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26/01/2021 | FRANCE | N°19DA02096

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation à 3 (ter), 26 janvier 2021, 19DA02096


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 septembre 2019 et le 13 novembre 2020, la société MSE Les Dunes, représentée par Me A... M..., demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 27 juin 2019 par lequel le préfet de l'Aisne a refusé de lui délivrer une autorisation d'exploiter un parc composé de six éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Grand-Rozoy ;

2°) de lui délivrer l'autorisation sollicitée ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Aisne de lui délivrer l'autorisation sollicité

e ou, à titre subsidiaire de réexaminer sa demande dans un délai de deux mois à compter de la n...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 septembre 2019 et le 13 novembre 2020, la société MSE Les Dunes, représentée par Me A... M..., demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 27 juin 2019 par lequel le préfet de l'Aisne a refusé de lui délivrer une autorisation d'exploiter un parc composé de six éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Grand-Rozoy ;

2°) de lui délivrer l'autorisation sollicitée ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Aisne de lui délivrer l'autorisation sollicitée ou, à titre subsidiaire de réexaminer sa demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme G... L..., première conseillère,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me A... M..., représentant la société MSE Les Dunes, et de Me N... H..., représentant l'Association pour la promotion et la préservation des paysages et de l'environnement du Soissonnais et autres.

Une note en délibéré présentée par la société MSE Les Dunes a été enregistrée le 15 janvier 2021.

Considérant ce qui suit :

1. La société MSE Les Dunes a déposé, le 25 avril 2013, une demande d'autorisation d'exploiter un parc composé de dix éoliennes et deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Grand-Rozoy dans l'Aisne. Une enquête publique s'est déroulée du 7 janvier au 7 février 2015. Par un courrier du 1er avril 2016, la société a indiqué aux services de l'Etat, qu'elle modifiait son projet le ramenant à six éoliennes et un poste de livraison. Elle a déposé un dossier corrigé le 13 avril 2016. Une enquête publique complémentaire s'est déroulée du 20 février au 24 mars 2017. Par un arrêté du 27 juin 2019, dont la société MSE demande l'annulation, le préfet de l'Aisne a refusé de délivrer l'autorisation sollicitée.

Sur l'intervention collective de l'association pour la promotion et la préservation des paysages et de l'environnement du soissonnais, de la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, de la commune de Droizy, de la commune de Grand-Rozoy, de la commune de Launoy, de M. et Mme K..., de M. et Mme E..., de M. F..., de Mme D..., de M. et Mme O... et de M. et Mme I... :

2. Aux termes de l'article R. 632-1 du code de justice administrative : " L'intervention est formée par mémoire distinct. / (...) / Le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction ordonne, s'il y a lieu, que ce mémoire en intervention soit communiqué aux parties et fixe le délai imparti à celles-ci pour y répondre. / Néanmoins, le jugement de l'affaire principale qui est instruite ne peut être retardé par une intervention ".

3. Il ressort des pièces du dossier que l'implantation des aérogénérateurs en litige est prévue sur le territoire de la commune de Grand-Rozoy. Dès lors, celle-ci justifie d'un intérêt suffisant au maintien de la décision de refus attaquée. Ainsi, son intervention, qui tend aux même fins que les conclusions présentées par la ministre de la transition, est recevable. Par suite, l'intervention collective qui est signée par au moins un demandeur ayant un intérêt suffisant pour agir, est recevable.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la légalité externe :

S'agissant du moyen tiré de la situation de compétence liée dans laquelle se serait cru le préfet :

4. Il résulte de la lecture même de l'arrêté attaqué que, pour rejeter la demande sur le fondement de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, le préfet non seulement s'est approprié, s'agissant du monument se trouvant sur la Butte Chalmont, les motifs exposés par l'autorité environnementale dans l'avis qu'elle a émis le 17 juin 2016, mais aussi en a retenu d'autres qui n'étaient pas évoqués par cette autorité. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le préfet se serait estimé lié par l'avis de l'autorité environnementale et aurait ainsi méconnu l'étendue de sa compétence doit être écarté.

S'agissant du moyen tiré d'une insuffisante motivation de l'arrêté :

5. L'arrêté attaqué vise les textes dont il fait application et indique que le projet, soumis à autorisation préfectorale au titre des installations classées pour la protection de l'environnement, est dorénavant composé de six éoliennes d'une hauteur de 130 mètres en bout de pale. Il précise que sa modification a conduit à la mise en oeuvre d'une enquête publique complémentaire et à une nouvelle consultation de l'autorité environnementale. Il décrit ensuite le site d'implantation du projet, notamment ses caractéristiques physiques, ainsi que les différents éléments qui le marquent tels les églises protégées de Grand-Rozoy, Droizy et Beugneux, le donjon protégé de Droizy, la vallée de la Crise ou la Butte Chalmont où prend place le monument commémoratif de la seconde bataille de la Marne. Il étudie ensuite l'impact du projet sur ce site faisant état d'une concurrence de points d'appel avec le château classé de Droizy et les églises protégées au titre des monuments historiques de Grand-Rozoy, Beugneux et Oulchy-la-Ville ainsi que d'une covisibilité très dommageable au lieu de mémoire de la Butte Chalmont. Dans ces conditions, quand bien même le préfet n'a pas étudié séparément l'impact de chaque éolienne, le moyen tiré d'une motivation insuffisante de l'arrêté attaqué doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

6. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. / (...) "..

