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29/02/2024 | FRANCE | N°23BX02075

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 29 février 2024, 23BX02075


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 28 juillet 2022 par lequel la préfète de la Gironde lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2203819 du 4 mai 2023, le tribunal administratif de Bord

eaux a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 28 juillet 2022 par lequel la préfète de la Gironde lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2203819 du 4 mai 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 21 juillet 2023, M. C..., représenté par Me Haas, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 4 mai 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 28 juillet 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour ou à défaut de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 80 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- son comportement ne constitue pas une menace pour l'ordre public, ainsi que l'avait déjà estimé la commission d'expulsion dans son avis du 9 juin 2021, le tribunal dans son jugement du 6 mai 2022 et le juge des référés le 8 août 2022 ; les faits qui lui sont reprochés sont anciens et commis dans un état de santé mentale fragile et d'indigence, alors qu'il est père de deux filles nées le 10 avril 2016 et le 9 août 2021, et qu'il fait preuve de sa volonté de travailler ;

- la décision portant refus de séjour méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; la préfète ne remettait pas en cause sa vie commune avec sa compagne ainsi que sa contribution à l'entretien de ses enfants, ce que le tribunal a pourtant fait ; il réside en France depuis 9 ans, il est en couple depuis 2017, il est père de deux enfants et il s'occupe aussi des deux enfants de sa compagne ; les pièces produites démontrent qu'il vit avec sa compagne et les enfants ; la cellule familiale ne peut se reconstituer au Cameroun dès lors que sa compagne ne peut vivre sans ses filles issues d'une première union ; il bénéficie de plusieurs promesses d'embauche et seul le fait de ne pas disposer d'autorisation de travail l'empêche de travailler ; il a malgré tout travaillé lorsqu'il a disposé de récépissés l'autorisant à le faire ;

- elle méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour les mêmes motifs que précédemment ;

- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant dès lors que la cellule familiale ne peut pas se reconstituer au Cameroun, son épouse ne pouvant être séparée de ses filles nées d'une première union ;

- l'obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de séjour ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant pour les mêmes motifs que ceux énoncés précédemment ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision fixant le pays de renvoi est illégale en raison de l'illégalité de la mesure d'éloignement ;

- l'interdiction de retour sur le territoire est illégale en raison de l'illégalité de la mesure d'éloignement ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant pour les mêmes motifs que ceux énoncés précédemment ; il n'a jamais fait l'objet précédemment d'une mesure d'éloignement.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 décembre 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête, en renvoyant à ses écritures de première instance qu'il produit.

Des pièces ont été transmises à la cour par M. C..., le 5 février 2024, soit postérieurement à la clôture automatique de l'instruction.

M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Cotte,

- et les observations de Me Haas, représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant camerounais né le 27 avril 1996, est entré en France en septembre 2014. Il a obtenu une carte de séjour temporaire en raison de son état de santé valable du 9 mars 2016 au 8 mars 2017. Il a sollicité le renouvellement de ce titre de séjour le 13 octobre 2017, puis a complété sa demande, le 18 juillet 2022, en demandant la délivrance d'un titre de séjour en raison de sa vie privée et familiale ou une admission exceptionnelle au séjour. M. C... a saisi, le 12 juillet 2022, le tribunal administratif de Bordeaux de la décision implicite née du silence gardé par la préfète de la Gironde sur sa demande enregistrée en 2017. Par un arrêté du 28 juillet 2022, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par un jugement du 4 mai 2023 dont M. C... relève appel, le tribunal administratif de Bordeaux, après avoir requalifié ses conclusions comme dirigées contre l'arrêté du 28 juillet 2022 intervenu en cours d'instance, a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté préfectoral.

Sur la légalité de l'arrêté préfectoral du 28 juillet 2022 :

2. D'une part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire (...) ". Aux termes de l'article L. 432-1 du même code : " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public ".

