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01/12/2020 | FRANCE | N°20DA00449,20DA00450

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation à 3 (ter), 01 décembre 2020, 20DA00449,20DA00450


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI du Marquet et la société Gurdebeke ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 11 juillet 2017 par laquelle le préfet de la région HautsdeFrance a rejeté la demande de la société Gurdebeke tendant à la radiation de l'inscription de la " Butte des Zouaves " à Moulin-sous-Touvent à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques.

Par un jugement n° 1702500 du 31 décembre 2019, le tribunal administratif d'Amiens a annulé cette décision et a enjoint à

cette autorité de procéder au réexamen, après consultation de la commission régionale ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI du Marquet et la société Gurdebeke ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 11 juillet 2017 par laquelle le préfet de la région HautsdeFrance a rejeté la demande de la société Gurdebeke tendant à la radiation de l'inscription de la " Butte des Zouaves " à Moulin-sous-Touvent à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques.

Par un jugement n° 1702500 du 31 décembre 2019, le tribunal administratif d'Amiens a annulé cette décision et a enjoint à cette autorité de procéder au réexamen, après consultation de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture, de la demande de la société Gurdebeke dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

I - Par une requête, enregistrée le 10 mars 2020 sous le n° 20DA00449, et un mémoire, enregistré le 5 août 2020, le ministre de la culture demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Amiens et de rejeter la demande de la SCI du Marquet.

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II - Par une requête, enregistrée le 10 mars 2020 sous le n° 20DA00450, et un mémoire, enregistré le 5 août 2020, le ministre de la culture demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif d'Amiens.

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Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code du patrimoine ;

- la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine ;

- le décret du 29 mars 2017 relatif au patrimoine mondial, aux monuments historiques et aux sites patrimoniaux remarquables ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire ;

- le décret n° 2020-1404 du 18 novembre 2020 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Claire Rollet-Perraud, président-assesseur,

- les conclusions de M. Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me A... B..., représentant la SCI du Marquet et la société Gurdebeke.

Considérant ce qui suit :

1. Il y a lieu de joindre les requêtes susvisées pour y statuer par un seul arrêt.

2. La société civile immobilière du Marquet a fait l'acquisition, le 30 juillet 2010, d'une parcelle du territoire de la commune de Moulin-sous-Touvent dans l'Oise sur laquelle sont situés le centre de stockage de déchets ménagers et assimilés exploité par la société Gurdebeke mais également un tertre appelé " Butte des Zouaves ".

3. Par un arrêté du 2 avril 2002, le préfet de la région Picardie a inscrit la " Butte des Zouaves " à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques.

4. Le 6 octobre 2014, la société civile immobilière du Marquet a demandé au préfet de la région Hauts-de-France de procéder, sur le fondement de l'article R. 62159 du code du patrimoine, à la radiation de cette inscription puis a contesté le refus né du silence gardé par le préfet devant le tribunal administratif d'Amiens. Par un jugement nos 1403523,1500278 du 14 mars 2017, cette juridiction a, d'une part, annulé ce refus au motif qu'une partie au moins des faits historiques à l'origine de l'inscription de la " Butte des Zouaves ", à savoir l'ensevelissement sous la Butte d'une compagnie de zouaves lors de la première guerre mondiale et l'exécution sur la Butte d'otages par l'armée allemande lors de la seconde guerre mondiale, étaient matériellement inexacts et, d'autre part, enjoint au préfet de région de réexaminer la demande de radiation présentée par la société civile immobilière du Marquet.

5. Par une nouvelle décision du 11 juillet 2017, le préfet de la région Hauts-de-France a rejeté la demande de radiation. La société civile immobilière du Marquet et la société Gurdebeke ont demandé l'annulation de cette décision au tribunal administratif d'Amiens. Par le jugement attaqué du 31 décembre 2019, cette juridiction a annulé cette décision et a enjoint au préfet de la région Hauts-de-France de procéder au réexamen, après consultation de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture, de la demande de la société Gurdebeke, dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

En ce qui concerne la forme :

6. Le ministre soutient que le jugement est insuffisamment motivé dès lors qu'il n'a pas répondu aux moyens en défense tirés des dispositions transitoires de l'article 113 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 et du caractère inopérant des articles R. 621-54 et R. 621-59 du code du patrimoine.

