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21/07/2022 | FRANCE | N°440077

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 21 juillet 2022, 440077


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 30 novembre 2012 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, a nommé M. D... E... notaire associé, membre de la société civile professionnelle (SCP) Lucien A..., Jacques Guillet, Eric Matusiak, Frédéric Phan Thanh, Christophe C..., notaires, associés d'une SCP titulaire d'un office notarial à la résidence de La Baule (Loire-Atlantique) et modifié la dénomination sociale de la SCP. Par un jugement n° 1300111 du 19 décembre 2014, l

e tribunal administratif a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 15NT0...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 30 novembre 2012 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, a nommé M. D... E... notaire associé, membre de la société civile professionnelle (SCP) Lucien A..., Jacques Guillet, Eric Matusiak, Frédéric Phan Thanh, Christophe C..., notaires, associés d'une SCP titulaire d'un office notarial à la résidence de La Baule (Loire-Atlantique) et modifié la dénomination sociale de la SCP. Par un jugement n° 1300111 du 19 décembre 2014, le tribunal administratif a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 15NT00553 du 19 mai 2016, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par M. A... contre ce jugement.

Par une décision n° 401682 du 17 juin 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Nantes.

Par un arrêt n° 19NT02320 du 13 février 2020, la cour administrative d'appel de Nantes, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 décembre 2014, a rejeté la demande présentée par M. A... devant ce tribunal.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 avril et 7 juillet 2020 et 11 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 ;

- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020

- le décret n° 67-868 du 2 octobre 1967 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Bachini, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de M. A... et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. E... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. D... E... a été recruté en juillet 2003 par la société civile professionnelle (SCP) de notaires Lucien A..., Jacques Guillet, Eric Matusiak, Frédéric Phan Thanh, Christophe C..., titulaire d'un office à la résidence de La Baule (Loire-Atlantique). Par un acte du 13 juillet 2011, MM. Guillet, Phan Thanh et C... ont conclu un protocole de cession d'une partie des parts sociales qu'ils détenaient dans la SCP au bénéfice de M. E..., sous la condition suspensive de sa nomination en qualité de notaire par un arrêté du garde des sceaux. Par un arrêté du 30 novembre 2012, le garde des sceaux, ministre de la justice, a nommé M. E..., notaire associé, membre de la SCP A..., Guillet, Matusiak, Phan Thanh, C.... Par un jugement du 19 décembre 2014, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. B... A... tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté. Par un arrêt du 19 mai 2016, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel de M. A..., annulé ce jugement, puis rejeté sa demande de première instance. Par une décision n° 401682 du 17 juin 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Nantes. M. A... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 13 février 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 décembre 2014, a de nouveau rejeté sa demande de première instance.

2. D'une part, aux termes de l'article 19 de la loi du 29 novembre 1966 applicable aux sociétés civiles professionnelles : " Les parts sociales peuvent être transmises ou cédées à des tiers avec le consentement des associés représentant au moins les trois quarts des voix. Toutefois, les statuts peuvent imposer l'exigence d'une majorité plus forte ou de l'unanimité des associés. / La transmission ou le projet de cession est notifié à la société et à chacun des associés. Si la société n'a pas fait connaître sa décision dans le délai de deux mois, à compter de la dernière des notifications prévues au présent alinéa, le consentement est implicitement donné. ". Aux termes de l'article 27 du décret du 2 octobre 1967 pris pour l'application à la profession de notaire de la loi du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles, dans sa rédaction alors en vigueur : " Toute convention par laquelle l'un des associés cède la totalité ou une fraction de ses parts sociales à un tiers est passée sous la condition suspensive de l'agrément du cessionnaire par les autres associés et, s'il y a lieu, de l'approbation du retrait du cédant, prononcée par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. / Le projet de cession de parts sociales est notifié à la société et à chacun des associés par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. / Si la société a, dans la même forme, notifié son consentement exprès à la cession, ou si elle n'a pas fait connaître sa décision dans le délai de deux mois à compter de la dernière des notifications prévues à l'alinéa 2 ci-dessus, le cessionnaire adresse au garde des sceaux, ministre de la justice, une requête tendant à sa nomination en qualité de notaire associé. / Cette requête est remise au procureur général près la cour d'appel dans le ressort de laquelle la société a son siège. / Elle est accompagnée de l'expédition de l'acte de cession de parts sociales si celui-ci a été établi dans la forme authentique ou de l'un des originaux de cet acte dans le cas contraire, ainsi que de toutes pièces justificatives, notamment de celles qui établissent le consentement exprès ou tacite donné par la société à la cession sans préjudice de celles exigées de tout candidat aux fonctions de notaire. Lorsque le futur associé doit contracter un emprunt, il doit, en outre, produire un plan de financement prévoyant de manière détaillée les conditions dans lesquelles il entend faire face à ses échéances en fonction de l'ensemble de ses revenus et d'un budget prévisionnel. / Le procureur général saisit la chambre départementale par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et l'invite à lui faire parvenir son avis motivé sur la requête. Il informe simultanément le conseil régional du dépôt de la requête. / Le prix de cession et ses modalités de paiement sont fixés par les parties. / (...) / Après réception de l'avis de la chambre ou après expiration du délai imparti à celle-ci pour faire connaître son avis, le procureur général transmet au garde des sceaux, ministre de la justice, avec son rapport, l'ensemble des pièces et des documents. ".

