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23/10/2013 | FRANCE | N°331745

France | France, Conseil d'État, 3ème sous-section jugeant seule, 23 octobre 2013, 331745


Vu, avec les pièces qui y sont visées, la décision du 28 novembre 2011 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi enregistré sous le n° 331745 présenté par l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) et tendant à l'annulation de l'arrêt n° 07MA03727-08MA01796 du 15 juin 2009 de la cour administrative d'appel de Marseille en tant qu'il a rejeté l'appel qu'il a interjeté du jugement n° 0400286 du 15 juin 2007 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du 23 décembre 2003 par

laquelle le directeur de l'Office national interprofessionnel de...

Vu, avec les pièces qui y sont visées, la décision du 28 novembre 2011 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi enregistré sous le n° 331745 présenté par l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) et tendant à l'annulation de l'arrêt n° 07MA03727-08MA01796 du 15 juin 2009 de la cour administrative d'appel de Marseille en tant qu'il a rejeté l'appel qu'il a interjeté du jugement n° 0400286 du 15 juin 2007 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du 23 décembre 2003 par laquelle le directeur de l'Office national interprofessionnel des vins (Onivins) a demandé à la société Vinifrance le reversement de la somme de 192 066,20 euros correspondant au montant des aides communautaires versées à cette société les 10 mars et 6 avril 1998 pour le stockage de moûts de raisins concentrés, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions de savoir :

1°) si, lorsqu'il apparaît qu'un producteur ayant bénéficié d'aides communautaires au stockage de moûts de raisins concentrés en contrepartie de la conclusion avec l'organisme national d'intervention d'un contrat de stockage a acquis auprès d'une société fictive ou inexistante les moûts de raisins qu'il a ensuite fait concentrer sous sa responsabilité avant de les stocker, il doit être regardé comme ayant la qualité de " propriétaire " des moûts de raisins concentrés au sens des dispositions du paragraphe 2 de l'article 2 du règlement (CEE) n° 1059/83 de la Commission du 29 avril 1983 et si l'article 17 de ce même règlement est applicable lorsque le contrat de stockage conclu avec l'organisme national d'intervention est affecté d'un vice d'une particulière gravité, tenant notamment à la circonstance que la société qui a conclu le contrat avec l'organisme national d'intervention ne peut être regardée comme propriétaire des produits stockés ;

2°) si, lorsqu'un règlement sectoriel, tel que le règlement (CEE) n° 822/87 du Conseil du 16 mars 1987, institue un dispositif d'aides communautaires sans l'assortir d'un régime de sanctions en cas de manquement aux dispositions qu'il comporte, le règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 trouve à s'appliquer dans l'hypothèse d'un tel manquement ;

3°) lorsqu'un opérateur économique a commis un manquement aux obligations qu'un règlement communautaire sectoriel, tel que le règlement n° 1059/83 définit et aux conditions qu'il fixe pour ouvrir droit au bénéfice d'aides communautaires et que ce règlement sectoriel prévoit, comme c'est le cas de l'article 17 du règlement précité, un régime de mesures ou de sanctions, si ce régime s'applique à l'exclusion de tout autre régime prévu par le droit de l'Union européenne, alors même que le manquement en cause préjudicie aux intérêts financiers de l'Union européenne ; ou bien, si le régime de mesures et de sanctions administratives prévu par le règlement n° 2988/95 est, au contraire, dans le cas d'un tel manquement, seul applicable ; ou bien encore, si les deux règlements sont applicables ;

4°) dans l'hypothèse où le règlement sectoriel et le règlement n° 2988/95 sont tous deux applicables, comment leurs dispositions doivent être combinées pour déterminer les mesures et sanctions à mettre en oeuvre ;

5°) lorsqu'un opérateur économique a commis plusieurs manquements au droit de l'Union et que certains de ces manquements entrent dans le champ d'application du régime de mesures ou de sanctions d'un règlement sectoriel, tandis que d'autres constituent des irrégularités au sens du règlement n° 2988/95, si ce dernier règlement trouve seul à s'appliquer ;

Vu l'arrêt n° C-670/11 du 13 décembre 2012 par lequel la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur ces questions ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Vu le règlement (CEE) n° 1059/83 de la Commission du 29 avril 1983 ;

Vu le règlement (CEE) n° 822/87 du Conseil du 16 mars 1987 ;

