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17/07/2017 | FRANCE | N°15BX02351

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 17 juillet 2017, 15BX02351


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

L'EURL Martial Depan a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er octobre 2008 au 1er avril 2010 et des pénalités y afférentes.

Par un jugement n° 1202131 du 18 juin 2015, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 juillet 2015, l'EURL Martial Depan, représentée par Me A..., demande à l

a cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de lui accorder...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

L'EURL Martial Depan a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er octobre 2008 au 1er avril 2010 et des pénalités y afférentes.

Par un jugement n° 1202131 du 18 juin 2015, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 juillet 2015, l'EURL Martial Depan, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de lui accorder la décharge des rappels de taxe litigieux ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le service vérificateur ne pouvait simultanément lui réclamer la taxe sur la valeur ajoutée facturée à tort et réclamer au gérant de la société le reversement de cette même taxe ; la Cour de justice de l'Union européenne souligne en effet que le principe de neutralité de la taxe interdit à l'administration d'effectuer simultanément une rectification au niveau de l'émetteur de la facture fictive et au niveau du destinataire de la facture ;

- un rappel de taxe sur la valeur ajoutée effectué sur le fondement de l'article 283-4 du code général des impôts ne peut être légalement assorti d'une majoration pour manoeuvres frauduleuses sur le fondement du c) de l'article 1729 du code général des impôts, qui ne vise que les insuffisances de déclaration ; au cas particulier, la société n'a pas enregistré les factures en litige dans sa comptabilité ni commis une infraction fiscale au regard de la taxe dont elle était redevable à raison de ses propres opérations.

Par un mémoire en défense enregistré le 3 décembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics (direction spécialisée de contrôle fiscal Sud-Ouest) conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le vérificateur a constaté que M.B..., gérant de l'EURL Martial Depan, a établi en 2009 cinq factures ne correspondant à aucune livraison ni prestation de service réelle dans le but de minorer le montant de la taxe sur la valeur ajoutée à reverser sur la cession d'un immeuble lui appartenant à titre personnel ; l'intéressé a reconnu le caractère fictif des facturations ;

- dans une telle situation, la taxe est due par la personne qui l'a facturée mais ne peut faire l'objet d'aucune déduction par la personne qui en a reçu la facture ; cependant, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et du Conseil d'Etat la récupération de la taxe par l'émetteur de la facture est possible sous certaines conditions ; en particulier, la possibilité de régularisation n'est admise que pour les contribuables de bonne foi ; les dispositions des articles 272 et 283 du code général des impôts n'excluent pas cette possibilité de régularisation, mais en l'espèce l'EURL Marial Depan n'a pas éliminé le risque de perte fiscal en temps utile, c'est-à-dire avant le contrôle et n'a donc pas permis à l'administration d'annuler la déduction ; de plus, la bonne foi de l'EURL ne peut être admise ; en conséquence, elle ne peut se prévaloir du principe de neutralité de la taxe ; l'administration dispose d'une réglementation lui permettant d'effectuer simultanément une rectification au niveau de l'émetteur de la facture fictive et au niveau de son destinataire ;

- les factures présentées pour l'établissement de l'acte de cession ont permis de réduire artificiellement le montant de la taxe sur la valeur ajoutée à payer et manifeste de la part de l'EURL une volonté délibérée de permettre à son gérant d'échapper partiellement à l'impôt ; M. B... a reconnu les faits dans le cadre de la procédure d'enquête ; l'application de la majoration pour manoeuvres frauduleuses est donc parfaitement justifiée ; les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts ne concernent pas les seule insuffisances déclaratives mais tout acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt.

Par une ordonnance du 11 janvier 2016, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 mars 2016 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive n° 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires- système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laurent Pouget,

- et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. A l'occasion d'une vérification de comptabilité de l'EURL Martial Depan, qui a pour activité la réalisation de travaux de plomberie, chauffage, couverture et zinguerie, le vérificateur a constaté que cinq factures établies au nom de la société par son gérant ne correspondaient à aucune prestation réelle et que la taxe sur la valeur ajoutée qui y était mentionnée n'avait pas été comptabilisée. La société s'est vu notifier en conséquence des rappels de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant total de 37 693 euros en droits et pénalités. L'EURL Martial Depan relève appel du jugement du 18 juin 2015 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces rappels.

Sur le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée :

2. Aux termes du II de l'article 271 du code général des impôts : " 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ; / b) Celle qui est perçue à l'importation ; (...) / 2. La déduction ne peut pas être opérée si les redevables ne sont pas en possession soit desdites factures, soit de la déclaration d'importation sur laquelle ils sont désignés comme destinataires réels. ". Selon le 2 de l'article 272 : " La taxe sur la valeur ajoutée facturée dans les conditions définies au 4 de l'article 283 ne peut faire l'objet d'aucune déduction par celui qui a reçu la facture. ". Enfin, aux termes de l'article 283 : " (...) 4. Lorsque la facture ne correspond pas à la livraison d'une marchandise ou à l'exécution d'une prestation de services, ou fait état d'un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l'acheteur, la taxe est due par la personne qui l'a facturée. ".

