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28/02/2019 | FRANCE | N°16DA01163

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation à 3 (bis), 28 février 2019, 16DA01163


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association France Nature Environnement, la fédération Haute-Normandie Nature Environnement et l'association Evreux Nature Environnement ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 28 juillet 2014 par lequel le préfet de l'Eure a autorisé, dans le cadre des travaux de réalisation de la déviation de la route nationale 13 au sud-ouest d'Evreux, la destruction de spécimens d'espèces protégées et de milieux particuliers par dérogation à l'article L. 411-1 du code de l'environ

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Par un jugement n° 1403733 du 26 avril 2016, le tribunal administra...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association France Nature Environnement, la fédération Haute-Normandie Nature Environnement et l'association Evreux Nature Environnement ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 28 juillet 2014 par lequel le préfet de l'Eure a autorisé, dans le cadre des travaux de réalisation de la déviation de la route nationale 13 au sud-ouest d'Evreux, la destruction de spécimens d'espèces protégées et de milieux particuliers par dérogation à l'article L. 411-1 du code de l'environnement.

Par un jugement n° 1403733 du 26 avril 2016, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête sommaire, enregistrée le 27 juin 2016, et des mémoires complémentaires, enregistrés les 28 juillet 2016, 6 avril 2017, 19 juillet 2018 et 17 janvier 2019, l'association Evreux Nature Environnement, représentée par la SCPB..., Colin, Stoclet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

.......................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté du 19 février 2007 fixant les conditions de demande et d'instruction des dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Charles-Edouard Minet, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur public,

- et les observations de Me A...E...substituant MeB..., représentant l'association Evreux Nature Environnement, et de M. D...C..., représentant le ministre de la transition écologique et solidaire.

Considérant ce qui suit :

1. Par un décret du 16 novembre 1999, les travaux d'aménagement d'une déviation routière au sud-ouest de la ville d'Evreux, entre la route nationale 154 située au sud de la ville jusqu'à l'entrée ouest de la commune de Parville, ont été déclarés d'utilité publique. Une première section de cette déviation a été mise en service en 2009. Les effets de la déclaration d'utilité publique ont été prolongés jusqu'au 16 novembre 2014 par un décret du 11 novembre 2009. La réalisation des travaux impliquant la destruction ou la perturbation de certains spécimens d'espèces protégées et de leurs milieux d'habitat naturel, en principe interdites par l'article L. 411-1 du code de l'environnement, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Haute-Normandie, maître d'ouvrage des travaux, a présenté, le 25 octobre 2013, une demande de dérogation à cette interdiction, dans le cadre fixé par l'article L. 411-2 du même code. Par un arrêté du 28 juillet 2014, le préfet de l'Eure lui a accordé la dérogation sollicitée en l'assortissant de certaines prescriptions. L'association Evreux Nature Environnement relève appel du jugement du 26 avril 2016 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la consultation du Conseil national de la protection de la nature :

2. D'une part, le I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement comporte une série d'interdictions visant à assurer la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats. Toutefois, le 4° du I de l'article L. 411-2 du même code permet à l'autorité administrative de délivrer des dérogations à ces interdictions dès lors que sont remplies les trois conditions distinctes et cumulatives tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire " au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle " et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs qu'il énumère limitativement. Parmi ces motifs, figure : " c) (...) l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou (pour) d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et (pour) des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ". Aux termes de l'article R. 411-13 de ce code : " Les ministres chargés de la protection de la nature, de l'agriculture et le cas échéant des pêches maritimes fixent par arrêté conjoint pris après avis du Conseil national de la protection de la nature : / 1° Les modalités de présentation et la procédure d'instruction des demandes de dérogations (...) ". L'article 3 de l'arrêté du 19 février 2007 fixant les conditions de demande et d'instruction des dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées, pris en application de ces dernières dispositions, prévoit que, sauf exception, la décision est prise après avis du Conseil national de la protection de la nature, et dispose que " Aux fins de consultation du Conseil national de la protection de la nature, deux copies de la demande sont adressées par le préfet au ministère chargé de la protection de la nature ".

3. D'autre part, l'article R. 133-16 du code de l'environnement prévoit que le Conseil national de la protection de la nature désigne en son sein un comité permanent qui est chargé de procéder à l'étude préalable de toutes les questions qui sont soumises à l'avis du conseil national. Aux termes de l'article R. 133-17 du même code : " Le comité peut recevoir délégation du conseil pour formuler un avis au ministre sur tout dossier. / Ce comité peut à son tour donner délégation pour formuler un avis au ministre sur certaines affaires courantes à un des membres, ou à une des sous-commissions du conseil constituée en application de l'article R. 133-11, qui lui en rendent compte régulièrement ".

