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02/05/2017 | FRANCE | N°15BX02781

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre - formation à 3, 02 mai 2017, 15BX02781


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...C...a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision du 30 septembre 2014 par laquelle le ministre de l'intérieur a prononcé sa révocation, d'enjoindre au ministre de le réintégrer ainsi que de mettre à la charge de l'Etat une somme de

3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par jugement n° 1401195 du 15 juillet 2015, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...C...a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision du 30 septembre 2014 par laquelle le ministre de l'intérieur a prononcé sa révocation, d'enjoindre au ministre de le réintégrer ainsi que de mettre à la charge de l'Etat une somme de

3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par jugement n° 1401195 du 15 juillet 2015, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés respectivement les 19 août et 22 septembre 2015 ainsi que le 8 septembre 2016, M.C..., représenté par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1401195 rendu par le tribunal administratif de la Guyane le 15 juillet 2015 ;

2°) d'annuler la décision du 30 septembre 2014 par laquelle le ministre de l'intérieur a prononcé sa révocation ;

3°) d'enjoindre au ministre de le réintégrer dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il n'a pas pu prendre connaissance de son dossier conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983, ni préparer sa défense dans un délai raisonnable ;

- la décision n'apporte aucune preuve des fautes qui lui sont reprochées et méconnaît la présomption d'innocence reconnue par l'article 9 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 11-10 de la déclaration universelle des droits de l'homme alors que l'affaire n'a pas été jugée au pénal ;

- la sanction de révocation est disproportionnée compte tenu du contexte, de la pression locale et de son niveau de responsabilité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juillet 2016, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- aucun des droits de la défense de M. C...n'a été mis en cause ; le fait que le requérant n'aurait pas été informé manque en fait et ne pourra qu'être écarté ;

- M. C...n'a été relaxé par la cour d'appel que partiellement puisqu'il reste condamné des infractions de corruption passive et d'aide à l'entrée, la circulation et le séjour irrégulier d'étrangers en France ;

- la matérialité des faits est d'ailleurs clairement établie dans le dossier disciplinaire ;

- M. C...s'est de manière frauduleuse et délibérée, affranchi des procédures administratives pour permettre la délivrance de titres de séjour ;

- les fautes retenues à l'encontre du requérant constituent des manquements à l'honneur, à la probité et aux obligations déontologiques du requérant de nature à porter le discrédit sur son administration notamment au vu de leur retentissement dans la presse locale ;

- les éléments relevés par M.C..., alors même que certains seraient établis, ne sauraient atténuer la sanction de révocation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la déclaration européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la déclaration universelle des droits de l'homme ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n°84-961 du 25 octobre 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gil Cornevaux ;

- et les conclusions de M. David Katz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 30 septembre 2014 du ministre de l'intérieur, M.D..., adjoint administratif de 1ère classe, affecté à compter du 1er septembre 2004 au bureau de la nationalité et de l'immigration de la préfecture de Guyane, s'est vu infliger la sanction de révocation pour avoir aidé à l'entrée, à la circulation et au séjour irrégulier en France de ressortissants étrangers et fourni de manière frauduleuse des titres de séjour en contre partie de rémunérations. M. D...relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette sanction et à ce qu'il soit enjoint à l'administration de le réintégrer.

2. Aux termes du deuxième alinéa de l'article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée: " Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes et à l'assistance de défenseurs de son choix. L'administration doit informer le fonctionnaire de son droit à communication du dossier (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 1er du

décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 : " L'administration doit dans le cas où une procédure disciplinaire est engagée à l'encontre d'un fonctionnaire informer l'intéressé qu'il a le droit d'obtenir la communication intégrale de son dossier individuel et de tous les documents annexes et la possibilité de se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix " ; qu'aux termes de l'article 3 du même décret : " Le fonctionnaire poursuivi peut présenter devant le Conseil de discipline des observations écrites ou orales, citer des témoins et se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix. (...) ". Aux termes de l'article 4 du décret

du 25 octobre 1984, modifié, relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat : " Le fonctionnaire poursuivi est convoqué par le président du conseil de discipline quinze jours au moins avant la date de réunion, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Ce conseil peut décider, à la majorité des membres présents, de renvoyer à la demande du fonctionnaire ou de son ou de ses défenseurs l'examen de l'affaire à une nouvelle réunion. Un tel report n'est possible qu'une seule fois ".

3. M. C...soutient qu'il n'a pu avoir connaissance de son dossier dans un délai raisonnable pour préparer correctement sa défense dans la mesure où il ne lui a pas été accordé de report de la séance du conseil de discipline fixée au 2 septembre 2014, alors qu'il était en cure thermale à Lamalou-les-bains au moment de la présentation de la convocation faite à son domicile et non à l'adresse temporaire dont il avait averti l'administration. Toutefois, d'une part, il résulte des dispositions susrappelées que le report de la séance du conseil de discipline n'est pas de droit. D'autre part, il appartient en principe à une personne qui change d'adresse de faire connaître à l'administration ce changement d'adresse. Or M.C..., au domicile duquel la gendarmerie s'est déplacée les 12, 13, 16 et 17 août 2014 afin de lui notifier la date de la séance du conseil de discipline, n'apporte aucune précision sur les modalités selon lesquelles il aurait averti son administration de son changement d'adresse temporaire. Ainsi le requérant, à qui il appartenait de prendre toutes dispositions utiles pour recevoir son courrier, n'est pas fondé à soutenir que les droits de la défense n'auraient pas été respectés et que l'arrêté contesté aurait été pris à la suite d'une procédure irrégulière.