3. Ainsi que l'a jugé la Cour de justice des Communautés européennes dans ses arrêts C-342/87 du 13 décembre 1989, C-454/98 du 19 septembre 2000 et C-566/07 du 18 juin 2009, le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée implique qu'une taxe indûment facturée puisse être régularisée, dès lors que l'émetteur de la facture démontre sa bonne foi ou qu'il a, en temps utile, éliminé complètement le risque de perte de recettes fiscales. Dans un tel cas, la régularisation ne doit pas dépendre du pouvoir d'appréciation discrétionnaire de l'administration fiscale. Les Etats membres ont toutefois la faculté d'adopter des mesures afin d'assurer l'exacte perception de la taxe et d'éviter la fraude sans que ces mesures ne puissent aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs. Les dispositions des articles 272 et 283 du code général des impôts ne sont pas incompatibles avec ces exigences, contrairement à ce que soutient l'EURL Martial Depan, dès lors qu'elles n'excluent pas la possibilité de régulariser une facture mentionnant une taxe y figurant à tort. Si la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans son arrêt C-138/12 du 11 avril 2013, que le fournisseur d'une prestation exonérée doit pouvoir régulariser la taxe sur la valeur ajoutée sans condition de délai lorsque l'administration a définitivement refusé le droit de déduction au client, il n'en résulte pas que l'émetteur d'une facture fictive doit pouvoir obtenir le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur cette facture au seul motif que l'administration fiscale a remis en cause la déduction par le destinataire de cette dernière de la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée sur la facture. Il lui appartient en effet, conformément à ce qu'a jugé la Cour dans son arrêt C-454/98 précité, de régulariser la facture litigieuse en temps utile pour éliminer tout risque de perte de recettes fiscales.

4. L'EURL Martial Depan ne conteste plus, en appel, le caractère fictif des cinq factures en cause, sur lesquelles figure la taxe sur la valeur ajoutée ayant donné lieu aux rappels litigieux. Il n'est pas davantage contesté que ces factures, portant sur des travaux censés avoir été réalisés dans la maison de M. B..., son gérant de l'époque, ont été établies et émises alors que l'intéressé était le gérant de la société requérante. Cette dernière ne saurait dès lors être regardée comme étant de bonne foi. Il est par ailleurs constant que l'EURL Martial Depan n'a entrepris aucune démarche visant à la régularisation des factures considérées dans des conditions permettant d'éliminer tout risque de perte de recettes fiscales. C'est dès lors à bon droit que l'administration a estimé que, conformément aux dispositions de l'article 283-4 précité du code général des impôts, la société requérante était redevable de la taxe figurant sur les factures en cause, alors même que le service avait, dans le même temps, engagé auprès de M. B...une procédure visant à remettre en cause la déduction, par ce dernier, de cette même taxe à l'occasion de la cession de sa maison en septembre 2009.

Sur la majoration pour manoeuvres frauduleuses :

5. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : (...) c. 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses ou de dissimulation d'une partie du prix stipulé dans un contrat ou en cas d'application de l'article 792 bis ". Il appartient à l'administration, si elle entend faire application des pénalités de 80 % pour manoeuvres frauduleuses, d'établir l'intention du contribuable d'égarer ou de restreindre le pouvoir de contrôle de l'administration.

6. L'EURL Martial Depan soutient que la majoration de 80 % prévue par le c) de l'article 1729 du code général des impôts en cas de manoeuvres frauduleuses de la part du contribuable ne peut légalement assortir le rappel de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été signifié, dans la mesure où ce rappel est fondé sur l'application de l'article 283 du code général des impôts et non sur le constat d'une méconnaissance de ses obligations déclaratives. Cependant, il résulte de l'instruction que l'EURL Martial Depan a omis de comptabiliser en recettes les sommes figurant sur les factures fictives et de déclarer la taxe sur la valeur ajoutée y afférente au titre de la taxe collectée entre ses mains. La société requérante a, par conséquent, méconnu ses obligations déclaratives et l'administration, ayant constaté l'établissement de factures comportant des mentions ou des numéros d'ordre erronés, destinées à permettre à son gérant d'éluder l'impôt, a donc pu légalement se fonder sur les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts pour lui infliger la majoration contestée.

7. Il résulte de tout ce qui précède que l'EURL Martial Depan n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par l'EURL Martial Depan et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de l'EURL Martial Depan est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL Martial Depan et au ministre de l'action et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2017, à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,

M. Laurent Pouget, président-assesseur,

Mme Sylvie Cherrier, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 17 juillet 2017.

Le rapporteur,

Laurent POUGETLe président,

Aymard de MALAFOSSE Le greffier,

Virginie MARTY La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

5

N° 15BX02351


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15BX02351
Date de la décision : 17/07/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux fiscal

Analyses

Contributions et taxes - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées - Taxe sur la valeur ajoutée.

Contributions et taxes - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées - Taxe sur la valeur ajoutée - Fait générateur.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: M. Laurent POUGET L.
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : ECHARD

Origine de la décision
Date de l'import : 01/08/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-07-17;15bx02351 ?
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