3. D'autre part, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'article 32 des statuts de la SCP prévoit que les parts sociales ne peuvent être cédées qu'avec le consentement unanime des associés et que l'éventuel refus d'un projet de cession par la société ou l'un des associés doit être notifié " dans la même forme " que la notification du projet de cession.

4. En premier lieu, il résulte des termes de l'arrêt attaqué que pour écarter les moyens soulevés devant elle, tirés d'un vice de procédure dans l'instruction du dossier de demande de nomination présenté par M. E... et d'une erreur de fait, tenant notamment à l'absence de consentement tacite de M. A... au protocole de cession de parts sociales du 13 juillet 2011, la cour administrative d'appel s'est fondée sur la circonstance que les associés cédants ont notifié ce protocole à la SCP et à chacun des associés, par lettre recommandée avec avis de réception adressée le 20 juillet 2011, et qu'en l'absence d'opposition à ce projet de cession notifié dans les formes et délais prévus à l'article 27 du décret du 2 octobre 1967 précité, la SCP et M. A... devaient être regardés comme y ayant consenti. Si la cour a également indiqué que le procureur général près la cour d'appel de Rennes avait estimé que ce consentement tacite, par ailleurs formalisé par une attestation du 27 septembre 2011 des trois associés cédants, était régulier, elle ne s'est pas bornée à s'en remettre à l'examen de ce dernier. Par suite, et contrairement à ce que soutient le requérant, la cour n'a, ce faisant, pas méconnu son office, ni commis une erreur de droit.

5. En deuxième lieu, il résulte des dispositions citées au point 2 qu'en cas de cession par un associé d'une société civile professionnelle de notaire de ses parts sociales à un tiers, il appartient au garde des sceaux de vérifier que le projet de cession, qui ne se limite pas au choix de la personne du cessionnaire mais contient également les modalités, en particulier financières, de cession des parts, a recueilli le consentement de la société, c'est-à-dire des associés représentant au moins les trois quarts des voix, ou plus si les statuts le prévoient ainsi. Dans le cas où il demande que soient apportées à l'acte de cession de parts des modifications qui en affectent l'économie générale, le garde des sceaux, ministre de la justice, ne peut, après que ces modifications ont été apportées, procéder à la nomination du nouvel associé sans s'être assuré de la confirmation du consentement de la société.

6. Pour juger que l'avenant du 2 octobre 2012 au protocole de cession de parts sociales conclu le 13 juillet 2011 entre MM. Guillet, Phan Thanh et C..., d'une part, et M. E..., d'autre part, n'exigeait pas, eu égard à ses effets, de solliciter de nouveau l'agrément de la SCP et de ses associés, la cour s'est fondée sur la circonstance que cet avenant n'avait d'incidence ni sur l'identité du cessionnaire, ni sur le prix de cession total précédemment conclu, ni sur le nombre et le type des parts sociales cédées par chacun des trois co-associés cédants, mais modifiait la répartition des sommes dues aux différents cédants, avec l'accord de chacun d'eux. Ce faisant, nonobstant la référence à l'absence de bouleversement de l'économie générale de l'acte de cession initial, la cour a recherché, sans commettre d'erreur de droit, si les modifications ainsi apportées à l'acte de cession en affectaient l'économie générale. Par ailleurs, en jugeant, compte tenu de ces éléments, que l'avenant du 2 octobre 2012, dont l'objet était de faire converger les prix unitaires des parts sociales rachetées à chacun des associés cédants, n'avait pas affecté l'économie générale du protocole conclu le 13 juillet 2011, la cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

7. En troisième lieu, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision ou s'il a privé les intéressés d'une garantie.

8. En estimant, eu égard, d'une part, à l'avis favorable au projet de cession émis par la chambre départementale des notaires le 2 février 2012 au terme d'un examen portant notamment sur le prix de cession des parts cédées pour chaque cession et pour l'opération globale, à l'avis favorable du procureur général du 21 mai 2012 et au courrier des services de la chancellerie du 24 septembre 2012 informant ce dernier de leur refus de nommer M. E... en raison du prix, jugé excessif, prévu pour la cession des parts sociales de M. C... et, d'autre part, au fait que l'avenant conclu le 2 octobre 2012 avait pour seul objet de faire converger les prix unitaires des parts sociales rachetées à chacun des co-associés cédants sans modifier le prix de cession total précédemment conclu ni le nombre et le type des parts sociales cédées, que l'absence de nouvelle consultation du procureur général et de la chambre départementale des notaires à la suite de cet avenant du 2 octobre 2012 n'avait pas été de nature à influer sur le sens de la décision du ministre ni n'avait privé les personnes intéressées d'une garantie, la cour, qui n'a pas commis d'erreur de droit, n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel Nantes qu'il attaque.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... le versement de la somme de 3 000 euros à verser à M. E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de M. A... est rejeté.

Article 2 : M. A... versera à M. E... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., à M. D... E... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 juin 2022 où siégeaient : Mme Suzanne von Coester, assesseure, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre et M. Bruno Bachini, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 21 juillet 2022.

La présidente :

Signé : Mme Suzanne von Coester

Le rapporteur :

Signé : M. Bruno Bachini

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 440077
Date de la décision : 21/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 jui. 2022, n° 440077
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bruno Bachini
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP GASCHIGNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 26/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:440077.20220721
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