4. Les dispositions de l'article R. 133-17 du code de l'environnement, citées au point précédent, doivent être interprétées comme donnant au Conseil national de la protection de la nature (CNPN) la faculté de donner délégation à son comité permanent. Ce dernier peut donner à son tour délégation à un des membres ou à une des sous-commissions du Conseil, pour formuler un avis sur les demandes de dérogation prévues au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, qu'elles relèvent de la compétence du préfet ou de celle du ministre, qui, s'il n'est pas nécessairement le destinataire exclusif des avis ainsi rendus, est toujours l'auteur de la saisine du Conseil. Dès lors, l'association Evreux Nature Environnement n'est pas fondée à soutenir que les délégations sur le fondement desquelles ont été émis en l'espèce, par des experts délégués du CNPN, les deux avis des 11 et 13 février 2014 portant respectivement sur la flore et sur la faune, auraient été consenties en méconnaissance de ces dispositions. Elle n'est, par suite, pas davantage fondée à soutenir que l'arrêté en litige serait, à ce titre, entaché d'un vice de procédure de nature à justifier son annulation.

Sur la méconnaissance des conditions d'octroi de la dérogation :

5. Il résulte des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, citées au point 2, qu'un projet d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s'il répond, par sa nature et compte tenu notamment du projet urbain dans lequel il s'inscrit, à une raison impérative d'intérêt public majeur. En présence d'un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d'une part, il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et, d'autre part, si cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet de déviation routière en cause a pour objet, d'une part, d'améliorer les conditions de circulation sur l'actuelle route dite Potier, qui est sous-dimensionnée, et d'autre part, de détourner le trafic routier du centre d'Evreux vers sa périphérie, afin d'améliorer la fluidité du trafic, le cadre de vie des habitants et les risques que ce trafic fait peser sur les usagers et les riverains. Elle permet en outre d'améliorer la desserte de l'hôpital d'Evreux et de deux zones industrielles ou d'activité situées au sud-ouest et à l'ouest de l'agglomération. Cette déviation a fait l'objet, ainsi qu'il a été dit au point 1, d'une déclaration d'utilité publique en cours de validité à la date de l'arrêté en litige. Si l'association Evreux Nature Environnement fait valoir que le trafic automobile sur les axes en cause aurait légèrement diminué depuis la date de la déclaration d'utilité publique, elle ne le démontre pas, alors qu'il ressort au contraire des énonciations du plan de déplacements urbains de la ville d'Evreux que l'avenue Foch, vers laquelle convergent plusieurs voies en provenance de l'ouest et du sud-ouest de l'agglomération, et en particulier la route nationale 13, constitue un " point critique " et un " goulet d'étranglement " avec une fréquentation de l'ordre de 35 000 véhicules par jour, dont 10 à 20 % de poids-lourds. Par ailleurs, à le supposer même établi, le faible développement de l'activité industrielle et commerciale à l'ouest de l'agglomération, illustré selon la requérante par le fait que l'une des entreprises susceptibles d'être desservie par la nouvelle déviation a licencié de nombreux salariés, ne suffit pas à remettre en cause l'intérêt de la desserte, par cette déviation, des zones d'activité existantes et de l'hôpital d'Evreux. Dès lors, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et malgré la tardiveté de sa réalisation, l'association appelante n'est pas fondée à soutenir que le projet ne répond pas à une raison impérative d'intérêt public majeur, au sens des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, citées au point 2.

7. En deuxième lieu, l'association Evreux Nature Environnement ne soutient plus, devant la cour, que le projet ne satisferait pas à la condition tenant à l'absence de solution alternative satisfaisante.

