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19/10/2012 | FRANCE | N°334588

France | France, Conseil d'État, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 19 octobre 2012, 334588


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 décembre 2009 et 22 février 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean-Paul B, demeurant au ... ; M. B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n°s 09PA00194 -09PA01016 du 15 octobre 2009 de la cour administrative d'appel de Paris en tant qu'il a, d'une part, annulé le jugement n° 0311752/3-1 du 12 novembre 2008 du tribunal administratif de Paris annulant la décision du 25 juin 2003 du ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité autorisant

son licenciement et, d'autre part, rejeté sa demande de première in...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 décembre 2009 et 22 février 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean-Paul B, demeurant au ... ; M. B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n°s 09PA00194 -09PA01016 du 15 octobre 2009 de la cour administrative d'appel de Paris en tant qu'il a, d'une part, annulé le jugement n° 0311752/3-1 du 12 novembre 2008 du tribunal administratif de Paris annulant la décision du 25 juin 2003 du ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité autorisant son licenciement et, d'autre part, rejeté sa demande de première instance ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Unisys France ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Unisys France une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Louis Dutheillet de Lamothe, Auditeur,

- les observations de la SCP Peignot, Garreau, Bauer-Violas, avocat de la société Unisys France et de Me Haas, avocat de M. B,

- les conclusions de M. Rémi Keller, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Peignot, Garreau, Bauer-Violas avocat de la société Unisys france et à Me Haas avocat de M. Jean-Paul A ;

1. Considérant que, par une décision du 25 juin 2003, le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité a autorisé le licenciement du requérant au motif qu'après avoir, à la suite de l'annulation d'une précédente décision autorisant son licenciement, demandé sa réintégration, l'intéressé avait refusé d'occuper l'emploi que lui proposait l'employeur ; qu'après qu'un jugement du tribunal administratif de Paris du 12 novembre 2008 eut annulé cette autorisation, la cour administrative d'appel de Paris a, par l'arrêt attaqué, annulé ce jugement et rejeté les conclusions de l'intéressé tendant à l'annulation de la décision du 25 juin 2003 ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 15 octobre 2009 :

2. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail ;

3. Considérant que, d'une part, lorsqu'un employeur demande à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier un salarié protégé, il lui appartient de faire précisément état dans sa demande des motifs justifiant, selon lui, le licenciement et que, d'autre part, l'inspecteur du travail ne peut, pour accorder l'autorisation demandée, se fonder sur d'autre motifs que ceux énoncés dans la demande ; que, par suite, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit en jugeant qu'un inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement fondée sur un motif non disciplinaire inhérent à la personne du salarié était tenu de rechercher si les faits avancés constituent une faute de nature à justifier un licenciement disciplinaire ; que, dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le requérant est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris du 12 novembre 2008 et rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 25 juin 2003 autorisant son licenciement ;

4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur la légalité de la décision du 25 juin 2003 :

5. Considérant, que, dans le cas où l'emploi précédemment occupé par le salarié dont l'autorisation de licenciement a été annulée et qui demande sa réintégration n'existe plus ou n'est pas vacant, le refus par ce salarié d'occuper les postes équivalents proposés par l'employeur en application de l'article L. 2422-1 du code du travail ne constitue pas, par lui-même, une faute disciplinaire ; que, cependant, un tel refus, qui est susceptible de rendre impossible la poursuite du contrat de travail, peut constituer un motif de nature à justifier une autorisation de licenciement, s'il est invoqué par l'employeur ;

6. Considérant que, dès lors, le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité n'a pas commis d'erreur de droit en autorisant le licenciement de M. B au motif que son refus d'occuper le poste équivalent qui lui avait été proposé à la suite de sa demande de réintégration rendait impossible la poursuite de son contrat de travail ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif a annulé cette décision au motif que le licenciement en cause ne pouvait être autorisé que sur le terrain disciplinaire ;

8. Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B devant le tribunal administratif ;

9. Considérant, en premier lieu, que, si la décision du 25 juin 2003 autorisant le licenciement de M. B fait seulement référence aux " mandats " exercés par le salarié alors que celui-ci n'était investi que d'un unique mandat de représentant syndical au comité d'entreprise, cette circonstance n'a pas exercé d'influence sur la décision dès lors que la demande d'autorisation mentionnait cette désignation et que le ministre a bien pris en compte l'existence de ce mandat ;

