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26/11/2012 | FRANCE | N°359979

France | France, Conseil d'État, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 26 novembre 2012, 359979


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 juin et 23 juillet 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Mikayil B, ... ; M. B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 10 avril 2012 accordant son extradition aux autorités turques ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761 1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des

droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention européenne d'extra...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 juin et 23 juillet 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Mikayil B, ... ; M. B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 10 avril 2012 accordant son extradition aux autorités turques ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761 1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu le code pénal ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Perrin de Brichambaut, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. B,

- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, Rapporteur public,

La parole ayant à nouveau été donnée à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. B ;

1. Considérant que, par le décret attaqué, le Premier ministre a accordé aux autorités turques l'extradition de M. B aux fins de poursuites de faits de meurtre d'une femme enceinte, pour l'exécution d'un mandat d'arrêt décerné le 23 novembre 2011 par la 5ème chambre du tribunal de police de Küçükçekmece ;

Sur la légalité externe du décret attaqué :

2. Considérant, d'une part, qu'il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué figurant au dossier et certifiée conforme par le secrétaire général du gouvernement, que ce décret a été signé par le Premier ministre et contresigné par le garde des sceaux, ministre de la justice ; que l'ampliation notifiée à M. B n'avait pas à être revêtue de ces signatures ;

3. Considérant, d'autre part, que le décret attaqué comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement ; qu'il satisfait ainsi à l'exigence de motivation prévue par l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

Sur la légalité interne du décret attaqué :

4. Considérant, en premier lieu, que selon le paragraphe 2 de l'article 3 de la convention européenne d'extradition, l'extradition n'est pas accordée " si la partie requise a des raisons sérieuses de croire que la demande d'extradition motivée par une infraction de droit commun a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques ou que la situation de cet individu risque d'être aggravée pour l'une ou l'autre de ces raisons " ; qu'il ne ressort toutefois d'aucun des éléments versés au dossier que l'extradition de M. B, qui a été demandée par les autorités turques pour l'exécution d'un mandat d'arrêt décerné le 23 novembre 2011 pour des faits de meurtre d'une femme enceinte, aurait été recherchée non dans le but de réprimer cette infraction de droit commun mais dans celui de poursuivre l'intéressé à raison de son engagement politique ; que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne d'extradition doit, par suite, être écarté ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que si M. B soutient que son extradition l'exposerait à être jugé en Turquie pour des actes d'abus sexuels et de rapports sexuels avec des mineurs, mentionnés dans l'exposé des faits transmis par les autorités turques à l'appui de la demande d'extradition, le décret attaqué, selon ses termes mêmes, n'accorde l'extradition de M. B qu'aux fins de poursuites des faits de meurtre d'une femme enceinte, qui sont seuls mentionnés dans la note verbale du 13 décembre 2011, par laquelle les autorités turques ont demandé l'extradition de l'intéressé, ainsi que dans le mandat d'arrêt décerné le 23 novembre 2011 par la 5ème chambre du tribunal de police de Küçükçekmece ; que le principe de spécialité de l'extradition résultant, notamment, de l'article 14 de la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957, applicable en l'espèce, s'oppose à ce qu'une personne extradée soit poursuivie, condamnée ou détenue en vue d'exécuter une peine, pour une infraction autre que celle ayant motivé l'extradition et antérieure à sa remise à l'Etat requérant ; qu'aucun élément du dossier n'est de nature à laisser penser que les autorités turques n'entendraient pas respecter l'engagement résultant pour elles de l'article 14 de la convention européenne d'extradition, que la Turquie a signée et ratifiée ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu'en admettant même qu'une condamnation à la peine de réclusion criminelle à perpétuité ne donne que rarement et tardivement lieu à un aménagement de peine ou à une libération conditionnelle, l'extradition d'une personne exposée à une peine incompressible de réclusion perpétuelle n'est en soi contraire ni à l'ordre public français, ni aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il ne ressort pas des éléments versés au dossier, en particulier de l'extrait de la loi turque sur l'exécution des peines produit par la garde des sceaux, ministre de la justice, que le régime d'exécution en Turquie d'une peine d'emprisonnement à perpétuité aggravée, telle qu'encourue par l'intéressé, serait contraire à l'ordre public français ou aux stipulations de l'article 3 ;

7. Considérant, enfin, que si M. B déclare redouter son incarcération en Turquie eu égard aux conditions de détention dans ce pays, en particulier à l'égard des personnes qui, comme lui, se réclament de la cause kurde, et craindre d'être exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les pièces du dossier ne permettent pas d'établir les risques personnels qu'il allègue ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 10 avril 2012 accordant son extradition aux autorités turques ; que ses conclusions tendant à l'application de L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. B est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Mikayil B et à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 2ème et 7ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 359979
Date de la décision : 26/11/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 nov. 2012, n° 359979
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Jacques Arrighi de Casanova
Rapporteur ?: M. Marc Perrin de Brichambaut
Rapporteur public ?: Mme Béatrice Bourgeois-Machureau
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:359979.20121126
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