7. Il résulte des dispositions citées au point précédent que, pour statuer sur une demande d'autorisation d'exploitation d'une installation classée pour la protection de l'environnement, il appartient au préfet de s'assurer que le projet ne méconnaît pas, notamment, l'exigence de protection des paysages. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage naturel ou urbain de nature à fonder un refus d'autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel ou urbain sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

S'agissant de la qualité du site d'implantation :

8. Les éoliennes projetées prendraient place sur une ligne de crête, relief étroit dominant sur une dizaine de kilomètres le paysage alentour, composé de champs cultivés, d'espaces boisés plus ou moins importants et de villages, vierge de pylônes ou autres hautes constructions humaines à l'exception de monuments tels clochers ou donjon. Les villages recèlent plusieurs bâtiments protégés au titre des monuments historiques. A environ 3 kilomètres au sud du projet, la Butte Chalmont domine les lieux où s'est déroulée la seconde bataille de la Marne de mai à août 1918, en particulier la Plaine de Saponay, et a été choisie par le maréchal Foch pour accueillir l'oeuvre monumentale commémorative " les Fantômes ", réalisée par le sculpteur Paul Landowski. Cette oeuvre, classée monument historique en 1934 avant même son inauguration en 1935, contribue à caractériser un paysage remarquable qui doit être préservé.

S'agissant de l'impact du projet :

9. D'une part, comme l'indique le préfet, l'église de Beugneux est un monument historique classé depuis 1922. Si les éoliennes se trouvent à une distance voisine de 2 kilomètres du centre du village, il résulte des pièces du dossier que depuis la route départementale 2 en entrée Est de Beugneux, deux éoliennes ont les pales qui s'inscrivent en arrière du clocher de l'église dans un même rapport d'échelle. En ce point, elles concurrencent directement le monument historique, dans une covisibilité qui altère profondément le clocher, l'une des éoliennes lui donnant l'aspect d'une sorte de moulin.

10. D'autre part, le site mémoriel de la Butte Chalmont s'appréhende au long d'un parcours composé de trois ensembles. A l'entrée, une statue féminine représente la France, puis, un cheminement ascendant, rythmé par quatre escaliers constitués de quatre marches et se terminant par un escalier monumental, mène à un ensemble de granit rose représentant huit types de soldats cherchant leurs camarades tombés au combat. Il ressort des pièces du dossier que si elles sont distantes de 3 kilomètres de la Butte Chalmont, les éoliennes érigées sur une ligne de crête plus élevée que la Butte Chalmont, seront visibles depuis deux endroits de ce site mémoriel de portée nationale : à l'entrée du site, depuis le bas de la Butte, deux éoliennes feraient face aux visiteurs avant qu'ils ne se tournent pour gravir la butte, et surtout parvenus en haut près de la sculpture, les visiteurs pourraient distinctement voir le parc entier, même s'il ne se trouve pas dans la direction regardée par " les Fantômes ". Alors que ce lieu de mémoire se conçoit en interaction avec le paysage préservé avoisinant, ces confrontations visuelles fortes sont de nature à lui porter une atteinte grave, en troublant la quiétude et le recueillement qui y sont associés. Dans ces conditions, et alors d'ailleurs qu'autorité environnementale, commissaire enquêteur et service départemental de l'architecture et du patrimoine ont tous émis des avis défavorables au projet, le préfet de l'Aisne, qui aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur les atteintes portées à la Butte Chalmont et à l'église de Beugneux, n'a pas commis d'erreur d'appréciation en refusant l'autorisation sollicitée au motif qu'elle porterait une atteinte grave, qu'aucune prescription ne saurait prévenir, aux intérêts protégés par les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

11. Il résulte de ce qui précède que la société MSE Les Dunes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le préfet de l'Aisne a rejeté sa demande d'autorisation d'exploiter. Dès lors, ses conclusions à fin d'annulation, celles à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de l'association pour la promotion et la préservation des paysages et de l'environnement du soissonnais, de la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, de la commune de Droizy, de la commune de Grand-Rozoy, de la commune de Launoy, de M. et Mme K..., de M. et Mme E..., de M. F..., de Mme D..., de M. et Mme O... et de M. et Mme I... est admise.

Article 2 : La requête de la société MSE Les Dunes est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Me A... M... pour la société MSE Les Dunes, à la ministre de la transition écologique, à Me N... H... pour l'association pour la promotion et la préservation des paysages et de l'environnement du soissonnais, la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, la commune de Droizy, la commune de Grand-Rozoy, la commune de Launoy, M. et Mme C... K..., M. et Mme Q... E..., M. E... F..., Mme P... D..., M. et Mme B... O... et M. et Mme J... I....

Copie en sera transmise pour information au préfet de l'Aisne.

N°19DA02096 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1re chambre - formation à 3 (ter)
Numéro d'arrêt : 19DA02096
Date de la décision : 26/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Energie.

Nature et environnement - Installations classées pour la protection de l'environnement.


Composition du Tribunal
Président : Mme Rollet-Perraud
Rapporteur ?: Mme Hélène Busidan
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : SELARL ENCKELL AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-01-26;19da02096 ?
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