Vu le règlement (CEE) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Martinel, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) et à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la société Vinifrance ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Vinifrance, qui avait pour activité la vente et le courtage de vins en vrac et de concentrés de raisin, a fait l'acquisition, en décembre 1997 et en janvier 1998, de 34 418,96 hectolitres de moûts de raisins auprès de deux fournisseurs italiens, les sociétés Cantine Trapizzo et Far Vini ; qu'après concentration des moûts de raisins par la société italienne Che Vin et expédition du concentré en France, la société Vinifrance a conclu avec l'Office national interprofessionnel des vins (Onivins) deux contrats de stockage à long terme des moûts de raisins concentrés : le premier, le 23 janvier 1998, pour une quantité de 8 110,22 hectolitres, correspondant au concentré obtenu à partir des moûts acquis auprès de la société Cantine Trapizzo et le second, le 4 février 1998, pour une quantité de 1 215 hectolitres, correspondant au concentré obtenu à partir des moûts acquis auprès de la société Far Vini ; que la société Vinifrance a sollicité, en application des dispositions du règlement (CEE) n° 822/87 du Conseil du 16 mars 1987 portant organisation commune du marché viti-vinicole et du règlement (CEE) n° 1059/83 de la Commission du 29 avril 1983 relatif aux contrats de stockage pour le vin de table, le moût de raisins, le moût de raisins concentré et le moût de raisins concentré rectifié, le paiement anticipé d'aides communautaires correspondant à cette opération de stockage, qui lui ont été versées par l'Onivins le 10 mars 1998 à hauteur de 170 391,31 euros et le 6 avril suivant à hauteur de 23 280,79 euros ; qu'à l'occasion d'un contrôle diligenté par l'Agence centrale des organismes d'intervention dans le secteur agricole (Acofa), les investigations réalisées par les autorités italiennes dans le cadre d'une demande d'assistance mutuelle ont toutefois établi, d'une part, que la société Far Vini n'existait plus depuis la fin de l'année 1992 et, d'autre part, que la société Cantine Trapizzo s'était elle-même fournie auprès de la société Far Vini, de sorte que la majeure partie des moûts acquis par la société Vinifrance apparaissait provenir, directement ou indirectement, de la société Far Vini ; qu'au vu du rapport de contrôle de l'Acofa, le directeur de l'Onivins a, par une décision du 23 décembre 2003, prononcé le retrait de la totalité des aides versées à la société Vinifrance en se fondant sur la circonstance, d'une part, que l'origine communautaire des moûts de raisins acquis directement ou indirectement par cette société auprès de la société Far Vini n'était pas établie et, d'autre part, que la société Vinifrance ne pouvait être regardée comme étant devenue propriétaire des moûts provenant de la société Far Vini, faute pour cette dernière société d'avoir eu une existence légale à la date de la conclusion des contrats de vente ; que l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), qui vient aux droits de l'Office national interprofessionnel des fruits, des légumes, des vins et de l'horticulture (Viniflhor), qui vient lui-même aux droits de l'Onivins, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 15 juin 2009 de la cour administrative d'appel de Marseille en tant qu'il a rejeté l'appel qu'il a interjeté du jugement du 15 juin 2007 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a annulé cette décision ;

2. Considérant, d'une part, que le règlement (CEE) n° 822/87 du Conseil du 16 mars 1987 portant organisation commune du marché viti-vinicole régit notamment le moût de raisins concentré, qui est défini comme un moût de raisins non caramélisé, obtenu par déshydratation partielle du moût de raisins et produit dans la Communauté ; que l'article 32 de ce règlement institue un régime d'aides au stockage privé du moût de raisins concentré, dont il subordonne le bénéfice à la conclusion de contrats de stockage à long terme entre les producteurs et les organismes d'intervention ; que cet article prévoit que les contrats de stockage à long terme de moûts de raisins concentrés doivent être conclus pendant la période du 16 décembre au 15 février suivant pour une période se terminant le 15 septembre suivant leur conclusions ; que les modalités applicables à la conclusion de ces contrats sont définies par le règlement (CEE) n° 1059/83 de la Commission du 29 avril 1983 ; que les dispositions du 2 de l'article 2 de ce règlement prévoient qu'un producteur ne peut conclure un contrat de stockage que pour un produit élaboré par ses soins ou sa responsabilité et dont il est le propriétaire ; que l'article 12 du même règlement dispose que le montant de l'aide au stockage est fixé de manière forfaitaire par jour et par hectolitre et dépend de la variété des vignes dont a été extrait le moût de raisins ; qu'enfin, l'article 17 de ce règlement dispose : " 1. Sauf en cas de force majeure, / a) si le producteur ne remplit pas les obligations qui lui incombent en vertu des articles 7 paragraphe 2, 15 et 16 et, le cas échéant, 10 paragraphe 2, l'aide n'est pas due ; / b) si le producteur ne remplit pas une des obligations qui lui incombent en vertu du présent règlement ou du contrat, autres que celles visées sous a), l'aide à verser est diminuée d'un montant fixé par l'autorité compétente selon la gravité de l'infraction commise (...) " ;

