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17/12/2013 | FRANCE | N°356102

France | France, Conseil d'État, 3ème sous-section jugeant seule, 17 décembre 2013, 356102


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 janvier et 24 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SCEA Baronne Guichard, dont le siège social est situé au Château Siaurac, à Néac (33500), la SCEA Vignobles Silvestrini, dont le siège social est situé au lieu-dit Chéreau, à Lussac (33570), l'EARL Vins Bel, dont le siège social est situé au lieu-dit Le Poitou, à Lussac (33570), la SCEA Vignobles Daniel Ybert, dont le siège social est situé au lieu-dit La Rose, à Saint-Emilion (33330), la SARL C. Estager et Fil

s, dont le siège social est situé au Château Fougeailles, à Néac (335...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 janvier et 24 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SCEA Baronne Guichard, dont le siège social est situé au Château Siaurac, à Néac (33500), la SCEA Vignobles Silvestrini, dont le siège social est situé au lieu-dit Chéreau, à Lussac (33570), l'EARL Vins Bel, dont le siège social est situé au lieu-dit Le Poitou, à Lussac (33570), la SCEA Vignobles Daniel Ybert, dont le siège social est situé au lieu-dit La Rose, à Saint-Emilion (33330), la SARL C. Estager et Fils, dont le siège social est situé au Château Fougeailles, à Néac (33500), la SCEA Vignobles Michel Coudroy, dont le siège social est situé Maison Neuve, à Montagne (33570) et le GFA du Château Haut-Surget, dont le siège social est situé au lieu-dit Chevrol, à Néac (33500) ; la SCEA Baronne Guichard et les autres requérants demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2011-1613 du 22 novembre 2011 relatif à l'appellation d'origine contrôlée " Pomerol " en tant qu'il délimite une zone de proximité immédiate de cette appellation ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 29 novembre 2013, présentée par le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu le règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil, du 22 octobre 2007, portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement " OCM unique ") ;

Vu le règlement (CE) n° 607/2009 de la Commission, du 14 juillet 2009, fixant certaines modalités d'application du règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil en ce qui concerne les appellations d'origine protégées et les indications géographiques protégées, les mentions traditionnelles, l'étiquetage et la présentation de certains produits du secteur vitivinicole ;

Vu le code rural et de la pêche maritime ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christian Fournier, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la SCEA Baronne Guichard, de la SCEA Vignobles Silvestrini, de l'EARL Vins Bel, de la SCEA Vignobles Daniel Ybert, de la SARL C. Estager et Fils, de la SCEA Vignobles Michel Coudroy et de la Société GFA du Château Haut-Surget ;

1. Considérant que le Syndicat agricole et viticole de Pomerol a intérêt au maintien du décret attaqué ; qu'ainsi son intervention, présentée par son président mandaté à cet effet, est recevable ;

2. Considérant que le a) du 1 de l'article 118 ter du règlement (CE) n°1234/2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (dit règlement " OCM unique ") définit l'appellation d'origine en matière vitivinicole comme : " le nom d'une région, d'un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d'un pays, qui sert à désigner un produit (...) : i) dont la qualité et les caractéristiques sont dues essentiellement ou exclusivement à un milieu géographique particulier et aux facteurs naturels et humains qui lui sont inhérents ;/ ii) élaboré exclusivement à partir de raisins provenant de la zone géographique considérée ;/ iii) dont la production est limitée à la zone géographique désignée (...) " ; que l'article 6 du règlement (CE) n° 607/2009 de la Commission, du 14 juillet 2009, qui définit la production comme : " toutes les opérations réalisées, depuis la récolte des raisins jusqu'à la fin du processus d'élaboration du vin, à l'exception des processus postérieurs à la production ", prévoit que, par dérogation au

iii) du a) du 1 de l'article 118 ter du règlement " OCM unique " cité plus haut, " sous réserve que le cahier des charges le prévoie, un produit bénéficiant d'une appellation d'origine protégée (...) peut être transformé en vin :/ a) dans une zone à proximité immédiate de la zone délimitée concernée (...) " ;

3. Considérant que lorsqu'il fait usage, en prononçant l'homologation d'un cahier des charges d'une appellation d'origine contrôlée (AOC) en matière viticole ou la modification d'un tel cahier des charges, de la faculté, qui lui est ouverte par l'article 6 du règlement (CE) n° 607/2009 de délimiter une zone de proximité immédiate au sein de laquelle sont autorisées, à titre dérogatoire, la vinification, l'élaboration et l'élevage des vins en dehors de l'aire géographique de production, le pouvoir réglementaire doit s'assurer que la délimitation de cette zone est justifiée par des critères objectifs et rationnels et qu'elle n'introduit aucune différence de traitement entre producteurs qui ne corresponde à une différence de situation ou à un motif d'intérêt général en rapport avec les objectifs poursuivis ;