4. M. C...soutient qu'une ordonnance de non lieu partiel a été prise par la présidente en charge de l'instruction au tribunal de grande instance de Cayenne le 22 janvier 2013 et qu'à la date de la sanction contestée, la cour d'appel de Cayenne ne s'était pas encore prononcée sur son appel contestant le jugement du tribunal correctionnel de Cayenne du 8 octobre 2013, et qu'ainsi, la décision contestée est entachée de méconnaissance du principe de présomption d'innocence, reconnu par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et les stipulations des articles 10 et 11 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Toutefois, d'une part, l'autorité de la chose jugée en matière pénale ne s'attache qu'aux décisions des juridictions de jugement qui statuent sur le fond de l'action publique. Tel n'est pas le cas des ordonnances de non-lieu que rendent les juges d'instruction quelles que soient les constatations sur lesquelles elles sont fondées. Ainsi, contrairement à ce que soutient M.C..., l'ordonnance de non-lieu rendue en sa faveur par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Cayenne n'avait pas l'autorité de la chose jugée. D'autre part, en raison du principe de séparation des procédures pénales et disciplinaires, le principe de la présomption d'innocence n'a ni pour objet, ni pour effet d'interdire à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire de sanctionner des faits reprochés à un agent public, dès lors que ces faits sont établis. En se prononçant sur les faits reprochés à M.C..., sans attendre que le juge pénal ait rendu sa décision sur les mêmes faits, l'arrêté attaqué du 30 septembre 2014 du ministre de l'intérieur, pris à l'issue d'une procédure disciplinaire distincte de la procédure pénale, n'a pas manqué au principe de présomption d'innocence, édicté par l'article 6-2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Le requérant ne peut, en tout état de cause, utilement invoquer les stipulations des articles 10 et 11 de la Déclaration universelle des droits de l'homme susvisée dès lors que celles-ci ne figurent pas au nombre des textes diplomatiques qui ont été ratifiés dans les conditions fixées par les dispositions de l'article 55 de la Constitution.

5. Aux termes des dispositions de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". Aux termes de l'article 66 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. (...) / Quatrième groupe : (...)/ - la révocation. ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

6. Dans le cas où un seul des motifs d'une décision administrative est erroné, il y a lieu de procéder à la neutralisation du motif illégal s'il apparaît que la considération du ou des seuls motifs légaux aurait suffi à déterminer l'administration à prendre la même décision. Si, pour prononcer la révocation de M.C..., le ministre de l'intérieur s'est appuyé sur le fait que l'intéressé avait fourni, au cours de l'année 2007, de manière frauduleuse à des ressortissants chinois des titres de séjour sur le fondement d'actes de paternité frauduleux, la cour d'appel de Cayenne, par arrêt du 4 juin 2015, a relaxé l'intéressé des fins de la poursuite de ce chef dès lors qu'il ne disposait pas du pouvoir de délivrer des titres de séjour. Ce motif est, par suite, erroné. Toutefois, la sanction repose également sur le motif tiré de ce que M. C...avait, au cours de la même période, facilité l'entrée et le séjour irrégulier d'étrangers en France, contre rémunération. Par l'arrêt mentionné ci-dessus, qui a sur ce point l'autorité de la chose jugée, la

cour d'appel de Cayenne a déclaré M. C...coupable, au cours des années 2006 et 2007, de trafic d'influence et de l'infraction d'aide à l'entrée, la circulation ou séjour irrégulier d'étrangers en France. Ainsi, ces faits doivent être tenus pour matériellement exacts. Ils constituent un manquement grave à l'obligation de probité s'imposant à tout fonctionnaire et sont de nature à justifier légalement le prononcé d'une sanction disciplinaire. Eu égard à leur gravité, et compte tenu du retentissement médiatique auquel l'affaire a donné lieu, les manquements graves et le comportement de l'intéressé, qui ont jeté le discrédit sur la loyauté et l'intégrité des fonctionnaires préfectoraux et ont été non seulement de nature à perturber le fonctionnement du bureau de la nationalité et de l'immigration mais aussi à nuire à l'image de la préfecture de la Guyane, justifient la sanction disciplinaire du quatrième groupe de la révocation. En conséquence, et alors même que M. C...aurait donné satisfaction dans l'exercice de ses fonctions occupées depuis son affectation à la préfecture le 1er septembre 2004, la sanction de révocation doit être regardée comme proportionnée à la gravité des fautes commises par lui, sans qu'il puisse être reproché au ministre de l'intérieur d'avoir entaché sa décision d'une erreur d'appréciation. Enfin, il résulte de l'instruction que le ministre aurait pris la même décision en se fondant sur le seul grief de facilitation de l'entrée et du séjour irrégulier d'étrangers en France contre rémunération.

7. Il résulte de tout de ce qui précède que M. C...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ne peuvent être accueillies.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. C...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...C...et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 21 mars 2017 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

M. Gil Cornevaux, président-assesseur,

Mme Marie-Thérèse Lacau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 2 mai 2017.

Le rapporteur,

Gil CornevauxLe président,

Elisabeth JayatLe greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

No 15BX02781


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15BX02781
Date de la décision : 02/05/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Statuts - droits - obligations et garanties - Statut général des fonctionnaires de l'État et des collectivités locales - Droits et obligations des fonctionnaires (loi du 13 juillet 1983).

Fonctionnaires et agents publics - Discipline - Motifs - Faits de nature à justifier une sanction.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: M. Gil CORNEVAUX
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : O TSHEFU

Origine de la décision
Date de l'import : 16/05/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-05-02;15bx02781 ?
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