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07/12/2023 | FRANCE | N°21BX03641

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre (formation à 5), 07 décembre 2023, 21BX03641


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Martinique a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision

du 17 décembre 2020 par laquelle le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a annulé sa décision du 9 novembre 2020 donnant un avis

favorable à M. A... pour pouvoir exercer en même temps que sa remplaçante

jusqu'au 18 décembre 2020.



Par un jugement n° 21

00092 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de la Martinique a annulé la décision du 17 décembre 2020.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Martinique a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision

du 17 décembre 2020 par laquelle le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a annulé sa décision du 9 novembre 2020 donnant un avis

favorable à M. A... pour pouvoir exercer en même temps que sa remplaçante

jusqu'au 18 décembre 2020.

Par un jugement n° 2100092 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de la Martinique a annulé la décision du 17 décembre 2020.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 septembre 2021 et 16 mai 2022, le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, représenté par Me Gonzalez, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Martinique

du 8 juillet 2021 ;

2°) de rejeter la demande du conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Martinique ;

3°) de mettre à la charge du conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Martinique la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les premiers juges ne pouvaient se fonder sur une aggravation de la crise sanitaire postérieurement au départ de M. A... pour la métropole alors que cela ne ressortait pas des écritures et que cette aggravation était connue dès le mois de septembre, ni sur le fait que

le CHU aurait confié un nombre conséquent de patients au centre de soins alors que cela ne ressort pas des pièces du dossier et que l'activité du centre de soins est sans rapport avec la réanimation ou le traitement de la Covid ; au contraire, les pièces produites établissent une baisse de la fréquentation du centre, conséquence de l'épidémie ;

- les premiers juges ont méconnu le principe du contradictoire en retenant des moyens qui n'avaient pas été soulevés par le requérant et qui n'étaient pas susceptibles d'être relevés d'office, au vu des éléments rappelés ci-dessus ;

- le conseil national a pris en compte les échanges de courriels qui ont eu lieu avec le conseil départemental entre les 27 et 29 octobre 2020, dont la teneur est d'ailleurs reprise tant dans la décision en litige que dans le rapport qui a été présenté avant la délibération ;

- la demande dérogatoire pour un exercice simultané d'une activité de soins ne peut être motivée par un surcroît d'activité ; les régimes d'assistanat, de salariat ou de collaboration sont compatibles avec une situation d'urgence et la nécessité d'assurer la continuité des soins ; la situation d'espèce ne pouvant être qualifiée de remplacement, le conseil départemental ne pouvait accorder de dérogation sur le fondement du dernier alinéa de l'article R. 4321-107 du code de la santé publique ; la circulaire d'interprétation de cette disposition, qui est opposable au conseil départemental dès lors qu'elle a été publiée, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, retient une conception stricte du remplacement, découlant d'une lecture d'ensemble des dispositions applicables, notamment des règles déontologiques, et énonce que le régime juridique du remplacement n'a pas vocation à se substituer à celui de l'assistanat ou de la collaboration libérale ; le conseil national de l'ordre des médecins applique les mêmes règles d'interprétation stricte du remplacement ;

- les dérogations accordées par le conseil départemental dans le cadre du dernier alinéa de l'article R. 4321-107 doivent être justifiées par des circonstances exceptionnelles et le conseil national dispose d'un pouvoir de contrôle sur les motifs d'octroi de ces dérogations en application de l'article R. 4321-145 et en tant que garant de la bonne application des règles déontologiques de la profession ;

- si des conseils départementaux ont pu autoriser un exercice simultané d'un masseur-kinésithérapeute avec un remplaçant lorsqu'il s'agissait d'un autre lieu d'exercice, tel n'est pas le cas en l'espèce ; il n'est pas démontré que des solutions autres que le remplacement et permettant un exercice simultané n'auraient pas pu être mises en œuvre, d'autant que l'épidémie de Covid était déjà connue ; contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, la dérogation tirée de circonstances exceptionnelles n'était pas encore en vigueur à la date des faits en litige et l'épidémie de Covid ne constituait pas un cas de force majeure imprévisible et irrésistible, dès lors qu'il existait des solutions alternatives au remplacement, qui ont été refusées par l'établissement, M. A... et sa remplaçante pour des motifs financiers ;

