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17/11/2022 | FRANCE | N°20BX02576

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 17 novembre 2022, 20BX02576


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du 26 juillet 2018 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande de nomination en qualité de notaire titulaire d'un office créé à la résidence de Bidart, ainsi que la décision par laquelle cette même autorité a implicitement rejeté son recours gracieux formé contre cette décision.

Par un jugement n° 1900042 du 30 juin 2020, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

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rocédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 7 août 2020, M. D..., représenté...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du 26 juillet 2018 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande de nomination en qualité de notaire titulaire d'un office créé à la résidence de Bidart, ainsi que la décision par laquelle cette même autorité a implicitement rejeté son recours gracieux formé contre cette décision.

Par un jugement n° 1900042 du 30 juin 2020, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 7 août 2020, M. D..., représenté par Me Sarfaty, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pau du 30 juin 2020 ;

2°) d'annuler la décision ministérielle du 26 juillet 2018, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision, qui ne précise ni la nature ni la qualification des faits ou manquements qui lui sont reprochés, est insuffisamment motivée ; il ne pouvait être regardé comme en connaissant la nature dès lors que les faits reprochés dans un jugement du tribunal de grande instance de Saintes ne sont pas les mêmes que ceux retenus par la cour d'appel de Poitiers ;

- les faits reprochés ne sont pas matériellement établis et à supposer qu'ils le soient, ils ne sont pas contraires à la probité au sens des articles 432-10 à 432-16 du code pénal ; il n'a jamais fait l'objet d'une sanction disciplinaire, ni d'une sanction pénale pour ce motif ; les décisions du tribunal de grande instance de Saintes et de la cour d'appel de Poitiers ne concernent que la gestion comptable ;

- la décision est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'elle ne pouvait pas être fondée sur l'article 45 de l'ordonnance du 28 juin 1945 qui concerne la démission d'office, ni même sur l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 dès lors que sa probité n'est pas en cause ; c'est à tort que les premiers juges ont substitué ce dernier fondement.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 mars 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision manque en fait ;

- l'inaptitude de M. D... à assurer l'exercice normal de ses fonctions a été constatée par la cour d'appel de Poitiers, si bien que la décision en litige pouvait légalement se fonder sur les manquements répétés de l'intéressé à ses obligations professionnelles ;

- à titre subsidiaire, le jugement pourra être confirmé en ce qu'il a procédé à une substitution de base légale dès lors que la décision aurait pu trouver son fondement dans l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 ; les faits sur lesquels M. D... a été en mesure de présenter ses observations constituent des faits contraires à l'honneur et à la probité ;

- la demande de nomination ayant été présentée avant la publication d'une nouvelle carte, elle est devenue caduque en application de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 ; la demande d'injonction ne pourra qu'être rejetée.

M. D... [CO1]a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision

du 27 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 ;

- la loi n° 91-645 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;

- le décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 ;

- le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C... A...,

- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., qui a exercé les fonctions de notaire à Aulnay de Saintonge de 2002 à 2012, a déposé le 16 novembre 2016 une demande en vue de sa nomination en qualité de notaire titulaire d'un office créé à la résidence de Bidart. Par décision du 26 juillet 2018, prise après une procédure contradictoire, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté cette demande, au motif qu'à la suite d'inspections de son office notarial en 2011 et 2012, l'inaptitude de M. D... à l'exercice normal des fonctions de notaire avait été constatée. Le recours gracieux formé par l'intéressé à l'encontre de cette décision a également été rejeté par une décision implicite. Saisi par M. D..., le tribunal administratif de Pau a rejeté, par le jugement attaqué du 30 juin 2020, la demande d'annulation de la décision du 26 juillet 2018 et de la décision implicite rejetant son recours gracieux.

Sur la légalité externe de la décision du 26 juillet 2018 :

2. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".