4. Pour estimer que le comportement de l'intéressé représentait une menace pour l'ordre public faisant obstacle à la délivrance d'un titre de séjour, la préfète de la Gironde a relevé que M. C... a été condamné, le 30 novembre 2016, à quatre mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits de vol les 4, 11 et 25 juin 2016, puis le 23 janvier 2019 à 35 heures de travaux d'intérêt général pour des faits de vol en récidive commis le 12 mars 2018 et enfin le 15 novembre 2019 à deux ans d'emprisonnement pour des faits d'agression sexuelle entraînant blessure ou lésion, commis le 17 janvier 2016. Si le jugement de libération conditionnelle parentale, daté du 23 février 2021, a relevé que M. C... reconnaissait difficilement son implication dans les faits qui lui étaient reprochés, cela n'a pas fait obstacle à ce qu'il soit fait droit à sa demande. Les faits pour lesquels il a été condamné datent de six ans et demi avant l'édiction de la décision en litige pour l'agression sexuelle et plus de quatre ans pour les faits de vol. Ils ont été commis à une époque où l'intéressé, d'une part, bénéficiait d'un suivi psychiatrique et psychothérapeutique par l'hôpital Charles Perrens de Bordeaux à la suite du stress post-traumatique occasionné par son parcours migratoire, lors duquel il a assisté à la mort par noyade de trois de ses amis, et caractérisé notamment par des hallucinations visuelles et auditives et des idées suicidaires, et, d'autre part, vivait dans un état de grande précarité. Il n'est pas contesté que le vol commis en récidive portait sur des produits d'hygiène pour enfant et adulte d'une valeur de 40 euros et que tous les produits ont été restitués. Dans ces conditions, et alors d'ailleurs que ces faits ont été jugés par le tribunal administratif de Bordeaux, dans un jugement du 5 mai 2022 devenu définitif, insuffisants pour justifier l'arrêté d'expulsion pris par la préfète de la Gironde le 22 juillet 2021, il ne ressort pas des pièces du dossier que le comportement de

M. C..., désormais père de famille, représenterait une menace actuelle pour l'ordre public qui ferait obstacle, à elle seule, à ce qu'il soit fait droit à sa demande de titre de séjour.

5. Il ressort, en outre, des pièces du dossier que M. C... est présent en France depuis près de 8 ans. Il est père de deux enfants de nationalité camerounaise, nées les 10 avril 2016 et 9 août 2021 de sa relation avec une compatriote, Mme B..., titulaire d'une carte de résident. Cette dernière est également mère de deux enfants nées de précédentes relations, l'une majeure de nationalité française, l'autre confiée à l'aide sociale à l'enfance. L'ensemble des pièces produites attestent que la famille réside ensemble dans un logement social situé 11, rue Pont Madame à Mérignac depuis octobre 2017 et que l'intéressé est investi auprès de ses enfants, ce qui a d'ailleurs justifié qu'il soit fait droit, le

23 février 2021, à sa demande de libération conditionnelle parentale. Si Mme B... s'est déclarée célibataire en février 2018 auprès des services de la préfecture, cette mention, qui n'est pas juridiquement erronée, s'explique par le fait qu'aucune des autres cases à cocher ne correspondait à sa situation. Bien que la situation de M. C... ait été compliquée, ainsi qu'en atteste la mission locale pour l'emploi, par le fait qu'il n'a pas bénéficié de récépissés l'autorisant à travailler, il a cherché à s'insérer professionnellement en sollicitant de la préfecture une autorisation de travail et en obtenant plusieurs promesses d'embauche. Au vu de ces éléments, alors même qu'il conserverait des attaches familiales au Cameroun, notamment ses parents et un fils qu'il n'a pas vu depuis 10 ans, la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. La préfète de la Gironde a ainsi méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. L'annulation de l'arrêté préfectoral du 28 juillet 2022 implique nécessairement que soit délivrée à M. C... une carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

8. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Dans ces conditions, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me Haas sur le fondement des dispositions combinées de l'article L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : L'arrêté préfectoral du 28 juillet 2022 et le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 4 mai 2023 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. C... une carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Haas la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. C... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de la Gironde et à Me Haas.

Délibéré après l'audience du 6 février 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 février 2024.

Le rapporteur,

Olivier Cotte

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23BX02075


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX02075
Date de la décision : 29/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : HAAS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-29;23bx02075 ?
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