- le recours à l'assistanat temporaire, solution souple qui implique seulement la transmission du contrat à l'ordre dans un délai d'un mois après sa signature, permettait d'apporter une réponse au surcroît exceptionnel de patientèle ; aucune disposition légale n'imposait, en cas de signature d'un contrat de courte durée, de s'inscrire au tableau de l'ordre du département, la seule obligation étant l'information des conseils départementaux d'origine et d'accueil ; contrairement à ce qu'il est soutenu par le conseil départemental, d'autres praticiens étaient susceptibles d'être intéressés par le poste ;

- l'arrêté préfectoral du 13 octobre 2020, autorisant certains étudiants en médecine à exercer comme médecins adjoints en cas d'afflux exceptionnel de population, pris sur le fondement des articles L. 4131-1 et L. 4132-2-1 du code la santé publique, n'est pas de nature à justifier l'avis favorable rendu par le conseil départemental à la demande de M. A....

Par un mémoire en défense enregistré le 5 avril 2022, le conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Martinique, représenté par Me Labejof-Lordinot, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- les deux éléments factuels tenant à l'aggravation de la situation sanitaire en novembre et la circonstance que le CHU serait débordé et enverrait une partie de ses patients au centre de soins ressortent des pièces et des écritures de première instance ;

- les dispositions de l'article R. 4321-107 du code de la santé publique, applicables en l'espèce, ne prévoient aucune condition, ni restriction à la mise en œuvre du pouvoir de dérogation, pas plus qu'elles ne renvoient à la notion de circonstances exceptionnelles qui n'a été introduite que postérieurement aux faits en litige ; la circulaire du conseil national du 7 février 2019 n'est pas opposable faute de publication ; en tout état de cause, son contenu confirme la position du conseil départemental ; les circonstances tenant à la pandémie, à la nécessité de répondre aux besoins du CHU et de recourir à un second praticien en urgence pour prendre en charge distinctement les patients Covid et les autres, et l'inadaptation des statuts de salarié, d'assistant ou de collaborateur, justifient la décision de dérogation prise par le conseil départemental qui a, en outre, limité celle-ci dans le temps, interdit une prolongation et l'a conditionnée à l'engagement pris par l'établissement de rechercher une solution alternative ; la circulaire du conseil national précise expressément que le conseil départemental analyse souverainement la situation d'espèce ;

- contrairement à ce qui est soutenu, il s'agit d'un contrat de remplacement conclu en septembre 2020, sans savoir que la situation sanitaire allait se dégrader ; ce n'est qu'à compter du 26 octobre 2020 que le centre de soins a été sollicité pour une prise en charge exceptionnelle des patients Covid ; le refus de la remplaçante de M. A... d'accepter un changement de statut pour devenir assistante ou salariée ne pouvait pas davantage être anticipé ; le remplacement est le seul statut qui permet d'exercer sans avoir à s'inscrire dans le département d'accueil et les autres statuts envisagés par le conseil national ne permettaient pas de répondre à l'urgence.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Cotte,

- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gonzalez, représentant le conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes.

Considérant ce qui suit :

1. Le conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes (CDOMK) de la Martinique a été saisi, le 5 novembre 2020, d'une demande de M. A..., professionnel exerçant au sein du centre de soins de suite et de réadaptation " La Valériane " à La Trinité, en vue d'obtenir, sur le fondement de l'article R. 4321-107 du code de la santé publique, l'accord de l'ordre pour pouvoir exercer en même temps qu'une autre praticienne avec laquelle il avait conclu un contrat de remplacement le 20 septembre précédent. Par une décision du 9 novembre 2020, le conseil départemental a donné son accord à l'exercice simultané des deux professionnels jusqu'au 18 décembre 2020, sans possibilité de prolongation et avec un engagement de la direction du centre de soins de rechercher un autre praticien à l'issue de cette période. Le 17 décembre 2020, le conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes (CNOMK) a annulé cette décision pour erreur de droit, après s'être saisi d'office, sur le fondement de l'article R. 4321-145 du code de la santé publique. Le CDOMK a contesté cette décision devant le tribunal administratif de la Martinique qui, par un jugement du 8 juillet 2021, a annulé à son tour la décision du CNOMK. Par la présente requête, l'instance nationale relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Hors le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Le conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes ne peut donc utilement se prévaloir de l'erreur d'appréciation ou encore de la dénaturation des pièces du dossier qu'auraient commises les premiers juges pour demander l'annulation pour irrégularité du jugement attaqué. En outre, contrairement à ce qui est soutenu, les premiers juges ne se sont pas fondés sur des éléments extérieurs au dossier pour estimer, eu égard notamment à l'évolution de la pandémie de Covid-19, que le conseil départemental n'avait pas méconnu les dispositions de

