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15/02/2024 | FRANCE | N°22BX00374

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 15 février 2024, 22BX00374


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la décision du 7 septembre 2018 par laquelle le directeur général du centre hospitalier universitaire (CHU) de La Réunion l'a suspendue de ses fonctions à titre conservatoire.



Par un jugement n° 1800960 du 2 novembre 2021, le tribunal a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 3 février 2022, Mme C..

., représentée

par Me Maillot, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décisio...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la décision du 7 septembre 2018 par laquelle le directeur général du centre hospitalier universitaire (CHU) de La Réunion l'a suspendue de ses fonctions à titre conservatoire.

Par un jugement n° 1800960 du 2 novembre 2021, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 février 2022, Mme C..., représentée

par Me Maillot, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 7 septembre 2018 ;

3°) de mettre à la charge du CHU de La Réunion une somme de 2 183 euros au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le rapporteur public, qui a prononcé des conclusions communes sur les affaires distinctes relatives à sa suspension et à sa demande de protection fonctionnelle, les a commencées en faisant état de la fermeture du service d'urologie et d'un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), éléments qui ne figuraient pas au dossier ; cette utilisation d'éléments non soumis au contradictoire entache le jugement d'irrégularité ;

- d'une part, les signatures attribuées à M. B... sont précédées de la mention " le directeur des affaires médicales ", et non " pour le directeur général du CHU, le directeur adjoint à la direction des affaires médicales ", ce qui démontre que l'intéressé n'a pas entendu signer par délégation, et d'autre part, à défaut d'une analyse graphologique que la cour pourra ordonner avant dire droit, les signatures ne sont pas celle de M. B... ; la décision est ainsi entachée d'incompétence ;

- alors que le CHU a décidé de soumettre la décision de suspension à une consultation préalable du chef de pôle et du président de la commission médicale d'établissement, cette procédure interne n'a pas été respectée ; c'est ainsi à tort que le tribunal n'a pas retenu d'irrégularité au motif qu'elle n'était pas requise par les textes ;

- la décision de suspension a été transmise au Centre national de gestion des praticiens hospitaliers une semaine après son édiction, alors qu'elle devait l'être immédiatement ;

- il ressort des deux rapports sur le service d'urologie réalisés par l'agence régionale de santé (ARS) en 2017 et 2018 que le dysfonctionnement de ce service ne lui est pas imputable, mais qu'il est lié au management du chef de service et à la mésentente de ce dernier avec la présidente de la commission médicale d'établissement ; l'existence de faits graves justifiant sa suspension en urgence n'est pas établie ;

- la suspension, d'une durée illimitée et décidée sans motif valable, a créé une désorganisation du service dans lequel elle réalisait 32 % des opérations ; elle est ainsi entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- si la décision a été prétendument prise afin de garantir sa protection, elle n'avait pas à être suspendue alors qu'elle était maltraitée par des collègues, et sa protection, demandée par l'ARS, aurait pu être assurée en l'affectant sur le site Sud du CHU ; la suspension, qui a

duré 9 mois, avait le caractère d'une sanction dès lors qu'elle a fait d'objet d'une plainte devant le conseil de l'ordre des médecins et qu'elle a été menacée d'une plainte pénale ; l'article diffamatoire à son encontre publié dans le Journal de l'Ile de La Réunion est nécessairement issu d'une information communiquée par la direction dans la volonté de lui nuire, comme le retrace le rapport de l'IGAS, et il a été publié avec en vis-à-vis un article hostile au syndicat très actif au CHU dont elle est la trésorière ; ainsi, la décision est entachée de détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 février 2023, le CHU de La Réunion, représenté par Me Paraveman, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- le rapporteur public a pu, sans entacher le jugement d'irrégularité, faire référence au contexte de la fermeture du service d'urologie du site Nord du CHU survenue postérieurement, à compter du 1er juin 2021, en partie fondée sur les évènements ayant conduit à la suspension de la requérante ;