3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1er du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes : " 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire. / 2. Est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue " ; qu'aux termes de l'article 4 du même règlement : " 1. Toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l'avantage indûment obtenu : / - par l'obligation (...) de rembourser les montants indûment perçus (...) / 4. Les mesures prévues par le présent article ne sont pas considérées comme des sanctions " ;

4. Considérant que, dans l'arrêt du 13 décembre 2012 par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'Etat statuant au contentieux l'avait saisie à titre préjudiciel après avoir écarté les autres moyens du pourvoi, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'inexistence de la société réputée avoir vendu des moûts de raisins a pour conséquence que l'origine communautaire de ces derniers ne peut être établie, de sorte que le producteur ayant acquis ces moûts ne peut pas, en tout état de cause, bénéficier d'une aide au stockage de ces produits en vertu du règlement n° 822/87 ; que les dispositions du b) du 1 de l'article 17 du règlement n° 1059/83, lesquelles prévoient une réduction de l'aide au stockage en proportion de la gravité de l'infraction commise, ne sauraient être appliquées pour sanctionner des vices graves affectant la validité même d'un contrat de stockage présenté à l'appui d'une demande d'aide, dès lors que de tels vices remettent directement en cause l'éligibilité du producteur à l'aide communautaire ; que, dans le cas où les irrégularités constatées ont pour conséquence que les contrats de stockage ne peuvent pas être considérés comme ayant été valablement conclus aux fins d'obtenir les aides instituées par le règlement n° 822/87, les autorités nationales sont tenues d'appliquer la mesure administrative mentionnée au premier tiret du 1 de l'article 4 du règlement n° 2988/95 consistant à exiger le remboursement de ces aides indûment perçues ; qu'enfin, dans le cas où, comme en l'espèce, les moûts de raisins d'origine communautaire n'ont pas fait l'objet isolément de l'un des contrats de stockage en cause, il appartient au juge de rechercher, pour déterminer si ces contrats sont irréguliers dans leur globalité, si les moûts de raisins d'origine communautaire ont été mélangés avec les moûts de raisins d'origine non communautaire, de sorte qu'ils ne peuvent plus, à l'issue des opérations de concentration, être identifiés ni séparés ;

5. Considérant qu'il résulte de l'interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l'Union européenne qu'en jugeant, après avoir relevé implicitement mais nécessairement que l'origine communautaire des moûts de raisins provenant directement ou indirectement de la société Far Vini n'était pas établie, que les dispositions du b) du 1 de l'article 17 du règlement n° 1059/83 étaient applicables et que l'Onivins ne pouvait pas demander à la société Vinifrance de reverser la part d'aide accordée pour le stockage des moûts de raisins acquis auprès de la société Cantine Trapizzo, dont l'origine communautaire n'était pas en cause, et en annulant la décision de l'Onivins dans son ensemble alors, d'une part, que la société Vinifrance ne pouvait prétendre au bénéfice de l'aide pour la partie des moûts acquis directement et indirectement auprès de la société Far Vini, dont l'origine communautaire n'était pas établie, et, d'autre part, que la sanction prévue par les dispositions du b) du 1 de l'article 17 du règlement n° 1059/83 ne pouvait trouver à s'appliquer à un vice d'une telle gravité, lequel affectait la validité même des contrats de stockage, la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit ; que FranceAgriMer est fondé, pour ce motif, à en demander l'annulation en tant qu'il rejette son appel ;

6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

7. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 5, les dispositions du b) du 1 de l'article 17 du règlement n° 1059/83 n'étaient pas applicables en l'espèce, dès lors qu'était en cause l'origine communautaire des moûts de raisins concentrés ayant fait l'objet des contrats de stockage à long terme conclus entre l'Onivins et la société Vinifrance ; que, par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Montpellier s'est fondé sur ces dispositions pour annuler la décision attaquée ;

8. Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Vinifrance devant le tribunal administratif de Montpellier à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 23 décembre 2003 du directeur de l'Onivins ;

Sur la légalité externe :