7. Toutefois, d'une part, le tribunal administratif d'Amiens, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés en défense par le ministre, a examiné, au point 2 de son jugement, l'application dans le temps de l'article R. 621-54 du code du patrimoine dans sa rédaction issue du décret du 29 mars 2017 relatif au patrimoine mondial, aux monuments historiques et aux sites patrimoniaux remarquables, qui est un décret d'application de la loi du 7 juillet 2016, de sorte qu'il a ainsi, implicitement mais nécessairement, écarté l'application des dispositions transitoires de l'article 113 de cette loi.

8. D'autre part, le tribunal administratif a aussi implicitement mais nécessairement écarté l'exception tirée du caractère inopérant allégué du moyen relatif à la violation des articles R. 621-54 et R. 621-59 du code du patrimoine, en jugeant que les préfets de région étaient tenus de recueillir l'avis de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture en cas de refus de radiation de l'inscription au titre des monuments historiques.

9. Dans ces conditions, le ministre de la culture n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué est insuffisamment motivé.

En ce qui concerne la procédure :

10. Le ministre soutient que les premiers juges ont méconnu le caractère contradictoire de la procédure dès lors que son mémoire en défense enregistré le 21 mai 2019, qui soulevait pour la première fois la question de l'application des articles R. 621-54 et R. 621-59 du code du patrimoine dans le cadre d'une demande de radiation d'inscription, n'a pas été communiqué à la société civile immobilière du Marquet et à la société Gurdebeke.

11. Aux termes de l'article R .611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ".

12. Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer le premier mémoire d'un défendeur ou tout mémoire contenant des éléments nouveaux, est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.

13. Si le mémoire du ministre de la culture enregistré le 21 mai 2018 n'a pas été communiqué à la société civile immobilière du Marquet et à la société Gurdebeke alors pourtant qu'il soulevait un moyen tiré de l'absence d'obligation de saisine de la commission en cas de refus de radiation d'inscription, le défaut de communication de ce mémoire n'a pas affecté le caractère contradictoire de la procédure à l'égard du ministre et, puisque le tribunal a écarté ce moyen, il n'a pas davantage préjudicié aux droits de ces sociétés.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne l'obligation de saisine de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture :

14. Aux termes de l'article R. 621-54 du code du patrimoine dans sa rédaction issue du décret du 29 mars 2017 : " L'inscription d'un immeuble au titre des monuments historiques est prononcée par arrêté du préfet de région après avis de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture réunie en formation plénière. (...) ". Selon l'article R. 621-56 du même code : " Le préfet de région recueille l'avis de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture ou de sa délégation permanente sur les demandes dont il est saisi, après avoir vérifié le caractère complet du dossier, et sur les propositions d'inscription dont il prend l'initiative. S'il prend une décision de rejet, le préfet de région en informe le demandeur ". Enfin, aux termes de l'article R. 621-59 de ce code : " La radiation de l'inscription d'un immeuble est prononcée et notifiée selon la même procédure et dans les mêmes formes que l'inscription. ".

15. Il résulte des dispositions de l'article R. 621-56 du code du patrimoine que le préfet de région ne peut rejeter une demande d'inscription d'un immeuble au titre des monuments historiques qu'après avoir saisi la commission régionale du patrimoine et de l'architecture. Il résulte dès lors de l'article R. 621-59 du même code que le préfet de région saisi d'une demande de radiation d'inscription doit de même recueillir préalablement l'avis de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture, sans que le sens de la décision qu'il prendra au terme de la procédure n'ait d'incidence sur cette obligation.

16. Dans ces conditions, le ministre de la culture n'est pas fondé à soutenir que les refus de radiation d'inscription d'un immeuble au titre des monuments historiques n'ont pas à être soumis à la commission régionale du patrimoine et de l'architecture.