- le directeur général du CHU a donné délégation à M. B..., directeur des affaires médicales, pour les actes et les correspondances relevant de la gestion du personnel médical, par une décision du 1er juillet 2019 publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de La Réunion ; les décisions comportent la mention " pour le directeur général et par délégation, le directeur des affaires médicales " ; la signature est bien celle de M. B..., comme le démontre le contrat de recrutement d'un praticien contractuel qu'il a signé le 6 juillet 2018 ;

- contrairement à ce que soutient Mme C..., aucune ligne directrice de gestion de l'établissement ne prévoit la saisine du chef de pôle et du président de la commission médicale d'établissement avant une décision de suspension ; au demeurant, en signant le compte-rendu de l'entretien avec Mme C..., ces personnes ont donné leur avis ;

- la directrice du Centre national de gestion a été informée de la décision de suspension par un courrier du 13 septembre 2018 ;

- Mme C... a été suspendue à titre conservatoire, en dehors de toute procédure disciplinaire ;

- aucune disposition n'impose de préciser la durée de la suspension prononcée à titre conservatoire, et la durée de la suspension est en partie due au refus de la réintégration proposée le 9 mai 2019 avec mise à disposition du groupe hospitalier Ouest Réunion ;

- les difficultés invoquées par Mme C... lors d'un entretien du 3 juillet 2018 ont conduit le directeur des affaires médicales à rechercher d'éventuels manquements au sein du service, et il est apparu que Mme C... avait notamment modifié successivement, parfois tardivement, des comptes-rendus opératoires en situation d'évènement indésirable ; en outre, elle a porté des accusations à l'encontre d'autres praticiens et a refusé de manière répétée de se conformer aux décisions des réunions de concertation interdisciplinaire, notamment en mai 2016, avril 2017 et février 2018 ; ces comportements ont eu pour conséquences une perte de confiance des membres de l'équipe du service d'urologie envers Mme C..., ce qui constitue un risque important pour l'établissement en matière de responsabilité civile ou pénale, aggravé par l'insécurité révélée par l'analyse des comptes rendus opératoires ; ainsi, la décision de suspension était justifiée par la nécessité d'assurer la continuité du service et de prévenir de graves incidents, de sorte qu'elle n'est entachée ni d'erreur manifeste d'appréciation, ni de détournement de pouvoir.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. L'activité de greffe rénale du CHU de La Réunion a donné lieu à une inspection de l'agence régionale de santé (ARS) en février 2017 en raison d'une fréquence anormalement élevée de détransplantations, sept évènements indésirables graves de ce type étant survenus entre décembre 2015 et septembre 2016, dont un à l'origine du décès d'un enfant le 8 juin 2016. La mission d'inspection, qui a constaté un dysfonctionnement global et à tous les niveaux, avec une absence d'organisation collective de la prise en charge du patient greffé, a analysé le fonctionnement des différents services contribuant à celle-ci, et a notamment constaté un management déficient de l'activité d'urologie du site Nord du CHU. Une seconde inspection de l'ARS a été consacrée en mars 2018 à ce service, dont l'équipe médicale était constituée de quatre chirurgiens, le chef de service et trois praticiens hospitaliers, dont Mme C.... Le rapport daté du 27 avril 2018 a relevé que les antagonismes entre ces médecins, déjà constatés en février 2017, s'étaient amplifiés, et qu'il n'y avait plus entre eux de confiance suffisante pour permettre un réel travail d'équipe, celle-ci étant divisée en trois " clans " entre lesquels les interactions allaient jusqu'aux insultes et aux menaces physiques. Il a conclu qu'il appartenait au chef de service, à la direction et à la présidence de la commission médicale d'établissement de sortir des conflits de personnes pour retrouver collectivement le sens du service à rendre aux patients, en comblant le déficit de pilotage du service et en construisant des bases solides d'organisation et de fonctionnement par la définition d'objectifs quantitatifs et qualitatifs, d'un règlement intérieur, d'une charte de fonctionnement médical et d'une cartographie des risques. Le 3 juillet 2018, en présence de deux représentant syndicaux, le directeur des affaires médicales, la directrice du site Nord du CHU, un représentant de la présidente de la commission médicale d'établissement et le chef du service d'urologie ont organisé des entretiens séparés avec Mme C... et un autre chirurgien du service avec lequel elle avait des relations particulièrement difficiles. Mme C... a rapporté plusieurs situations conflictuelles sur la prise en charge de patients, liées à l'absence de transmissions médicales, et a précisé avoir fait l'objet d'agressions verbales et même physiques. Le 3 septembre 2018, lors d'un second entretien, il a été reproché à Mme C... d'avoir modifié des comptes rendus d'opérations, de ne pas avoir respecté des décisions prises en réunion de concertation pluridisciplinaire et d'avoir déclaré avec retard des évènements indésirables graves, ce qui aurait conduit à une perte de confiance des membres de l'équipe à son égard, à un risque contentieux et à un préjudice d'image pour l'établissement. Il a été précisé que les " questionnements sur sa pratique et sa déontologie " étaient de nature à relever d'une action disciplinaire, " et le cas échéant de la justice ". Par une décision du directeur général du CHU du 7 septembre 2018, Mme C... a été suspendue à titre conservatoire de l'ensemble de ses activités cliniques. Elle a été réintégrée à compter du 1er juillet 2019 par une décision du 17 juin 2019.

