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15/02/2024 | FRANCE | N°22BX00381

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 15 février 2024, 22BX00381


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du 28 février 2019 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Bigorre l'a placée en position de congé annuel pour la période du 19 janvier au 1er mars 2018, et a requalifié les arrêts de travail à compter du 2 mars 2018 jusqu'au 30 octobre 2018 inclus en absence injustifiée, et de condamner le centre hospitalier de Bigorre à lui verser la somme de 15 000 euros au titre des préjudices subi

s en raison de la discrimination dont elle est victime depuis 2016.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du 28 février 2019 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Bigorre l'a placée en position de congé annuel pour la période du 19 janvier au 1er mars 2018, et a requalifié les arrêts de travail à compter du 2 mars 2018 jusqu'au 30 octobre 2018 inclus en absence injustifiée, et de condamner le centre hospitalier de Bigorre à lui verser la somme de 15 000 euros au titre des préjudices subis en raison de la discrimination dont elle est victime depuis 2016.

Par un jugement n° 1901692 du 26 novembre 2021, le tribunal administratif de Pau a annulé la décision du 28 février 2019, a mis à la charge du centre hospitalier une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus de ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 février 2022, le centre hospitalier de Bigorre, représenté par Me Herrmann, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Pau du 26 novembre 2021 en tant qu'il a annulé la décision du 28 février 2019, a alloué à Mme A... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté ses conclusions présentées sur ce même fondement ;

2°) de rejeter la demande de Mme A... ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- aucune décision n'a été prise sur les congés du 19 janvier au 18 juillet 2018, de sorte que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision en litige s'analyserait en un retrait illégal d'une décision créatrice de droits ; il a seulement fait application à l'agent, à réception d'un arrêt de travail pour maladie ordinaire, des dispositions du 2° de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986, afin de préserver son droit à traitement ; la décision prise est nécessairement provisoire, dans l'attente de l'avis du comité médical ou du médecin agréé ; aucune disposition n'impose, pour recueillir de tels avis, un délai de quatre mois, correspondant au délai pour retirer une décision créatrice de droits ;

- la décision du 28 février 2019 qui a requalifié les arrêts de travail du 2 mars au 30 octobre 2018 en absences injustifiées a nécessairement un caractère rétroactif puisqu'elle a pour objet de régulariser la situation de l'intéressée après réception des deux avis du comité médical départemental ; la rétroactivité n'est pas illégale alors qu'il s'agit de l'exercice normal de la gestion de la situation statutaire d'un agent ;

- tant le médecin agréé que le comité médical, qui a rendu un avis unanime, ont estimé que les arrêts de travail de Mme A... à compter du 19 janvier 2018 étaient injustifiés et que l'intéressée était tout à fait apte au travail ; Mme A... n'a pas contesté ces avis devant le comité médical supérieur.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 juin 2022, Mme A..., représentée par la SELARL Soulié Mauvezin, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l'appel incident :

1°) la réformation du jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires ;

2°) la condamnation du centre hospitalier de Bigorre à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation des préjudices subis en raison de la discrimination dont elle victime depuis 2016 ;

3°) et que soit mise à la charge du centre hospitalier de Bigorre la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la décision en litige s'analyse en un retrait de la décision la plaçant en congé de maladie ordinaire du 19 janvier au 18 juillet 2018 ; cette dernière décision, créatrice de droits, ne pouvait être retirée au-delà d'un délai de quatre mois, en application de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration ; en l'absence de retrait régulier ou d'annulation contentieuse, la décision demeure et il n'y a pas lieu de procéder à une régularisation de la situation de l'agent pour la période passée ;

- ce n'est qu'à l'occasion de la demande de renouvellement du congé de maladie ordinaire au-delà de six mois que le centre hospitalier a saisi le comité médical ; pour la période antérieure, alors qu'il en avait la possibilité en application de l'article 25 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986, il n'a pas sollicité la contre-visite d'un médecin agréé ;

- la décision de placement en congé de maladie ordinaire n'est pas une décision provisoire ;

- les avis du médecin agréé et du comité médical, qui ne lient pas l'administration et qui sont peu motivés, ne sont pas de nature à remettre en cause les certificats médicaux établis par ses deux médecins traitants, qui sont parfaitement explicites sur les motifs de l'arrêt de travail ; à supposer que la cour estime ne pas être suffisamment informée sur sa situation médicale, elle peut toujours ordonner une expertise médicale ;

-elle est victime depuis plusieurs années d'un traitement discriminatoire par le centre hospitalier, que le tribunal administratif de Pau a déjà eu à connaître par un jugement du 1er décembre 2017 par lequel il a reconnu une méconnaissance de ses droits à congé de maladie ordinaire ; la décision en litige génère divers préjudices dont des préjudices financier et moral, qui peuvent être évalués à 15 000 euros.

Par une ordonnance du 10 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 10 novembre 2023.

Par lettre du 21 décembre 2023, la cour a demandé au centre hospitalier de Bigorre, sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, de produire des pièces complémentaires.