En ce qui concerne l'application de l'article 113 de la loi du 7 juillet 2016 :

17. Aux termes de l'article 113 de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine : " (...) les commissions régionales du patrimoine et des sites sont maintenues jusqu'à la publication des décrets mentionnés aux articles L. 611-1 et L. 611-2 du code du patrimoine, dans leur rédaction résultant de la présente loi, et, au plus tard, jusqu'au 1er juillet 2017. / Pendant ce délai : (...) 3° Les commissions régionales du patrimoine et des sites exercent les missions dévolues aux commissions régionales du patrimoine et de l'architecture par ledit livre. / VI. (...) Les avis émis par les commissions mentionnées au premier alinéa du présent article entre le 1er janvier 2006 et la date de publication de la présente loi [8 juillet 2016] tiennent lieu des avis (...) des commissions régionales du patrimoine et de l'architecture prévus au livre VI du code du patrimoine (...) ".

18. En l'espèce, l'avis de la commission régionale du patrimoine et des sites a été rendu le 15 octobre 2015. Il valait donc, en application des dispositions précitées, avis de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture.

19. Toutefois, par son jugement du 14 mars 2017, le tribunal administratif d'Amiens a d'abord annulé la décision implicite de refus de radiation au motif que " si l'intérêt historique de la " Butte des Zouaves " est lié au fait qu'y aurait été ensevelie une compagnie entière de zouaves en 1914, malgré les sondages effectués dans le sol, aucune trace de l'hécatombe des zouaves n'a été trouvée à l'endroit supposé du front et aucune archive n'atteste de la disparition soudaine d'une compagnie entière ; il est également soutenu que les 6 personnes fusillées en 1942 l'ont été sur le territoire de la commune de Carlepont et non à l'endroit de la " Butte des zouaves " ; le préfet de région a acquiescé aux faits ". Le tribunal a ainsi censuré certains des motifs qui ont justifié l'inscription du site en cause au titre des monuments historiques.

20. Le tribunal a ensuite enjoint au préfet de la région des Hauts-de-France, non pas de faire droit à la demande de radiation, mais de réexaminer cette demande en précisant que cette autorité était " susceptible de retenir d'autre motifs que ceux susmentionnés pour justifier le maintien de l'inscription ".

21. Dans ces conditions, au regard de la modification des circonstances de droit résultant de la motivation et du dispositif du jugement du tribunal administratif, le préfet de la région Hauts-de-France ne pouvait pas légalement se prononcer sur la demande de radiation sans consultation préalable de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture.

22. Le vice de procédure énoncé au point précédent est susceptible, dans les circonstances de l'espèce, d'avoir exercé une influence sur le sens de la décision qui a finalement été prise.

23. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées en défense, que le ministre de la culture n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens a annulé l'arrêté du 11 juillet 2017 et a enjoint au préfet de la région Hauts-de-France de procéder au réexamen, après consultation de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture, de la demande de la société civile immobilière du Marquet.

Sur le sursis à exécution du jugement :

24. Par le présent arrêt, la cour statue sur les conclusions présentées par le ministre de la culture tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif d'Amiens du 31 décembre 2019. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur les conclusions présentées par le ministre tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

Sur les frais liés au litige :

25. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société civile immobilière du Marquet et la société Gurdebeke et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de la culture enregistrée sous le n° 20DA00449 est rejetée.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 20DA00450.

Article 3 : L'Etat versera la somme globale de 1 500 euros à la société civile immobilière du Marquet et à la société Gurdebeke au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la culture et à Me C... D... pour la société civile immobilière du Marquet et la société Gurdebeke.

Copie en sera adressée pour information au préfet de la région Hauts-de-France.

Nos20DA00449,20DA00450 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1re chambre - formation à 3 (ter)
Numéro d'arrêt : 20DA00449,20DA00450
Date de la décision : 01/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

41-01-03 Monuments et sites. Monuments historiques. Inscription à l'inventaire.


Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: Mme Claire Rollet-Perraud
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : GREENLAW AVOCATS ; GREENLAW AVOCATS ; GREENLAW AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-12-01;20da00449.20da00450 ?
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