2. Le directeur d'un centre hospitalier qui, aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, exerce son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut légalement, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients, décider de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier au sein du centre, sous le contrôle du juge et à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné. Une telle décision n'a pas à être motivée.

3. Pour justifier la décision de suspension prise sur le fondement des dispositions de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, le CHU de la Réunion invoque les faits reprochés à Mme C... lors de l'entretien du 3 septembre 2018. Toutefois, les modifications de comptes-rendus d'opérations, l'absence de prise en compte de décisions arrêtées en réunion de concertation pluridisciplinaire et les déclarations tardives d'évènements indésirables graves, détaillés dans un tableau produit en première instance, se rapportaient à des faits anciens, le plus récent étant antérieur de plus de six mois à la décision de suspension. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport d'inspection de l'ARS du 27 avril 2018, que la prétendue perte de confiance des membres de l'équipe à l'égard de Mme C... s'inscrivait dans une situation de conflit généralisé, et que les quatre chirurgiens divisés en trois " clans " ne constituaient plus une équipe. Alors que le compte-rendu de l'entretien du 3 septembre 2018 précise que la pratique médicale de Mme C... " au sens de l'art " n'est pas remise en cause, les complications ou aléas résultant de son action ne révélant aucun caractère d'anormalité, aucune mise en danger des patients ne lui apparaît imputable. Les risques contentieux et d'atteinte à l'image de l'établissement allégués par le CHU ne relèvent pas, en tout état de cause, de circonstances exceptionnelles permettant au directeur de prendre une décision de suspension des activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier. Enfin, si la décision de suspension est motivée par l'objectif de " garantir la protection " de Mme C..., une telle nécessité ne ressort pas des pièces du dossier, alors que l'intéressée avait seulement indiqué se sentir menacée dans son service, ce que la direction n'avait pas pris au sérieux lors de l'entretien

du 3 septembre 2018. L'existence d'une situation exceptionnelle mettant en péril la continuité du service ou la sécurité des patients n'étant pas caractérisée, Mme C... est fondée à soutenir que la décision du 7 septembre 2018 est entachée d'erreur d'appréciation.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner ni la régularité

du jugement, ni les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.

5. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du CHU de La Réunion la somme de 2 183 euros demandée par Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La décision du directeur général du CHU de La Réunion du 7 septembre 2018 et le jugement du tribunal administratif de La Réunion n° 1800960 du 2 novembre 2021 sont annulés.

Article 2 : Le CHU de La Réunion versera à Mme C... une somme de 2 183 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C... et au centre hospitalier universitaire de La Réunion. Des copies en seront adressées pour information à l'agence régionale de santé de La Réunion et au centre national de gestion des praticiens hospitaliers.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 février 2024.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX00374


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00374
Date de la décision : 15/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : MAILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-15;22bx00374 ?
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