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17/10/2012 | FRANCE | N°357273

France | France, Conseil d'État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 17 octobre 2012, 357273


Vu la requête sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 1er et 29 mars 2012 et le 24 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par M. Jean-Marie B, demeurant ... ; M. B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 1102253 du 3 février 2012 par lequel le tribunal administratif de Caen l'a déclaré inéligible pendant une durée d'un an et démissionnaire d'office de ses fonctions de conseiller général du canton de Bréhal (Manche) ;

2°) de rejeter la saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et

des financements politiques consécutive à la décision du 2 novembre 2011 de ce...

Vu la requête sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 1er et 29 mars 2012 et le 24 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par M. Jean-Marie B, demeurant ... ; M. B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 1102253 du 3 février 2012 par lequel le tribunal administratif de Caen l'a déclaré inéligible pendant une durée d'un an et démissionnaire d'office de ses fonctions de conseiller général du canton de Bréhal (Manche) ;

2°) de rejeter la saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques consécutive à la décision du 2 novembre 2011 de cette commission rejetant son compte de campagne ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code électoral, modifié notamment par la loi n° 2011-412 du 14 avril 2011 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thierry Carriol, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les observations de la SCP Hémery, Thomas-Raquin, avocat de M. B,

- les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Hémery, Thomas-Raquin, avocat de M. B ;

1. Considérant que le compte de campagne de M. B, élu conseiller général du canton de Bréhal (Manche) à l'issue du second tour des élections cantonales des 10 et 17 mars 2011, a été rejeté par une décision du 2 novembre 2011 de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ; que, saisi par cette commission en application des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 52-15 du code électoral, le tribunal administratif de Caen, par jugement du 3 février 2012, a déclaré M. B inéligible pour un an et démissionnaire d'office de ses fonctions de conseiller général ; que M. B fait appel de ce jugement ;

2. Considérant que l'article R. 773-1 du code de justice administrative dispose que : " Les requêtes en matière d'élections municipales et cantonales sont présentées, instruites et jugées dans les formes prescrites par le présent code, par le code électoral et par les lois particulières en la matière. " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article R. 711-2 du même code : " Toute partie est avertie, par une notification faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par la voie administrative mentionnée à l'article R. 611-4, du jour où l'affaire sera appelée à l'audience. " ;

3. Considérant que, si le jugement attaqué porte mention que les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience, M. B, qui n'y était ni présent ni représenté, soutient n'en avoir pas été avisé ; qu'aucune pièce du dossier transmis par le tribunal administratif de Caen, pas même la fiche retraçant le déroulement de la procédure, ne vient attester que cette formalité ait été remplie ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. B est fondé à soutenir que le jugement attaqué a été rendu à la suite d'une procédure irrégulière et à en demander l'annulation ;

4. Considérant que le délai imparti au tribunal administratif par l'article R. 114 du code électoral pour statuer sur la saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques est expiré ; que, dès lors, il y a lieu pour le Conseil d'Etat de statuer sur cette saisine ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 52-6 du code électoral, applicable à l'élection des conseillers généraux : " Le candidat déclare par écrit à la préfecture de son domicile le nom du mandataire financier qu'il choisit. (...) / Le mandataire financier est tenu d'ouvrir un compte bancaire ou postal unique retraçant la totalité de ses opérations financières. L'intitulé du compte précise que le titulaire agit en qualité de mandataire financier du candidat, nommément désigné. (...) " ; que, selon le troisième alinéa de l'article L. 52-15 du même code : " Lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n'a pas été déposé dans le délai prescrit, si le compte a été rejeté ou si, le cas échéant après réformation, il fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales, la commission saisit le juge de l'élection. " ; qu'aux termes de l'article L. 118-3 du même code, issu de la loi du 14 avril 2011 portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la transparence financière de la vie politique : " Saisi par la commission instituée par l'article L. 52-14, le juge de l'élection peut déclarer inéligible le candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales. / Saisi dans les mêmes conditions, le juge de l'élection peut déclarer inéligible le candidat qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12. / Il prononce également l'inéligibilité du candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales. (...) " ;

6. Considérant, en premier lieu, que l'inéligibilité prévue par les dispositions de l'article L. 118-3 du code électoral constitue une sanction ayant le caractère d'une punition ; qu'il incombe, dès lors, au juge de l'élection, lorsqu'il est saisi de conclusions tendant à ce qu'un candidat dont le compte de campagne est rejeté soit déclaré inéligible et à ce que son élection soit annulée, de faire application, le cas échéant, d'une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date des faits litigieux et celle à laquelle il statue ; que les dispositions du troisième alinéa de cet article issues de la loi du 14 avril 2011, qui définissent de façon plus restrictive les hypothèses dans lesquelles un candidat encourt la sanction d'inéligibilité, présentent, à la différence des nouvelles dispositions du quatrième alinéa de ce même article prévoyant que l'inéligibilité est désormais prononcée pour une durée maximale de trois ans et qu'elle s'applique à toutes les élections, le caractère d'une loi nouvelle plus douce, immédiatement applicable au présent litige ;

7. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction, et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté, que le mandataire financier désigné par M. B en la personne de son épouse a réglé les dépenses de la campagne électorale pour les élections cantonales des 10 et 17 mars 2011 à partir d'un compte bancaire existant qui n'a pas été spécialement ouvert pour les dépenses de campagne et dont M. B était également titulaire ; que, ce faisant, ce mandataire n'a pas satisfait à l'exigence, résultant des dispositions citées plus haut du deuxième alinéa de l'article L. 52-6 du code électoral, d'ouverture d'un compte bancaire ou postal unique retraçant la totalité des opérations financières de la campagne électorale ; que, par suite, c'est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté le compte de campagne de M. B et a saisi le juge de l'élection ;

8. Considérant, en troisième lieu, que la méconnaissance de cette exigence, destinée à permettre à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques de s'assurer de la transparence du financement d'une campagne électorale, par un homme politique expérimenté qui, ayant déjà été candidat à de précédentes élections cantonales, ne pouvait se méprendre sur les obligations résultant pour lui des dispositions du code électoral, doit être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme entrant dans les prévisions du troisième alinéa de l'article L. 118-3 du code électoral ; que, par suite, il y a lieu de prononcer l'inéligibilité de M. B pendant un an à compter de la notification de la présente décision et de le déclarer démissionnaire d'office de ses fonctions de conseiller général du canton de Bréhal ;

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 3 février 2012 est annulé.

Article 2 : M. B est déclaré inéligible aux fonctions de conseiller général pendant un an à compter de la présente décision.

Article 3 : M. B est déclaré démissionnaire d'office de ses fonctions de conseiller général du canton de Bréhal (Manche).

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Marie B, à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 10ème et 9ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 357273
Date de la décision : 17/10/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 17 oct. 2012, n° 357273
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Jacques Arrighi de Casanova
Rapporteur ?: M. Thierry Carriol
Rapporteur public ?: Mme Delphine Hedary
Avocat(s) : SCP HEMERY, THOMAS-RAQUIN

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:357273.20121017
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