10. Considérant, en deuxième lieu, que la demande d'autorisation de licenciement, qui énonce précisément les faits justifiant, selon l'employeur, la rupture du contrat de travail de M. B et ne se fonde pas sur un motif disciplinaire, est suffisamment motivée ; que la circonstance que la demande ne mentionnait pas explicitement le fait que M. B bénéficiait encore de la qualité de salarié protégé à cette date, qui était évidemment reconnue par l'employeur dès lors qu'il sollicitait cette autorisation, est sans incidence sur la légalité de la décision ;

11. Considérant, en troisième lieu, que, dans le cas où l'employeur invoque un ou plusieurs faits inhérents à la personne du salarié sans se placer explicitement sur le terrain disciplinaire, il appartient seulement à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de vérifier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits invoqués sont de nature, au regard des règles législatives et conventionnelles applicables, à justifier un licenciement non disciplinaire ;

12. Considérant, d'une part, qu'eu égard à ses caractéristiques, à sa rémunération et à son classement, l'emploi de " responsable service client " proposé à M. B par la société doit être regardé comme un emploi équivalent à celui de " directeur planification et intégration des services " qu'il avait occupé dans la société dix ans auparavant et qui n'existait plus ;

13. Considérant, d'autre part, qu'il ressort des pièces du dossier que M. B a refusé d'occuper effectivement le poste qui lui a été proposé, alors qu'il n'est pas soutenu qu'un autre emploi aurait dû être proposé à l'intéressé ; que, dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le ministre a inexactement qualifié les faits de l'espèce en estimant que ce refus rendait impossible la poursuite de la relation contractuelle et justifiait que l'autorisation de licenciement soit accordée ;

14. Considérant, en dernier lieu, qu'au vu des éléments avancés en l'espèce par M. B pour soutenir que son licenciement a été prononcé en raison sa qualité de salarié protégé, lesquels se rattachent à des procédures antérieures ou ne sont pas liés à son licenciement, il n'est pas établi que la demande de licenciement soit en lien avec le mandat du salarié ;

15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Unysis France est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 25 juin 2003 l'autorisant à licencier M. B ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Unisys qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge M. B, sur le fondement des mêmes dispositions, la somme de 4 000 euros à verser à la société Unysis France au titre des frais exposés par elle en première instance, en appel et en cassation ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 15 octobre 2009, en tant qu'il fait droit aux conclusions présentées par la société Unysis France, et le jugement du tribunal administratif de Paris du 12 novembre 2008 sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. B devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : M. B versera la somme de 4 000 euros à la société Unysis France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de M. B présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Paul B, à la société Unisys France et au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.


Synthèse
Formation : 4ème et 5ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 334588
Date de la décision : 19/10/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-035-04 TRAVAIL ET EMPLOI. LICENCIEMENTS. AUTORISATION ADMINISTRATIVE - SALARIÉS PROTÉGÉS. CONDITIONS DE FOND DE L'AUTORISATION OU DU REFUS D'AUTORISATION. AUTRES MOTIFS. AUTRES. - SALARIÉ DONT L'AUTORISATION DE LICENCIEMENT A ÉTÉ ANNULÉE ET DONT L'EMPLOI INITIAL N'EXISTE PLUS OU N'EST PAS VACANT - REFUS DU SALARIÉ D'OCCUPER LES POSTES ÉQUIVALENTS PROPOSÉS PAR L'EMPLOYEUR - MOTIF DE NATURE À JUSTIFIER UNE AUTORISATION DE LICENCIEMENT - EXISTENCE [RJ1].

66-07-01-04-035-04 Dans le cas où l'emploi précédemment occupé par un salarié protégé dont l'autorisation de licenciement a été annulée et qui demande sa réintégration n'existe plus ou n'est pas vacant, le refus par ce salarié d'occuper les postes équivalents proposés par l'employeur en application de l'article L. 2422-1 du code du travail, qui ne constitue pas, par lui-même, une faute disciplinaire, est toutefois susceptible de rendre impossible la poursuite du contrat de travail et peut dès lors constituer un motif de nature à justifier une autorisation de licenciement, s'il est invoqué par l'employeur.


Références :

[RJ1]

Rappr., s'agissant de la possibilité de fonder, pour des salariés exerçant un niveau élevé de responsabilités, une autorisation de licenciement sur des éléments qui se rattachent au comportement de l'intéressé et qui, sans caractériser l'existence d'une faute, rendraient impossible, selon l'employeur, la poursuite du contrat de travail, CE, Section, 21 décembre 2001, Baumgarth, n° 224605, p. 669.


Publications
Proposition de citation : CE, 19 oct. 2012, n° 334588
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe
Rapporteur public ?: M. Rémi Keller
Avocat(s) : HAAS ; SCP PEIGNOT, GARREAU, BAUER-VIOLAS

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:334588.20121019
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