9. Considérant, en premier lieu, qu'ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a dit pour droit dans son arrêt précité du 13 décembre 2012, l'exclusion qu'entraîne l'inobservation de l'une des conditions d'éligibilité pour l'octroi d'une aide fixées par le législateur de l'Union européenne dans le cadre de la politique agricole commune ne constitue pas une sanction, mais la simple conséquence du non-respect des conditions prévues par la loi ; que, dans le cas où les irrégularités constatées, tenant notamment à la circonstance que l'origine communautaire des produits stockés n'est pas établie, ont pour conséquence que les contrats de stockage ne peuvent pas être considérés comme ayant été valablement conclus aux fins d'obtenir les aides instituées par le règlement n° 822/87, les autorités nationales sont tenues d'appliquer la mesure administrative mentionnée au premier tiret du 1 de l'article 4 du règlement n° 2988/95 consistant à exiger le remboursement de ces aides indûment perçues ;

10. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le directeur de l'Onivins s'est notamment fondé, pour demander à la société Vinifrance le reversement de l'intégralité des aides qu'elle avait perçues, sur la circonstance que le résultat du contrôle réalisé par l'Acofa n'avait pas permis d'établir l'origine communautaire des moûts de raisins concentrés pour lesquels la société Vinifrance a bénéficié de l'aide au stockage, alors que cette exigence conditionnait l'éligibilité à l'aide communautaire ; que, dès lors, la décision litigieuse ne revêt pas le caractère d'une sanction administrative ; qu'elle ne revêt pas davantage le caractère d'une mesure prise en considération de la personne ; que la société Vinifrance ne peut, par suite, utilement soutenir que l'Onivins aurait méconnu le principe des droits de la défense en adoptant cette décision sans l'avoir préalablement mise en mesure de prendre connaissance des pièces du dossier ;

11. Considérant, en second lieu, que, contrairement à ce que soutient la société Vinifrance, dès lors que l'une des conditions posées à l'obtention des aides allouées n'était pas remplie, la décision du directeur de l'Onivins n'était pas créatrice de droits au profit de son bénéficiaire ; qu'elle n'avait donc pas à être motivée ; que, par suite, le moyen tiré de ce que, dès lors qu'elle ne vise pas l'article 4 du règlement du 18 décembre 1995, la décision litigieuse méconnaît les dispositions de articles 1 et 3 de la loi du 11 juillet 1979 ne peut qu'être écarté ;

Sur la légalité interne :

12. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 3 du règlement n° 2988/95 précité : " 1. Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l'irrégularité (...). / Pour les irrégularités continues (...), le délai de prescription court à compter du jour où l'irrégularité a pris fin (...). / La prescription des poursuites est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l'autorité compétente et visant à l'instruction ou à la poursuite de l'irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif (...) " ;

13. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que les contrats de stockage à long terme conclus les 23 janvier et 4 février 1998 entre la société Vinifrance et l'Onivins stipulent qu'ils prennent respectivement effet les 9 et 31 janvier 1998 et s'achèvent le 15 septembre suivant ; que l'aide au stockage a été attribuée à la société Vinifrance, conformément aux dispositions de l'article 12 du règlement n° 1059/83, en fonction du nombre de jours de stockage ; que, dès lors, l'irrégularité justifiant la demande de reversement litigieuse, en tant qu'elle est fondée sur la circonstance que l'origine communautaire des moûts de raisins stockés n'était pas établie, doit être regardée comme ayant perduré pendant toute la durée d'exécution des contrats de stockage irrégulièrement conclus, de sorte qu'elle doit être considérée comme une " irrégularité continue " au sens du deuxième alinéa du 1 de l'article 3 du règlement n° 2988/95, qui n'a pris fin que le 16 septembre 1998 à 0 heure ;

14. Considérant, d'autre part, qu'il n'est pas contesté que, par un courrier recommandé avec demande d'avis de réception en date du 20 août 2002, l'Acofa a notifié à la société Vinifrance un rapport de contrôle circonstancié concluant que l'aide reçue était susceptible d'être intégralement remise en cause, en l'invitant à lui faire part de ses observations et en attirant son attention sur le fait qu'à défaut de réponse de sa part, le rapport serait communiqué aux autorités compétentes aux fins qu'elles prononcent d'éventuelles suites, notamment financières ; que ce courrier, auquel la société Vinifrance a répondu le 4 septembre 2002, doit être regardé comme un acte suffisamment précis, porté à la connaissance de la personne mise en cause, tendant à l'instruction ou à la poursuite de cette irrégularité au sens du troisième alinéa du 1 de l'article 3 du règlement n° 2988/95, ayant valablement interrompu la prescription et fait courir, à compter de cette date, un nouveau délai de quatre ans ; que, par suite, la société Vinifrance n'est pas fondée à soutenir que la prescription était acquise au jour où le directeur de l'Onivins a pris la décision litigieuse ;