3. Aux termes de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques : " I. - Les notaires (...) peuvent librement s'installer dans les zones où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services. / Ces zones sont déterminées par une carte établie conjointement par les ministres de la justice et de l'économie, sur proposition de l'Autorité de la concurrence en application de l'article L. 462-4-1 du code de commerce. (...) / A cet effet, cette carte identifie les secteurs dans lesquels, pour renforcer la proximité ou l'offre de services, la création de nouveaux offices de notaire (...) apparaît utile. / (...) / II. Dans les zones mentionnées au I, lorsque le demandeur remplit les conditions de nationalité, d'aptitude, d'honorabilité, d'expérience et d'assurance requises pour être nommé en qualité de notaire (...), le ministre de la justice le nomme titulaire de l'office de notaire (...) créé. Un décret précise les conditions d'application du présent alinéa. ".

4. Il résulte des dispositions citées au point précédent que, dès lors que le demandeur en remplit les conditions, il dispose d'un droit à être nommé titulaire de l'office à créer pour lequel il est candidat, sous réserve, ainsi que le prévoit le décret du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministériels, de l'ordre d'examen de sa candidature tel qu'il est déterminé par sa date d'enregistrement ou par un tirage au sort. Une décision de refus de nomination, au motif que le candidat ne remplit pas la condition d'aptitude, doit dès lors, en application des dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, être motivée.

5. La décision de refus de nomination du 26 juillet 2018 vise d'une part l'ordonnance du 28 juin 1945 et le décret du 5 juillet 1973, d'autre part le jugement du tribunal de grande instance de Saintes du 5 février 2013 et l'arrêt de la Cour d'appel de Poitiers du 20 février 2014 qui ont constaté l'inaptitude de M. D... à assurer l'exercice normal de ses fonctions de notaire. En énonçant que les faits qui lui étaient reprochés dans la gestion de son office notarial d'Aulnay de Saintonge excluaient qu'il puisse exercer à nouveau des fonctions de notaire, le ministre s'est approprié le contenu des décisions rendues par le juge judiciaire, qui étaient connues de l'intéressé[GC2]. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision, en ce qu'elle n'énoncerait pas les faits reprochés, doit être écarté.

Sur la légalité interne de la décision du 26 juillet 2018 :

6. Aux termes de l'article 45 de l'ordonnance du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels : " Tout officier public ou ministériel qui ne prête pas le serment professionnel dans le mois de la publication de sa nomination au Journal officiel est déclaré démissionnaire d'office de ses fonctions sauf s'il peut justifier d'un cas de force majeure. / Peut également être déclaré démissionnaire d'office, après avoir été mis en demeure de présenter ses observations, l'officier public ou ministériel qui, soit en raison de son éloignement prolongé de sa résidence, soit en raison de son état physique ou mental, est empêché d'assurer l'exercice normal de ses fonctions. Les mêmes dispositions sont applicables lorsque, par des manquements répétés à ses obligations professionnelles, l'officier public ou ministériel a révélé son inaptitude à assurer l'exercice normal de ses fonctions. / L'empêchement ou l'inaptitude doit avoir été constaté par le tribunal de grande instance saisi soit par le procureur de la République, soit par le président de la chambre de discipline. Le tribunal statue après avoir entendu le procureur de la République et, s'il est présent, l'officier public ou ministériel préalablement appelé ou son représentant qui peut être soit un officier public ou ministériel de la même catégorie, soit un avocat. (...) ". Aux termes de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire : " Nul ne peut être nommé notaire s'il ne remplit les conditions suivantes : (...) 2° N'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur et à la probité (...) ". Aux termes de l'article 49 du même décret : " Peuvent demander leur nomination sur un office à créer les personnes qui remplissent les conditions générales d'aptitude aux fonctions de notaire. (...) ".

7. Lorsqu'il vérifie le respect de la condition de n'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur et à la probité, il appartient au ministre de la justice d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si l'intéressé a commis des faits contraires à l'honneur et à la probité qui sont, compte tenu notamment de leur nature, de leur gravité, de leur ancienneté ainsi que du comportement postérieur de l'intéressé, susceptibles de justifier légalement un refus de nomination.

