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04/04/2024 | FRANCE | N°23BX01824

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 04 avril 2024, 23BX01824


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande de renouvellement de son titre de séjour ainsi que l'arrêté du 25 mai 2023 par lequel le préfet de la Guadeloupe a expressément rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre sous astreinte au préfet de lui délivrer un titre de séjour.



Par un jugement n° 2200501 du 29 juin 2023, le tribunal a requalifié les conclusions comme dir...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande de renouvellement de son titre de séjour ainsi que l'arrêté du 25 mai 2023 par lequel le préfet de la Guadeloupe a expressément rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre sous astreinte au préfet de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 2200501 du 29 juin 2023, le tribunal a requalifié les conclusions comme dirigées contre l'arrêté du 25 mai 2023, a annulé cet arrêté, et a enjoint au préfet de la Guadeloupe de délivrer un titre de séjour à Mme A....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 juillet 2023, le préfet de la Guadeloupe demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal.

Il soutient que :

- il ressort de l'enquête administrative de la direction territoriale de la police nationale du 28 octobre 2016 que M. C... a reconnu le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité souscrite en faveur de l'enfant de Mme A... ; eu égard à cette fraude, les années passées par Mme A... sur le territoire français ne peuvent être comptabilisées comme une période de séjour régulier ; en outre, la fraude est un élément à prendre en compte dans l'appréciation du trouble à l'ordre public ; dès lors qu'il est justifié par des éléments suffisamment précis et concordants que la reconnaissance de l'enfant a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, la décision de refus de titre de séjour n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision n'a pas pour effet de séparer l'enfant de sa mère, et eu égard au caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité, elle ne peut davantage avoir pour effet de le séparer du père déclaré ; c'est ainsi à tort que le tribunal a fait droit au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par des mémoires en défense enregistrés le 30 août 2023 et le 22 janvier 2024, Mme A..., représentée par Me Lagarde, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de prononcer une astreinte de 150 euros par jour de retard à exécuter l'injonction prononcée par le tribunal administratif, et de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle fait valoir que :

- le préfet n'a pas exécuté le jugement qui lui enjoignait de lui délivrer un titre de séjour ;

- la requête est irrecevable en l'absence de critique du jugement ;

- dès lors qu'elle résidait habituellement en France depuis plus de dix ans, la décision de refus de titre de séjour est entachée d'un vice de procédure en l'absence de saisine de la commission du titre de séjour ;

- contrairement à ce qu'a affirmé M. C... lors de son audition, ils se sont rencontrés en mai 2008, et elle l'a accueilli à son domicile en août 2008 car il avait eu une altercation avec sa mère ; lorsqu'elle a été enceinte, il est devenu agressif, mais il a finalement assisté à l'accouchement, et il a reconnu l'enfant moins d'un mois après sa naissance ; M. C... l'a agressée lors d'une dispute parce qu'il ne supportait pas les cris du bébé, elle a appelé les services de police, il a été convoqué pour une audition, et il est parti en métropole parce qu'il avait pris peur ; les déclarations confuses et contradictoires de M. C... ne pouvaient servir de fondement au refus de titre de séjour, lequel est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;

- le caractère frauduleux de la reconnaissance de l'enfant, qui repose sur la déclaration unilatérale du père, connu des services de police et dont les propos sont incohérents et confus, n'est pas établi ; c'est ainsi à bon droit que le tribunal a fait droit au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., de nationalité haïtienne, a déclaré être entrée irrégulièrement en France le 13 mai 2005. Le 15 novembre 2009, elle a donné naissance à un enfant prénommé Holyver, reconnu le 10 décembre suivant par M. C..., de nationalité française. Elle a sollicité la délivrance d'un premier titre de séjour au plus tard le 22 mars 2011, date de délivrance du premier récépissé figurant au dossier. Une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", valable du 12 octobre 2018 au 11 octobre 2019, lui a été délivrée et renouvelée une fois. Mme A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande de second renouvellement, puis la décision expresse, assortie d'une obligation de quitter le territoire français, prise par un arrêté du préfet de la Guadeloupe du 25 mai 2023. Par un jugement du 29 juin 2023 dont le préfet relève appel, le tribunal a requalifié les conclusions comme dirigées contre l'arrêté du 25 mai 2023, a annulé cet arrêté au motif que la décision de refus de titre de séjour méconnaissait l'intérêt supérieur de l'enfant de Mme A..., et a enjoint à l'administration de délivrer à l'intéressée un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois suivant la notification du jugement.

Sur l'appel du préfet de la Guadeloupe :

2. Aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ". Aux termes de l'article L. 423-8 du même code : " Pour la délivrance de la carte de séjour prévue

à l'article L. 423-7, lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent en application de

l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, doit justifier que celui-ci contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, ou produire une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ".

3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

4. Il ressort des pièces du dossier que le fils de Mme A..., né aux Abymes

le 15 novembre 2009, a été reconnu le 10 décembre 2009 par M. C..., de nationalité française. Pour estimer que cette reconnaissance était frauduleuse, le préfet de la Guadeloupe s'est fondé sur ce que M. C..., entendu au commissariat de police de Poitiers le 13 avril 2016, avait affirmé avoir reconnu l'enfant pour aider Mme A... à régulariser sa situation administrative. Toutefois, M. C... a indiqué avoir connu Mme A... en 2009, deux ou trois mois avant la reconnaissance de paternité et alors que l'enfant Holyver était déjà né, ce qui est manifestement erroné dès lors qu'il a reconnu l'enfant moins d'un mois après sa naissance. Dans ces circonstances, les seules déclarations de M. C..., au demeurant antérieures de deux ans et demi à la délivrance d'un premier titre de séjour à Mme A... le 12 octobre 2018, ne sauraient établir que la reconnaissance de l'enfant aurait présenté un caractère frauduleux. Par ailleurs, le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre a, par un jugement du 22 février 2022 rendu avant la décision en litige, fixé la résidence de l'enfant chez sa mère, réservé le droit de visite du père, lequel n'a pas comparu ni présenté de demande, et fixé la contribution de celui-ci à la somme mensuelle

de 150 euros. La circonstance que ce jugement n'a pas été exécuté par le père est sans incidence sur le droit de Mme A... à un titre de séjour au regard des dispositions précitées des

articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, que le préfet de la Guadeloupe n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal a annulé l'arrêté du 25 mai 2023.

Sur la demande d'astreinte de Mme A... :

6. Mme A..., qui avait présenté en première instance des conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte, soutient sans être contredite que l'administration n'a pas exécuté l'injonction de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " prononcée par le tribunal. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de prononcer

à l'encontre de l'Etat, à défaut pour le préfet de la Guadeloupe de justifier de la délivrance de ce titre de séjour dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt,

une astreinte de 50 euros par jour de retard.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

7. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil

peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et

de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me Lagarde.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de la Guadeloupe est rejetée.

Article 2 : Une astreinte de 50 euros par jour de retard est prononcée à l'encontre de l'Etat

si le préfet de la Guadeloupe ne justifie pas avoir délivré un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à Mme A... dans un délai de trois mois suivant la notification

du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Lagarde une somme de 1 200 euros au titre des dispositions

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi

du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Guadeloupe, à Mme D... A...,

au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Lagarde.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2024.

La rapporteure,

Anne B...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23BX01824


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX01824
Date de la décision : 04/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : LAGARDE

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-04;23bx01824 ?
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