15. Considérant, en deuxième lieu, qu'ainsi qu'il a été dit au point 4, l'inexistence d'une société réputée avoir vendu des moûts de raisins a pour conséquence que l'origine communautaire de ces derniers ne peut être établie ; qu'une telle circonstance fait obstacle, en tout état de cause, à ce que le producteur qui a acquis ces moûts de raisins bénéficie d'une aide au stockage ; que lorsqu'elles constatent un vice d'une telle gravité, qui a pour effet de remettre en cause l'éligibilité du producteur à l'aide communautaire, les autorités nationales sont tenues, en application des dispositions du 1 de l'article 4 du règlement n° 2988/85, d'exiger le remboursement des aides indûment perçues ;

16. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment de la demande d'assistance mutuelle du 12 juillet 2000 et du rapport de contrôle de l'Acofa du 20 août 2002, que les moûts de raisins acquis par la société Vinifrance auprès de la société Cantine Trapizzo ont fait l'objet, après concentration par la société Che Vin, d'un premier contrat de stockage conclu le 23 janvier 1998 pour un volume de 8 110,22 hectolitres ; que les moûts de raisins concentrés acquis par la société Vinifrance auprès de la société Far Vini ont fait l'objet d'un second contrat de stockage conclu le 4 février 1998 pour un volume de 1 215 hectolitres ; qu'à l'occasion de l'exécution de la demande d'assistance mutuelle, les autorités italiennes ont attesté que la société Far Vini avait cessé son activité depuis le 31 décembre 1992 et que les services chargés de l'agriculture des communes sur le territoire desquelles étaient implantés ses établissements n'avaient plus validé de documents d'accompagnement de produits viti-vinicoles depuis le 1er octobre 1995 ; que ces éléments ne permettent pas d'établir l'existence de la société Far Vini à la date à laquelle les sociétés Vinifrance et Cantine Trapizzo se sont fournies auprès d'elle ; qu'il en résulte, d'une part, que l'origine communautaire des moûts correspondant au contrat de stockage du 4 février 1998, lesquels provenaient directement de Far Vini, n'est pas établie et, d'autre part, que le contrat de stockage du 23 janvier 1998 doit être regardé, eu égard à la circonstance que des moûts de raisins d'origine communautaire ont été mélangés avec des moûts dont l'origine communautaire n'est pas établie, comme étant entaché dans sa globalité d'une irrégularité au sens du 2 de l'article 1er du règlement n° 2988/95 ; que, par suite, le directeur de l'Onivins, qui s'est appuyé, contrairement à ce que soutient la société requérante, sur des éléments de fait précis, était fondé à demander à celle-ci le reversement de l'intégralité de l'aide qui lui a été accordée au titre des deux contrats de stockage précités ;

17. Considérant, en troisième lieu, qu'ainsi qu'il a été dit au point 9, la décision litigieuse ne revêt pas le caractère d'une sanction ; que, dès lors, la société Vinifrance ne peut utilement soutenir que l'Onivins aurait dû rechercher s'il n'y avait pas lieu de faire application, de manière rétroactive, de sanctions moins sévères que celles qu'il a appliquées ; que, pour les mêmes raisons, elle ne peut utilement se prévaloir, ni de sa bonne foi, ni de ce que la sanction appliquée par l'Onivins serait disproportionnée ;

18. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que FranceAgriMer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du 23 décembre 2003 du directeur de l'Onivins ;

19. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Vinifrance la somme de 6 000 euros à verser à FranceAgriMer au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de FranceAgriMer qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

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Article 1er : Les articles 1er et 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 15 juin 2009 et le jugement du 15 juin 2007 du tribunal administratif de Montpellier sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par la société Vinifrance devant le tribunal administratif de Montpellier est rejetée.

Article 3 : La société Vinifrance versera à FranceAgriMer une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la société Vinifrance présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'Etablissement public national des produits de l'Agriculture et de la Mer, à la société Vinifrance et au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.


Synthèse
Formation : 3ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 331745
Date de la décision : 23/10/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 oct. 2013, n° 331745
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Agnès Martinel
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Avocat(s) : SCP DIDIER, PINET ; SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:331745.20131023
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