8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet, qui comporte la destruction de plusieurs hectares de forêts matures, porte atteinte à l'habitat particulier de plusieurs espèces de chiroptères, et en particulier d'une colonie de Murin de Bechstein observée sur place. Toutefois, d'une part, il est constant que cette espèce est présente et répandue en Europe de l'ouest et sur l'ensemble du territoire national, à l'exception du sud de la France. D'autre part, et en tout état de cause, l'arrêté en litige prévoit, au titre des mesures compensatoires, d'une part, le reboisement d'une surface deux fois supérieure à celle défrichée, à laquelle s'ajoutent 5 hectares supplémentaires, dans l'agglomération d'Evreux et en continuité de massifs existants, et d'autre part, la création de gîtes de substitution dans la forêt d'Evreux et dans les ouvrages de franchissement, un suivi régulier des populations de chiroptères et la signature de conventions entre le maître d'ouvrage et des associations locales de protection des chiroptères. Il est vrai que le CNPN a émis, sur ce point, un avis défavorable, au motif que la création de milieux ouverts à boisement clairsemé ne permettra pas le maintien, dans un état de conservation favorable, de la colonie de Murin de Bechstein observée sur place. Cependant, outre que les mesures citées ci-dessus visent, pour l'essentiel, à créer de véritables boisements, et non pas seulement des espaces ouverts, il ressort des pièces du dossier que le maître d'ouvrage a tenu compte de l'avis défavorable du CNPN en proposant, d'une part, une nouvelle mesure compensatoire, consistant en la création d'au moins deux hectares d'îlots de sénescence ou de vieillissement en forêt d'Evreux, et d'autre part, une mesure de gestion tenant à la mise en oeuvre d'une gestion de boisements vieillissants pour la création et le maintien d'arbres le plus âgés possible afin de favoriser les cavités prisées par le Murin de Bechstein. Il n'est pas établi, ni même d'ailleurs allégué par l'appelante, que ces mesures supplémentaires, qui ont été reprises par l'arrêté en litige, ne seraient pas de nature à permettre le maintien, dans un état de conservation favorable, des populations de Murin de Bechstein dans leur aire de répartition naturelle. L'association Evreux Nature Environnement n'est dès lors pas fondée à soutenir que cette condition prévue par le 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, cité au point 2, ne serait pas remplie en l'espèce.

9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 8 que l'association Evreux Nature Environnement n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté en litige méconnaît les dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.

Sur le moyen selon lequel l'arrêté en litige devrait être annulé par voie de conséquence de l'illégalité de l'autorisation délivrée au maître d'ouvrage au titre de la législation sur l'eau :

10. En raison des effets qui s'y attachent, l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, emporte, lorsque le juge est saisi de conclusions recevables, l'annulation par voie de conséquence des décisions administratives consécutives qui n'auraient pu légalement être prises en l'absence de l'acte annulé ou qui sont en l'espèce intervenues en raison de l'acte annulé. Il en va ainsi, notamment, des décisions qui ont été prises en application de l'acte annulé et de celles dont l'acte annulé constitue la base légale.

11. Il résulte des dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement, citées au point 2, qu'elles organisaient, avant l'intervention de l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale, un régime juridique spécifique en vue de la protection du patrimoine naturel. Ainsi, le titulaire de l'autorisation délivrée sur le fondement distinct de l'article L. 214-3 du code de l'environnement, au titre de la législation sur l'eau, était également tenu d'obtenir, en tant que de besoin, une telle dérogation au titre de la législation sur la protection du patrimoine naturel. En l'espèce, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Haute-Normandie a obtenu la délivrance, par un arrêté du préfet de l'Eure du 17 juin 2013, d'une autorisation délivrée au titre de la législation sur l'eau, sur le fondement du I de l'article L. 214-3 du code de l'environnement, qui a été annulée par la cour par un arrêt n° 16DA01162 rendu ce jour. Toutefois, l'arrêté en litige du 28 juillet 2014 n'a pas été pris en application de l'arrêté du 17 juin 2013, qui n'en constitue pas non plus la base légale. Par ailleurs, et contrairement à ce que soutient l'appelante, l'arrêté du 28 juillet 2014 ne peut pas davantage être regardé comme ayant été pris en raison de l'arrêté du 17 juin 2013, au sens des principes rappelés au point précédent, dès lors que l'un et l'autre de ces arrêtés ont été pris sur la base de législations distinctes et indépendantes. Par suite, l'association Evreux Nature Environnement n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté en litige devrait être annulé par voie de conséquence de l'annulation de l'arrêté du 17 juin 2013 délivrant au maître d'ouvrage du projet une autorisation au titre de la législation sur l'eau.

12. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Evreux Nature Environnement n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions qu'elle présente au titre des frais du procès doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'association Evreux Nature Environnement est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Evreux Nature Environnement et au ministre de la transition écologique et solidaire.

Copie en sera transmise pour information au préfet de l'Eure.

N°16DA01163 6


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1re chambre - formation à 3 (bis)
Numéro d'arrêt : 16DA01163
Date de la décision : 28/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

44-045-01 Nature et environnement.


Composition du Tribunal
Président : M. Boulanger
Rapporteur ?: M. Charles-Edouard Minet
Rapporteur public ?: Mme Fort-Besnard
Avocat(s) : SCP ALAIN MONOD-BERTRAND COLIN

Origine de la décision
Date de l'import : 05/03/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-02-28;16da01163 ?
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