l'espèce l'exigent l'injonction de faire à l'autre partie une nouvelle offre de contrat conforme à certaines prescriptions ; qu'en revanche, quand il est saisi d'un différend en l'absence de relation contractuelle ou de toute offre de contrat, ce que les dispositions de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 permettent, le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne dispose du pouvoir de prononcer une telle injonction de faire une offre que, d'une part, envers un opérateur à qui la loi fait expressément obligation de mettre à disposition un service ou de le reprendre ou, d'autre part, dans le cas où cette injonction est nécessaire pour prévenir une atteinte caractérisée à l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion, à la sauvegarde de l'ordre public, aux exigences de service public, à la protection du jeune public, à la dignité de la personne humaine et à la qualité et à la diversité des programmes ;

Considérant qu'aucune obligation légale de mise à disposition de son signal à un distributeur par satellite ne pesait sur l'éditeur privé du service gratuit M6 ; qu'il résulte de l'instruction que la SOCIETE METROPOLE TELEVISION et la société AB Sat n'étaient engagées, quand est survenu entre elles le différend, dans aucune relation contractuelle et que l'éditeur n'avait fait aucune offre de mise à disposition du programme M6 ; que dans ces conditions, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui n'a relevé aucune atteinte caractérisée aux principes énumérés ci-dessus mais uniquement un comportement discriminatoire de l'éditeur au détriment de la société AB Sat, ne pouvait prononcer l'injonction litigieuse sans méconnaître l'étendue de ses pouvoirs ; qu'il y a lieu, pour le Conseil d'Etat, d'annuler pour ce motif la décision attaquée et de régler le différend au titre du recours de pleine juridiction dont il est saisi ;

Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction, et qu'il n'est pas même allégué, que le refus de la SOCIETE METROPOLE TELEVISION de mettre le service M6 qu'elle édite à la disposition du distributeur AB Sat porterait, aux principes énoncés à l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, une atteinte susceptible de justifier le prononcé d'une injonction de faire une offre de contrat en l'absence de relations contractuelles existantes entre l'éditeur et le distributeur ou d'offre préalable ; que dans ces conditions, il ne peut en tout état de cause être fait droit à la demande de la société AB Sat, qui tend à cette fin ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la SOCIETE METROPOLE TELEVISION tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision n° 2008-523 du 8 juillet 2008 du Conseil supérieur de l'audiovisuel est annulée.

Article 2 : La demande dont la société AB Sat a saisi le Conseil supérieur de l'audiovisuel au titre du différend l'opposant à la SOCIETE METROPOLE TELEVISION est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la SOCIETE METROPOLE TELEVISION au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE METROPOLE TELEVISION, au Conseil supérieur de l'audiovisuel et à la société AB Sat.

Copie en sera adressée pour information au ministre de la culture et de la communication.


Synthèse
Formation : 5ème et 4ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 321349
Date de la décision : 07/12/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

56-01 RADIODIFFUSION SONORE ET TÉLÉVISION. CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'AUDIOVISUEL. - MISSION DE RÈGLEMENT DE DIFFÉRENDS - COMPÉTENCE DU CSA - 1) DIFFÉREND NÉ DANS LE CADRE D'UNE RELATION CONTRACTUELLE - POSSIBILITÉ DE PRONONCER DES INJONCTIONS AYANT UNE INCIDENCE SUR LA CONCLUSION, LE CONTENU OU L'EXÉCUTION DES CONVENTIONS, NOTAMMENT UNE INJONCTION DE FAIRE UNE OFFRE DE CONTRAT - EXISTENCE, POUR ASSURER LE RESPECT DE L'ENSEMBLE DES PRINCIPES ET OBLIGATIONS DE L'ARTICLE 17-1 DE LA LOI DU 30 SEPTEMBRE 1986 - 2) DIFFÉREND NÉ EN L'ABSENCE DE RELATIONS CONTRACTUELLES - POSSIBILITÉ DE PRONONCER UNE INJONCTION DE FAIRE UNE OFFRE DE CONTRAT - EXISTENCE, UNIQUEMENT ENVERS CERTAINS OPÉRATEURS OU POUR PRÉVENIR UNE ATTEINTE CARACTÉRISÉE À CERTAINS PRINCIPES ET OBLIGATIONS DE L'ARTICLE 17-1.

56-01 Les pouvoirs conférés par le législateur au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) au titre de sa mission de règlement des différends doivent être conciliés avec la liberté contractuelle dont disposent, dans les limites fixées par la loi, les éditeurs et distributeurs de services audiovisuels. Ainsi :,,1) Lorsque le différend qui lui est soumis naît dans le cadre d'une relation contractuelle entre un éditeur et un distributeur ou d'une offre de contrat, il est loisible au CSA, pour assurer le respect de l'ensemble des principes et obligations énumérés à l'article 17-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, de prononcer, sous le contrôle du juge, des injonctions ayant une incidence sur la conclusion, le contenu ou l'exécution des conventions entre parties au différend. Si les circonstances de l'espèce l'exigent, il peut notamment enjoindre à une partie de faire à l'autre partie une nouvelle offre de contrat conforme à certaines prescriptions.,,2) En revanche, lorsqu'il est saisi d'un différend en l'absence de relation contractuelle ou de toute offre de contrat, le CSA ne dispose du pouvoir de prononcer une telle injonction de faire une offre de contrat que, d'une part, envers un opérateur à qui la loi fait expressément obligation de mettre à disposition un service ou de le reprendre ou, d'autre part, lorsqu'une telle injonction est nécessaire pour prévenir une atteinte caractérisée à l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion, à la sauvegarde de l'ordre public, aux exigences du service public, à la protection du jeune public, à la liberté de la personne humaine et à la qualité et à la diversité des programmes.


Publications
Proposition de citation : CE, 07 déc. 2011, n° 321349
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Bernard Stirn
Rapporteur ?: M. Philippe Ranquet
Rapporteur public ?: Mme Sophie-Justine Lieber
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:321349.20111207
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