l'article R. 4321-107 du code de la santé publique, en accordant, pour une durée limitée, la dérogation à l'interdiction d'exercice simultané d'une activité de soins par le professionnel remplaçant et le professionnel remplacé. Par suite, le moyen tiré de ce qu'ils auraient méconnu le principe du contradictoire doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article R. 4321-107 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable : " Un masseur-kinésithérapeute ne peut se faire remplacer dans son exercice que temporairement et par un confrère inscrit au tableau de l'ordre. Le remplacement est personnel. / (...) / Le masseur-kinésithérapeute libéral remplacé doit cesser toute activité de soin pendant la durée du remplacement sauf accord préalable du conseil départemental de l'ordre ".

4. Il résulte des dispositions précitées que si le remplacement n'est pas soumis à autorisation, un praticien libéral qui y recourt doit obtenir l'accord préalable du conseil départemental s'il entend déroger à l'obligation de cesser toute activité de soins durant toute la durée du remplacement. En l'absence de précisions règlementaires sur les motifs pour lesquels une telle exception aux principes pouvait être admise, et alors même que le décret

du 22 décembre 2020 ajoutant la condition de l'existence de " circonstances exceptionnelles " n'était pas encore applicable, il appartenait au conseil départemental de prendre en compte l'ensemble des circonstances soumises à son appréciation, sous le contrôle du conseil national puis du juge de l'excès de pouvoir.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a conclu, le 20 septembre 2020, un contrat de remplacement avec Mme C..., afin de lui permettre de se rendre en métropole durant la période du 8 octobre au 18 décembre 2020. Il a informé le conseil départemental,

le 26 octobre 2020, de ce que le centre de soins de suite et de réadaptation (CSSR) La Valériane dans lequel il était le seul masseur-kinésithérapeute à exercer, allait prendre en charge, à la demande du centre hospitalier universitaire, des patients post-Covid, ce qui nécessitait la présence de deux praticiens, l'un en charge des patients contaminés, l'autre assurant les soins aux autres patients. Après avoir écourté son séjour en métropole, il a sollicité, le 5 novembre 2020, sur le fondement de l'article R. 4321-107 du code de la santé publique, l'accord du conseil départemental, qu'il a obtenu le 9 novembre suivant, pour pouvoir exercer simultanément avec sa remplaçante. Au regard du contrat en cours régulièrement passé à l'origine pour un remplacement, de l'urgence à prendre en charge dans le respect des mesures sanitaires un afflux de patients redirigés vers le centre de soins par le CHU, de la brève durée pour laquelle la dérogation à l'exercice simultané d'une activité de soins était sollicitée et de la volonté de la remplaçante, inscrite au tableau de l'ordre

d'Eure-et-Loir, de ne pas rester en Martinique à son terme, ce qui ne justifiait pas des démarches pour s'inscrire à l'ordre dans ce département, le conseil départemental pouvait légalement accorder, par la décision du 9 novembre 2020 en litige, la dérogation sollicitée jusqu'au 18 décembre, sans possibilité de prorogation.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Martinique a annulé sa décision du 17 décembre 2020. Ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes

est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au conseil national de l'ordre

des masseurs-kinésithérapeutes, au conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Martinique et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président,

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 décembre 2023.

Le rapporteur,

Olivier Cotte

Le président,

Luc Derepas

Le greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 21BX03641


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre (formation à 5)
Numéro d'arrêt : 21BX03641
Date de la décision : 07/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : ARISTEE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-07;21bx03641 ?
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