4. Considérant que le décret attaqué du 22 novembre 2011 homologuant le nouveau cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée " Pomerol " prévoit que la vinification, l'élaboration et l'élevage des vins doivent intervenir dans l'aire géographique de production des raisins, qu'il ne modifie pas, comprenant le territoire de la commune de Pomerol, une partie de celui de la commune de Libourne et une parcelle de celle de Lalande-de-Pomerol ; que ce nouveau cahier des charges délimite en outre une zone de proximité immédiate, dans laquelle est autorisée l'exécution des opérations de vinification, d'élaboration et d'élevage des vins, incluant la partie du territoire de la commune de Libourne non comprise dans l'aire géographique de production ; que la SCEA Baronne Guichard et les autres requérants demandent au Conseil d'État l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret ; que, dans les termes dans lesquels leur requête est exprimée, celle-ci doit être entendue comme tendant à l'annulation de cet acte en tant qu'il homologue les dispositions du cahier des charges délimitant la zone de proximité immédiate de l'AOC " Pomerol " ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les producteurs bénéficiaires de l'appellation d'origine contrôlée " Pomerol " pouvaient vinifier, élaborer et élever leurs vins en dehors de l'aire géographique de production de cette appellation en vertu d'usages anciens et, depuis 1998, d'autorisations délivrées à titre dérogatoire par l'Institut national de l'origine et de la qualité ; que le nouveau cahier des charges homologué par le décret attaqué, en restreignant cette possibilité à la seule zone de proximité immédiate, limitée à la partie du territoire de la commune limitrophe de Libourne située hors de l'aire de production, crée entre les producteurs dont les chais sont situés dans cette zone qui conservent le bénéfice de l'appellation " Pomerol " et ceux auxquels ce bénéfice sera retiré après la récolte de 2021 en raison de la situation de leurs chais hors de cette zone, alors même qu'ils sont également installés à proximité de l'aire géographique de production, une différence de traitement ;

6. Considérant que, pour justifier cette différence de traitement, le ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la forêt, l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) ainsi que le Syndicat agricole et viticole de Pomerol soutiennent, d'une part, que l'objectif de la délimitation de la zone de proximité immédiate est de limiter les distances de transport des vendanges afin de réduire les risques d'oxydation du raisin et ainsi d'altérer la qualité du vin et, d'autre part, que le choix de n'inclure dans cette délimitation que le territoire de la commune de Libourne s'explique à la fois par le fait qu'une partie du territoire de cette commune est comprise dans l'aire géographique de production et par la vocation viticole affirmée de cette commune ;

7. Considérant, toutefois, en premier lieu, que, d'une part, le cahier des charges homologué par le décret attaqué ne comporte, dans son chapitre VII intitulé " Récolte, transport et maturité du vin ", aucune prescription relative au transport de la vendange et, d'autre part, qu'il ressort des pièces du dossier que les distances de transport du raisin entre les parcelles des requérants et leurs chais, situés sur les communes voisines de Pomerol autres que Libourne, variant de quelques centaines de mètres à moins d'une dizaine de kilomètres, sont comparables à celles qu'ont à parcourir les vendanges de viticulteurs dont les chais sont situés soit dans la zone de proximité immédiate soit même dans l'aire géographique de production, et qu'elles sont quelquefois moins longues ; que, en second lieu, en tout état de cause, la vocation viticole des communes, voisines de l'aire géographique de production de l'appellation, sur le territoire desquelles les chais sont installés - Lalande-de-Pomerol, Néac, Saint-Emilion, Lussac et Montagne - n'est pas moindre que celle de Libourne ; que, par suite, il n'apparait pas que la délimitation de la zone de proximité immédiate serait justifiée par des critères objectifs et rationnels et que la différence de traitement entre producteurs qu'elle introduit correspondrait à une différence de situation ou à un motif d'intérêt général en rapport avec les objectifs poursuivis par le cahier des charges homologué par le décret attaqué ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de leur requête, les requérants sont fondés à demander l'annulation de ce décret en tant qu'il homologue les dispositions du cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée " Pomerol " délimitant la zone de proximité immédiate de cette appellation ;

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement aux requérants d'une somme globale de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention du Syndicat agricole et viticole de Pomerol est admise.

Article 2 : Le décret n° 2011-1613 du 22 novembre 2011 est annulé en tant qu'il homologue les dispositions du cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée " Pomerol " délimitant la zone de proximité immédiate de cette appellation.

Article 3 : L'Etat versera une somme globale de 3 000 euros à la SCEA Baronne Guichard, à la SCEA Vignobles Silvestrini, à l'EARL Vins Bel, à la SCEA Vignobles Daniel Ybert, à la SARL C. Estager et Fils, à la SCEA Vignobles Michel Coudroy et au GFA du Château Haut-Surget au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SCEA Baronne Guichard, premier requérant dénommé, au Premier ministre, au ministre de l'économie et des finances, au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, à l'Institut national de l'origine et de la qualité et au Syndicat viticole et agricole de Pomerol. Les autres requérants seront informés de la présente décision par la SCP Waquet-Farge-Hazan, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'Etat.


Synthèse
Formation : 3ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 356102
Date de la décision : 17/12/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 déc. 2013, n° 356102
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Christian Fournier
Rapporteur public ?: M. Vincent Daumas
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP DIDIER, PINET ; SCP TIFFREAU, CORLAY, MARLANGE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:356102.20131217
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