8. La décision ministérielle en litige est fondée sur l'inaptitude de M. D... à l'exercice normal des fonctions de notaire au sens de l'article 45 de l'ordonnance du 28 juin 1945. Il résulte de ces dispositions, citées au point 6, qu'elles sont relatives aux hypothèses de démission d'office d'un officier public ou ministériel. En l'occurrence, si le garde des sceaux, ministre de la justice a engagé, le 17 octobre 2014, une procédure afin de déclarer M. D... démissionnaire d'office, au vu du jugement du tribunal de grande instance de Saintes du 5 février 2013 constatant son inaptitude à assurer l'exercice normal de ses fonctions, celle-ci n'est pas allée à son terme en raison de la demande de l'intéressé le 4 décembre 2014, acceptée par arrêté ministériel du 25 novembre 2015, d'autoriser son retrait de la SCP Pascal D... et de constater la dissolution de cette société. Par suite, le ministre ne pouvait, ainsi que l'ont jugé les premiers juges, fonder sa décision du 26 juillet 2018 sur les dispositions de l'article 45 de l'ordonnance du 28 juin 1945.

9. Toutefois, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée.

10. La décision attaquée trouve son fondement légal dans les dispositions précitées des articles 3 et 49 du décret du 5 juillet 1973 qui peuvent être substituées, ainsi que l'ont également estimé les premiers juges, à celles mentionnées dans cette décision dès lors, tout d'abord, que les faits énoncés dans cette dernière entrent dans le champ d'application de ces dispositions, ensuite, que cette substitution de base légale n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie, enfin, que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions.[GC3]

11. Il ressort des motifs de l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 20 février 2014 qu'après avoir constaté, dans une précédente décision du 4 juillet 2013, des manquements répétés de M. D... à ses obligations professionnelles, notamment une perception non justifiée d'émoluments de formalités et d'honoraires, une déficience dans la gestion des comptes clients créditeurs et des procurations données à son épouse au mépris des règles légales d'interdiction d'instrumenter, la cour confirme que M. D... n'est pas apte à assurer le fonctionnement normal d'une étude de notaire sans risque pour la clientèle. Elle a relevé que les manquements à ses obligations professionnelles ont été constatés à de nombreuses reprises, notamment par la curatrice de son étude postérieurement à la décision du 4 juillet 2013. Il ressort en outre des comptes rendus d'inspection que plus d'une centaine de plaintes de clients avaient été enregistrées, notamment quant à la célérité des procédures de liquidation de successions, ce qui a généré des pénalités pour les clients de l'étude. Alors même qu'ils n'ont pas donné lieu à une sanction disciplinaire, dès lors que l'intéressé a demandé qu'il soit donné acte de son retrait de sa société, ce qui mettait fin à la procédure sans qu'une décision soit prise sur l'instance disciplinaire, ces faits peuvent être regardés comme des atteintes à l'honneur et à la probité de nature à justifier légalement la décision ministérielle de refus de nomination. Les conditions rappelées au point 10 étant en l'espèce remplies, c'est à bon droit que le tribunal a procédé à la substitution de base légale demandée par le ministre.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision ministérielle du 26 juillet 2018, ainsi que celle de la décision implicite rejetant son recours gracieux. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 25 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président,

Mme Catherine Girault, présidente,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 novembre 2022.

Le rapporteur,

Olivier A...

Le président,

Luc Derepas

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

[CO1]Le requérant a déposé une demande d'AJ le 14 octobre qui passe en commission le 27 octobre. Il conserve toutefois Me Marine Denis comme avocate

[GC2]N'étant pas jointes, il faut au moins que le document ait été porté à la connaissance du destinataire avant la décision

[GC3]Cette conclusion est prématurée ici puisqu'il faut examiner d'abord si les faits entrent dans le champ..et en outre, on ne peut pas procéder à une substitution, alors que le TA l'a déjà faite, sans se prononcer par rapport à sa décision

2

N° 20BX02576


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX02576
Date de la décision : 17/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : SELARL SARFATY et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-11-17;20bx02576 ?
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