Un mémoire, enregistré le 15 janvier 2024, a été produit pour le centre hospitalier de Bigorre.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;

- le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Cotte,

- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., agent de service hospitalier qualifié, affectée au centre hospitalier de Bigorre, a bénéficié d'un arrêt de travail à compter du 19 janvier 2018 pour une durée initiale de deux mois, renouvelé plusieurs fois pour des durées de trois mois puis de deux mois. Son employeur a saisi pour avis, le 28 août 2018, le comité médical départemental sur la demande de l'intéressée de prolongation de son congé de maladie ordinaire au-delà de six mois. Par une décision du 6 novembre 2018, le centre hospitalier émettait un avis favorable à la demande de l'intéressée d'être placée en disponibilité pour convenances personnelles à compter du 31 octobre 2018. Puis, par décision du 28 février 2019, rendue après expertise du médecin agréé et avis du comité médical qui ont estimé que les arrêts de travail étaient injustifiés depuis le 19 janvier 2018, l'établissement a placé Mme A... en position de congés annuels pour la période du 19 janvier au 1er mars 2018, puis en absences injustifiées pour la période du 2 mars au 30 octobre 2018. Mme A... a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Pau et a demandé la condamnation du centre hospitalier à lui verser la somme de 15 000 euros en raison des préjudices qu'elle aurait subis du fait d'un traitement discriminatoire depuis 2016. Par un jugement du 26 novembre 2021, le tribunal a annulé la décision du 28 février 2019 et a rejeté le surplus de ses demandes. Par la présente requête, le centre hospitalier de Bigorre relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé cette décision. Mme A... demande, par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement en tant qu'il a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur le bien-fondé du jugement en tant qu'il a annulé la décision du 28 février 2019 :

2. Aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévus en application de l'article 42. (...) ". Aux termes de l'article 14 du décret du 19 avril 1988 relatif aux conditions d'aptitude physique et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière : " Sous réserve des dispositions de l'article 15 ci-dessous, en cas de maladie dûment constatée le mettant dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, le fonctionnaire hospitalier est de droit placé en congé de maladie. ". Aux termes de l'article 15 de ce décret : " (...) L'autorité investie du pouvoir de nomination peut faire procéder à tout moment à l'examen du demandeur par un médecin agréé. Elle fait en outre procéder à cet examen au moins une fois après une période de congé de maladie de six mois consécutifs. Le fonctionnaire se soumet à cet examen sous peine d'interruption du versement de sa rémunération. / Le conseil médical compétent peut être saisi par l'administration ou par l'intéressé des conclusions du médecin agréé. "

3. Il résulte des dispositions précitées que l'administration peut, lors d'une demande initiale de congé maladie ou à chaque demande de renouvellement, vérifier, pour l'avenir, le bien-fondé de celle-ci en faisant procéder à une contre-expertise médicale suivie, le cas échéant, d'une saisine du comité médical. L'agent intéressé, placé de plein droit en congé de maladie dès la demande qu'il a formulée sur le fondement d'un certificat médical, demeure en situation régulière tant que l'administration n'a pas contesté le bien-fondé de ce congé. L'administration ne saurait, dès lors, remettre en cause de manière rétroactive la situation de l'agent, ni faire reverser à l'intéressé le montant des rémunérations qu'il a perçues dans cette position.

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme A..., en arrêt de travail depuis le 19 janvier 2018, a sollicité, le 12 juillet 2018, la prolongation de son congé de maladie ordinaire au-delà de six mois. Le centre hospitalier de Bigorre a sollicité, le 27 août 2018, l'avis d'un médecin expert et a accepté d'en désigner un nouveau à la demande de Mme A... qui avait déménagé en Corse. Ce dernier a estimé que les arrêts de travail de Mme A... depuis le 19 janvier 2018 n'étaient pas justifiés et que l'intéressée était apte à exercer un emploi à temps plein, sous réserve des restrictions proposées par le médecin du travail. Les

22 janvier et 12 février 2019, le comité médical a rendu des avis défavorables à la prolongation du congé de maladie ordinaire au-delà de six mois de Mme A.... Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le centre hospitalier ne pouvait se fonder sur ces avis pour remettre en cause de manière rétroactive les arrêts de travail de Mme A..., placer l'intéressée en congés annuels du 19 janvier au 1er mars 2018 et considérer qu'elle était en position d'absence injustifiée, entraînant privation de traitement, à compter de cette même date.

5. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Bigorre n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a annulé la décision du 28 février 2019.

Sur les conclusions indemnitaires de Mme A... :

6. Aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors en vigueur : " (...) Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race. (...) ".

7. Lorsqu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, le juge doit tenir compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. Il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, et au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

8. Mme A... fait valoir que le centre hospitalier de Bigorre a déjà méconnu ses droits à congé de maladie par le passé, ce qui témoignerait d'une situation de discrimination à son égard. Elle renvoie à un jugement du tribunal administratif de Pau, en date du 1er décembre 2017, ayant annulé un arrêté du 23 juin 2016 par lequel le directeur de l'établissement l'a placée en position de disponibilité d'office, à titre provisoire, dans l'attente d'une décision de la caisse nationale de retraite des collectivités locales (CNRACL) sur sa mise à la retraite pour invalidité à compter du 1er juin précédent, alors qu'elle n'avait pas épuisé ses droits à congé de maladie ordinaire. Toutefois, ce seul élément, alors que par ailleurs ce jugement rejette les conclusions de Mme A... contre d'autres décisions, ne permet pas de faire présumer l'existence de la discrimination dénoncée.

9. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les frais liés au litige :

10. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties, présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête du centre hospitalier de Bigorre est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de Mme A... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Bigorre et à Mme B... A....

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 février 2024.

Le rapporteur,

Olivier Cotte

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX00381


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00381
Date de la décision : 15/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : HERRMANN

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-15;22bx00381 ?
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